Je n’ai jamais trouvé mon emploi, parce
que je n’ai jamais eu d’employeur à plein temps. Je les ai toute ma vie
cherchés. J’ai prié des employeurs et j’ai été éconduit. Je n’ai pas appris à
être employé par qui ne me correspondait et à quoi je n’étais pas fait. J’ai eu
des emplois, je n’ai jamais de ma vie, même enfant, cessé d’être à l’œuvre.
J’ai été salarié sur concours, convenablement payé pendant des années,
discontinues. J’ai appris et rencontré, mais hors emploi ou en sus de ce qui me
donnait droit à un salaire. Je sais à peu près, et depuis mon adolescence, ce
que je sais faire et ce que je peux être. Je discerne maintenant ma vocation.
D’une certaine manière, mais pas en forme d’emploi, elle s’est réalisée.
Pourtant, la gerbe n’est pas liée, je n’ai pas donné le plein de moi-même. Il
me reste à être fécond, il me reste presque tout à produire de ce que je me
sens empli et appelé à rayonner. Je suis acculé à être mon propre employeur,
mais je n’en ressens aucune solitude. Immense est le champ que la vie – ces
soixante quinze ans de durée – m’a attribué, sans m’en faire connaître ni les
limites ni la nature. Je ne prévois pas de réussir ni d’achever, je ne
m’inquiète pas du temps dont je puis disposer, il n’est jamais promis ni
certain ni exploitable.
Presque tout de ce que je veux dire –
par écrit – est flou en organisation, clair, précis et m’appartenant pour le
contenu. Tout a toujours eu un sens dans ce qu’il m’arrivait, mais presque
toujours ce fut imprévisible, à contre-sens de ce que je croyais et attendais
devoir sur venir. J’ai cru construire, ce ne fut pas plus assuré que mes offres
de service ne furent reçues.
Ecrivant cela, je sais décrire des
sentiments et ce que je ressentis souvent, mais je ne dis pas les événements,
ni surtout que les événements furent – de mémoire actuelle – tous des
rencontres. Cadres et ambiances ne furent jamais impératifs mais propices à ce
que des formes douées de personnalités et capables de dialogues, comme des
êtres humains. Et celles et ceux que j’ai rencontrés ont toujours été, quand
ils me sont apparus, indétachables de ces cadres et ambiances, d’un moment et
d’un lieu. Dieu-même. Je crois qu’ils étaient eux aussi en recherche d’emploi,
c’est-à-dire en attente de plus que ce qu’elles ou ils vivaient quand notre
rencontre s’est opérée. Et j’entends aussi bien l’accolade et même l’étreinte
intellectuelle et spirituelle avec des personnes physiques, sœurs et frères de
ma précarité et de même époque, que la perception vive, indélébile de ces
personnes que sont des pays, des peuples, des lieux, des institutions,
cultures, des civilisations.
De telles rencontres, inoubliables et
constitutives de ma propre vie, n’ont pas été l’emploi que je cherchais mais en
ont augmenté mon besoin et la soif que j’en avais, comme si – avec moi,
peut-être par moi – des continuités, des éternités allaient se faire, se
feraient si j’étais accueilli, avec de tels compagnes et compagnons. Mon échec,
s’il est avéré, sera bien plus que le mien. Je ne vaux que par qui m’accompagne
depuis que nous nous sommes rencontrés.
Reniac, devant notre
poêle, soir du dimanche 11 Février 2018
19 heures 43 à 20
heures 16
Un singulier pluriel, unique. Nous
sommes chacun sans précédent, notre postérité sera une grâce pour nous, nous
n’y pouvons rien, une transmission, un témoignage, des gènes-mêmes n’entament
pas la liberté de qui nous succède, des générations qui succèdent à la nôtre. Ce
qui nous fit peut être indifférent à toute suite seulement chronologique et non
affective. J’ai ressenti, de plus en plus, une forme plus forte et plus
sensible, celle du passé, la nation à laquelle j’appartiens et qui continue de
me faire, mes ascendants, les plus proches surtout, mon père et ma mère. Forte,
apaisante, constitutive et protectrice, tout autrement que des face-à-face ou
la reconduction périodique de mains qui se joignent.
Reniac, devant notre
poêle, soir du dimanche 11 Février 2018
autour de 20 heures 43
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