mardi 19 mai 2015

journal d'il y a cinquante ans


 +                                            Jeudi 20 Mai 1965  .  23 heures 30 



Depuis huit jours, je cherche un moment de calme et de réflexion. Et n’arrive pas à le trouver. Espèce de tourbillon et de vertige, dans lequel je suis, que je ne veux pas, mais qui m’enivre tout de même.

Vulnérabilité totale,
à la beauté sous toutes ses formes,
à la musique : telle fugue ou morceau de Bach, que j’écoute dans le calme profond, allongé sur mon lit, telle valse, réécoutée et retrouvée, depuis que j’ai récupéré mes petits disques,
au visage, au corps de la femme,
à Béatrice Moreau, dont – quoique je m’en défende – j’entretiens en moi le souvenir et le désir, depuis la nui du samedi au dimanche derniers,
à l’ambassadrice : Dominique Deniau, que j’ai trouvée éblouissante bronzée, blonde, robe noire très simple, et légère.

Décor merveilleux chez Garnaud.
Contact rapide avec le Président.
Le matin même, Sy Seck m’avait donné le feu vert pour mon camp en Mauritanie, et j’avais appris que la circulaire du Président relative à ma thèse, commençait de parvenir dans les services. Nous avons parlé de cela.
Pris quelques photos de la soirée, et de la table du Président.
Dansé toute la nuit avec Madame Moktar, avec Madame Deniau, peu avec Madame Ballèvre dont je n’appréciais pas la coiffure, et l’ « air vieilli » (alors que Jean-Marie était rajeuni).
Dansé souvent avec Annie Gadon (j’étais plus intimidé par les jeunes filles que par les jeunes femmes), et surtout avec Béatrice Moreau.
Attirance surtout physique, et slow très serrés. J’ai surpris de temps à autre son sourire donné, et je ne pouvais m’empêcher de penser, que jamais je n’aurai et n’ai le droit de faire d’un autre un instrument de mon plaisir.

Le lendemain, Madame Ballèvre me signalait que Garnaud avait fait cette soirée pour mettre en relations les uns avec les autres, et voir le résultat. Valmont dans une certaine mesure. Me dit que Garnaud cherchait à me faire connaître l’amour physique, et qu’elle n’y voyait aucun mal. En ai reparlé à Jean-Marie mardi soir. Exposé que ce qui importait, c’était le respect mutuel. Autrement dit, si tous les deux consentent à l’amour physique, en dehors de tout lien de mariage, pas de problème ; mais, oubliai : pb. sentimental, pb. enfant. Je ne peux prendre un corps, sans me donner entièrement à lui, je ne conçois pas de don à moitié. Il faut que l’amour physique, si complet qu’il soit en lui-même, soit une manifestation de l’amour tout court, de l’Amour. Néammoins, les tentations vont se multiplier. « Protège ma faiblesse, Seigneur. »

« Dieu, qui mets au cœur de tes fidèles un unique désir,
donne à tron peuple d’aimer ce que tu commandes
et d’attendre ce que tu promets,
Pour qu’au milieu des changements de ce monde,
nos cœurs s’établissent fermement,
là où se trouvent les vraies joies. »
Oraison . 4ème Dimanche Pâques

Comme toujours, je suis frappé de voir des coincidences de la liturgie. Et depuis ce dimanche,  ou en dehors de la messe et de la plage, j’ai surtout dormi, le thème de la mese Os justi me poursuit.

« Il n’a pas mis sa confiance dans les richesses et les honneurs »
« Vous ne savez ni le jour ni l’heure »

Comme je sens que le choix est à faire.
Cmme d’ailleurs, je le fais, malgré l’ivresse du « succès », qui me fait me dégouter moi-même, et probablement rendre puant aux yeux des autres. Je ne suis pas fait pour le succès.
Il ne me comble pas, ne m’équilibre pas. Me désaxe au contraire.

Objectivement, rien que de très normal :
– audience par le Président et « feu vert »
– rendez-vous avec Madame Moktar et sympathie
– soirée Garnaud où l’ambassadrice me frappe profondément, prise de conscience du fait que je suis bien vu d’elle
– déjeuner aujourd’hui en tête-à-tête avec l’ambassadeur et l’ambassadrice
– hier, long bavardage avec elle avec Garnaud et Brain (très agressif, je n’arrive pas encore à savoir pour moi).

Au fond, cette prise de conscience, peut-être non fondée, que j’ai toute une série de relations à Nouakchott : ministres et Président, ambassade, et que mes deux entreprises vont bien. Tout cela me fait prendre partiellement le contrôle de moi-même, m’inquiète, m’excite. Je suis frappé de la précarité de la chose, de la chance que j’ai, et je bois le tout à grandes gorgées, comme si cela ne devait pas durer, et surtout comme si cela ne devait déboucher sur rien.

Et j’en viens à être – c’est du moins mon impression – raseur chez les Ballèvre : inquiétude après ce que m’a dit Brain, me traitant d’arriviste aux dents longues, puant chez Lucas (avec Chappotard et Marchand en couples), à la réunion catholique d’hier soir, ce soir à dîner. Je me déplais. Et comme il faut s’aimer soi-même, pour aimer les autres. Le succès (bien relatif, il faut le reconnaître) m’attire et me repousse. Il me gonfle et ne me gonfle pas.

Mon Dieu, je garde soif profonde de toi. Je te choisis Toi le seul vivant, Toi le seul à m’aimer, à être pleinement. Je te choisis, et veux te donner ma vie dès ici-bas.

André m’a écrit une longue lettre, que j’ai reçue il y a huit jours, dont le leit-motive, relatif à ma vocation, était  SI  TU  VEUX.
Et Brain me traitant hier d’arriviste, me faisait mal. T tous les autres qui pensent peut-être la même chose. Et je souffre de paraître (et peut-être d’être) ce que je ne veux pas être.

Accepter. Me simplifier. Comme je veux être un et simple. Simplicité. Unité. Qsue j’appelle de toute mon âme. Accepter, et rechercher Dieu à travers tout cela. Il veille sur moi « de qui aurai-je crainte ? »

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