+ Jeudi
20 Mai 1965 . 23 heures 30
Depuis huit jours, je cherche un moment de
calme et de réflexion. Et n’arrive pas à le trouver. Espèce de tourbillon et de
vertige, dans lequel je suis, que je ne veux pas, mais qui m’enivre tout de
même.
Vulnérabilité totale,
à la beauté sous toutes ses formes,
à la musique : telle fugue ou morceau
de Bach, que j’écoute dans le calme profond, allongé sur mon lit, telle valse,
réécoutée et retrouvée, depuis que j’ai récupéré mes petits disques,
au visage, au corps de la femme,
à Béatrice Moreau, dont – quoique je m’en
défende – j’entretiens en moi le souvenir et le désir, depuis la nui du samedi
au dimanche derniers,
à l’ambassadrice : Dominique Deniau,
que j’ai trouvée éblouissante bronzée, blonde, robe noire très simple, et
légère.
Décor merveilleux chez Garnaud.
Contact rapide avec le Président.
Le matin même, Sy Seck m’avait donné le
feu vert pour mon camp en Mauritanie, et j’avais appris que la circulaire du
Président relative à ma thèse, commençait de parvenir dans les services. Nous
avons parlé de cela.
Pris quelques photos de la soirée, et de
la table du Président.
Dansé toute la nuit avec Madame Moktar, avec
Madame Deniau, peu avec Madame Ballèvre dont je n’appréciais pas la coiffure,
et l’ « air vieilli » (alors que Jean-Marie était rajeuni).
Dansé souvent avec Annie Gadon (j’étais
plus intimidé par les jeunes filles que par les jeunes femmes), et surtout avec
Béatrice Moreau.
Attirance surtout physique, et slow très
serrés. J’ai surpris de temps à autre son sourire donné, et je ne pouvais
m’empêcher de penser, que jamais je n’aurai et n’ai le droit de faire d’un
autre un instrument de mon plaisir.
Le lendemain, Madame Ballèvre me signalait
que Garnaud avait fait cette soirée pour mettre en relations les uns avec les
autres, et voir le résultat. Valmont dans une certaine mesure. Me dit que
Garnaud cherchait à me faire connaître l’amour physique, et qu’elle n’y voyait
aucun mal. En ai reparlé à Jean-Marie mardi soir. Exposé que ce qui importait,
c’était le respect mutuel. Autrement dit, si tous les deux consentent à l’amour
physique, en dehors de tout lien de mariage, pas de problème ; mais,
oubliai : pb. sentimental, pb. enfant. Je ne peux prendre un corps, sans
me donner entièrement à lui, je ne conçois pas de don à moitié. Il faut que
l’amour physique, si complet qu’il soit en lui-même, soit une manifestation de
l’amour tout court, de l’Amour. Néammoins, les tentations vont se multiplier.
« Protège ma faiblesse,
Seigneur. »
« Dieu, qui mets au cœur de tes fidèles un unique désir,
donne à tron peuple d’aimer ce que tu
commandes
et d’attendre ce que tu promets,
Pour qu’au milieu des changements de ce
monde,
nos cœurs s’établissent fermement,
là où se trouvent les vraies joies. »
Oraison . 4ème Dimanche Pâques
Comme toujours, je suis frappé de voir des
coincidences de la liturgie. Et depuis ce dimanche, ou en dehors de la messe et de la plage, j’ai
surtout dormi, le thème de la mese Os justi me poursuit.
« Il n’a pas mis sa confiance dans les richesses et les
honneurs »
« Vous ne savez ni le jour ni l’heure »
Comme je sens que le choix est à faire.
Cmme d’ailleurs, je le fais, malgré
l’ivresse du « succès », qui me fait me dégouter moi-même, et
probablement rendre puant aux yeux des autres. Je ne suis pas fait pour le
succès.
Il ne me comble pas, ne m’équilibre pas.
Me désaxe au contraire.
Objectivement, rien que de très
normal :
– audience par le Président et « feu
vert »
– rendez-vous avec Madame Moktar et
sympathie
– soirée Garnaud où l’ambassadrice me
frappe profondément, prise de conscience du fait que je suis bien vu d’elle
– déjeuner aujourd’hui en tête-à-tête avec
l’ambassadeur et l’ambassadrice
– hier, long bavardage avec elle avec
Garnaud et Brain (très agressif, je n’arrive pas encore à savoir pour moi).
Au fond, cette prise de conscience,
peut-être non fondée, que j’ai toute une série de relations à Nouakchott :
ministres et Président, ambassade, et que mes deux entreprises vont bien. Tout
cela me fait prendre partiellement le contrôle de moi-même, m’inquiète,
m’excite. Je suis frappé de la précarité de la chose, de la chance que j’ai, et
je bois le tout à grandes gorgées, comme si cela ne devait pas durer, et
surtout comme si cela ne devait déboucher sur rien.
Et j’en viens à être – c’est du moins mon
impression – raseur chez les Ballèvre : inquiétude après ce que m’a dit
Brain, me traitant d’arriviste aux dents longues, puant chez Lucas (avec
Chappotard et Marchand en couples), à la réunion catholique d’hier soir, ce
soir à dîner. Je me déplais. Et comme il faut s’aimer soi-même, pour aimer les
autres. Le succès (bien relatif, il faut le reconnaître) m’attire et me
repousse. Il me gonfle et ne me gonfle pas.
Mon Dieu, je garde soif profonde de toi.
Je te choisis Toi le seul vivant, Toi le seul à m’aimer, à être pleinement. Je
te choisis, et veux te donner ma vie dès ici-bas.
André m’a écrit une longue lettre, que
j’ai reçue il y a huit jours, dont le leit-motive, relatif à ma vocation,
était SI
TU VEUX.
Et Brain me traitant hier d’arriviste, me
faisait mal. T tous les autres qui pensent peut-être la même chose. Et je
souffre de paraître (et peut-être d’être) ce que je ne veux pas être.
Accepter. Me simplifier. Comme je veux
être un et simple. Simplicité. Unité. Qsue j’appelle de toute mon âme.
Accepter, et rechercher Dieu à travers tout cela. Il veille sur moi « de qui aurai-je crainte ? »
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