lundi 8 août 2016

commencement . suite II et à suivre



Qu’est-ce qui ne va pas ? Nous ne le savons pas très bien, nous avons chacun une idée, chacun nos malaises et rencontrons chacun nos impasses. Nous sentons confusément que le pays éprouve cela aussi. Il y a un type de commentaire ou de discours public tendant à accuser les Français de douter d’eux-mêmes et de la France, de donner dans la « sinistrose » ou la « déclinologie ». Tout autant, un récitatif : nous sommes un grand pays, on calcule le rang mondial, mais suivant quelles statistiques et quel critère ? Notre siège permanent au Conseil de sécurité, notre capacité nucléaire militaire, nos interventions plus ou moins indépendantes de tout et des autres à l’étranger pour des causes qui, à notre engagement, ne paraissent jamais mauvaises : le Mali, la Centrafrique, la Syrie, la Libye. Vous y intéressez-vous ? les déficits budgétaires, les finances de l’Etat, celles de l’E.D.F. et de la S.N.C.F. ou de notre constructeur nucléaire Areva. Des faillites, des fermetures d’usine, des pans entiers de l’économie depuis une trentaine d’années, sans doute la première vente, la première erreur stratégique grossière : Thomson troquant l’imagerie médicale pour laquelle avec la référence de notre école clinique et de nos scientifiques, l’entreprise était au premier mondial, contre une entrée sur le marché des téléviseurs aux Etats-Unis.  Responsable des services d’expansion économique au Brésil, c’est-à-dire de la prospection, de l’assurance-crédit des marchés à conclure, des contentieux éventuels, et participant avec l’agence financière de notre ambassade, je m’étais battu pendant les deux années précédentes pour l’entrée en vigueur de contrats considérables dans ce domaine précis du matériel hospitalier, nos technologiques de pointe. Montants si considérables que Pierre Bérégovoy, devenu en Juillet 1984, ministre de l’Economie et des Finances après avoir été quelques mois ministre des Affaires sociales, c’est alors que je lui avais écrit pour la première fois, confirmant mon appui personnel dans la tourmente suscitée par le projet de loi Savary, un service public unique pour l’Education nationale, c’est alors qu’avait commencé ce qui s’est revu en Novembre 2013, la foule des catholiques engagés contre la gauche et criant à l’attentat contre les libertés. Nous avions été d’emblée en confiance mutuelle, quoique ne nous rencontrant pas. Les montants accordés à Thomson, selon un mécanisme de crédit aux fournisseurs – un pourcentage important du marché à régler finalement par l’acheteur étranger était avancé par le Trésor français, pourvu que la créance fut certaine et le contrat entré en vigueur. Le ministre avait encore ses principaux services rue de Rivoli, dans une aile du Louvre, Raymond Poincaré, Joseph Caillaux, Paul Reynaud avaient opéré, régné là. Pierre Bérégovoy voulait rééquilibrer notre urbanisme : c’est dans l’est de Paris que s’édifiait la Très Grande Bibliothèque (majuscule partout), devenue la bibliothèque François Mitterrand, et quai de Bercy qu’il fallait ériger le nouveau ministère des Finances. Après les « événements de Mai » (1968), les services avaient imaginé un déménagement bien moindre, dans le « trou des Halles », Maurice Vcouve de Murville, quelques semaines ministre rue de Rivoli, puis Premier ministre, le dernier du général de Gaulle, l’avait avec bon sens empêché : alourdir encore et embouteiller davantage la capitale.

Le bureau est majestueux, lourd, une belle photographie de Pierre Mendès France, dont le ministre a été militant, se voit, seule, au mur. Pas de portrait du président régnant aussi affiché. Pierre Bérégovoy est affable. Nous sommes aventurés au Brésil et en Corée du sud, il en est inquiet. Il n’est pas rigoureux pour le principe, mais pour la prudence. Il a raison, dès mon arrivée en poste, je m’apercevrai que l’entrée en vigueur, qui change le bilan de l’entreprise grâce au concours public en attente du paiement final, a été frauduleuse, acquise la veille du changement de gouvernement, de la passation de pouvoir des militaires qui l’avait pris ou usurpé vingt ans plus tôt, et longtemps exercé très cruellement pour l’opposition, aux civils. Toute la gamme des produits Thomson, de l’hospitalier au militaire, était comprise dans ces marchés, quoique pas la télévision… y a-t-il d’ailleurs aujourd’hui chez nous encore un seul téléviseur Thomson et l’on allait ironiser (Simone Veil) dans peu d’années sur une ultime transaction entre l’entreprise et Daewo pour un franc symbolique, sans doute jamais payé puisque Daewo nous ayant pris ce qu’il voulait, faisait aussi failli, du moins c’est que j’ai retenu de ce spectacle et de ce scenario qui s’est ensuite souvent renouvelé : Péchiney, tout le textile, toute la métallurgie, Alcatel, Lafarge, Norbert-Dentressangle et finalement Alstom, tandis que les autobus franciliens ou bien ceux de ma métropole départementale sont Mercédès pour la plupart, et qu’Heuliez, malgré la région présidée par Ségolène Royal a dû fermer… Nous n’avons pas glosé sur ce que nous ne savions pas encore, cette désindustrialisation de la France, mais le ministre m’a verbalement chargé de la mission de porter toute mon attention sur ces marchés : trop d’argent public sur une seule entreprise, si importante nationalement qu’elle fût alors. Il faut comprendre que la dilapidation de notre patrimoine matériel, ou sa mise en danger, a des auteurs, des responsables, et aussi des conséquences. Une industrie peut retrouver le financement de son nouvel établissement, mais elle a perdu le savoir-faire et la main d’oeuvre qualifiée, d’hérédité souvent familiale dans beaucoup de métiers. Une absence a creusé un manque alors que les besoins, au moins nationaux, demeurent mais l’étranger désormais les satisfait. Nous sommes en train de le vivre pour l’agro-alimentaire breton, le porc sera désormais préparé en Allemagne et réimporté par nous, le lait est récolté par des entreprises rachetées par des Chinois et fera de la poudre pour les jeunes d’Extrême-Orient, des emplois perdus, un patronat de hiérarchie étrangère. Ces trente dernières années sont un mauvais roman de toutes les ruses et procédures pour abandonner nos capacités, les vendre ou les déplacer. Aux salariés, il est proposé des salaires et du travail en Roumanie selon les normes de là-bas. Ou bien, il est renoncé textuellement au droit de faire grève faute de quoi l’emploi ne sera pas maintenu sur place. Qui le prévoyait ? à la veille de la grande alternance qui ne fut pas en 1986 de la gauche à la droite, mais bien d’un secteur public, d’un certain dirigisme qui ne suscitait ni discussion ni clivage tandis que Valéry Giscard d’Estaing était si durablement ministre des Finances et des Affaires économiques, puis de l’Economie et des Finances (c’est Michel Debré qui prenant sa place en Janvier 1966 changea la dénomination du plus important de nos ministères, alors régaliens). Quand les nationalisations, au programme commun de la gauche, adoptée en Juin 1972, furent mises en œuvre dix ans plus tard, je militais dans les colonnes du Monde pour que la loi en disposant fut acquise par referendum et non par un vote parlementaire. On sut plus tard que Jacques Delors et Michel Jobert, respectivement ministre de l’Economie et des Finances, et ministre d’Etat chargé du Commerce extérieur, avaient, de leur côté, marqué fortement leur préférence pour l’entrée de l’Etat dans le capital, mais pas une appropriation exclusive. Les exagérations ne sont pas pérennes. Elles appelèrent les privatisations, justifièrent un mouvement qui n’a plus cessé depuis. Les héritiers, de plus en plus lointains, du général de Gaulle, avaient cessé de se distinguer des partis de gauche à propos des institutions, puisque François Mitterrand les pratiquait peu différemment de leur fondateur, mais étaient entrés en critique, vite haineuse ou méprisante à propos des gestions de l’économie et du statut des entreprises. Viendrait alors progressivement la pétition de cette décennie : l’obolescence du droit du travail pour que libérée de l’Etat, sinon de la fiscalité, les entreprises soient performantes et « créent de l’emploi ». L’obsession du droit, le chantage de la représentation patronale sont d’aparition récente. Nous étions d’accord depuis la fin des années 1930 – tous partis confondus, et surtout l’opinion publique, nos parents et grands-parents quasi-unanimes – pour une planification mettant tout le monde au partage des projets, des financements et des perspectives, d’accord sur ce qui s’appela dans les années 1960 la politique des revenus. Le drame de la défaite de 1940, et plus encore de l’Occupation, avait produit cet accord sur notre organisation économique et sociale. De Gaulle, revenu « aux affaires » selon une formule qui n’est peut-être pas la sienne, avait scellé l’ensemble dans un renouveau de démocratie, aussi directe que possible, en se risquant même à inaugurer la procédure que certains croyaient plébiscitaire, d’une élection présidentielle au suffrage universel. Avait-il été diminué en emprise sur l’opinion par sa mise en ballotage ? ou avait-il ainsi fondé même la gauche moderne puisque la campagne et le scrutin avaient donné cours à une personnalité de premier plan qui sous d’autres régimes n’aurait jamais régné quatorze ans, mais au plus quelques fois quelques mois.

Ce pouvoir démocratique et légitime a-t-il quelque influence sur l’économie, surtout quand s’amenuise le secteur public dit industriel et commercial, c’est-à-dire soumis aux mêmes règles de la concurrence entre les entreprises, la seule différence étant que l’actionnaire au lieu d’arriver de la bourse aux valeurs, est unique, c’est l’Etat. Il a fallu en douter dès cet été de 1987. J’avais été rappelé du Brésil où j’avais été témoin de nos premières visites pour le Rafale, il n’était pas difficile de comprendre que l’immense et puissant pays était et demeure sous influence américaine quand les intérêts sont en jeu, et à proportion que les Brésiliens, dans leur immense majorité, détestent les Etats-Unis. Un des chars au carnaval de Rio, quand j’y assistais, circuit bétonné, mais belles images et une nuit de délire et de samba sur la piste et entre les gradins, avaient comme principaux acteurs de hauts fonctionnaires et des directeurs du ministère des Affaires Etrangères, et la ritournelle était la caricature des yankees. Pourtant, le Rafale ne pouvait être vendu là comme ailleurs, malgré les arguments certains de sa qualité et de sa polyvalence, mais aussi les points à discuter sur le prix, la maintenance, le suivi – pour lesquels à propos de presque toutes nos offres à l’exportation, nous sommes plus prétentieux que tenaces et présents. Quand nous corrompons, nous nous trompons d’interlocuteur. Cherchant à être réemployé, n’importe où, à mon rappeldu Kazakhstan, je fus reçu par le ministre du Commerce extérieur dans le gouvernement d’Alain Juppé : à son départ de la rue de Bercy, il devint représentant de Boeing en France et celui qui avait été chargé, auprès du secrétaire général de la Défense nationale, ayant bureau aux Invalides et dépendant du Premier ministre, de mettre sur pied le réseau des correspondances interministérielles pour « l’intelligence économique », c’est-à-dire plus simplement pour la veille des entreprises de haute technologie et la sécurité de leur savoir-faire et de leurs exportations, passa un temps au service des Américains. Dans le cas des marchés de Thomson, la veille – sur la fraude énorme aux assurances publiques – s’organisa comme se font des carrières dans l’administration. Mes trois successeurs à Brasilia avaient, chacun participé en diverses positions hiérarchiques dans l’ambassade, à la conclusion des contrats, peu avant mon arrivée. Ainsi, pendant une dizaine d’années, les mêmes personnes couvèrent le même nid. Je n’ai pas su si finalement notre imagerie ainsi exportée avait gardé son origines françaises dans les salles d’examen médical au Brésil, mais, en tant qu’ambassadeur, je fus inspecté par mon prédécesseur à Brasilia qui, passé au Quai d’Orsay avant moi, voulait bien ce genre de fonctions lui aussi, puis en demandeur d’une nouvelle affectation pour le Commerce extérieur, même au rabais, je dépendis quelques jours d’un autre de mes successeurs dans les affaires Thomson, qui – de surcroît – avait été mon rival dans l’appréciation du risque présenté ou pas par l’endettement du grand pays au milieu des années 1980. Le déficit de notre commerce extérieur ou son excédent, profitable à nous tous, dépendent vraiment des personnes, des vendeurs mais de la stratégie d’ensemble de l’entreprise ambitieuse, sachant se projeter. L’expérience que j’en ai est que depuis pluiseurs décennies les comités d’entreprise ou d’établissement connaissent mieux les capacités de notre industrie et ce dont nous disposons pour pénétrer l’étranger. La performance économique est d’abord collective et sociale, humaine.

A ce dépouillement de Thomson dans l’été de 1987, Jean-Louis Bianco qui avait – sur la recommandation de Jacques Attali – succédé à Pierre Bérégovoy comme secrétaire général de l’Elysée, m’avoua ne rien pouvoir faire. Une droite nouvelle, libérale était arrivé au pouvoir, son programme signé autant de Jacques Chirac que de Valéry Giscard d’Estaing courageusement rentré dans la course par les mandats régionaux et locaux, avait même prévu la privatisation des chemins de fer et de la poste. C’est toujours tangent mais pas encore acquis. Lionel Jospin, personnellement honnête tant pour ses revenus et positions personnels qu’intellectuellement, fit – sans en être conscient ? – coincider un constat désespérant et une suppression désastreuse. Les « licenciements  boursiers » de Michelin, l’Etat n’y pouvait rien quand il devint en Juin 1997, Premier ministre, par surprise et maladresse électorale de la droite, nommément de Dominique de Villepin qui y avait poussé un président qu’il chambrait. Quant à Vilvorde, fleuron de Renault et de l’automobile belge, il ne pouvait rien non plus à sa fermeture que décidait une Régie où l’Etat a la majorité et tous les leviers à sa main. Il nous défit même de l’outil que nous avaient donné les études de la Résistance et Jean Monnet avec de Gaulle à la Libération : le commissariat général au plan et les multiples commissions et procédures de concertation, faisant de la marche économique de la France l’affaire de tous, sinon « l’ardente obligation » popularisée par l’homme du 18-Juin, nous réorganisant pour l’époque moderne. Ce fut remplacé par un conseil d’analyse économique secrétant des études pour l’information sinon la décision du gouvernement, du Premier ministre. La gestion dont se targuent les partis quand ils arrivent au pouvoir par un des leurs, pas forcément le plus intimement convaincu des croyances de sa famille d’origine électorale – nous le vivons ces années-ci – consiste le plus souvent à faire du texte ou de l’institution, mais pas à œuvrer pour que ce qui marche déjà, continue de marcher. On inventa donc très vite un conseil d’analyse sociale, confié à un ancien ministre qu’il fallait caser, c’est-à-dire prébender, et une manière de penser et de concerter, éprouvée avec succès pendant cinquante ans, disparut.

Vilvorde, test du gouvernement Jospin, et Florange, test du système Hollande. Le tête-à-tête, la confrontation physique du Président fraîchement élu, encore populaire, dans une ambiance où la nationalisation de ce qu’il nous reste de métallurgie était une alternative à faire valoir à l’étranger qui nous avait racheté nos propriétés et nos savoirs-faire. Cette confrontation ne tourna qu’à la disparition du dernier site lorrain pourtant géographiquement très bien situé à proximité des besoins allemands pour l’industrie automobile. Infériorité de caractère sur fond de discordances gouvernementales pour ou contre la nagionalisdation. Un soi-disant ministre de l’Economie, partisan au moins d’utiliser la menace, ne démissionna pas alors et se couvre à présent d’exploits et de programmes, pas vérifiés quand il était rue d Bercy. Le Premier ministre, qui était d’avis tout contraire, ne sut pas en se lançant réserver l’arbitrage présidentiel et donc entretenir l’adversaire dans un suspense d’ordinaire corrosif. Comme si l’infériorité psychologique et l’indétermination idéologique ne suffisait pas, à la tête de nos intérêts et de nos affaires, suprêmement, pour nous amoindrir, il y a eu la cécité sur certains de nos démembrements ou cessions d’actifs faisant notre image, donc désormais l’image des autres (toujours les mêmes : Chine et monarchies pétrolières que nous flattons tant sans égard pour ce que leurs régimes font des droits de l’homme et des aspirations démocratiques chez eux) : le Club Méditerranée, le groupe hôtelier Accor, des aéroports de province. Et enfin, les deux affaires de l’année, Alstom cédé à l’Amérique pour ce qui est de notre souveraineté nucléaire, selon un processus zélé par une femme d’ambition et d’organisation personnelles rares, et qui me fut familière, atteignant la sphère sinon de décision du moins de l’affichage en obtenant le poste d’ambassadeur chargé d’appeler les investissements étrangers chez nous (une invention d’Edith Cresson mais originellement de consonnance nationale) et de là passant au prédateur pour présider en France, General Electric. Pas un pli, une audience à l’Elysée où elle était « escort-girl » et des entretiens de presse sur une fusion-absorption qui a « du sens ».

De Gaulle confia au capitaine Guy, son aide-de-camp de Londres et du débarquement en 1944 jusqu’après la mort de Leclerc en 1947 : « mes amis aiment trop l’argent ». Depuis une dizaine d’années, accéder aux hautes positions dans l’Etat, c’est prétendre à partir de là, et moyennant ces positions, à des situations somptueusement rémunératrices dans la banque nationale ou étrangère, Goldman Sachs comprise, ou dans nos entreprises les plus multinationales. Le recel et la confusion d‘intérêts sont justiciables d’une appréciation voire d’une interdiction à la diligence d’une commission de déontologie. Un de mes camarades d’enfance chez les Jésuites et d’amitié familiale à la génération de nos parents, puis à l’Ecole nationale d’administration, l’a présidée à un moment exemplaire. Son empêchement eut été une défaite très marquante du président d’alors, Nicolas Sarkozy, gagnant « sur le fil » sa réforme constitutionnelle (les voix de Jack Lang, ministre des plus en vue de la gauche, et du président de l’Assemblée nationale qui traditionnellement doit s’abstenir en congrès de Versailles). Par courriel, il m’entretint de ses stances pendant plusieurs de nuits de suite, puis trouva une excuse de procédure pour ne pas opiner ni personnellement ni faire opiner son instance. François Pérol et un assemblage de banques, médité et organisé pendant des années, à des positions diverses mais toujours décisives ppur se situer finalement à l’Elysée. Maintenant, c’est un des conseillers du Président pour l’économie qui part chez Total. Hier, c’était le directeur du Trésor qui ests venu à l’appui d’un fonds d’investissement chinois, ou c’est le gouverneur régnant de la Banque de France qui a cautionné le court temps où il a « fait » de la banque privée, un montage répréhensible du point de vue du bien commun. Servir l’Etat devient une étape, le service public ne serait plus un ordre quasi-religieux à la morale indiscutable et non fongible. Déjà scandaleuses l’avidité des dirigeants, stigmatisée et évaluée en conséquences macro-économiques par un prix Nobel, précisément d’économie, devient un péché, une trahison consciente et assumée quand elle habite un très haut fonctionnaire. Ce n’est pas d’impuissance financière ou d’erreur de prospective indistruelle et commerciale qu’il s’agit le plus souvent – à présent – mais d’abaissement de la morale individuelle quand celle-ci doit guider les comportements de ceux qui appuient – soi-disant techniquement – nos grands dirigeants.

Il y a des complicités identifiables à notre déclin, des complicités datées, mais je ne crois ni légitime ni efficace de faire quelque chasse ou liste que ce soit. Les procès de Riom montrent toujours que le fait dominant est l’ambiance dans laquelle se décident et se projettent, s’allient les complicités et les tolérances. Il faut aux lieux précis – dans les institutions, le fonctionnement des pouvoirs publics, et dans l’âme de ceux qui en ont la charge pour quelque temps et par élection ou délégation populaires, selon notre confiance donc – il faut que parfois soient entendus l’avertissement, la remontrance.

Depuis des années, j’aime me laisser entrainer à des sympathies, des conversations de rencontre, elles me font constater dans le métro parisien, dans le train des retours en Bretagne, dans les salles d’attente d’hôpitaux ou de cabinets médicaux, dans la rue, à la sortie de l’église paroissiale, partout où l’échange, même très brefs, peut se vivre. Alors, avec celui à qui je parle et que j’écoute, se noue un instant un lien que je ne vais pas oublier – de même que l’inconnue à qui faire compliment de sa beauté, de son rayonnement ou à assurer que de sa vie amoureuse et de ses succès en d’autres âges de sa vie, tout se lit encore sur son visage et à son allure même d’octogénaire, retiendra pour longtemps cette évaluation positive, et en sera peut-être durablement, intimement réconfortés et heureuse, sans le communiquer pour autant à des tiers, à des proches – et surtout se produit une pridse en charge de notre destin national, de notre société. Nous vérifions la concordance de nos diagnostics, tâtonnons un peu sur les remèdes mais en convenons. Nous sommes citoyens, nous sommes majeurs, nous sommes vraiment responsables de davantage que nous-mêmes, et, le soir-même, il nous faut entendre pérorer en langue qu’on dit de bois, c’est-à-dire morte par rigidité et convenance, des gens voulant nous faire comprendre qu’aucune alternative n’est possible aujourd’hui et nous imposer ce qu’ils ont concocté à huis-clos pour que décidément tous nos repères nous soient ôtés : « redécoupage » de nos circonscriptions régionales comme si ce n’étaient pas de la chair, des gens, des routes et des villages, des souvenirs millénaires ou déjà habituels et acqcis, commodes depuis deux générations… l’impôt pris à la source puisque la plupart des pays européens le font déjà… même la présentation de nos plaques linéralogiques et leur attache à vie à nos voitures en sorte qu’on ne peut plus, sur la route, deviner d’où vient l’autre que nous suivons ou qui va nous croiser. L’époque où se savaient les chefs-lieux d’arrondissments pour tout enfant issu du cycle primaire, et les affluents de rive gauche et de rive droite pour nos grands fleuves. La carte du pays, les noms magnifiques, Montagne Noire, seuil de Naurouze, Gévaudan, pays de Caux et baie de Somme, monts d’Arré, Lannemezan, la liste de nos barrages hydro-électriques. Débattant à trois jours du second tour de scrutin pour l’élection présidentielle de Mai 2007, ni Ségolène Royal ni Nicolas Sarkozy ne savaient – même approximativement – le nombre de nos sous-marins stratégiques et celui de nos centrales électriques nucléaires. Sans doute, les Giscard d’Estaing en Avril 1974 ignoraient-ils l’un et l’autre le prix d’une baguette de pain, et celui d’un ticket de métro, mais l’époque était encore à des évaluations personnelles entre personnalités de gouveernement et d’Etat, et alors à des amitiés exceptionnellement fécondes. La sécurité fut à de grands moments des questions de confiance personnelle, celles résolues par de Gaulle et Adenauer depuis leurs vingt-quatre heures dans la maison de Colombey-les-Deux-Eglises, par Giscard d’Estaing précisément et Helmut Schmidt dans les bons restaurants de la plaine alsacienne, par François Mitterrand et Helmut Kohl à Latché, ce qui se vit devant l’ossuaire de Verdun. Depuis vingt ans, ce ne sont plus que rites, voire grimaces pour du quant à soi pratique, paralysant tout, et surtout l’imagination en commun d’un avenir autre que ce qui se bloque. Il manque l’étude et la réflexion personnelles, la conviction si motrice chez le général de Gaulle que l’on ne fait rien sans l’appui d’un peuple, que cet appui  se ressent et ne peut se mesurer. La maturité est aussi visible par le grand nombre, par nous tous, que l’immaturité. C’est nous qui sommes juges, alors qu’on prétend juger et condamner notre incapacité à nous réformer, c’est-à-dire, selon d’autres que nous, à endosser ce qui ne vient pas de nous. Quand s’est noué le débat sur le projet de loi au nom et à la rédaction si précaires que la ministre se les était vu imposer par le directeur de son cabinet, unique plume paraît-il pour la première mouture, El Khomry ne savait répondre sur la durée d’un C.D.D. : développer le sigle était hors de sa portée. Simplement, obstinément rappeler ce qui est de bon sens surtout quand la question n’est difficile que par sa mauvaise présentation et l’absence de préparation pour en proposer une solution. Rappeler qu’à plusieurs, on pense plus juste et plus vaste, plus expérimenté que seul. Est-ce bêtement qu’il faut constater que la démocratie, c’est tout le temps et pas les quelques semaines que dure légalement une campagne électoralement, alors que celle-ci – à l’ouverture de chaque mandat, davantage – pèse sur toute décision d’intérêt général. Les décisions ramenées à l’intérêt personnel d’être réélu, puisque ne pas l’être est la seule sanction encourue par ceux qui crient et protestent : je prends mes responsabilités.

Le bon sens énoncé en totale liberté d’expérience, de référence, de réflexion. Ressentir en soi profondément, sereinement, l’esprit de la plupart d’entre nous, nos communautés de vue et de réaction, notre capacité de dépasser ce dont on veut nous faire quand on est au pouvoir ou que l’on veut y parvenir, et vite, prochainement, que ce n’est que l’instinct ou de l’absence de modernité ou du cramponnement à du désuet, du démodé, du dépassé. Le ressentir, s’en fortifier. Y réfléchir encore. Cela pour cultiver et amender ntre champ national. Mais n’est-ce pas aussi le manque de France qui a grippé l’entreprise européenne, qui fait vainement attendre une analyse du monde contemporain telle qu’elle devienne un mot d’ordre pour des libérations physique et mentale dans le monde de notre époque, celle que nous vivons, dont nous avons la charge. Le monde et les relations inter-étatiques qui ne sont pas celles des peuples prennent de plus en plus de retard sur le possible, le souhaitable, le nécessaire.

Mon enfance avait des images de gloire et d’héroisme, des dates et des noms propres les légendaient, la seconde guerre mondiale n’était pas encore loin dans le passé et le souvenir, les tickets de ravitaillement existaient encore. Mon adolescence vécut une revanche sur les treize tours qu’il avait fallu pour élire à Versailles le successeur de Vincent Auriol à l’accent caricaturé, sur Dien Bien Phu, notre camp retranché sous le feu des indépendantistes, sur Suez et la stérilité de notre coup de main en alliance avec la Grande-Bretagne. Si je suis jamais entré dans l’âge adulte, c’est bien par les scenarii et les actualités politiques, les uns et les autres se prêtaient d’ailleurs à l’image autant que les récits légendaires mettant nos rois, Vercingétorix et Napoléon aussi, parmi le peuple, l’animant au point d’être souhaités et aimés par lui à sa tête. Louis VI le Gros et les Communes, Philippe Auguste à Bouvines, sept siècles juste avant la bataille de la Marne (1214... 1914...), Louis XIV mandant au maréchal de Villars que s'il perd la bataille, il viendra lui-même mourir à la tête de ses troupes, et ce fut Denain en 1709, c'est Bonaparte sur le pont d'Arcole et Napoléon au lac Laffrey, c'est de Gaulle allant à la rencontre des "porteurs de pancarte" à Dakar (Août 1958). Mais je crois de plus en plus, peut-être à la lecture des mémoires de Frédéric II et à avoir contemplé tout un soir dans le salon de l'hôtel Bellevue à Baden-Baden la série, sans doute complète, des gravures représentant ses batailles, en noir et blanc, qu'il existe, latent, un patriotisme européen fondé sur une admiration mutuelle de nos histoires et gloires nationales et le partage de nos désastres, de nos guerres fratricides, de nos responsabilités ensemble, tous ensemble quand s'établirent - hier - les dictatures orgoniques et quand, à présent montent les simplismes et les extrêmismes. Les moments de ce demi-siècle ne se ressemblaient pas les uns aux autres parce qu’aucun n’était médiocre, parce que quelque chose se faisait, qu’autour de moi et moi-même on était dedans. La communion était glorieuse. Depuis l’assassinat un par un à l’appel de leur nom de chacun des rédacteurs de Charlie-Hebdo, le 7 Janvier 2015, notre communion n’est plus que dans le deuil ou le cri d’une résistance que nous pensons opposer au terrorisme mais qui est nostalgie d’une Histoire de progrès, de vie, pas de mort. Etait-ce bien ? et pourquoi n’est-ce plus possible ? Je ne parle pas ici de l’affirmation ou de la théorie de la fin de l’Histoire.

                     Je veux dire que si nous nous accordons pour ressentir la médiocrité de notre temps national, sa stérilité, il y a eu aussi, surtout et il peut de nouveau y avoir le mouvement des esprits, des peuples, c’est-à-dire la discussion et l’espérance d’alternatives. C’est cela la liberté. La démocratie est postiche, sans elle. La liberté veut et comprend. Elle est en nous même toute engourdie d’inertie. Commençant de vous écrire, j’ai pendant des mois expérimenté l’emprisonnement dans cette gangue. Je veux vous confier des conversations, des prises de conscience qui m’ont formé à la liberté de penser, puis de proposer et enfin de discuter, d’évaluer ce qui est apparemment sans précédent. Mais étreint ou empoigne selon que nous y pouvons quelque chose. Moments et initiations donc. Les détails reviennent à la mémoire qui redevient esprit mouvant et réceptif, nullement une statuaire pour sanctuaire et vénération figée.

Aucun commentaire: