De quoi
sommes-nous capables ? et quels sont les temps ? Je me pose la
question tous ces mois-ci pour moi-même. Ce choix d’intuition de m’imposer au
prochain élu, à la prochaine élue, quel qu’il soit, quelle qu’elle soit, pour
présider notre République, nous présider, m’imposer tout simplement – puisque
les suggestions, les analyses, les avertissements ne s’imposent à nos
gouvernants si cela ne vient d’eux-mêmes et des quelques miroirs qui font
cabinet – en recueillant quelques voix à
partir de rien, alors qu’il ou elle aura une machine travaillant en permanence
depuis le début du mandat qu’il nous faudra renouveler ou empêcher en choisissant
d’autres, tout autant équipés et entourés. Moi, je vous écris. C’est d’ailleurs
à vous de comparer. Si je suis à la fois nu comme j’avoue l’être, pas jeune,
pas très flambard, et en même temps insipide autant que les autres en textes et
propositions, alors il vaut mieux effectivement que je me repose, écrive des
poèmes et des mémoires, ou compiler ce que j’ai composé depuis quarante cinq
ans… Et je vous laisserai redoubler, tripler, car ils se ressemblent tellement.
Les deux derniers, c’est patent. Changement de compagne dans les débuts du
mandat, présence à tout propos dans les médias, interventions sur tous sujets
méprisant toutes répartitions des compétences, même constitutionnellement
distribuée. Même hantise des sondages, même défiance vis-à-vis de la procédure
référendaire produisant chacun le sait ou l’a su un rejet encore plus marqué
que celui des commentateurs, même peur de parler en plein air à de vraies
foules, mêmes mouvements de troupes armées et camionnées quand ils vont
ailleurs qu’à leur bureau, mêmes précisions périodiques sur leur identité
politique et leurs convictions intimes puisque leurs faits et gestes n’ont
d’éloquence que de choquer ou de décevoir, l’un choquant notre idée atavique du
souverain à nous donner à nous-mêmes, l’autre si différent de ce à qui nous
nous attendions, ce que nous voulons.
La fonction
n’est pas celle d’un omniscient ou d’un volontariste, elle consiste à arbitrer
entre nos pouvoirs publics constitutionnels, entre les gouvernants, les élus,
les dirigeants et comme la politique – lieu de la démocratie – doit l’emporter
sur l’économie pour que soit respecté l’essence du pays et notre ensemble
social, arbitrer aussi à de grands moments ce qui se délibère et se projette
dans nos entreprises, si elles sont d’envergure nationale par ce quelles font
ou par ceux qu’elles assemblent en travail salarié, en organes ou personnes
investissant et finançant pour leur bonne marche, leur développement. J’écris
cela abstraitement, car je n’ai jamais su bien écrire, clair, court, phrases :
sujet-verbe-complément et une idée par phrase, mais je crois qu’il m’a été
donné de lire et penser assez juste, assez vite, de repérer le détail figurant
beaucoup et d’embrasser ce qui finalement explique un pays, un personnage. Ce
fut d’ailleurs mon métier, tel que je le comprenais et l’ai exercé. Regarder,
entendre, comprendre et admis, dans une intimité périodique et mutuelle, par
celui censé nous orienter ultimement, répondre de nous et de notre pays, du
présent et de nos acquis, de notre patrimoine, délibérer tranquillement, à
égalité puisque ce serait secret, au plus su par les collaborateurs tenant
l’agenda présidentiel. Quand j’avais le privilège des colonnes de tels
quotidiens, alors que le général de Gaulle n’était plus parmi nous, je pouvais
accéder à son successeur par la simple parution en début d’après-midi de ma
critique, d’un épisode de plus procès en fidélité que je lui intentais. Je
voulus finalement le voir, le rencontrer dans sa fonction et dans sa vie
quoiqu’il fût évidemment à la fin de celle-ci. J’en fus dissuadé par celui qui
me publiait : trop mauvaise humeur. Je sus que j’étais lu de lui par un
ancien et futur ministre, puis grand éditorialiste. Je sus surtout – par un de
ses principaux ministres, auquel tout m’attacha ensuite – que j’eusse été reçu.
Le suivant avait fait épouvantail pour ceux qui se disaient fidèles à l’homme
du 18-Juin et de la participation, de 1940 et de 1969, qui se disaient… mais
n’étaient plus guère pour la plupart car le caractère de la fidélité n’est pas
le refus d’un autre emploi proposé par un autre, mais de manque l’imagination
de la suite selon la source originelle. J’ai cru depuis 1969 que cette
imagination m’a été donnée et je tente de l’exercer depuis, professionnellement
situé, mais jamais requis, puis retraité mais toujours pas au repos, même si ma
santé maintenant m’inquiète et si je sais la statistique de toute longévité,
demeurant tant soit peu lucide quand on a soixante-quatorze bientôt, tandis que
vous me lisez. A ce suivant, j’ai proposé la recette que je continue de
servir, le plan périodique réunissant en commissions diverses tous les acteurs,
possédants, représentants, etc… en entreprise, en société, en entités
publiques : le plan, institution projetée par beaucoup de nos élites dans les années 1930, décidée
par le Conseil national de la Résistance, étudiée par Pierre Mendès France,
ministre des gouvernements privisoires à Alger puis au retour à Paris, chargé
de l’Economie. J’ai également demandé un emploi, celui de missionner à ytravers
la France pour en connaître au jour le jour et au hasard des rencontres de
rues, de lieux conviviaux, d’entretiens avec des gens d’autorité ou
d’animation, la pesnée, le souhait, la possibilité. Cela me valut d’être reçu
par un des conseillers auliques et amis de Valéry Giscard d’Estaing, Jean
Sérisé. Petit homme assuré de lui et de son patron, mais aimant écouter,
risquer tout dialoguer, jauger et évaluer. Je ne fus pas séduit, j’étais à
l’aise et en confiance. De l’homme qui fonda, pour une seconde fois devenue nécessaire,
notre République, cinquième du nom, j’avais fait la connaissance par son frère
aîné. Il n’était alors qu’opposant, mais le chef incontesté de l’opposition
puisque de Gaulle en l’admettant comme adversaire au dernier tour du scrutin où
il fut réélu, l’avait quasiment désigné comme son vrai successeur, ce qui fut.
Mais je me tins devant lui en homme libre, jeune, démocrate et surtout en
personnalité ayant une tribune de grand rayonnement : celle du Monde. D’autres à leurs premières
entrevues, autant que j’en avais moi-même place du Palais-Bourbon puis rue de
Bièvre, y gagnèrent presque d’un coup le brevet de futur ministre. Matignon,
l’intimité de travailler à l’Elysée, des postes encore nombreux, voire plus
élevés, quand le règne fut fini. Jacques Fauvet, dont l’une des filles épousait
un futur ministre, déjà candidat à la députation d’Arles, me voyait
porte-parole du nouveau Président quand celui-ci vint du Panthéon occuper son
nouveau bureau, celui qu’avait – avec déférence – refusé d’occuper son prodécesseur
et vaincu immédiat, Valéry Giscard d’Estaing. Mais François Mitterrand,
accessible à tout même à une dédicace nominative et datée (l’exact jour et mois
suivant de cinquante ans l’arrivée au pouvoir de Hitler, autre temps, autre
lieu, autre poids d’Histoire) d’une photo de lui que j’avais prise, me reçut
régulièrement soit à l’Elysée soit en déplacement à l’étranger pour lequel il
accédait à ma demande de l’accompagner, pour voir et entendre… ainsi juste
vingt ans après la journée sur le chemin du roy, de Québec à Montréal, que j’ai
déjà évoquée, le Canada dont l’avenir est déterminé par le passé, puis le
Canada de la francophonie et des situations diverses qui pourraient en Afrique,
dans notre voisinage européen, au Liban, s’amélioraient entre pays frères
d’esprit analogue, de références communes. Etais-je sous le charme ? non.
Etais-je intimidé ? oui, en public, non en tête-à-tête mais reçu par lui
pas ou ne l’aurais-je pas été, je reconnaissais le successeur, l’envergure, la
profondeur et le mystère. Quand l’homme a la taille et la mesure de sa
fonction. Après lui, les Français pas plus que moi, n’ont vu son pareil, son
analogue. Pas une affaire de durée, ni d’exploits comme le fondateur en eut
tant à son actif, mais la résonnance d’une personnalité sur un pays, et de
l’âme d’un peuple et d’une Histoire sur le responsable de notre Etat. Depuis,
l’inadéquation au national m’a expliqué pourquoi – sous trois noms successifs –
le destinataire de mes demandes d’audience
ne me répondait pas, ne me répond pas.
Je crois – à
l’instar de la plupart d’entre nous – n’être refusé de concourir à la pensée
publique et au projet pour notre pays, son bien-être et son rayonnement que des
traits de caractère distinguant du commun des Français – eux seuls, nous seuls
sommes pourtant immortels tandis que nos présidents sont précaires – ceux qui
gagnent l’élection suprême pour un temps sont, malheureusement, depuis vingt
ans, la cécité et l’autisme. Nous nous en rendons compte et nous en pâtissons
presque tous.
Me voici, avec
vous, à comprendre le danger où nous nous trouvons. Par temps ordinaire, il y
en a parfois dans la vie humaine et dans la vie des nations, on s’en rend
compte rétrospectivement à ce que cela fut du temps perdu pour engranger de
quoi être fécond ou nous structurer pour avancer, vivre ce que nous avons à
vivre et que nous pouvons rendre beau ou insupportable. Physiquement,
moralement, spirituellement. Ambassadeur au Kazahstan, le premier du genre à
l’indépendance supposée des Républiques fédérées soviétiques, au terme apparent
d’une semi-carrière à l’étranger, passionnée et passionnante par ce que j’en
faisais, par qui j’y rencontrais et par ce que je voyais et comprenais, j’ai
été rappelé et interrompu, puis empêché de toute suite, de tout avenir. Vingt
ans et un peu plus ont passé, il m’a été donné de me marier et de recevoir une
petite fille, une épouse, une totale augmentation de mon aire et de mon
ambition vitales. Mais j’ai été privé de tout ce que m’aurait d’autres
positions, voire les positions que j’ai toujours ambitionné, le côté du roi
dans notre Républiques pour savoir et dialoguer avec lui, pour avoir la vue
d’ensemble de ce que nous pouvons et devons faire en ce temps-ci. Privé aussi
de cette respiration que donne une ressource mensuelle convenable puisqu’au
placard, on n’accumule pas les points de retraite. J’arrive donc peu muni aux
instants du déclin et des doutes sur chacune de mes forces. Et il me semble
qu’il en est de même pour notre pays. Que ma génération a failli à transmettre ce
dont elle avait joui sans en ressentir l’éphémère ou au moins la nécessité de
l’entretenir, de le parfaire, de le mériter même. Notre pays est-il
mortel ? sait-il s’accepter tel qu’il change depuis une génération au
moins ? C’était la question jusqu’à ces tout derniers temps. Mais à
présent l’interrogation est bien plus forte, elle est inévitable. Nous et nos
frères d’Europe sommes en grave danger.
Je voudrais
vous dire et – bien plus que vous convaincre – vous rencontrer dans ce vous
ressentez vous-même. Donnez-moi l’utilité, pour vous et pour d’autres,
d’essayer de l’exprimer. C‘est d’ailleurs – justement – à cette fin-là et à
cette seule fin que je souhaite participer à la prochaine campagne
présidentielle. Non du tout pour être élu, et je vous l’assure, pas parce que
je n’ai aucune chance, dirait-on et vérifierait-on, mais pour dire librement et
très fort, selon les moyens accordés à tous et toutes par principe
constitutionnel d’application contrôlée, ceux de toute campagne présidentielle
en sa phase officielle, ce que nous pensons presque tous. Mais dire aussi en
quoi et pourquoi nous sommes en danger. Affirmer enfin, ce que souvent avec
fierté, nous croyons de nous-mêmes, que nous manquerions à notre pays, la
France, et à notre époque, celle d’une intense hésitation de l’entreprise
européenne et du souhait libertaire habitant, taraudant le monde entier, si
nous ne faisions pas, ne proposions pas, ne bâtissionspas quelque chose. Même
isolément un moment, pour susciter d’autres, puis les autres. Nos âmes sont
visées, nous avons cessé de nous évaluer selon nos manques. Il se peut que nous
en mourions. Seuls ou pas seuls, la différences ? si nous mourons. Mais la
beauté, la grandeur, la joie si nous renversons le cours qui a commencé. Les
cours du simplisme, de la haine, du totalitarisme. Sans visage, sans fanfare ni
cortège, peut-être sans camps ni tous les attirails photogéniques ou pas
d’années d’autrefois mais qui eurent bien lieu et massacrèrent tant et tant,
trompèrent tout le monde, même celles et ceux qui en furent finalement
victorieux. Tout le monde trompé ? pas tous, il y eût des visionnaires par
exigence ou par conviction. J’ai – par la pensée et à travers la mort d’ici-bas
– dialogué avec quelques-unes,
quelques-uns avant de continuer de vous écrire. J’ai envie de vous les faire un
peu connaître s’ils ne vous sont pas déjà familiers. Ce qui nous mettra,
ensemble, dans une ambiance dont nous devons comprendre l’analogie avec la
nôtre en ce moment-ci de l’Histoire. Celui où nous arrivons.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire