jeudi 11 août 2016

commencement - suite III et à suivre



Ecrire ce livre, vous écrire ce livre est exactement aussi difficile et précis que réagir en politique, en société au point où nous sommes comme très vieux pays mais qui change comme jamais autant ni si profondément depuis au moins un millénaire. Je suis moi aussi très vieux, mes repères et mes souvenirs, ceux et celles que j’ai rencontrés, le libellé-même de mon expérience, les mots pour la formuler ne sont plus ceux d’aujourd’hui. Notre fille – dont je continuerai de vous parler  pendant tout ce temps où nous sommes ensemble puisque vous me lisez – me dit que je parle en vieux français. Mais je ne suis pas seul à être démodé. Tous nos politiques le sont, les chefs de nos très grandes entreprises eux aussi, les dirigeants étrangers datent également quand ils ne sont pas issus des extrêmes.

S’il ne s’agit que d’accéder au pouvoir, personne n’est démodé s’il gagne. Il y a les coups militaires, il y a la cooptation, il y a chez nous – en Europe – l’élection au suffrage universel direct : tout le monde à partir de dix-huit ans en France peut et devrait voter pour que soit choisi le président de notre République. Il en va de même pour composer l’Assemblée nationale ou départager des listes de candidats aux assemblées régionales, départementales, communales. L’esprit reste le même pour d’autres instances de loindre capacité. Il n’est toujours pas décidé de ne tenir pour valable une élection, un scrutin que si un minimum, une proportion importante de celles et ceux qui sont en âge et droit d’exprimer leur choix sont allés aux urnes. Toujours pas permis de déposer dans celles-ci un bulletin blanc parce que vous jugez, nous jugeons que la question n’est pas bien posée ou qu’entre les candidats se disputant la palme, aucun de convient, ne nous plaît. Est-ce le peuple français qui a décidé quand nos institutions – celles voulues par le général de Gaulle et applaudies massivement par nous – sont dévoyées parce qu’on abrège la durée du mandat présidentiel, à égalité de celle des députés à l’Assemblée nationale et que, de partout, il nous est répété que cela ne change rien, et puis qu’on estime plus cohérent de faire suivre l’élection présidentielle, au moment de ce changement, par les législatives. Le résultat est ce que nous vivons. Le couvercle de la marmite est vissé pour cinq ans, quelle que soit la température à l’intérieur. Tout est figé, les députés votent par contrainte des textes qu’ils peuvent difficilement amender et le chantage à la responsabilité qu’ils encourraient de renverser le gouvernement, les fait acquiescer. Des lois sont adoptées en fin de nuit par quelques dizaines seulement de présents sur un effectif constitutionnel de cinq cent soixante dix sept. La rigidité n’a pas pour résultat la rapidité ou la clarté des décisions gouverenementale ou présidentielle. Sans contrôle et sans risque, l’exécutif qui ne craint pas le débat puisqu’il peut à tout moment y mettre fin sans explication ni motif que sa volonté de faire aboutir son projet, dévoile sans préavis des réformes – il faut mettre des guillemets – dont peu de nous veulent et n’entreprend pas celles que nous souhaitons d’expérience, à croire que gouvernants et gouvernés sont de race, de natures différentes, opposées, les immatures, c’est nous, le président de la République c’est la sagesse incarnée. Le voici qui discourt à Grenoble pour rejeter les populations migrantes, qui opine sur des culpabilités encore en instance de jugement, qui ressasse son ambition d’une République irréprochable et exemplaire, et met la France en contradiction avec tout son passé et à verser dans ce qui a été condamné au titre de régimes totalitaires : la commissaire européenne à la justice et aux droits fondamentaux, une hollandaise, le souverain pontife de l’Eglise catholique nous en font le reproche. C’était le prédécesseur de l’actuel. Et celui-ci fait se succéder des projets sans que le besoin en soit reconnu sauf selon ses propres exhortations, sans que l’origine ou la cohésion avec d’autres évolutions ou orientations soient dites, et ce qui se concocte un soir à trois ou quatre personnages sur un coin de table (de style) au palais de l’Elysée a force de loi quelques semaines ensuite : la modification des ensembles départementaux formant nos régions pour soi-disant faire des économies en les recomposant plus grandes et donc moins nombreuses ou nous mettre à l’échelle des circonscriptions intérieures de nos voisins. C’est oublier que le Luxembourg, Etat souverain, a juste la taille d’un de nos départements et réaliser plus tard qu’une région allant du Rhin à la Marne (le chemin que nous réussîmes à faire prendre en 1918 par nos envahisseurs de 1914) engendre des coûts de déplacements pour les élus et les gestionnaires, du chef-lieu d’une assemblée locale au site d’un exécutif ailleurs bien supérieurs. La décision solitaire et sans sanction que son inefficacité devient un jeu cynique : savoir jusqu’où nos élus parlementaires, nos opinions, notre bon sens peuvent être défiés. Une loi qui ne peut plus même avoir un nom comme objet ou comme qualificatif, le texte dit loi Travail, défie l’électorat natif du président de la République et de sa majorité parlementaire : n’importe, elle s’impose. Le génie ou la jactance du prince – légal mais pas légitime, tant il nous ignore – celui de la précédente élection, celui de celle sous l’emprise de laquelle nous vivons encore, sont tels qu’il est parlé d’une révision constitutionnelle, d’une déchéance de nationalité, peine aussi exemplaire que la peine de mort pour dissuader les passionnés de tuer ou d’y laisser en même temps sa vie, et qu’il faut y renoncer car la majorité qualifiée nécessaire ne serait réunie qu’avec les opposants qui réclament encore plus ce qui détache encore davantage les soutiens originels, et ainsi de suite… erreurs de droit et mésestime des comptages de voix. Une autre aventure s’était jouée dans la même instance qu’on réunit à Versailles, sous l’appellation de congrès du Parlement, et s’était conclue à une voix près, celle du président de cette assemblée qui traditionnellement ne doit pas prendre part au vote, ou celle d’un transfuge de l’opposition d’alors devenue majorité de maintenant. Les condamnations ont été unanimes dès la Libération de 1944 pour juger forcé et illégitime, le vote de l’Assemblée nationale des deux chambres réunies au casino de Vichy en Juillet 1940. Une majorité écrasante en faveur du vainqueur à la bataille pour Verdun en 1916 n’avait pu se constituer que selon des circonstances anéantissant les volontés et l’honneur de quasiment tous les élus des années de paix et du Front populaire. Le système n’était pas sans ressemblance avec celui qui nous encadre depuis une dizaine d’années. Alors que la question évidente de l’époque était de savoir comment nous gérerions le présent grevé par l’occupation ennemie et l’avenir en participant à toutes actions qui finiraient par le défaire, on traita des institutions constitutionnelles, lesquelles se résumèrent à la confusion des pouvoirs dans les seules mains d’un grand homme vénérable et assurément honnête, mais ne proposant que de la survie au pays, selon sa propre longévité. Le travail dominical censément volontaire et mieux rémunérés qu’en semaine, ou la négociation au sein seulement de l’entreprise sans que les salariés s’appuient sur des délibérations et éventuellement des rapports de force plus avantageux, parce que d’extension bien plus vaste : les accords de branche. Des textes-catalogues valant des changements qui ne sont dits qu’à la sauvette puis imposés comme s’ils étaient les seuls à importer parmi quantité d’autres dispositions. Des comportements à notre tête méprisants et cyniques – y compris la forme dans laquelle ils se justifient : grossièreté sans syntaxe de l’un, pleurnichage pour un dire prudhommesque, celui de l’autre. Des entreprises vendues par leurs dirigeants hors du chanp national, hors des compagnonnages européens qui seraient naturels et sûrs du fait de nos voisinages mentaux, territoriaux. Des habitudes prises par les élus de consentir pourvu que des concessions d’apparence leur permettent de faire valoir un peu de résistance ou un peu de participation à une œuvre dont ni eux ni les électeurs que nous sommes, ne veulent. Notre tolérance enfin.

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