Ecrire ce
livre, vous écrire ce livre est exactement aussi difficile et précis que réagir
en politique, en société au point où nous sommes comme très vieux pays mais qui
change comme jamais autant ni si profondément depuis au moins un millénaire. Je
suis moi aussi très vieux, mes repères et mes souvenirs, ceux et celles que
j’ai rencontrés, le libellé-même de mon expérience, les mots pour la formuler
ne sont plus ceux d’aujourd’hui. Notre fille – dont je continuerai de vous
parler pendant tout ce temps où nous
sommes ensemble puisque vous me lisez – me dit que je parle en vieux français.
Mais je ne suis pas seul à être démodé. Tous nos politiques le sont, les chefs
de nos très grandes entreprises eux aussi, les dirigeants étrangers datent
également quand ils ne sont pas issus des extrêmes.
S’il ne s’agit
que d’accéder au pouvoir, personne n’est démodé s’il gagne. Il y a les coups
militaires, il y a la cooptation, il y a chez nous – en Europe – l’élection au
suffrage universel direct : tout le monde à partir de dix-huit ans en France
peut et devrait voter pour que soit choisi le président de notre République. Il
en va de même pour composer l’Assemblée nationale ou départager des listes de
candidats aux assemblées régionales, départementales, communales. L’esprit
reste le même pour d’autres instances de loindre capacité. Il n’est toujours
pas décidé de ne tenir pour valable une élection, un scrutin que si un minimum,
une proportion importante de celles et ceux qui sont en âge et droit d’exprimer
leur choix sont allés aux urnes. Toujours pas permis de déposer dans celles-ci
un bulletin blanc parce que vous jugez, nous jugeons que la question n’est pas
bien posée ou qu’entre les candidats se disputant la palme, aucun de convient,
ne nous plaît. Est-ce le peuple français qui a décidé quand nos institutions –
celles voulues par le général de Gaulle et applaudies massivement par nous –
sont dévoyées parce qu’on abrège la durée du mandat présidentiel, à égalité de
celle des députés à l’Assemblée nationale et que, de partout, il nous est
répété que cela ne change rien, et puis qu’on estime plus cohérent de faire
suivre l’élection présidentielle, au moment de ce changement, par les
législatives. Le résultat est ce que nous vivons. Le couvercle de la marmite
est vissé pour cinq ans, quelle que soit la température à l’intérieur. Tout est
figé, les députés votent par contrainte des textes qu’ils peuvent difficilement
amender et le chantage à la responsabilité qu’ils encourraient de renverser le
gouvernement, les fait acquiescer. Des lois sont adoptées en fin de nuit par
quelques dizaines seulement de présents sur un effectif constitutionnel de cinq
cent soixante dix sept. La rigidité n’a pas pour résultat la rapidité ou la
clarté des décisions gouverenementale ou présidentielle. Sans contrôle et sans
risque, l’exécutif qui ne craint pas le débat puisqu’il peut à tout moment y
mettre fin sans explication ni motif que sa volonté de faire aboutir son
projet, dévoile sans préavis des réformes – il faut mettre des guillemets –
dont peu de nous veulent et n’entreprend pas celles que nous souhaitons d’expérience,
à croire que gouvernants et gouvernés sont de race, de natures différentes,
opposées, les immatures, c’est nous, le président de la République c’est la
sagesse incarnée. Le voici qui discourt à Grenoble pour rejeter les populations
migrantes, qui opine sur des culpabilités encore en instance de jugement, qui ressasse
son ambition d’une République irréprochable et exemplaire, et met la France en
contradiction avec tout son passé et à verser dans ce qui a été condamné au
titre de régimes totalitaires : la commissaire européenne à la justice et
aux droits fondamentaux, une hollandaise, le souverain pontife de l’Eglise
catholique nous en font le reproche. C’était le prédécesseur de l’actuel. Et
celui-ci fait se succéder des projets sans que le besoin en soit reconnu sauf
selon ses propres exhortations, sans que l’origine ou la cohésion avec d’autres
évolutions ou orientations soient dites, et ce qui se concocte un soir à trois
ou quatre personnages sur un coin de table (de style) au palais de l’Elysée a
force de loi quelques semaines ensuite : la modification des ensembles
départementaux formant nos régions pour soi-disant faire des économies en les
recomposant plus grandes et donc moins nombreuses ou nous mettre à l’échelle
des circonscriptions intérieures de nos voisins. C’est oublier que le Luxembourg,
Etat souverain, a juste la taille d’un de nos départements et réaliser plus
tard qu’une région allant du Rhin à la Marne (le chemin que nous réussîmes à
faire prendre en 1918 par nos envahisseurs de 1914) engendre des coûts de
déplacements pour les élus et les gestionnaires, du chef-lieu d’une assemblée
locale au site d’un exécutif ailleurs bien supérieurs. La décision solitaire et
sans sanction que son inefficacité devient un jeu cynique : savoir jusqu’où
nos élus parlementaires, nos opinions, notre bon sens peuvent être défiés. Une
loi qui ne peut plus même avoir un nom comme objet ou comme qualificatif, le
texte dit loi Travail, défie l’électorat natif du président de la République et
de sa majorité parlementaire : n’importe, elle s’impose. Le génie ou la
jactance du prince – légal mais pas légitime, tant il nous ignore – celui de la
précédente élection, celui de celle sous l’emprise de laquelle nous vivons
encore, sont tels qu’il est parlé d’une révision constitutionnelle, d’une déchéance
de nationalité, peine aussi exemplaire que la peine de mort pour dissuader les
passionnés de tuer ou d’y laisser en même temps sa vie, et qu’il faut y
renoncer car la majorité qualifiée nécessaire ne serait réunie qu’avec les
opposants qui réclament encore plus ce qui détache encore davantage les
soutiens originels, et ainsi de suite… erreurs de droit et mésestime des comptages
de voix. Une autre aventure s’était jouée dans la même instance qu’on réunit à
Versailles, sous l’appellation de congrès du Parlement, et s’était conclue à
une voix près, celle du président de cette assemblée qui traditionnellement ne
doit pas prendre part au vote, ou celle d’un transfuge de l’opposition d’alors
devenue majorité de maintenant. Les condamnations ont été unanimes dès la
Libération de 1944 pour juger forcé et illégitime, le vote de l’Assemblée
nationale des deux chambres réunies au casino de Vichy en Juillet 1940. Une majorité
écrasante en faveur du vainqueur à la bataille pour Verdun en 1916 n’avait pu
se constituer que selon des circonstances anéantissant les volontés et l’honneur
de quasiment tous les élus des années de paix et du Front populaire. Le système
n’était pas sans ressemblance avec celui qui nous encadre depuis une dizaine d’années.
Alors que la question évidente de l’époque était de savoir comment nous
gérerions le présent grevé par l’occupation ennemie et l’avenir en participant
à toutes actions qui finiraient par le défaire, on traita des institutions
constitutionnelles, lesquelles se résumèrent à la confusion des pouvoirs dans
les seules mains d’un grand homme vénérable et assurément honnête, mais ne
proposant que de la survie au pays, selon sa propre longévité. Le travail
dominical censément volontaire et mieux rémunérés qu’en semaine, ou la
négociation au sein seulement de l’entreprise sans que les salariés s’appuient
sur des délibérations et éventuellement des rapports de force plus avantageux,
parce que d’extension bien plus vaste : les accords de branche. Des textes-catalogues
valant des changements qui ne sont dits qu’à la sauvette puis imposés comme s’ils
étaient les seuls à importer parmi quantité d’autres dispositions. Des
comportements à notre tête méprisants et cyniques – y compris la forme dans laquelle
ils se justifient : grossièreté sans syntaxe de l’un, pleurnichage pour un
dire prudhommesque, celui de l’autre. Des entreprises vendues par leurs
dirigeants hors du chanp national, hors des compagnonnages européens qui
seraient naturels et sûrs du fait de nos voisinages mentaux, territoriaux. Des
habitudes prises par les élus de consentir pourvu que des concessions d’apparence
leur permettent de faire valoir un peu de résistance ou un peu de participation
à une œuvre dont ni eux ni les électeurs que nous sommes, ne veulent. Notre
tolérance enfin.
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