Assuré, confiant, mécanique et souple à
la fois, heureux à table, heureux en conversation, heureux de me voir, très
heureux d’accueillir et de caresser notre enfant, quand elle ne marchait pas
encore… lui-même sans enfant, fidèle et très chaleureux avec les deux femmes de
sa vie, Pierre Messmer est d’abord un homme faisant référence pour avoir
manifesté courage, autorité, abnégation et ce qu’il faut d’ambition et de
conscience de soi, pour être considéré et donc bien employé. En ces sens, il
est le type-même d’une carrière professionnelle et politique de premier plan,
mais dont les fruits et résultats – tous décisifs – peuvent être attribués à
plus que lui, à un courant de notre Histoire. C’est – là aussi – une excellence.
Un lieu commun, l’Océan atlantique baignant nos aîtres respectifs, lui en
presqu’île de Rhuys, moi, nous, ma femme, notre fille et moi, m’ayant rejoint,
le long du Penerf, la première par mariage, la seconde de naissance. Mais dans
l’esprit, la survie du gaullisme et d’une forme d’espérance d’Etat et d’Histoire,
la Mauritanie. Chacune de nos rencontres, très nombreuses quand il eût quitté
les palais officiels – sauf à revenir dans l’un des plus beaux, l’Académie
française et à travailler ou recevoir dans le bureau sur jardin, quai de Conti,
alloué au secrétaire perpétuel – traitèrent de ces deux sujets. Pour nous, de
vivante expérience.
Reniac, à ma table de travail, mercredi 8 février 2017
10 heures 10 à 10 heures 26
Heureux aussi d’être honoré et combien
il le fut. Les plus hauts postes, sans doute, mais jamais avec ostentation.
Nommé Premier ministre pour que Georges Pompidou se soulage de la rivalité
d’image et de l’insolente santé de Jacques Chaban-Delmas, il doit défendre un
projet de révision constitutionnelle que désapprouvent ses prédécesseurs au temps-même
du général de Gaulle : Michel Debré et surtout, explicitement mon cher
Maurice Couve de Murville [1], et
que j’attaque dans Le Monde [2], dans
la revue débutant ad hoc à l’abri de l’Institut Charles de Gaulle : L’Appel [3]. C’est
la proposition qui semble de bon sens et toute favaorable à la démocratie, à
une plus fréquente décision populaire : réduire à cinq ans la durée du
mandat présidentiel. Quand meurt prématurément, comme puni de sa hâte à être à
la place du Général, un Georges Pompidou que Michel Jobert et son propre
calvaire ont finalement grandi, Pierre Messmer apparaît à beaucoup comme le
président de la République à souhaiter. Jacques Chaban-Delmas et Valéry Giscard
d’Estaing, Edgar Faure aussi mais pour la montre et sans troupe ni logistique,
s’affrontent. Dans Le Monde, j’ai
fait discerner, mais sans écho « cette obscure clarté qui tombe des
étoiles » [4] puis suis reçu par le
directeur du cabinet à Matignon. L’année suivante, c’est en Mauritanie, pour le
quinzième anniversaire de l’Indépendance, que je l’aborde pour la première
fois. Ancien commandant du cercle septentrional, aux confinsde l’Algérie, du
Maroc et de notre territoire d’outre-mer, il a réussi manifestement, fait
preuve de grande autorité pas seulement auprès de nos « sujets »,
mais auprès de sa hiérarchie à Saint-Louis et à Dakar, des autorités françaises
à Rabat : ses correspondances et annotations que j’ai lues dans nos
archives diplomatiques [5],
l’attestent. Une telle liberté de ton, fondée sur une manifeste expérience des
lieux et des gens, mais aussi sur son éminente qualité de Compagnon de la
Libération, est rarissime dans nos administrations quelles qu’elles soient. Il
est courageux, il sait donner son avis – en Mai 1968, selon ses mémoires, il a
remontré à de Gaulle que poster les parachutistes boulevard Saint-Michel et
leur faire enlever les barricades étudiants, fera sûrement mort d’homme, et à
ses débuts de ministre des Armées, les braises de l’O.A.S. [6] encore
rouges et sonores, il s’oppose à la suppression de la Légion étrangère [7] – et
pendant la première cohabitation, où à l’Assemblée nationale il préside le
groupe parlementaire du parti chiraquien [8], il
démontre qu’à ne pas affronter le Président dont les troupes et le gouvernement
viennent d’être battus [9], le
Premier ministre ne le battra pas à l’échéance constitutionnelle. Il prévoit
juste. Et aux cérémonies mauritaniennes, trônant sous une des tentes de
l’immense méchoui offert par Moktar Ould Daddah, vêtu d’un boubou vert amande
et moiré, il semble celui qui reçoit. Les Mauritaniens se succèdent autour de
lui, il y a tout juste vingt ans, il a gouverné le Territoire, il a marqué, il
va maintenant assurer les actionnaires de la société des Mines de Fer de
Mauritanie [10] que l’Etat qui vient de
nationaliser leur bien, les indemnisera. Le président mauritanien n’a pas
attendu son intervention pour le décider, mais sa présence est pacifiante.
Réciproquement, dans les débuts de la jeune République Islamique, souvent ses
anciens administrés font appel à son influence dans le gouvernement de
l’ancienne métropole, pour obtenir des facilités financières ou logistiques,
ainsi la desserte de l’Assaba. Son épouse, ancienne convoyeuse de l’air en
Tunisie pendant les combats de 1943, pétulante quand elle était en dialogue
avec les médias depuis Matignon en tant que maîtresse de maison, tient pour le
bonheur et les rires de tous, le standard du principal hôtel de la capitale des
sables.
C’est un homme d’égards et de fidélité
avec les deux épouses que la légalité lui consacré successivement. Ce n’est pas
un homme de menus plaisirs sauf si les plats lui plaisent. Il nous en fait
l’honneur quand il vient chez nous. Il est donc simple et quand il parle de
notre actualité politique nationale, il en traite comme si le Président du
moment chez nous lui était subordonné. En revanche, il considère attentivement
mes proses, la dernière est sur sa table quand une ambulance vient le prendre
pour l’emmener à Paris. Il n’impressionne pas car il donne du temps et de
lui-même, disponible. Il ne provoque cependant ni familiarité ni
dévouement : il existe, sans adversaire, avec un passé aussi grand et
détaillé que notre histoire contemporaine, le goût toujours intact d’intervenir
s’il le faut (notre relation avec l’Afrique qui fut nôtre, au sud du Sahara ou
le projet de Constitution pour l’Europe [11], il
est vrai que la paternité du texte l’indispose quelle qu’en soit la
lettre : Valéry Giscard d’Estaing,
avec à ses côtés l’ancien Premier ministre belge, Jean-Luc Dehaene a
présidé la Convention de débats et d’écriture).
Cet homme de contact, de jovialité, fait
pour le plein-air et la franchise, aime raisonner. Sa dialectique est des plus
simples, elle est didactique, énoncée avec bonheur. Le plus souvent, je dois
acquiescer. Je n’apprends de lui aucun secret d’Etat, alors qu’il connaît tous
ceux de son époque, y compris la mise à feu de notre arme atomique dont il a su
convaincre les Américains l’invitant pour le dissuader et peut-être le
corrompre, que la France n’y renoncerait jamais. J’apprends seulement, mais c’est
beaucoup, la mise à nu – en quelques mots – d’une personnalité [12] :
ainsi, selon lui, à ce qui sera notre dernière conversation (le lendemain, il
tombe dans sa maison de Saint-Gildas de Rhuys et ne s’en relève pas ni chez lui
ni au Val-de-Grâce dont il a fait construire le magnifique bâtiment moderne
relayant les constructions de vieille époque), Simone Veil, devenue une des
icônes de notre République [13], en
fait trop… elle lui succèdera à l’Académie française [14]. Et,
moi, dans la possession de photos du Général qu’il révérait : le portrait
classique pour la France libre, celui moins connu de la « traversée du
désert » et surtout un tirage en grand format où il dialogue avec de
Gaulle parmi des uniformes, il est seul à n’en pas porter.
Notre relation ne se noue vraiment que
dans sa ville de Sarrebourg. Il m’y traite à déjeuner [15],
donc la Mauritanie et la politique du moment, au menu : copieux et
savoureux. Premier thème, la France a-t-elle favorisé le renversement de mon
cher Moktar Ould Daddah par ses propres militaires, il y a presque deux ans.
Dénégation absolue, confirmant celle du conseiller à l’Elysée pour les affaires
africaines : celui-ci était pourtant sur place, à accompagner le
« père fondateur » dans son inauguration d’une route ouest-est, desservant
depuis le port de Nouakchott les régions les plus peuplées de la Mauritanie et
donc aussi l’hinterland de Bamako jusqu’à la boucle du Niger. Mais Pierre
Messmer – avec le même esprit de supériorité vis-à-vis du président mauritanien
que celui souvent manifesté devant moi par Jean-François Deniau, un de nos plus
brillants ambassadeurs à Nouakchott – juge que si « Moktar » n’avait
pas dénoncé l’accord de défense avec nous, nous aurions su l’avertir, le
protéger, tout dénoncer à temps. Voire, car le pays était – en Juillet 1978 –
fortement soutenu par nous : disponibilité tactique de deux Jaguar, intimidant le Polisario et le
pousuivant efficacement dans cette guerre du Sahara, suscité par le retrait de
l’Espagne à la mort de Franco, et forte présence physique
Vannes, à l’U.CK. pendant le cours de danse de Marguerite,
mercredi 8 février 2017, 16 heures 44 à 18 heures
dans le nord, sinon à l’état-major de
Nouakchott : l’école inter-armes d’Atar encadrée par nous.
Le second sujet est l’action politique.
L’ancien Premier ministre juge illogique que j’en reste à des collaborations de
presse : il me faut être élu. Il a pensé à Verdun, perspective qui me
réjouit rétrospectivement : je sais ce que j’y entreprendrai. Visitant l’an
dernier – le centenaire de la bataille – l’ensemble des sites et paysages, je
vois bien que j’eusse été heureux, là. Tout autre chose que la proposition de
Jacques Chirac, huit mois plus tard. Pierre Messmer vise haut pour moi, mais m’avoue
n’avoir pu faire disposer de la circonscription pour moi : sans que nous
en discutions, puisque l’opportunité ne se présente plus, c’eût été l’appartenance
au R.P.R. de Jacques Chirac. Lui-même évoque peu celui dont il a dit dès l’élection
présidentielle de Valéry Giscard d’Estaing : un parti n’existe que s’il a
en son soin, un « présidentiable ».
De retour à Reniac et à ma table de travail, le soir du même
jour,
mercredi
8 février 2017, 18 heures à 18 heures 10
[1] - je
suis un anti-conformiste impénitent, ainsi commence son interbvention
d’opposant, alors même qu’il vient d’entrer au Palais-Bourbon pour la première
fois, en tant que député – Georges Pompidou a tout fait pour qu’il ne retrouve
pas son siège putatif dans le VIIIème arrondissement dès l’automne de 1969
[2] -
quoique l’analytique ne le reproduise pas, Guy Mollet cite mon papier à l’appui
de sa propre hostilité pour faire remarquer au Premier ministre, gaulliste s’il
en fut, qu’il y a – précisément – d’autres gaullistes qui raisonnent comme luir
[4] -
[5] -
[6] -
[7] -
[8] -
[11] -
[12] - en
Français libre de la toute première heure, il n’aime pas mon éminent ami
Maurice Couve de Murville : on se bat, alors que ce dernier a une tout
autre façon de lutter, la sauvegarde de notre patrimoine en Commission
allemande d’armistice. A quelle tristesse jubilante, il me donne pas longtemps
avant sa mort une référence une référence d’archives faisant du négociateur un
exécutant anti-juif
[13] -
l’expérience est de Marie-France Garraud, en tête-à-tête
[14] - par
circulaire aux Immortels, j’ai fait campagne contre sa candidature, non contre
elle, mais parce que manifestement sans révérence pour le général de Gaulle, il
est impudent que le fauteuil d’un gaulliste exemplaire revienne à une centriste
emblématique
[15] -
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire