mercredi 8 février 2017

chapitre conclusif - début du portrait de Pierre Messmer


Assuré, confiant, mécanique et souple à la fois, heureux à table, heureux en conversation, heureux de me voir, très heureux d’accueillir et de caresser notre enfant, quand elle ne marchait pas encore… lui-même sans enfant, fidèle et très chaleureux avec les deux femmes de sa vie, Pierre Messmer est d’abord un homme faisant référence pour avoir manifesté courage, autorité, abnégation et ce qu’il faut d’ambition et de conscience de soi, pour être considéré et donc bien employé. En ces sens, il est le type-même d’une carrière professionnelle et politique de premier plan, mais dont les fruits et résultats – tous décisifs – peuvent être attribués à plus que lui, à un courant de notre Histoire. C’est – là aussi – une excellence. Un lieu commun, l’Océan atlantique baignant nos aîtres respectifs, lui en presqu’île de Rhuys, moi, nous, ma femme, notre fille et moi, m’ayant rejoint, le long du Penerf, la première par mariage, la seconde de naissance. Mais dans l’esprit, la survie du gaullisme et d’une forme d’espérance d’Etat et d’Histoire, la Mauritanie. Chacune de nos rencontres, très nombreuses quand il eût quitté les palais officiels – sauf à revenir dans l’un des plus beaux, l’Académie française et à travailler ou recevoir dans le bureau sur jardin, quai de Conti, alloué au secrétaire perpétuel – traitèrent de ces deux sujets. Pour nous, de vivante expérience.

Reniac, à ma table de travail, mercredi 8 février 2017
10 heures 10 à 10 heures 26

Heureux aussi d’être honoré et combien il le fut. Les plus hauts postes, sans doute, mais jamais avec ostentation. Nommé Premier ministre pour que Georges Pompidou se soulage de la rivalité d’image et de l’insolente santé de Jacques Chaban-Delmas, il doit défendre un projet de révision constitutionnelle que désapprouvent ses prédécesseurs au temps-même du général de Gaulle : Michel Debré et surtout, explicitement mon cher Maurice Couve de Murville [1], et que j’attaque dans Le Monde [2], dans la revue débutant ad hoc à l’abri de l’Institut Charles de Gaulle : L’Appel [3]. C’est la proposition qui semble de bon sens et toute favaorable à la démocratie, à une plus fréquente décision populaire : réduire à cinq ans la durée du mandat présidentiel. Quand meurt prématurément, comme puni de sa hâte à être à la place du Général, un Georges Pompidou que Michel Jobert et son propre calvaire ont finalement grandi, Pierre Messmer apparaît à beaucoup comme le président de la République à souhaiter. Jacques Chaban-Delmas et Valéry Giscard d’Estaing, Edgar Faure aussi mais pour la montre et sans troupe ni logistique, s’affrontent. Dans Le Monde, j’ai fait discerner, mais sans écho « cette obscure clarté qui tombe des étoiles » [4] puis suis reçu par le directeur du cabinet à Matignon. L’année suivante, c’est en Mauritanie, pour le quinzième anniversaire de l’Indépendance, que je l’aborde pour la première fois. Ancien commandant du cercle septentrional, aux confinsde l’Algérie, du Maroc et de notre territoire d’outre-mer, il a réussi manifestement, fait preuve de grande autorité pas seulement auprès de nos « sujets », mais auprès de sa hiérarchie à Saint-Louis et à Dakar, des autorités françaises à Rabat : ses correspondances et annotations que j’ai lues dans nos archives diplomatiques [5], l’attestent. Une telle liberté de ton, fondée sur une manifeste expérience des lieux et des gens, mais aussi sur son éminente qualité de Compagnon de la Libération, est rarissime dans nos administrations quelles qu’elles soient. Il est courageux, il sait donner son avis – en Mai 1968, selon ses mémoires, il a remontré à de Gaulle que poster les parachutistes boulevard Saint-Michel et leur faire enlever les barricades étudiants, fera sûrement mort d’homme, et à ses débuts de ministre des Armées, les braises de l’O.A.S. [6] encore rouges et sonores, il s’oppose à la suppression de la Légion étrangère [7] – et pendant la première cohabitation, où à l’Assemblée nationale il préside le groupe parlementaire du parti chiraquien [8], il démontre qu’à ne pas affronter le Président dont les troupes et le gouvernement viennent d’être battus [9], le Premier ministre ne le battra pas à l’échéance constitutionnelle. Il prévoit juste. Et aux cérémonies mauritaniennes, trônant sous une des tentes de l’immense méchoui offert par Moktar Ould Daddah, vêtu d’un boubou vert amande et moiré, il semble celui qui reçoit. Les Mauritaniens se succèdent autour de lui, il y a tout juste vingt ans, il a gouverné le Territoire, il a marqué, il va maintenant assurer les actionnaires de la société des Mines de Fer de Mauritanie [10] que l’Etat qui vient de nationaliser leur bien, les indemnisera. Le président mauritanien n’a pas attendu son intervention pour le décider, mais sa présence est pacifiante. Réciproquement, dans les débuts de la jeune République Islamique, souvent ses anciens administrés font appel à son influence dans le gouvernement de l’ancienne métropole, pour obtenir des facilités financières ou logistiques, ainsi la desserte de l’Assaba. Son épouse, ancienne convoyeuse de l’air en Tunisie pendant les combats de 1943, pétulante quand elle était en dialogue avec les médias depuis Matignon en tant que maîtresse de maison, tient pour le bonheur et les rires de tous, le standard du principal hôtel de la capitale des sables.

C’est un homme d’égards et de fidélité avec les deux épouses que la légalité lui consacré successivement. Ce n’est pas un homme de menus plaisirs sauf si les plats lui plaisent. Il nous en fait l’honneur quand il vient chez nous. Il est donc simple et quand il parle de notre actualité politique nationale, il en traite comme si le Président du moment chez nous lui était subordonné. En revanche, il considère attentivement mes proses, la dernière est sur sa table quand une ambulance vient le prendre pour l’emmener à Paris. Il n’impressionne pas car il donne du temps et de lui-même, disponible. Il ne provoque cependant ni familiarité ni dévouement : il existe, sans adversaire, avec un passé aussi grand et détaillé que notre histoire contemporaine, le goût toujours intact d’intervenir s’il le faut (notre relation avec l’Afrique qui fut nôtre, au sud du Sahara ou le projet de Constitution pour l’Europe [11], il est vrai que la paternité du texte l’indispose quelle qu’en soit la lettre : Valéry Giscard d’Estaing,  avec à ses côtés l’ancien Premier ministre belge, Jean-Luc Dehaene a présidé la Convention de débats et d’écriture).

Cet homme de contact, de jovialité, fait pour le plein-air et la franchise, aime raisonner. Sa dialectique est des plus simples, elle est didactique, énoncée avec bonheur. Le plus souvent, je dois acquiescer. Je n’apprends de lui aucun secret d’Etat, alors qu’il connaît tous ceux de son époque, y compris la mise à feu de notre arme atomique dont il a su convaincre les Américains l’invitant pour le dissuader et peut-être le corrompre, que la France n’y renoncerait jamais. J’apprends seulement, mais c’est beaucoup, la mise à nu – en quelques mots – d’une personnalité [12] : ainsi, selon lui, à ce qui sera notre dernière conversation (le lendemain, il tombe dans sa maison de Saint-Gildas de Rhuys et ne s’en relève pas ni chez lui ni au Val-de-Grâce dont il a fait construire le magnifique bâtiment moderne relayant les constructions de vieille époque), Simone Veil, devenue une des icônes de notre République [13], en fait trop… elle lui succèdera à l’Académie française [14]. Et, moi, dans la possession de photos du Général qu’il révérait : le portrait classique pour la France libre, celui moins connu de la « traversée du désert » et surtout un tirage en grand format où il dialogue avec de Gaulle parmi des uniformes, il est seul à n’en pas porter.

Notre relation ne se noue vraiment que dans sa ville de Sarrebourg. Il m’y traite à déjeuner [15], donc la Mauritanie et la politique du moment, au menu : copieux et savoureux. Premier thème, la France a-t-elle favorisé le renversement de mon cher Moktar Ould Daddah par ses propres militaires, il y a presque deux ans. Dénégation absolue, confirmant celle du conseiller à l’Elysée pour les affaires africaines : celui-ci était pourtant sur place, à accompagner le « père fondateur » dans son inauguration d’une route ouest-est, desservant depuis le port de Nouakchott les régions les plus peuplées de la Mauritanie et donc aussi l’hinterland de Bamako jusqu’à la boucle du Niger. Mais Pierre Messmer – avec le même esprit de supériorité vis-à-vis du président mauritanien que celui souvent manifesté devant moi par Jean-François Deniau, un de nos plus brillants ambassadeurs à Nouakchott – juge que si « Moktar » n’avait pas dénoncé l’accord de défense avec nous, nous aurions su l’avertir, le protéger, tout dénoncer à temps. Voire, car le pays était – en Juillet 1978 – fortement soutenu par nous : disponibilité tactique de deux Jaguar, intimidant le Polisario et le pousuivant efficacement dans cette guerre du Sahara, suscité par le retrait de l’Espagne à la mort de Franco, et forte présence physique


Vannes, à l’U.CK. pendant le cours de danse de Marguerite,
mercredi 8 février 2017, 16 heures 44 à 18 heures

dans le nord, sinon à l’état-major de Nouakchott : l’école inter-armes d’Atar encadrée par nous.

Le second sujet est l’action politique. L’ancien Premier ministre juge illogique que j’en reste à des collaborations de presse : il me faut être élu. Il a pensé à Verdun, perspective qui me réjouit rétrospectivement : je sais ce que j’y entreprendrai. Visitant l’an dernier – le centenaire de la bataille – l’ensemble des sites et paysages, je vois bien que j’eusse été heureux, là. Tout autre chose que la proposition de Jacques Chirac, huit mois plus tard. Pierre Messmer vise haut pour moi, mais m’avoue n’avoir pu faire disposer de la circonscription pour moi : sans que nous en discutions, puisque l’opportunité ne se présente plus, c’eût été l’appartenance au R.P.R. de Jacques Chirac. Lui-même évoque peu celui dont il a dit dès l’élection présidentielle de Valéry Giscard d’Estaing : un parti n’existe que s’il a en son soin, un « présidentiable ».

De retour à Reniac et à ma table de travail, le soir du même jour,
mercredi 8 février 2017, 18 heures  à 18 heures 10


[1] - je suis un anti-conformiste impénitent, ainsi commence son interbvention d’opposant, alors même qu’il vient d’entrer au Palais-Bourbon pour la première fois, en tant que député – Georges Pompidou a tout fait pour qu’il ne retrouve pas son siège putatif dans le VIIIème arrondissement dès l’automne de 1969

[2] - quoique l’analytique ne le reproduise pas, Guy Mollet cite mon papier à l’appui de sa propre hostilité pour faire remarquer au Premier ministre, gaulliste s’il en fut, qu’il y a – précisément – d’autres gaullistes qui raisonnent comme luir
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[12] - en Français libre de la toute première heure, il n’aime pas mon éminent ami Maurice Couve de Murville : on se bat, alors que ce dernier a une tout autre façon de lutter, la sauvegarde de notre patrimoine en Commission allemande d’armistice. A quelle tristesse jubilante, il me donne pas longtemps avant sa mort une référence une référence d’archives faisant du négociateur un exécutant anti-juif

[13] - l’expérience est de Marie-France Garraud, en tête-à-tête

[14] - par circulaire aux Immortels, j’ai fait campagne contre sa candidature, non contre elle, mais parce que manifestement sans révérence pour le général de Gaulle, il est impudent que le fauteuil d’un gaulliste exemplaire revienne à une centriste emblématique

[15] -

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