La nuit va s’achever, rien du jour n’est
encore pénétrable, la pleine lune s’en est allé. Le peuple qui m’accompagne,
j’ai tenté qu’il vienne ausis jusqu’à vous, qu’il vous assure de notre pays. Ni
des questions, ni des dossiers, ni des circonstances, ni des candidatures, ni
des procédures, pas même un scrutin, des scrutins, et très probablement
beaucoup d’événements que, presque chacun de nous, nous prévoyons. La France se
rencontre dans cet autobus, de marque étrangère, mais nous y sommes, debout et brinqueballé
dans le haut des anciennes vignes d’Issy-les-Moulineaux : nous voyons le
panorama parisien, un jeune garçon veut m’aider à disposer ma valsie et trouver
une place assise, je me récrie, je le regarde, il est parfait, le teint bistre,
non seulement notre nouvelle génération mais aussi notre nouvelle race. Pourtant,
et grâce à lui, notre esprit, notre langue que lui et les siens, déjà la chaine
de ses ascendants ont adoptés et choisis, bien davantage que nos territoires,
notre patrimoine, nos acquis sociaux et autres, subsistent et même fleurissent,
rehaussés. Je le questionne, l’autobus n’est plus loin de parvenu à son
terminus, là où se dresse un court mur blanc avec l’inscription de nos dettes
de guerre, il y aussi un buste de Leclerc. Son nom est Karim, je lui promets
l’avenir. Si je parviens à faire campagne et à appeler à moi les cameras et les
enregistreurs, je ne peux y rester seul qu’un instant, il va y avoir tout de
suite Karim et tant de ma vie, de celle des autres et de la France. Vous, peut-être,
me faisant un signe de réponse, puis de lecture, et – donc – venant.
Ami d’enfance à l’histoire familiale
intense, de la naissance de chacun de ses frères au veuvage de sa mère, au
sacerdoce dont il est marqué et dont il reconnaît – après bien des années sans
plus l’évoquer quoique nous nous étions retrouvés, adultes mais pas changés –
qu’en dure toujours l’onction, voici qu’il me lit et m’interrmpt. C’est le cri
et toutes les dédicaces de l’Abbé Pierre : « et les
autres ! ». Il précise, c’est fulgurant parce que c’est vrai et que
l’essentiel, la fin et le début de tout, je n’avais pas su l’écrire, quoique si
souvent la rencontre m’en soit donnée.
Je sais que, notamment dans mes moments parisiens, sur les marches de
nos transports en commun, justement souterrains, ils m’attendent, pas toujours
la pièce, mais toujours le regard. Des bénédictions, des écrits sur du carton,
sans doute des histoires mais sans langue. Le besoin nu d’humanité. L’appel à
un tout petit peu de réciprocité. Jean-Claude a adopté la misère et le manque
du monde, il a vécu et travaillé, accueilli et organisé aux côtés du Père
Joseph, l’œuvre et le réseau qui fait maintenant – pour la gloire de la France
– le parvis du Trocadéro. Il habite, exprès, avec une épouse qui a vécu la même
prise de conscience de l’inadéquation des vocations traditionnelles et de la
vérité de les pratique par de tout autres applications. Pas toujours audible,
tant je suis moi-même empêtré dans mon regard trop fait de passé, il ressemble
par son souriant mystère à celles et ceux dont il parle. D’eux va nous arriver
bien plus que l’avenir, la solution. Ce sont ceux que nous n’entendons pas, que
nous ne rencontrons pas, dont nous ne pourrons jamais complètement assurer la
participation, la représentation, parce que sans cesse ils se renouvellent dans
le même appel, la même demande et nous invitent, par force, à éprouver le même
scandale. Il y a tous les manques, y compris chez celles et ceux qui ont pour
abri de leurs peurs et d’un quotidien soudainement étranger, obsessif et désert
– ma mère l’a éprouvé – et ces manques, ces trous du monde sont aujourd’hui
notre tâche et notre responsabilité, mais le remède nous viendra de les
écouter. Je ne peux rien dire à leur place. Je les invite seulement à être là.
Une présence qui nous atteint.
On n’est pas loin de la France, pas
seulement parce que cela se passe chez nous comme ailleurs. Ce n’est pas loin
parce que c’est humain. Ce n’est loin que parce que nous n’y pensons pas, ne
cherchons pas à le voir. Rien à comprendre, tout à faire. D’autres le vivent,
apparemment de deux bords, celles et ceux qui manquent (pire que de tout),
celles et ceux – il y en a parmi nous – qui font plus qu’aider : ils sont
avec elles, avec eux. Un regard, un murmure, souvent un geste religieux, de
piété pour me dire une reconnaissance que je ne mérite pas. A elle, à lui,
tassés sur des marches dures, à toutes celles et tous ceux qui n’ont, pour
nous, pas de nom, je dédie tout effort de notre pays et de notre Vieux Monde,
ils les aiment malgré tout et nous aiment, sans pouvoir le manifester autrement
que par une présence, fugitive par notre faute. Mon ami vit avec elles, avec
eux. Melchisédech serait à son côté, la Syro-Cananéenne et ses petits chiens
aussi, la nièce de mon cher moine, si humain, si lacunaire, qui avoua à tous au
bord de sa mort biologique et au bout de soixante-dix ans de vie monastique
puis érémitique : « j’ai toujours fait semblant », cette femme
que je ne connaîtrai jamais, passe ses nuits en maraude avec quelques compagnons
pour embarquer vers du chaud, des matelas et des douches, les perdus
d’espérance dans nos banlieues et le long même de nos très « beaux »
quartiers. Mon ami d’enfance, dont j’ai souhaité recevoir la même vocation,
entendre en toute certitude, celle qu’il me confiait avec deux autres de nos
contemporains de foi et de collège, l’appel à tout… ce moine dont si vite après
sa mort le corps avait commencé l’ultime pénitence de la décomposition… ils me
confient un testament. L’ancien familier du second, de la classe servile de ce pays
mi-sahariens, mi-sahélien que j’aime, attend de virement en virement, le
suivant, cultivant, bâtissant, enfantant mais démuni pour une conclusion
pérenne. La mère du premier a fermé les yeux sans rien dire de ce qu’elle avait
vécu sans voir. Je crois que le mystère, nous ne pouvons le déchiffrer par
nous-mêmes, mais remédier si peu que ce soit à ce dont d’autres souffrent et
pleurent, hoquettent, n’est-ce pas à portée d’un premier pas ?
Le jour se lève, pas même noir des
silhouettes de nos arbres, ces arbres qui nous ont accueillis ici, pas même
blanc d’un ciel qui va sans doute choisir, aujourd’hui, d’être bleu. Un jour
sans contraste, alors que la misère et le manque contrastent avec notre
amnésie. Notre cécité nationale a son premier symptôme, là. De notre médication
dépend toute suite. Je voudrais en parler avec vous, que vous me communiquiez
non pas votre analyse, mais ce que vous en vivez, vous surtout. Et que nous
nous y mettions. Tout commencera, c’est-à-dire que nous continuerons, trouvant
la vérité de notre époque, de nos générations. Mais nous n’y sommes pas encore
ou nous n’y sommes plus. C’est pourquoi nous ne durerons pas sans vivre cette
recherche.
Reniac à ma table de travail, vendredi10 février 2017
06 heures 56 à 07 heures 55
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire