vendredi 10 février 2017

conclusion du livre





La nuit va s’achever, rien du jour n’est encore pénétrable, la pleine lune s’en est allé. Le peuple qui m’accompagne, j’ai tenté qu’il vienne ausis jusqu’à vous, qu’il vous assure de notre pays. Ni des questions, ni des dossiers, ni des circonstances, ni des candidatures, ni des procédures, pas même un scrutin, des scrutins, et très probablement beaucoup d’événements que, presque chacun de nous, nous prévoyons. La France se rencontre dans cet autobus, de marque étrangère, mais nous y sommes, debout et brinqueballé dans le haut des anciennes vignes d’Issy-les-Moulineaux : nous voyons le panorama parisien, un jeune garçon veut m’aider à disposer ma valsie et trouver une place assise, je me récrie, je le regarde, il est parfait, le teint bistre, non seulement notre nouvelle génération mais aussi notre nouvelle race. Pourtant, et grâce à lui, notre esprit, notre langue que lui et les siens, déjà la chaine de ses ascendants ont adoptés et choisis, bien davantage que nos territoires, notre patrimoine, nos acquis sociaux et autres, subsistent et même fleurissent, rehaussés. Je le questionne, l’autobus n’est plus loin de parvenu à son terminus, là où se dresse un court mur blanc avec l’inscription de nos dettes de guerre, il y aussi un buste de Leclerc. Son nom est Karim, je lui promets l’avenir. Si je parviens à faire campagne et à appeler à moi les cameras et les enregistreurs, je ne peux y rester seul qu’un instant, il va y avoir tout de suite Karim et tant de ma vie, de celle des autres et de la France. Vous, peut-être, me faisant un signe de réponse, puis de lecture, et – donc – venant.

Ami d’enfance à l’histoire familiale intense, de la naissance de chacun de ses frères au veuvage de sa mère, au sacerdoce dont il est marqué et dont il reconnaît – après bien des années sans plus l’évoquer quoique nous nous étions retrouvés, adultes mais pas changés – qu’en dure toujours l’onction, voici qu’il me lit et m’interrmpt. C’est le cri et toutes les dédicaces de l’Abbé Pierre : « et les autres ! ». Il précise, c’est fulgurant parce que c’est vrai et que l’essentiel, la fin et le début de tout, je n’avais pas su l’écrire, quoique si souvent la rencontre m’en soit donnée.  Je sais que, notamment dans mes moments parisiens, sur les marches de nos transports en commun, justement souterrains, ils m’attendent, pas toujours la pièce, mais toujours le regard. Des bénédictions, des écrits sur du carton, sans doute des histoires mais sans langue. Le besoin nu d’humanité. L’appel à un tout petit peu de réciprocité. Jean-Claude a adopté la misère et le manque du monde, il a vécu et travaillé, accueilli et organisé aux côtés du Père Joseph, l’œuvre et le réseau qui fait maintenant – pour la gloire de la France – le parvis du Trocadéro. Il habite, exprès, avec une épouse qui a vécu la même prise de conscience de l’inadéquation des vocations traditionnelles et de la vérité de les pratique par de tout autres applications. Pas toujours audible, tant je suis moi-même empêtré dans mon regard trop fait de passé, il ressemble par son souriant mystère à celles et ceux dont il parle. D’eux va nous arriver bien plus que l’avenir, la solution. Ce sont ceux que nous n’entendons pas, que nous ne rencontrons pas, dont nous ne pourrons jamais complètement assurer la participation, la représentation, parce que sans cesse ils se renouvellent dans le même appel, la même demande et nous invitent, par force, à éprouver le même scandale. Il y a tous les manques, y compris chez celles et ceux qui ont pour abri de leurs peurs et d’un quotidien soudainement étranger, obsessif et désert – ma mère l’a éprouvé – et ces manques, ces trous du monde sont aujourd’hui notre tâche et notre responsabilité, mais le remède nous viendra de les écouter. Je ne peux rien dire à leur place. Je les invite seulement à être là. Une présence qui nous atteint.

On n’est pas loin de la France, pas seulement parce que cela se passe chez nous comme ailleurs. Ce n’est pas loin parce que c’est humain. Ce n’est loin que parce que nous n’y pensons pas, ne cherchons pas à le voir. Rien à comprendre, tout à faire. D’autres le vivent, apparemment de deux bords, celles et ceux qui manquent (pire que de tout), celles et ceux – il y en a parmi nous – qui font plus qu’aider : ils sont avec elles, avec eux. Un regard, un murmure, souvent un geste religieux, de piété pour me dire une reconnaissance que je ne mérite pas. A elle, à lui, tassés sur des marches dures, à toutes celles et tous ceux qui n’ont, pour nous, pas de nom, je dédie tout effort de notre pays et de notre Vieux Monde, ils les aiment malgré tout et nous aiment, sans pouvoir le manifester autrement que par une présence, fugitive par notre faute. Mon ami vit avec elles, avec eux. Melchisédech serait à son côté, la Syro-Cananéenne et ses petits chiens aussi, la nièce de mon cher moine, si humain, si lacunaire, qui avoua à tous au bord de sa mort biologique et au bout de soixante-dix ans de vie monastique puis érémitique : « j’ai toujours fait semblant », cette femme que je ne connaîtrai jamais, passe ses nuits en maraude avec quelques compagnons pour embarquer vers du chaud, des matelas et des douches, les perdus d’espérance dans nos banlieues et le long même de nos très « beaux » quartiers. Mon ami d’enfance, dont j’ai souhaité recevoir la même vocation, entendre en toute certitude, celle qu’il me confiait avec deux autres de nos contemporains de foi et de collège, l’appel à tout… ce moine dont si vite après sa mort le corps avait commencé l’ultime pénitence de la décomposition… ils me confient un testament. L’ancien familier du second, de la classe servile de ce pays mi-sahariens, mi-sahélien que j’aime, attend de virement en virement, le suivant, cultivant, bâtissant, enfantant mais démuni pour une conclusion pérenne. La mère du premier a fermé les yeux sans rien dire de ce qu’elle avait vécu sans voir. Je crois que le mystère, nous ne pouvons le déchiffrer par nous-mêmes, mais remédier si peu que ce soit à ce dont d’autres souffrent et pleurent, hoquettent, n’est-ce pas à portée d’un premier pas ?

Le jour se lève, pas même noir des silhouettes de nos arbres, ces arbres qui nous ont accueillis ici, pas même blanc d’un ciel qui va sans doute choisir, aujourd’hui, d’être bleu. Un jour sans contraste, alors que la misère et le manque contrastent avec notre amnésie. Notre cécité nationale a son premier symptôme, là. De notre médication dépend toute suite. Je voudrais en parler avec vous, que vous me communiquiez non pas votre analyse, mais ce que vous en vivez, vous surtout. Et que nous nous y mettions. Tout commencera, c’est-à-dire que nous continuerons, trouvant la vérité de notre époque, de nos générations. Mais nous n’y sommes pas encore ou nous n’y sommes plus. C’est pourquoi nous ne durerons pas sans vivre cette recherche.

Reniac à ma table de travail, vendredi10 février 2017
06 heures 56 à 07 heures 55

















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