vendredi 3 août 2012

détestation - l'impossible est notre vie - récit . 27 (à suivre)














DETESTATION




Vous êtes en retard, c’est au moment seulement où entre en gare son train qu’à vingt minutes de là, vous quittez la maison où vous êtes censé la réaccueillir, où elle a eu l’instinct de vous faire la réaccueillir, quatre ans après quatre ans après qu’elle y soit venue, clandestinement, la nuit, seule la chienne l’avait discernée, entendue, et était allée à elle, vous aviez eu la vague sensation d’une présence au rez-de-chaussée, d’une présence familière, très familière, mais c’était si ténu en vous-même que vous aviez continué dans la chambre à coucher et où l’on dort et fait l’amour, l’autre était dans vos bras dont vous ne retiendriez si peu après que vous vous soyez séparés l’un de l’autre rien des étreintes, rien des masques, visages et regards, des égarements, des sincérités et desretraits en soi que le va-et-vient de l’abandon et de la possession en amour de corps peint en définitive quoique fugitive apparence, définitif souvenir vous ayant échappé, fugitive lueur d’une complicité putative ou à venir. Pour la compagne que petit à petit vous aviez informée, quittée, rassurée, trompée, reprise l’horreur n’avait jamais plus cessé de vous voir, bien en-deçà du plus doux ou du plus coléreux de vos mouvements ou de vos yeux, capable d’une telle vilenie plus encore envers vous-même qu’envers votre victime. Elle était venue nuitamment, garant une voiture de location à ce qu’elle vous raconta, pour vous tuer, venant dans le silence de ses pas et de sa haine,en plein été, en une obscurité qui convenait si bien quoiqu’elle ne l’ait pas conjecturé. Scène qu’elle avait mentionnée sans vous la décrire, des heures ou des minutes, au rez-de-chaussée à guetter vos soupirs, les soupirs de l’homme et de la femme ensemble, d’un homme et d’une femme s’entre-caressant, puis échangeant machinalement, autant qu’on se lave les dents, les mains ou revient de la toilette, le vœu convenu d’un bon sommeil. Vous aviez vaguement, mais fut-ce réellement ce soir-là où elle vint ? la sensation qu’on avait remué en bas. Vous avez perçu quelque chose que provoque quelqu’un, mais n’y avez pas donné attention. Rétrospectivement, quand elle vous raconta cette équipée, vraie ? fausse ? ce moment où vous vous étiez rendu compte de quelque chose vous revint. Plus vrai sans doute que ce qu’elle évoquait, dont certainement le projet lui était venu,mais l’avait-elle mis à exécution, et venir vous tuer, vous et la fameuse fiancée, sans s’être préoccupée, munie d’une arme. Les détails du parcours que vous lui aviez infligé, les intuitions fugitives qu’elle recevait à vous regarder quand vous ne vous saviez pas observé. Dix-huit mois, deux ans ainsi à traquer en vous, par intuition d’amour et de haine, l’envie que vous aviez d’une autre,l’attrait auquel vous aviez cédé et qui vous retenait, vous retiendrait pour toujours, pour un morbide enchantement. Elle avait discerné en vous la mécanique de votre destruction, dont, sans qu’elle en aperçut la moindre possibilité, ailleurs en vous, d’une compensation puis d’une correction, elle jugeait infaillible et inexorable le résultat à venir. Et qui selon elle, s’était plusieurs fois remontée lorsque vous vous étiez endetté au mois le mois de montants équivalant à une construction immobilière à neuf, ou embringué dans des liaisons où aucun sentiment n’était ni vrai ni réciproque.

Depuis ces cinq ans où vous viviez votre déréliction, épluchiez et vous narriez dans le détail ou dans l’ensemble disgrâce et désamour, elle, à vos côtés, au téléphone, en télécopie, dans les ambiances disparates de ses rechanges professionnels, elle oscillait, centrée sur vous à un fond d’elle-même où se disputaient l’attendrissement et la détestation. Elle attend, la gare est la réplique de tant en France qui n’ont changé en rien depuis la fin des années 1930, vous l’avez pratiquée avec vos grands-parents, traction à vapeur, gants pour ne pas noircir les mains en baissant les fenêtres ou en posant les bras sur la barre d’appui dans le couloir, les valises d’osier, la livraison des malles cordées par des employés de la S.N.C.F. touchant leur casquette commeles factionnaires ou les domestiques des temps de PROUST ou des Facéties du sapeur Camembert, après-guerre les parents de votre mère avaient acheté une maison de pays, mitoyenne de sa jumelle, regardant depuis Bellevue vers Conleau et des marais d’où surgissait le clocher compliqué de Séné, époque où l’évêque remontait dans une voiture plus capitonnée qu’un carosse, en rochet et en pantoufles violetes, visage d’une aïeule douce, bénissante et bienveillante après la grand-messe dominicale à la cathédrale Saint-Pierre de Vannes. Elle maugrée naturellement, vous vous tenez, les chiennes font fête. La maison a une première allure qui ne déplaît pas, vous avez prévenu du désordre, de la saleté, des accumulations, le couvert, vous lemettez ensemble, avec l’apprêt et le rite que vous ne voulez que pour les amoureuses, mais à votre compagne vous concédez l’équivalence de statut, tandis que le donner par inadvertance à toute autre, vous en a fait prendre grippe plus d’une qui ne s’apercevait pas de votre humeur devenue mauvaise, et cette cécité seule vous renforçait dans ce grincement contre vous-même de vous être laissé ainsi enfermé dans vos nostalgies contradictoires, la contradiction d’un passé sans avenir, d’un futur qui sera différent et qui imposerait une autre façon pour vous de vivre, d’apprécier le présent. Le choix entre la chambre, la grande à l’étage où plus personne n’a dormi dans votre lit, que vous, quatrième été ainsi, et celle du bas, naguère projetée pour votre mère quoique les plans de vos maisons aient été arrêtés après sa mort. Elle choisit celle-là, vous transbahutez ses sacs de voyage, et bousculez le seul des portraits sur verre de votre mère, ceux peints par cette artiste hémiplégique que vous aviez tant achalandé et estimé à Almaty, qui ne soit pas encotre cassé : c’est fait. Lames de couleurs à ramasser, cela peut se réparer, en collant chacune sur une seconde vitre, presque toutes les œuvres de Ludmilla y sont ainsi passées, sauf le portrait de votre belle, que vous avez dissimulé sous le vôtre. Vous inquiet et dissymétrique, la fiancée s’arborant et ne donnant qu’une impression d’irréflexion. Votre compagne éclate, mauvaise, des propos adéquats, résumant des sentiments que vous connaissez, tout le versant folie alors qu’il y aura le côté prévenance et sollicitude d’ici peu.

                  Huit jours se passent, elle s’approprie la maison pour y vivre, pour seulement n’y pas périr d’un intense dérangement tant vos accumulations, vos gaspillages pèsent sur le visiteur quel qu’il soit, trop d’objets, trop de toiles d’atraignées, trop de chiures de mouches aux vitres et à tout encadrement, trop de moutons de poussière, trop de doubles-emplois et des caches à linge, à livres, des recoins bourrés où s’empilent et moisissent ces choses et ces souvenirs que vous ne savez ni gérer, ni laver,ni classer qu’abandonner pour la suite d’un autre jour et de nouveaux achats. Elle brique, nettoie, aère, trie, élimine. Celle qu’elle vomit plus encore qu’elle ne vous déteste quand elle vous sent à nouveau rempli du souvenir et de la tentation d’antan et des fuites d’amant qui va partout parce que c’est ailleurs que là où il a été laissé, avait la même façon d’entrer chez vous, d’opiner, abasourdie et terrorisée. Mon Dieu ! avait murmuré dans votre langue la fiancée étrangère quand elle revint pour le second et dernier été, et que des aménagement, c’est-à-dire tant de rajouts et de recasements, d’accrochages et de dispositions aux murs et sols, jusques sous les rampants du toit, avaient été votre fait pendant son absence.

            Vous portez depuis des jours une lettre ultime où vous laisserez entendre, plus précisément encore que dans votre supplique précédente, qu’un fait nouveau, inéluctable, important bien davantage que vos sentiments à chacun commande votre revoir, un certain retour de sa part, une disponibilité qui ne soit pas d’un repas qu’elle vous concèderait lors d’un stage dont elle vous a écrit qu’elle en aura peut-être en effectuer avec une de ses collègues, en France. Vous imaginez et exigez du tempps, des jours et des nuits où vous la féconderiez au dernier instant où vous conservez encore vos capacités avant le geste chirurgical, l’entrée en hôpital qui va vous en priver.Vous lui expliqueriez, elle comprendrait tout, se prêterait à cela, vous considèreriez ensemble, au regard de cette nécessité, comme très secondaire le compagnon laissé là-bas sous un prétexte si possible, puisque tout serait le fait de l’administration apparemment. Au besoin, elle en jouerait, sans crainte d’une vérification, pour avancer sa venue, vousl’autriez convaincue d’un compte-à-rebours. Une lettre de cette force que vous auriez ouverte par l’interrogation la plus naturelle et que vous ne lui avez jamais apportée depuis qu’elle vous a quitté, d’autant qu’elle répétait tandis qu’elle s’éloignait que les choses, c’est-à-dire ses sentiments pour vous et son indétermination à vous épouser, étaient sans rapport avec une quelconque rencontre d’un autre sur place, sous la main pour les temps libres, les moments intercalaires entre les études et la famille, pour son premier automne en vraie Russie. En somme, que vivait-elle, que ressent-elle à ses côtés ? Une vie organisée, plausible, possible ? fruit d’un art qu’il avait discerné aussitôt leur propre rencontre, l’art de vivre, de ne pas se creuser inutilement la cervelle en projets ou en regrets, l’esprit pratique domestiquant une sensibilité de débordements certes mais de peu de fond. Il lui demanderait qu’elle lui décrive ce qui plane au-dessous et par-dessus une existence répétitive, monotone, médiocre d’apparence, déjà adulte par usure, elle l’identifierait à sa demande, elle dirait qu’il y a du vide, ou au contraire que c’est beau, dense, flambant, que c’est de l’amour, qu’elle aime vivre ainsi, rentrer le soir, penser dans la journée, rêver dans la nuit, raconter parfois à des tiers ou aux siens, qu’elle se transporte ainsi àl’aise, tranquille et lumineuse.Il lui ferait dire si elle aime l’autre ou si les choses ne se sont faites et ne durent que par désoeuvrement, parce que ce fut le premier aperçu et que ce fût simple.

             Cependant que c’est le jour précis où se fêta longtemps dans l’Eglise d’occident cette impératrice-mère, déjà d’Orient, parce qu’elle « inventa » la vraie croix autant qu’elle avait donné le jour à un génie de la conciliation politique et de la compétence militaire, Hélène, mère de Constantin, votre compagne, qui ne le sait pas, continue de se rompre à ranger et ordonner systématiquement la cuisine, la dépendance. Vous, vous êtes à classer, à passer et perdre du temps dans le classement de Pleiade à l’étage, et peu à peu, à constater des doubles-emplois et à percevoir que vous êtes tout occupé d’une autre que celle vous aidant présentement, vous entourant, tâcheronnant pour vous dans une maison que vous vouliez donner à cette autre, goutte à goutte la haine de mes dépenses et distractions, les lives achetés en double, l’une de vos deux nappes de lin du Portugal mangée aux mites, en compagnie d’un loden de vingt ou trente ans faute de les avoir tirés du panier à linge où vous les aviez placés puis oubliés. Déréliction, c’est cela seulement que vous croyez pouvoir écrire … Des jours, des mois, des années perdus et l’heure des comptes à présent. Ceux qui ont travaillé avec système et ténacité, ces auteurs dont vous classez les œuvres et qui sont entrés dans cet ordre classique conférant l’étrange honneur de l’impérissable. Ce qui vous vient, à vous submerger, c’est la haine de vous-même, la détestation de vous-même.

Elle suspend son ouvrage, vient à vous, vous trouve en sueur, vous l’êtes depuis ce matin, ce n’est pas de la fièvre, vous vous en ouvrez, c’est cette détestation de vous-même,vous vous apercevez que vous vous détestez, que vous avez toutes raisons, tous motifs de vous détester, que chaque instant en supplément,en continuité de votre survie est en soi une raison de vous détester, vous versant vers le suicide ; la voici qui vous a pris en pleine dépression, mais d’un troisième genre, ce n’est plus ni la folie d’avoir perdu vos repères au début de ce premier été de vos disgrâces quand vous couriez après l’audience de Jacques CHIRAC tout nouvellement élu et que votre belle, faisait silence, vous signifiait déjà sans préavis qu’elle ne vous aimerait pas, ne vous aimait pas, ni l’angoisse irraisonnée de certains de ces derniers mois, sans cause, sans qu’une quelconque réminiscence ait construit la cage où enfermer de la folie, de la déraison, de lapanique, c’est autre chose que vous n’identifiez pas. Voilà revenu, soudain piégé par le regard que votre compagne vous donne sur vous-même, votre démon de ces cinq ans, on le reconnaît à son œuvre : la dissociation, la volonté soudaine et universelle en soi de se détruire, de finir au plus vite, on n’est plus même conscient de vivre l’insupportable, l’insuportable d’un sentiment qui vous a pris, vous occupe, vous tient plus fort encore qu’il ne vous retient. Ce qui tue une psyché, c’est de n’avoir pas nommé et identifié l’agresseur, c’est de faire croire à la victime qu’elle demeure en bon état de marche, et du coup de lui mettre à charge le débat intérieur qui vous a gagné. Tenter de poursuivre votre récit, celui de votre psychose, ne suffisait pas à dissoudre l’adversaire, ou à en faire de l’oeuvre, ce qui l’eût domestiqué. Vous n’identifiiez rien, vous fabriquiez de la culpabilité. La sueur intense, tu viens de dehors, tu as reçu la pluie, elle vous fait vius changer de chemise, de linge, vous aérer ; ne pas porter autant de vêtements clos sur vous. Vous lui exposez ce que vous ressentez, la détestation de vous-même, elle enchaîne implacable. Toute entière à se confondre avec elle, cette lucidité qui la mène aux imprécations parfois, ainsi  à son arrivée, ainsi l’été d’il y a quatre ans mais qui aujourd’hui n’est que curative, elle continue comme si elle parlait à votre place, du fond de vous : vous enfuir, ce n’est pas elle que vous prisez, vous n’êtes que contraint tandis qu’elle est arrivée et demeure chez vousà ranger et astiquer, c’est avec une autre que vous voulez aller. Elle lit en vous, soit parce qu’elle en a le don, soit parce que c’est d’une telle évidence. Et puis tu as tout,  presque tout, et tu gaspilles, ces livres en double (c’est vous qui vient de le lui dire), ces brioches périmées dans tes placards, quinze francs puis quarante, tu ne peux jouir de rien. Elle dit combien et comment elle ne peut le supporter et cependant le vit et le voit depuis que vous vous êtes rencontrés. Elle stigmatise, diagnostique votre pathologie. Un redressement… professionnel, financier, certes, mais la lèpre est ailleurs : votre vie affective, profonde, votre goût de l’amour parfait, du couple idéal et vos incapacités à l’avoir mis en place quand la nature, la jeunesse y auraient aidé. Dès cette époque-là, pourtant, la plus favorable censément, vous étiez déjà alourdi et incapable. Condané et enferméapr qui ou quoi ? Gaspilleux votre carrière, dédaigneux des rencontres, des opportunités, jouant avec une éternité qui n’avait plus que quelques années et quelques chances encore à vous réserver.

                A plusieurs reprises, rapprochées, ces dialogues où elle vous discerne et vous dit. Vous êtes sur la terrasse, les dalles en ont été par du lavement de poussière que la pluie n’efface pas. Le paysage ne change pas, plus accueillant, plus approprié que vos murs. Les ciels passent et les années, vous êtes adossés aux objets choisis et aimés un par un, convoités puis acquis, ayant déteint sur ces portraits et des photographies de femmes, de liaisons, de conquêtes, soi-disant, de moments attestés par l’image qui a fixé un sourire ou une mutalité éphémère de sentiments, une communion dans la sensation, les objets et les souvenirs, ce qui rayonne d’un passé, ce qui demeure d’un présent et l’éternise, l’évanouissement des personnes,l’âge et les rides, les laideurs qui leur sont venus, si différents, si attristants tandis que les choses trouvent dans la durée, dans les déménagements et réemménagements leur patine et leur nécessité, voici que les gens et les amours sont fongibles, et les œuvres d’arts, les reliures et les textes chacun et chacune unique, et depuis les uns et les autres, vous regardez non pas le paysage, la mer et la langue que celle-ci pointe dans le bocage, entre des villages et des peupleraies, mais vers ces plans successifs qu’affecte dans son détail la planète terre, qu’on ne sait bleue que depuis vingt ans à peine, àl’avoir fugitivement, quelques heures, regarder se lever au-dessus de l’horizon lunaire. Vous parlez, vous vous parlez, vous dites l’un à l’autre le commencement des mots et des enchainementsqui décriraient ce que vous sentez, ce dont vous souffrez et ce que vous croyez de nature et de capacité à réparer encore, à restaurer un peu, en sorte que vous pourriez l’un et l’autre, mais pas séparément, l’un et l’autre ensemble, repartir,commencer, débuter, et cela, ces mots, vos tentatives de dire, rebondit et fait du son, des certitudes, des découvertes en chacun de vous, et c’est ce rebond et cette constitution d’une image d’ensemble qu’il faudrait que vous sachiez vous dire l’un à l’autre. Elle vous expose ce qu’ellevoit de vous, comment elle vouscomprend, elle vous dit, épèle presque que vous êtes donc partagé entre des travaux intellectuels de haute portée, exigeant de votre part une grande concentration et la gestion pratique de choses n’ayant aucun élément intellectuel ; organisé pour votre travail, quand vous êtes dedans, vous êtes en revanche tout désorganisé pour lui assigner la première place dans l’emploi quotidien de votre temps, et vous manquez presque totalement les tâches pratiques d’entretien, celles de la maison notamment. Votre santé peut-être également, quoique les pressions de vos erreurs et les conséquences de vos distractions soient pour beaucoup dans ce délabrement à présent évident. Elle vous sent et vous voit toujours habité par la hantise de reconstituer ce que vous avez perdu à partir il y a cinq ou six ans, et faire des projets qui ne sont fondés que sur ces fantasmes-là, sur ceux de votre adolescence aussi, addition étourdissante, série de hochets faisant de vous la marionnette et d’une femme revenue de vous et de perspectives trompeuses, imaginaires dans lesquelles elle est convaincue n’avoir aucune place. Tout cela en sus des contentieux que vous avez à soutenir et aussi de votre cancer, une sorte de cohérence dont vous êtes le fauteur et l’origine. Votre corps n’en peut plus, vous êtes à bout et en mauvaise santé, la passe est dangereuse, vous n’en sortez plus et n’en sortirez pas. Enfin, elle opine que vous consacrez une bonne moitié de votre temps à des gens et à des obligations que vous vous donnez, comme si vous en aviez encore les moyens.Vous vous conformez à des obligations anachroniques, qui ne vous sont d’aucun secours et qui vous sucent du temps, du sang, de l’énergie, comme si vous en aviez encore à gaspiller et revendre. Vos frères et sœurs y passent et ces tropismes de votre acharnement à reconstituer des adolescences et des affinités qui ne sont plus.

                    Vous avez pu, là-dessus, parler et ajouter ensemble, longuement et paisiblement. Si vous admettez que vos fantasmes d’adolescence et ceux nés de ce que vous aviez cru engranger depuis votre première Ambassade, continuent de vous habiter, en revanche, ils ne sont plus votre unique perspective, vous avez su évoluer même si cela paraît encore bien peu. Certes, vous continuez de rêver bien souvent cette sorte de restauration, elle-même visant à accomplir vos rêves d’adolescence, en revanche elle doit comprendre et discerner en vous le travail fait ces temps-ci, et qui s’appuie tout autant sur des constantes depuis votre jeunesse quoique bien moins cultivées, sinon par à-coups en forme de journalisme naguère ou de tentatives politiques. Perspective alternative, dont vous savez pertinemment qu’elle est la seule qui soit à votre portée et la seule aussi qui puisse finalement et totalement vous accomplir : ce magistère intellectuel, le rayonnement par l’écrit et la parole. Vous retournez alors à l’échéance de l’automne, avoir à accepter l’amputation qui va vous être infligée ces semaines ou mois à venir, reste que je comprends bien que ce renoncement au mariage et aux enfants m’étant si pénible, c’est bien parce qu’elle-même n’est pas concernée par cette hantise et ce projet, et que ce doit lui être, à elle aussi, une source de déception et de tristesse. Votre relation ne correspond certainement pas à l’amour tel que vous vous en avez entretenu le fantasme depuis votre adolescence et encore avec votre jeune russe, jusques dans vos projets de la veille ou de ces jours prochains de lui écrire, de la supplier, en fait de supplier le destin de vous accorder le contraire exact de ce qu’il vous réserve à l’évidence ; elle ne correspond pas davantage à la manière dont elle voudrait elle-même être aimée. Mais cependant cette relation est très forte et vous constitue. Vous n’approfondissez pas le « faire semblant » qu’elle disait dimanche à son arrivée.Le mot que vous citez, sans doute de MAUROIS toujours, tu n’es pas le bonheur, mais cela qui est à la place du bonheur, ne vous convainc ni l’un ni l’autre quoique ce soit l’expression d’un grand honneur à se rendre mutuellement. La propriété une nouvelle fois est discutée, son fait dans votre vie, et dans vos finances ; ce n’est pas la source de vos ennuis financiers, la source en est votre revers professionnel. Analyser le pourquoi de celui-ci ne vous ramène qu’à l’alternative, de vous et de la société, l’un est coupable, quant à s’adapter, c’est toujours la minorité qui doit y tendre, de vous au monde, la proportion et la balance ne sont pas en votre faveur. Sans ces lieux et leur coût, sans doute auriez-vous pu accepter n’importe quoi, mais c’était faire bon cas et de votre projet matrimonial, encore moins viable dans une garçonnière louée à Paris et d’avoir àpointer dans un ministère dont vous auriez eu à raser les couloirs plusieurs années, avant de vous faire oublier à seule fin, paradoxale, d’être de nouveau promu ? Faire marché aussi de votre équilibre psychologique, enfermé dans des horaires et pour des tâches de débutant, appointé cinq ou dix fois moins que selon vos emplois de milieu de carrière, auriez-vous tenu ? et à quoi ? à quelque espérance de tout autre chose ? certainement pas à une sanctifcation par l’épreuve. D’une certaine manière, vous avez choisi de sortir vous-même du circuit en devenant malade de l’esprit et de la perspective, de la faculté qui réorganise et appréhende un environnement au produit de l’activité de celle-ci, quelque soleil au bout d’un chemin. Ceux qui ont connu la rue, y ont vécu plus de quelques semaines, il est assuré qu’ils ne peuvent plus avant plusieurs années de soins sociaux et de chances répétées en emploi et en affectivité, se réhabituer à un toit et aux usages qui vont avec, de fil en aiguille. La dignité et le bien-être d’une personne, de bien des animaux ne se suffisent pas des quatre planches correspondant au volume physique du corps qui leur donne apparence.

                   Devant le paysage, son silence, son accueil, la stabilité qui déteint sur vous, votre compagne déclare qu’elle erre, qu’elle n’imagine plus comment vous aider. En revanche, elle ramène tout à la cause première et à ce qui vous caractérise, cette femme et le peu de photos qu’elle en voit, car vous en avez laissé quelques-unes, les ôter toutes n’eût pas été vraisemblable au regard des quelques portraits d’autres. Celle-ci la confirme dans sa détestation, c’est selon elle une âme dont la laideur est exprimée sans doute possible, sans aucun rachat par un visage affreux. La jeune  fille selon vous, cette femme selon votre compagne, car à vingt ans on n’est plus une jeune fille, vous a fait tomber au plus bas. Cette liaison dans laquelle vous continuez mentatelement de vous complaire, signifie, symbolise, imprime en vous irrécusablement ce qu’il y a de moins bien, ce qu’il y a de plus erroné en vous et en vos comportements ces dernières années, c’est le fait révélateur d’une personnalité, la vôtre, qu’elle n’accepte et ne peut accepter, elle lui prête une véritable filiation en morphologie de visage avec le Général LEBED (mais vous ne visualisez pas la physionomie de ce soi-disant vainqueur de l’Afghanistan, élu ensuite gouverneur d’une région de Sibérie centrale). Votre portrait est donc détaillé, immature, inconséquent. Votre compagne rejoint, sans le vouloir, et elle en refuserait la démonstration, ce qui fut fuir la jeune fille, l’erreur sur la personne ; vous êtes foincièrement déséquilibré et déséquilibrant. Vous échangez cependant vos versions divergentes puis s’entremêlant de ce que vous avez vécu et tenté en tombant et en persévérant dans ces fiançailles sans les conclure pour autant. A accepter ces causes premières, la description cohérente de votre personnalité faite par conséquent pour l’échec, vous êtes ramené au vertige précédent. Méchanceté native ou acquise, à quoiêtes-vous bon, quelle est votre authenticité ? A froid, avec la promiscuité d’une semaine dans vos lieux, votre amie danse la même sarabande de lafolie qu’elle tenta de vous inoculer l’été où vous balançâtes, devant l’inventaire des adversités et de vos forces, si vous étiez capable de lutter contre tous et envers, côté cœur et côté lit, une jeune fille continuant de vouloir en peu de mots, pas beaucoup d’attitudes mais assez de tranquilité pour vous donner tout le change, si vous pourriez garder le rôle du Pygmalion et de l’enchanteur. Vous en doutâtes, et vous perdîtes. Vous rendre à présent à la compagne qui ne peut ni ne veut être le susbtitut de l’amoureuse perdue, c’est, vous semble-t-il, accepter à nouveau des dépendances et vous abaisser.

                  Tourné vers votre intime ou ouvert à partager un diagnostic, portant bien davantage sur le constitutif de vos lacunes, que sur les stratégies de votre renaissance, vous ne pouvez que vous haïr.Qui d’autre d’ailleurs, dans votre expérience d’autrui et de ce que la vie fait des autres et de vous-même, pourriez-vous détester ? Les circonstances atténuent le cynisme et le dédain dont vous avez été gratifié de loin et d’en haut, pendant ces années-ci, et celui qui est tombé est le premier coupable d’avoir chuté. Plus noir encore que ne le prétendent les analystes de votre dossier administratif, vous n’êtes pas de cœur à sourire ni à mériter confiance. De fait, fatigué, fiévreux, vous consentez à en rabattre. Invité à un mariage par des familiers des vôtres, vous donnez satisfactionà celle qui vient de dialoguer, en grinçant puis en fondant, vous vous décommandez. Vous n’y alliez, au vrai, que dans l’espérance de vos dix-sept ou de vos dix-huit ans, justement, de rencontrer la jeune fille qui… ou que… d’ailleurs l’impétrante, une Sophie, nesera-t-elle pas une enfant qui vous avait séduit, il y a quelques quinze ans, entre autres un soir où votre mère et vous, en pèlerinage sur les lieux d’enfance de celle-ci, étiez venus coucher aux frontières de l’Aisne et de la Belgique, chez une vieille amie de pensionnat. Les petits-enfants étaient là, qui dirent bonsoir, déjà en pyjamas, et vous aviez émis le vœu et commencé d’en esquisser la réalisation, d’aller dire bonsoir aux enfants dans leur lit… votre mère vivement s’y était opposée, vous avait humilié. Ces souvenirs, ces envies sont-ils d’un adulte ? d’un demandeur d’emploi, d’un haut fonctionnaire, et chacune de vos nécessités n’est-elle pas apparue comme un éclat de plus d’une impénitente posture dans la vie ? demande-t-on à celui qui, aux marches d’une église de quartier parisien, fait la manche, ce que sont ses souvenirs d’enfance et ce qu’il demanderait à l’enchanteur si d’aventure un se présente ? Dialectique qui ne fait pas adhérerà votre façon de vous conduire, que celle vous faisant interroger, quel est donc l’adulte sur lequel copier votre silhouette ? Il vous a toujours semblé, MALRAUX l’écrit quelque part, que les adultes ne sont que des enfants ayant su se dissimuler, ou des adolescents qui d’apparence auraient su choisir et grandir, qu’est-ce que la croissance en physiologie, en biologie, sinon une des lois de la vie aboutissant à la mort par usure de quelques-unes des pièces motrices et plus vraisemblablement à cette sorte d’usure que les gens rassis dissimulent mais, qu’en eux-mêmes, ils vivent d’instant en instant, la face vers les autres, les enfants, le conjoint, les relations de bureau en semaine et de bateau en vacances, de queues à la pâtisserie pour un anniversaire faisant que la table se nappe, que des chandeliers y sont posés et du gateau on souffle les bougies, et l'âme, au dedans, à qui il est recommandé d’éviter tout risque, c’est-à-dire toute nostalgie. Celle de vos plus anciennes fiancées vous a écrit à peu près de la sorte, précautionneuse et pourtant curieuse, car vous ne lui écriviez pas de la capitale où se consacrent et perdurent les carrières. Elle évoqua les rides et les kilogs qu’elle avait pris, mais où sinon dans l’usage de l’existence dont elle avait compris le secret en se consolant de vous, la complicité d’un époux intelligent, c’était bien le moins, qu’elle appréciait de cultiver maintenant que leur progéniture avait tourné à l’âge adulte, elle aussi, c’est-à-dire à la séparation d’avec les parents, pour cause de similitude de condition. Vous eûtes l’image d’un hôtel particulier, d’une réussite sociale et professionnelle, de conversations dans un salon beau, éclairé selon la convenance d’un soir à deux, sans beaucoup de livres ni de photographies que ce qu’il est raisonnable d’avoir,vous enviâtes ce que votre mélange aurait produit, davantage d’aventure et d’approximation pour elle, et une certaine sagesse qu’on n’accepte d’autrui que par dilection. L’amour ne se commande ni à l’aller ni au retour. Il naît et s’est défait qu’on ne le sait pas.

Conversation du moment ou correspondance à trente ans de distance entre un projet putatif et une existence qui s’est vécue autrement, vous voilà devant ces épousailles de force avec le réel. Une retraite précocement administsrée, des dons de plume vous faisant tenir journal mais ne vous procurant certainement pas l’édition, faute que déjections, ressassements et pensées dont vous ne relisez jamais l’expression que vous avez pu lâcher, fassent quelque ensemble comestible, lisible. Quant au compagnonnage, ni du passé ni de l’éventuel, ces deux modes vous sont interdits, vous y avez trop recouru : la seule version encore loisible est celle qu’à vos côtés un caractère peut-être masochiste persiste à vous proposer, et ni vous ni votre amie ne sauriez vous détacher l’un de l’autre par vous-même, et vous ne vous êtes rencontrés que dans le malentendu d’une véritable attente de sa part et d’une question que vous posâtes passagèrement, mais pas plus durablement ou intensément qu’à tant d’autres avant elle et à peine moins depuis elle. Depuis vous avez été rejoint par votre âge et la perte de votre chalandise accoûtumée , le dépouillement auquel vous ne pouvez rien et que vous subissez vous obligent à considérer qui vous êtes devenu. Tandis qu’elle promène les chiennes et un délassement certain de flâner dans le vieux Vannes, vous êtes entré à votre heure habituelle dans la cathédrale, la chapelle du fond où, parallèlement aux actes et aux paroles priées et pensées de votre dévotion, se sont présentées parfois des femmes offrant un dénuement et une ferveur qui ne sont pas le signe d’être épanoui, et c’est la messe du soir, c’est aussi, soudainement à occuper toute votre âme et à vous faire revenir à tout ce que vous aviez pourtant, ces jours-ci, ces heures-ci, compris qu’il vous faut oublier, au premier rang qu’ils prennent à eux huit, vos camarades de lecture biblique dans l’arrière-pays. Couple jeune quoique d’âge inapparent, le remariage du père de trois filles, dont deux jumelles, le lit accepté par une seconde femme, relation amicale de la première, et quatre enfants s’étant suivis très vite, une installation dans l’arrière-pays, des poules, puis des brebis, un corps de ferme, une cuisine et la chaudière pour salon et meuble, le teint roux des petits, la différenciation qui se fait de plus en plus entre les deux jumelles.

Vous avez reconnu cette famille à son nombre mais aussi au regard que vous donne la petite cadette, que vous avez vueà ses premiers pas, tandis que seprenait votre habitude du jeudi après-midi à échanger, avec une certaine rigueur qui, d’elle-même, engendre la tolérance puis le bénéfice mutuels, ce que laisse la lecture suivie du livre censément leplus lu dans le monde et depuis des siècles. Texte inépuisable par sa cohérence et ses imprévus, par la diversité des dialectiques selon lesquelles le lire. La fillette, rousse et pâle, les cheveux noués à l’ociput vous a aperçu. Les deux garçonnets se ressemblent, nés à dix-huit mois d’intervalle. Les jumelles, donc, celle dont le nom ne vous reste jamais, a blondi et porte lunettes, l’autre, Emmanuelle, les cheveux chatains, elle est de dos comme tous les siens, premier rang devant l’autel, le prêcheur,le célébrant, piété de chacun, elle est à l’unisson, ne se retourne pas. Vous discernez l’ovale de la joue, elle a mûri, on lui donne – donc vous, c’est-à-dire vous lui donneriez dix-huit ans. Pourquoi ce conditionnel ? Il y a trois ans, ou n’était-ce qu’il y a deux ans, votre anniversaire était tombé un jeudi, vous vous étiez rendu à l’exercice hebdomadaire, la grande fille vous avait déjà retenu par ce visage plus parfait que de coûtume, l’ovale, les yeux également ovales, le front pur ni bombé ni plat, qui ne porterait de rides que d’attention. Au Nouvel An, vous aviez été invité à dîner, premier aperçu sans dialogue. Lejeudi,ensuite, avait été propice, vous lui aviez demandé de consentir à quelques pas avec vous. A la vue des parents, de ses demi-frères et de sa sœur, elle avait marché cent mètres à vos côtés, vous avait écoûté très grave. Vous lui aviez dit qu’un jour elle se rendrait compte de ce que signifie,pour une femme, pour une jeune femme,pour une jeune fille, charmer un homme, lui donner en fait un moment d’éternité où tout se rejoint et se réconcilie, l’envie et le goût du beau s’ils ont figure humaine, le reflet de Dieu. Vous lui avez dit que vous étiez triste, malheureux, éconduit, disgrâcié et qu’elle vous émouvait rien que par son existence vérifiée par vos yeux. Elle ne répondait pas, ne répondit pas, puis revenue à son âge et au cercle des siens, tandis que  vous faisiez virer votre voiture et partiez, elle joua avec tous, à cache-cache, surgissant d’une fenêtre à l’étage, et vous donnant ce dont elle était seulement capable, son rire de votre surprise puis de votre amusement. Vous lui écrivîtes, aux soins de son père, la lettre fut retournée par la mère tançant l’époux. Une nouvelle tentative aux vacanaces d’été, aucune réponse n’était possible. Votre fiancée, quand à sa manière déjà habile elle répondit à votre drague en vous faisant croire que c’était la sienne d’abord, avait plus de dix-sept ans. La jeune fille, venue pour des vacances scolaires chez la belle-mère et son père, pas douze, ou à peine. Au transept de la cathédrale, vous parlez avec les parents, les enfants se sont rangés assis et attendent, non concernés. Parfois, vous hasardez un mot, ce n’est plus une fillette,le chemisier non rentrée dans la ceinture est mauvse foncé, on n’aurait garde de chercher à deviner quelque forme que ce soit, le visage suffit, le front et les yeux ont encore gagné en expression, en pureté, en douceur, en promesses, maisles quatorze sont juste atteint et le peu que vous parvenez à articuler ne fait sortir que lamimique d’un rire qu’on retient, d’un sourire qu’on ne donne pas, l’esquisse n’est en rien celle d’une offrande qu’on ne saurait pas faire mais dont on communiquerait l’évidence qu’un jour, dans quelques années, on le saura. Tandis que vous, vous êtes vieux de bien davantage que vos cinquante-sept ans, vieux de vos déboires, de toutes celles qui vous ont mis dehors,en dehors de leur vie, de toutes celles dont vous avez usé et à qui vous avez menti, vieux des quelques semainres à venir où se dissoudra votre virilité, où ne gîra plus qu’en bocaux et paillettes votre semence. Devant la cathédrale doit être votre compagne, vous souhaitez ne pas être vus de vos amis avec elle, ils reconnaîtraient au moins les chiennes, vous murmurez que les épreuves se cumulent, s’inventent de mois en mois plus ingénieuses, pires que les précédentes et sans d’ailleurs effacer celles-ci. Vous sentez le noir de vos désirs et de votre débat, la dissimulation que vous aurez à faire vis-à-vis de votre compagne, de cette recrudescence de votre refus d’avoir vieilli et d’être pareu à la conclusion sans avoir encore lu la moindre page des introductions du grand lire proposé à chacun naissant en ce monde, à ce mode de la vie humaine. La conscience de votre laideur puisque vous faites bien plus que désirer cette très jeune fille, vous la voudriez votre épouse comme si tout l’univers devait consentir à revenir à son envers, vous êtes incongru, vous dites au desservant venu se mêler à votre groupe que les textes du jour sont provocants et difficiles, quelle infidèle aurait honte quand elle se reprend à consentir à l’amour qu’on n’a cessé de lui porter et de lui proposer ? Ce n’est plus de mode et ce n’est guère psychologique. Quant à ces cas de figure où le mariage n’est pas loisible, vocation religieuse ou quelque malformation de naissance à entendre le maître rétorquer aux docteurs de la loi mosaïque, comment, en période contemporaine, ce soir-même les exposer ? Ces mutilations, un accident d’automobile, une ablation de la prostate, sourire du remarié et glorieux géniteur, la beauté de David dont le livre des Rois dit qu’il était roux, beau parce que roux, votre père fut roux, pas nettement mais assez sensiblement de peau, au moins. L’ablation de la prostate évoquée à l’issue d’une liturgie où l’on a brodé sur les options humaines, l’état de vie choisi, l’état imposé. Ce qui ne se partage pas, ne peut se communiquer, ce dont vous souffrez,la conclusion qui vous est infligée. Vous êtes à vous-même votre net démenti.

Quand vous allez au village lever votre boîte à lettres, cet été, combien de fois ont sonné les cloches, celles des mariages avant midi. Les funérailles sont célébrées en après-midi, il est plus rare que vous soyez sur la place où se forme ce cortège.

                   Tandis que vous écrivez, sans rien résoudre ni conclure, les épisodes chaque fois contemporains de votre incapacité de résoudre ni conclure, de consentir aux opprtunités, aux chances et aux dons, la compagne qui vous est restée termine de nettoyer votre salle-de-bains, jusqu’à vomir et s’étouffer. Des écrits qui s’ils lui viennent aux yeux, dégageraient des odeurs pires encore. Vous vous détestez de vous trouver ainsi tellement détestable. Le silence de ce paysage que vous dites, répétez, écrivez vôtre et où vous ne faites que passer gémissant bien plus fort que vous ne le supposez, est devenu à force qu’il pleuve cet énième jour celui d’une tombe prématurément ouverte parce que vous n’aviez plus rien à vivre, rien dont vous soyez capable, rien que vous méritiez, la continuité du néant n’est que l’enfer froid de se connaître tel qu’on apparaît à autrui, aux instants précis, décisifs où se cristallise la déception que, de tout vous-même, vous vous êtes acharné à lui imposer. Le texte sacré que vous étiez tenté d’appliquer à votre belle évanescente, vous découvrez tout de suite et maintenant qu’il est votre portrait et que tant de fois, qui – au pluriel – s’est succédé dans votre vie pour vous y aimer, a eu une patience et une espérance proprement divines pour ne pas vous tuer ni vous quitter.


Toi qui as méprisé le serment et rompu l’alliance.
Cependant, moi, je me ressouviendrai de mon alliance,
celle que j’ai conclue avec toi au temps de ta jeunesse,
et j’établirai pour toi une alliance éternelle.
Tu te souviendras de ta conduite et tu seras saisie de honte…
tu te souviendras, tu seras couverte de confusion.
Dans ta honte, tu n’oseras pas ouvrir la bouche
quand je te pardonnerai tout ce que tu as fait.[1]
Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas !
Il y a des gens qui ne se marient pas
car, de naissance, ils en sont incapables ;
il y en a qui ne peuvent pas se marier car ils ont été mutilés par les hommes ; il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du Royaume des cieux.
Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne ! [2]



[1] - Ezéchiel XVI 59 à 63

[2] - Matthieu XIX 3 à 12

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