mardi 7 août 2012

durer - l'impossible est notre vie . récit . 31 (fin)















DURER




Vous sortez à sa rencontre, cette rencontre quotidienne de votre compagne, elle-même assortie, amenée par la plus ancienne de vos deux chiennes. Vous arrivez d’une autre vie, cela vous aveugle comme une vérité inconnue très longtemps mais souhaitée aussi persévéramment qu’a duré votre ignorance. La naissance et la résurrection ne sont qu’une seule émergence, seul les distingue la souveraineté de la seconde et la dépendance totale de la première. L’intervention chirurgicale était un prétexte, sinon comment auriez-vous présentement la sensation si forte de vous être reposé depuis, comme jamais dans toute votre existence.

Plus tard, il est entré, en familier inattendu dans votre chambre, complet-veston bleu marine, la commissure des lèvres aux oreilles ou presque, la chaleureuse et amicale fraternité-même ; il est encore plus heureux de vous trouver si vif, content de vous avoir incité autant qu’il est possible à la décision que vous avez prise, et dont sur ce lit et avec les protections intimes entre les jambes, vous témoignez. Mais le mettant sur ses propres éphémérides, c’est le concentré d’un événement imprévisible et atterrant, un des élèves de l’Ecole se suicide, interrogatoire pedant trois heures du Procureur de la République, et lui-même revenant à ce démantèlement total et à court terme de la médecine française découragée et décimée par la préférence donnée, encore plus à gauche qu’à droite, à l’investissement privé. Dans le Loiret, aujourd’hui, trois médecins pour mille habitants, d’ici pas quatre ans, un seul. Davantage d’IRM en Grèce qu’en France. Un système judiciaire mettant en cause les praticiens, l’appareil militaire incapable financièrement et juridiquement d’accueillir un transfuge écoeuré de l’Assistance publique parce que déjà professeur agrégé et cef de service. Vous écoûtez votre ami, davantage que six ans ce genre de conversations du soir, où décalé du dialogue médical parce que vous en avez consciemment tout deux fini avec, il raconte et répète cette indignation grandissante, il étaye un pessimisme coléreux que vous n’avez connu quà Jacques FAUVET levant au ciel les bras à cause des turpitudes qui venaient se publier sous sa responsabilité : Quelle équipe ! mais quelle équipe ! et la France n’en était pas même encore aux diamants de BOKASSA 1er. Ests-ce que j’ai des maîtresses, moi ? Il repassait la tête dans l’antre minuscule où vous aviez attendu son moment, en bavardant de sourire et de permanente complicité avec sa secrétaire, laquelle avait de fait sacrifié les vingt ans de son adolescence et de sa jeunesse à aimer le journal, puis – heureusement pour elle, beaucoup moins d’années – à soliloquer dans la pensée que peut-être vous l’aimeriez, elle. Elle vous détesta efficacement ensuite, en chorus de quelques autres qui avaient tout pour former avec vous aussi cette sorte de fraternité de quelques plumes qu’avait toléré un temps, une décennie, le premier étage de cette rue des Italiens à la fabuleuse horloge.

Votre ami défie l’interruption. Il vous aime et a-t-il ces conversations avec d’autres ; il les qualifie de politique, non sans raison puisque ce ne sont pas les idées mais les faits qu’il faut juger. Vous lui devez plus que la vie, le retour à l’équilibre, peut-être même davantage encore : d’avoir découvert votre équilibre, cette expérience aussi mentale que concrète d’Athènes édifiant son Parthénon en comprenant que l’imperfection est cela seul qui peut donner existence et vibration, animation réelle à la perfection. La vérité des relations humaines n’est pas une élucubration, les ombres de la caverne de Platon. Votre compagnie a un texte identique, vous la sentez, chaque jour davantage, meurtrie en profondeur par le souvenir qu’elle a encore, si précis, de ce qu’elle a lu de votre correspondance avec une autre, il y a si peu, et usée fondamentalement comme si c’était devenu sa seconde nature, usée de fatigue phsyiologique et morale, par les années de votre disgrâce et de votre pervérance mentale hors contexte. Votre dispersion est inépuisable, sauf que votre comportement, ce qu’elle s’absorbe à lire en vous, la tarit. Entre votre médecin et votre compagne, la même silhouette d’une mélancolie – au sens clinique – mais la femme peut survivre, et même s’épanouir en enfer, l’autre, parce qu’il ne peut supporter qu’un phénomène soit destructipuisque tout son art propre, son métier et son génie sont au contraire de réparer et de donner aux structures fondamentales l’espace, l’énergie pour réapparaître. Ils vous entourent et vous êtes censément le malade.

Ce milieu d’après-midi où vous rejoignez au seuil de l’hôpital votre affectionnée pour la dernière promenade du genre, glisse d’une manière hallucinante, figée comme sur un tapis roulant de Montparnasse aux Gobelins sur le boulevard la foule des rollers . Spectacle qui vous avait déjà tant impressionnés l’an dernier au haut du boulevard Saint-Michel ; cela vous rappelle soudain cette traversée sans fin de la route étroite, sans bords  définis, rien qu’une direction goudronnée vers l’horizéon que coupait par milliers aussi des moutons dans la steppe kazakhe ; quelques rares cavaliers, parfois des chiens faisant mouvement inverse indiquait qu’il s’agissait d’un passage et non d’une marée étale. Par rapport à l’an dernier, deux changements, plus aucun inexpérimenté et au contraire une décontraction telle qiu’on est au téléphone mobile ou qu’on pousse même une voiture d’enfant ! aussi des policiers en survêtement rèche de toile bleue, un casque de cycliste sur le crâne et le mot les désignant et distinguant : police. Vous avez peine à vous correspondre, comme si cette sensation de tapis roulant vous tétanisait. Elle vous lasse en commençant sitôt la salutation échangée, à peine les lèvres effleurées, mais la chienne remplissant complètement son rôle d’expression et de contemplation, de vie courante, par une description précise mais longue de l’émission dominicale de SCHNEIDERMANN, consacrée le matin aux espaces publicitaires pour la campagne présidentielle américaine, rien que des jeunes en mal d’école ou de discipline ou des vieux à assurer, entourer et soigner. Cas où la même actrice, car rien n’est filmé au hasard ou au vrai, est en petite voiture selon l’un des candidats et ingambe selon le rôle que lui a donné l’adversaire. Puis, vous lui demandez ses sentiments sur vous, vous entrelacez une lassitude qui n’a plus de mots et qui vous unit. Celle où eut lieu l’un des attentats de 1995 – singulière époque d’une guerre de France, quand on ne savait plus s’il y aurait une gauche, que François MITTERRAND n’était pas encore mort et que sur Jacques CHIRAC, élu au troisième parcours, on n’avait pas encore affiché une « bonne feuille » donnée à L’Express, prédisant qu’il serait la risée de l’univers, la station de métro, entre Closerie des Lilas, temple du Recteur SARRAILH, fontaine GARNIER (l’explorateur et ses naïades, tous ensemble verts) et grilles des jardins de l’Observatoire, évoque, éclairée du dedans, un théâtre de poupées, celui de George SAND peut-être et terminant les pans de la verrière, une façon de casque à pointe se fait percevoir. Vote chemin est familier jusqu’à l’Observatoire, puis la rue-musée d’architecture qui a le nom de notre astronome. La nuit tombe, il y a une grande douceur. La question d’évidence est de savoir si notre prochaine campagne présidentielle se rapprochera de cet abus que caricature celle des Etats-Unis, version 2000 enracinée, ou pas ? Vous êtes si souvent passé du coq à l’âne.

Le transit aussi vital que la respiration, et pourtant la physiologie est gouvernée par notre âme. Quoi contente celle-ci. Le regard qui s’adonne, contemplation. Votre regard que vous dérobez non pour vous écartez de chair et d’esprit de qui vous fait face, et vous a entouré de mots et parfois de caresses, est une pudeur vous épargnant l’un l’autre, l’insoutenable dont on ne sait dans le moment s’il est appel ou pénétration, divination peut-être de ce qu’est la commune éternité, depuis qu’existe l’humain. Vous ne cessez d’apprendre, d’interroger toujours sans savoir où tout retenir ? Peut-être est-ce faute de descendance ? ou bien que vous n’avez pas vu se réaliser ce pari que quels que soient sexe, âge, langue, conviction, la fraternité l’emporte sur l’opposition et le mutisme. Dans les romans, les prénoms sont de trop ; on ne les donne qu’en présence de tiers, autant dire hors la vie. Mais l’écho alors est celui d’une réalité dont ces étrangers attesteront qu’elle fut vôtre, que vous avez aimé et que vous avez agi. Et qui, de cette sorte, n’est pas l’étranger de quelqu’un ?

Je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux,
je ne poursuis ni grands desseins ni merveilles qui me dépassent,
non ! mais je garde mon âme égale et silencieuse :
mon âme est en moi comme un enfant,
comme un petit enfant contre sa mère. [1]


[1] - psaume CXXXI

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