lundi 6 août 2012

devenir - l'impossible est notre vie . récit 30 (à suivre)












DEVENIR




Vous ne discernez pas si vous créez, ou si vous copiez. Dans les deux cas, il s’agit d’une unique manière, celle de saisir. Il y eut une année, quelques mois, des circonstances dans votre vie, qui se renouvelèrent une seule autre fois mais sans que vous mettiez au réel votre pulsion admirative d’un dire qui vous venait parce qu’il était décisivement, et à tous risques adressé à un autre. Noter à mesure la structure du dialogue, les mots immémorables que la tension extrême de peut-être faire se finir une liaison, une existence entière, la place et la vérité d’un autre être en soi-même, non comme image, mais en tant que vie indépendante, en tant que personne vivante. Les avortements que constituent, bien souvent d’initiative et d’expériences masculines, ces déchirements inattendus mais définitifs entre deux amants ou deux équipiers de très longue date.

Il voit des choses que personne ne voit, et soudain cela devient irrésistibles.(…) L’ego, on s’aperçoit qu’on lutte pour soi, et non pas pour son objet.(…) Le style n’est pas forcément une forme, ce peut être un regard. La liberté, la peur faisant des gestes, l’oubli entre deux.  L’art de la création n° 137 sur Arte, votre écritoire portable sur le drap de la nuit, une mezzanine dans le XIIème arrondissement de Paris, tout en beige, ocre et les bois cérusés tous. Un double Molière vous a préposé, votre compagne et vous, à garder cette maison dans une impasse à laquelle accéder par du pavement et entre des murs de deux ou troisiècles. Pas de toit, du vitrage aux longueurs étroites des couvertures en zinc au XIXème siècle. Les matinées du dimanche où la stimulation intellectuelle, le mot juste sont à domicile, comme de très proches parents mais qui ne s’imposeraient ni ne décevraient, qui vous prendrait pour dieu ou arbitre. Vous apprenez, c’est du bonheur, vous êtes deux, ensemble, au calme, c’est aussi du bonheur. Un bonheur assez habituel dans votre vie, mais qui suppose tant d’ingrédients ou une telle simplicité, que cela implique un certain savoir-être ou vivre, chez vous. Vous écoutez à plusieurs, de part et d’autre de l’écran et de distances imaginaires, c’est votre amie qui vous a indiqué ces émissions et vous en a donné ensuite l’attente et la fructueuse exploitation. Vous vous souvenez davantage de ces moments que vous avez eus ensemble, en plusieurs sites que de l’étreinte qui avait probablement précédé. La musique vient de la manière dont la main répète le graphisme. (…) Il est vrai qu’au XVIIIème siècle, le chef d’orchestre n’existait pas. (…) La direction fondamentalement ne m’intéresse pas, par mon parcours atypique. François SEIGNEUR, architecte (le projet de terminer la tour d’Amiens, des années 1950). OKUSAÏ : Ce n’est seulement qu’en atteignant l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris la forme des oiseaux, des vagues. Tout ce que je créerai, chaque point, chaque trait vivra. MONET : L’admirable paysage que j’ai dû faire par tous les temps, pour n’en faire qu’un. Moralité : il faut faire ce que l’on peut et se f… absolument du reste. Le même motif, à divers moments de la journée. (…) On entre dans la temporalité en affirmant la sensitivité. Un créateur ne peut pas être soumis à un programme, amenant un consensus. L’euphorisme de la normalité, de la tranquillité.(…) Tuez l’artiste, et l’art sera plus calme (PROUDHON). Comment vais-je trouver cet « en route ». Se trouver capable de faire ce que l’on faisait hier. Il y a des jours, où l’on se fait des illusions Le nu, le langage plus général, et le moins assujetti à la mode (sauf qu’en ce domaine, le choix, le regard, l’évaluation subjectifs d’un corps que l’on attend nu sont très tributaire de la mode, la coïncidence avec la mode valorise l’objet choisi, mais sans doute cette subordination dévalorise celui qui y consent. La création consiste alors soit à admirer le nu quand il se présente et apparaît, soit à préférer d’avance un corps tel qu’il sera, nonobstant la mode régnant sur les goûts et tropisme d’une époque). Le temps d’un romancier, d’un musicien, le temps de l’artiste plastique ; il peut être jugé en une fraction de seconde.

Appliquées non au politique de profession, mais au génie en politique, ces réflexions sur l’art . . .   Je ne comprends pas le sujet, de quoi s’agit-il ? Nous étions deux à le savoir, Dieu et moi. Quand on regarde l’ensemble de la vie d’un artiste, c’est un peu son portrait qu’il a toujours fait. L’artiste se demande s’il y a encore des choses à faire. 1968-1969, le double défi, pour de GAULLE celui de Napoléon, pendant les Cent-Jours, l’infinité des possibles et l’impossibilité totale du moment, du fait de tous ceux qui l’ont précédées et où l’on a réalisé, alors que pour les petits de la politique, ceux qui ne seront que des gestionnaires, le moment n’est pas celui de la fin (il est indifférent qu’ils finissent du point de vue de l’art, puisqu’ils n’ont rien fait par eux-mêmes) mais celui du commencement, parce qu’ils refusent d’être un  commencement : ROCARD et la société civile, la politique sans les partis, sans imposer à ces quelques ministres qui n’ont pas la carte au PS toutes les habitudes de cette étiquette ; JOSPIN à Vilvorde et à Amsterdam, et ceux qui veulent commencer, François MITTERRAND appliquant les « cent une priorités » de 1981 ou Jacques CHIRAC ordonnant notre reprise des eessais nucléaires. Et l’autre défi porte sur le changement du domaine d’application de son talent, qu’impose, par exemple, à COUVE de MURVILLE sa nomination comme Premier Ministre : il a double charge, une autre gestion de l’économie, une autre manière en politique, toutes deux en totale rupture avec les manières de POMPIDOU qui avaient été, après DEBRE, un retour aux Républiques et aux façons d’antan. De GAULLE et COUVE de MURVILLE échouent, alors,  parce qu’ils ont déjà fini. Ce qui n’enlève rien à ce qu’ils ont fait, ne les prive pas eux-mêmes, sauf nostalgie ou tristesse toutes humaines, mais sans poids d’Histoire

La représentation du temps, en sculpture notamment, appelle l’image du cœur, de son battement, qui est – le rythme inné du vivant – l’origine en logique du fonctionnement humain. Le moment où je le vois partir, apparaître, comme je l'avais conçu, le moment où apparaît un corps comme j'en avais eu la vision. C'est extraordinaire. Je me demande ce que je vais faire, je ne commence le travail que quand il est conçu. La politique d’aujourd’hui Un artiste peut faire de très bons faux de lui-même. La question de la beauté est la question de la qualité de la vie, du sens que chacun peut porter en soi. L’arrêt-sur-image n’est pas une maîtrise du temps ni un compréhension de la vie (de la liberté). NAKKADO : la combinaison des sons et des images. L’histoire est née à partir d’un accident. Les concepts (du temps) sont nombreux, mais tout d‘un coup on se pose la question des valeurs, quelle est la valeur du temps ? Le génie propre du français, ou d’une langue quand elle est parlée à son état le plus pour psosible, compte tenu du métissage de tout parler (inflence des rencontres de tiers sur le parler, et aussi de l’objet du parler Equilibre indispensable pour que la tête, quelque part, puisse à un moment s’envoler ailleurs. (…)Il faut zéro seconde pour faire le plus long voyage au monde (dit-il déplacement ? dépaysement ?)le passage ailleurs est-il seulement mental ou est-il par la mobilisation de tous nos sens dans ce déplacement, ce dépaysement, un vértable déplacement corporel ? Ou bien n’est-ce qu’une évocation ? Dans les deux cas, il y a cependant de l’exceptionnel, du surhumain par rapport au quotidien, au banal, au fini : puisque soit l’on maîtrise la dimension de toutes les dimensions, en se déplaçant, en s’en émancipant, soit l’on attire et l’on contient tout l’univers plus au sens des multiples dimensions, les dimensions connues et les dimensions inconnues, que de son contenu, de sa densité).

Le sur-rythme qu’aucune civilisation n’a connu auparavant, l’impression d’un tourbillon que rien n’assemble, c’est la question du temps qui a fait surface, jusques-là le temps était une surface d’installation, de stabilité, avance le commentateur. Histoire contemporaine et pourtant si lointaine et déjà tant effacée, ensevelie, ré-imaginée. La qualité de de GAULLE comme de son meilleur ministre, chacun dans sa position, sinon dans son art, a été de mettre une telle intelligibilité, selon eux, dans leur époque, qu’ils ont structuré celle-ci, tant aux yeux de leurs partenaires que de tous leurs contemporains, et après eux des générations dont nous sommes. Ils en ont fait ainsi un objet de travail, les circonstances d’une création (celle du retour ou de la venue, consciente et voulue, d’une personnalité nationale dans un monde donné qui ne l’attendait plus, l’ignorait en fait). Ainsi des circonstances complexes sont elles devenues une histoire très simple, un lieu précis, la scène internationale ; il n’est pas indifférent que le chef d’œuvre atteint, il y ait eu la vulnérabilité à la base : le socle de l’adhésion populaire, de la santé économique s’est soudain fissuré comme si par en-dessous ou du dedans quelque chose avait voulu surgir, n’ayant rien à avoir avec… mais l’ébranlant par le fait-même.

LEVINAS : Il ne faut pas se tuer à être. D’un autre, qui continue, Moi qui essaie de faire des ponts entre la sculpture et l’architecture.C’est aussi une lutte contre le temps. Il n’y a pas d’œuvre d’art, il y a des gens qui lisent, qui voient des œuvres d’art. Effectivement,  j’ai l’impression seulement maintenant d’être prêt à sculpter [1]...

Les multiples maîtres, les mots innombrables (sauf par une machine) d’un livre, les silhouettes et instants éphémères présentant l’éternel féminin, nulle réponse et aucun sens si une question n’est posée, si un relationnement n’est choisi a priori. Mais ce présupposé n’est pas arbitraire, l’être qui le pose s’est choisi, il a choisi de devenir, tel qu’ilest et à partir de qu’il est.La syntaxe le rend sensible à ce fait qu’il devient à lui-même l’objet d’une œuvre qu’il ne faut pas rater, un objet auquel consacrer toutes ses forces. Et les instruments sont de l’ordre spirituel. Rien, à ce commencement, n’est arbitraire parce qu’être arrivé à un tel moment de l’existence humaine suppose de la durée, des échecs, une conduite antérieure de la vie qu’aurait dirigée les circonstances aveugles et les autres peu ou pas intéressés, en tout cas pas vitalement intéressés à l’aboutissement de cette vie, la vôtre. Exception, cet inconnu qu’est le partenaire dans un couple, dont l’intimité ne signifie pas qu’il soit plus élucidable que vous ne l’êtes ni que vous soyez apte à le connaître au plus nécessaire et irrémissible de lui. Mais une solidarité, choisie ou acceptée, peu importe car en l’affaire ne compte que la solidarité, rend légitime et favorable le partage de l’expérience,la tentative ensemble de formuler les questions. Seul ou en couple, en communauté d’un groupe s’étant coopté à cette fin, reconnaître que l’existence humaine a le sens que nous lui donnons,la trajectoire d’une marche à la perfection, crée, provoque et entretient ce goût de réussir. Le succès est d’un autre ordre que celui d’une vie involontairement vécue. Prendre les moyens de devenir, travailler à réaliser en soi la figure qui n’a aucun substitut, et la manquer ou surseoir à ce travail, dispose la pente douloureuse de la mésestime de soi et des tentatives d’accaparer tout et son contraire, l’or et la beauté, la sécurité et l’aventure, est un choix, mais pas au sens commun du terme. Choisir n’est pas dénouer une alternative en méconnaissance orgueilleuse de l’équilibre apparent de celle-ci. C’est recevoir une certaine grâce dont la prise de conscience n’implique pas une appartenance ou une éducation de fait ou de dilection, et l’effet de celle-ci est de cristalliser et hiérarchiser des éléments que nous ne savions jusques là questionner ni interpréter, muets devant un destin manqué, devant l’âge ou la maladie, leurs séquelles mûtilantes et atrophiantes. Alors, il devient possible, jour après jour, événements après revers ou moment de gloire, rencontres après rencontres que le truchement en soit le livre d’un compagnon que lèguent quelques siècles lointain, ou un endroit dont le paysage, la climatologie du moment où l’on s’y trouve parlent à l’âme, ou encore un de nos semblables dont le visage,l’expression, la parole – fut-ce d’un instant, fut-ce d’années nombreuses qu’ont polies l’habitude et la pitié, l’instinct de tolérance et celui d’ouverture - d’approfondir ce dont nous libérer, ce à quoi nous attacher. Cette perception du prix de la vie et de la responsabilité qu’on en a, et en quoi l’équilibre humain, parce qu’il est reçu et non conquis, est d’abord personnel sans qu’il soit jamais possible de troquer ou d’ajouter selon ce que d’autres suggèreraient ou apporteraient – car personne ne dispose de sa propre essence -est peu communicable même aux frères ou sœurs de marche,même aux conjoints, même aux apparentés de sang ou de culture.

La psychologie et le spirituel ont raison d’appeler travail ce mouvement de prise de conscience et de mise en branle, en route. Il a son matériau tout disposé du fait de votre nudité, de votre déréliction, vous n’avez plus de point d’appui et de matière que vous-même, puisque tout vous a été retiré, sans qu’il y ait plus besoin de comprendre, d’analyser comment cela survint et s’appliqua à vous. Sa rétribution est immédiate puisque l’être en totalité se sent enfin accepté par lui-même. La réconciliation coincide avec le rassemblement de toutes vos facultés, de l’intégralité de votre histoire personnelle et fait, en vous, l’unité intérieure. Ce que vous avez vécu, ce par quoi vous êtes passé, ce que vous allez vivre, ce par quoi vous passerez, ce que vous avez subi et subirez sont votre avoir, votre équipement pour enfin commencer. Vous n’auriez pu commencer plus tôt. Les apparences de ce travail sont une œuvre, des structures pour l’usage de votre temps, de votre biologie au point où ils en sont de leur épuisement ou de leur résidu, cette détenteen vous, cette souplesse peuvent paraître tension et concentration aux tiers, ou à vous-même physiquement, mentalement recruté, fatigué à mesure que vous aurez avancé, que vous avancez. Certitude et connaissance que vous avez désormais d’être votre principal acteur, vous ne dépendez plus de la faveur de celle que vous courtisez ou avez courtisée, de la bienveillance et des projets ou négligences de vos employeurs. Jouissance par ce que vous possédez en propre, et votre faiblesse, votre lassitude, la précarité de votre santé, de vos finances vous font jubiler d’une subtile dépendance de ce que vous savez et vivez désormais comme étant la vie-même, le propre de la vie.

Rien n’est moins abstrait. Encore moins facultatif. Vous n’avez pas prévu vos échecs que vous les ayez, involontairement ou non, précipités. Ils font partie, par leur continuité avec votre vie antérieure, de votre expérience autant que votre impuissance, elle aussi vécue, à vous tirer de l’entremêlement de chacune de vos relations avec autrui, avec lasociété, avec telle femme, avec les vôtres, avec vos propres souvenirs ou avec vos hantises,avec vos talents-mêmes et vos défauts. Vous avez tourné, pleuré, vous avez été hospitalisé, soigné, diagnostiqué, vous pourriez raconter une fois encore les éphémérides et les principaux lieux, les protagonistes, rien ne vous fait trouver une issue, la porte ouverte que ce soit celle d’une restauration en l’état précédent ou celle d’une nouvelle aventure : un ré-emploi ailleurs que dans l’administration, une énième liaison amoureuse tranchant sur les autres en moins illusoire ou en plus doré matériellement. Cependant quelques-uns des éléments de votre ancien avoir s’avèrent valables, utiles et vous ont secouru : un bien immobilier vous a tenu en posture de combattre et d’imaginer, la documentation et la rédaction de la biographie que vous avez entreprise ont restitué à vos journées et à votre agenda le nerf d’un plein-temps, la participation liturgique et des lectures de textes plus répétitives qu’antan vous ont ouvert l’oreille à une autre dialectique que celles des demandes sans réponses à votre ancienne administration, à votre amoureuse perdue. Tant que vous n’aviez pas confiance dans une utilité décisive de votre passé et dans une ductilité de votre avenir, vous restiez sur le même plan qu’auparavant, des surimpresions dans une existence dépendante de tant de génies dont aucun n’était le vôtre, des ajouts, à peine des compensations, votre personnage paraissait composite et vous nuisait, parce qu’il était hétérogène, vous vous fiiez à une transcendance que vous ne pratiquiez qu’hors épure et en moments de reste, vous pensiez vous accomplir en affectant affectivité et concentration à des objets qui n’étaient pas vôtres et qui se dérobèrent.

Vous êtes entré dans un autre mode de vie aussi insensiblement et sûrement qu’il y a quelques années,vous vous étiez introduit, en aveugle, dans les impasses où vous avez violemment, déséspérément, puis de plus en plus morbidement tourné, retourné en animal qui n’a pas conscience ni mémoire que l’entrée et la sortie de la nasse sont une seule voie, mais qu’en cela elles imposent ensemble un sens, que naturellement on n’a pas, celui de la marche. S’orienter suppose un but, que soit défini le lieu à atteindre, où parvenir.

La vie se traite comme une affaire, comme un bien viager précisément. Unique selon certains de ses aspects, fongible selon les autres. L’amour quand il y est – et c’est à demeure – ne se dit ni ne se voit ni du dedans, ni du dehors : il s’accorde. Il est l’unique chemin ou la seule issue pour aller, pénétrer au-dedans, pour aller, sortir au dehors, et atteindre qui il cherche.  Il trouve, débouche, approfondit par attirance, il n’a pas d’origine, il a des manifestations, il a une visée, il est ambitieux. Il est formateur. Alors soi, moi, toi, nous en tous les temps, vous, ilsen tous lieux et sous toutes formes, sont proches, durent et se connaissent, d’autant mieux qu’ils sont distincts, s’unissent d’autant plus que ne se distingue plus l’analogue de l’incomparable.

Le bonheur n’est pas d’être unique, mais de reconnaître l’unique, avec ou sans majuscule, Dieu, homme, femme, cause, folie ou aveu.

Quand on vous a plaqué sur le nez le masque à oxygène, vous avez pensé qu’il était ennuyeux que vous ne vous soyez pas mouché avant. Autour d’une date que vous n’avez confirmé que quatre jours avant qu’elle ne tombe, et vous avec sur la table d’opération, se sont répandus en un grouillement de semis au printemps, levant sans ordre ni chronologie, des événements qui eussent, à d’autres heures, été immenses. Votre compagne n’en pût plus de vous sentir à ce point et si injustement – selon elle, quant à votre bien comme au sien – habité d’une étrangère toujours espérée, jamais belle au moral ni au physique – selon elle, encore. Il y eut une semaine entière de folie dépensée de part et d’autre entre vous deux, elle siffla toute une haine étonnamment cohérente mais impossible à mettre en regard avec les soins, l’amour et l’intuition qu’elle a pour vous, et vous répondîtes sans vaciller que vous tenez à elle, que vous n’êtes ni monstrueux ni parjure. De Saint-Petersbourg parvinrent de plus en plus nombreuses des lettres dont l’ultime envisageait tellement un retour ou un commencement de la vie commune avec vous, que vous pûtes devenir cohérent, lui dire ce qu’on allait vous ôter, qu’ainsi si elle aussi devenait persistante, elle aurait tous les éléments en intelligence et dans la chair pour se décider et se propager. Elle vous appela par téléphone – fait insigne – mais du tout pour apprécier le moment de vous retrouver. Vous aviez correspondu avec les hauteurs ultimes de sa hiérarchie locale, télécopié et, ignorant son nom de conjugalité, aviez publié ainsi que pour certains, vous surtout, elle n’est que demoiselle et donc à jouer double. Ensuite, votre lettre où vous lui mettiez tout à voir et à peser n’eût sa réponse qu’étrangement. Vous fermiez votre maison, au bout de la route était la banque du sperme, à heure fixée, et dont elle-même était putativement la créditrice, quand elle vous appela au téléphone. Vous préférâtes la laisser dire sans interruption un texte dont vous auriez meilleur profit en en écoutant l’enregistrement d’affilée. Vous entendites que c’était bien elle et que la lettre d’importance lui était de fait parvenue, le reste se perdît dans vos préparatifs. Deux tempêtes fabriquèrent du sens. Un bord de mer y est toujours réceptif. La première effaça le message puisque l’électricité fut – peu importe combien de temps – coupée. La seconde vient d’abattre celui des deux arbres, morts d’apparence mais irrésisitibles de symbolisme dans leur nudité égale d’hiver et d’été, que vous regardiez, dans le couple figuré, comme la jeune fille, plus élancée, plus diversifiée de silhouette, plus compliquée aussi que l’autre chêne plus court et plus simple.

La suite est d’apprendre comment redevenir continent, ce qui – si vous l’acquérez vite et ce semble être le cas – présagera du reste. La politique a dérivé depuis qu’un mort, en France, a parlé, bras de chemises et bretelles, beaucoup de noms de personnes et de matière à recoupement, et – à votre monastère breton – vous allez revoir un homme, le religieux venant de l’Afrique à laquelle vous l’aviez initié, et qui auparavant, au temps des rencontres, ne sut ni vous conseiller ni vous orienter, et en cela vous forma. La conclusion n’appartient jamais à personne, plus la mort nous jouxte, plus nous vivons et savons notre liberté. Il y a peu à débattre et l’écrit ne demeure et n’est communiquant que s’il traite de l’universel particulièrement ressenti. Ainsi, êtes-vous prêt pour l’inconnu, comme – après une journée où il y eut à se battre - on éteint la lampe et s’étend pour dormir.

Une citation vous est donnée d’un autre bord, la signature égarée.

Quoi de plus vital et de plus vain que le travail de mémoire ?

Vous diriez plutôt – d’expérience de ces six ans où tout vous a été enlevé méticuleusement et pas anonymement – qu’il n’est d’expression de quoi que ce soit à qui que ce soit, que la prière. Le recueillement consiste à entendre nouvellement ce qui ne vient pas de vous, mais fait mélange avec vous en sorte que tout existe et que rien ne sera perdu.

Vous récapitulez, ce que vous avez à faire et à être, à élucider encore et à conquérir,  ce dont vous êtes en puissance, ce soir, tout cela est léger et tient dans les quatre coins d’un mouchoir qu’un enfant, y ayant tout mis pour tout donner tendrait en offrande à Dieu. Inopinément, entre votre chirurgien : les résultats sont très bons, la lésion était extrêmement localisée, plus encore qu’on n’en avait la conviction ou le pressentiment avant l’ablation. Il sort du bloc opératoire et, comme le plus souvent, est à bout de fatigue, mais le visage, l’élocution, la présence sont de précision. Lui, votre médecin traitant, vous, la totalité de l’univers avez eu raison. Les morts dont vous assurez la veille ou la biographie, sourient quelque part. De votre chambre, on n’entend pas la ville et, à votre seuil en Armorique, le ciel nocturne est si intégral parfois qu’à le regarder, vous en possédez la dimension et l’extensivité.

On dirait, doctement, que vous sortez d’un état dépressif, et en êtes, quelque peu, exalté. Autour de vous, à tous les étages : des patients, des gardes, des appels et du vide quand on n’a plus même à consentir. Du temps davantage que de la vie.



[1] - sur Arte, dimanche 20 Février 2000, 137ème émission « l’art de la création »

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