T
é h é r a n
Mardi 10 Novembre
1970
Le Général de
Gaulle
Je ne parviens
pas à me persuader
qu’il est mort .
A l’instar de
Maman .
il restera à
jamais vivant
en moi
Ma vie en est
décidée .
Il nous a rendu
l’intelligence
et la foi en la
France .
et en nous tous .
Il nous faut en
avoir l’imagination
la volonté et la
lucidité .
Extraordinaire
vanité du monde
des gestes et des
seconndes
qui passent .
Plus rien ne
m’intéresse .
Il n’y a de
problème que la vie .
C’est le seul qui
ne soit pas gratuit
et qui nous
engage .
Vanité du monde
Et
non-signification de la plupart
des gestes et des
paroles .
Pourquoi es-tu
mort ?
alors que je te
veux vivant ?
plus vivant .
beau et vrai
que je puisse
jamais souhaiter l’être
moi-même ?
_
A é r o p o r
t d e T é h é r a n
mercredi 11 novembre 1970
21 h 10
J’ai
donc pris la décision . un peu folle peut-être –
mais c’est quelque chose que je veux
profondément –
et je ne peux faire autrement –
de prendre l’avion d’Abadan pour Paris
et tenter d’être demain à Colombey .
Où j’en ai le pressentiemnt . il y aura
au moins
autant de monde . que sur les
Champs-Elysées
le 30 Mai . . .
De Gaulle est extraordinairement vivant .
C’est ce qui me frappe de plus en plus
sur les photos
que je regarde . et quand je récapitule
ces dernières
années .
Qu’il ne vit plus sur notre terre .
physiquement .
me paraît proprement irréalisable .
Il est pour moi évident que je dois être
là-bas
pour lui rendre hommage .
Il a changé la vie de millions d’êtres .
dont la mienne .
e n v o l
. e n t r e P a r i s e t
T e l A v i v
vendredi 13 novembre 1970
11 h 45
Obsèques du Général de Gaulle hier
après-midi
à Colombey .
Sentiment profond d’irréalité . hier . et
encore
maintenant ( Pasternak a écrit avenue de Breteuil :
« La mort n’est pas pour vous »
) .
Comme tout le monde . je ne peux réaliser
que de
Gaulle n’est plus . parce qu’évidemment
l’existence .
l’influence . l’exemple . le message de
de Gaulle
sont au-delà des phénomènes de vie et de
mort .
et qu’il reste d’une extraordinaire
présence dans nos esprits.
La cérémonie elle-même – par très beau
temps
( de Gaulle avait toujours beau temps
quand il
présidait une cérémonie ) a été assez
brève .
Plus un dialogue intérieur . une prière
que je n’ai
pas assez faite . que réellement une
ambiance
collective à laquelle Clombey . toute en
petites rues
et à l’église minuscule ne se prête guère
.
Madame de Gaulle à peine devinable dans ses voiles
Edgar Faure . vieilli . Jeanneney
semblable à lui-même .
et surtout André Malraux . craquant de
souffrance .
le ruban vert des Compagnons de la
Libération
éclatant sur son manteau noir .
Les plumes légères des casoars
saint-cyriens .
le silence et la ma --- de l’ E B R
couvert de tricolore . très lent . mais
ne paraît
qu’en --- sous mes yeux .
Plus un geste que j’ai posé . et qui sera
celui de
toute ma vie . que le recueillement et la
prière
que j’aurai voulu avoir et que j’espère
avoir en Janvier .
Messe très simple . bien retransmise . ce
qui permettait
de répondre et de chanter . Mais vacarme
des
hélicoptères de télévision . et longue
attente
– et ambiance trop détendue – pour défiler devant
la tombe de Anne
et du Général .
Souvenir et image
très nette que tout était tricolore
le blanc du ciel
. le pâle des visages et des casoars
et le rouge des
feuillages .
Car à vrai dire . il y avait très peu de
chapeaux
et beaucoup de gens .
_
Le drame . c’est que de Gaulle ne
reviendra plus au pouvoir
c’est maintenant sûr .
Que les mémoires ne sont pas achevés . à
moins que des
dispositions aient été prises par lui .
pour que l’on ait
un ersatz . ou des correspondances .
La situation politique et l’attitude de
Georges Pompidou
vont définitivement décanter .
Si j’en ai la possibilité . je me
présente aux
élections législatives de 1973 .
En attendant . je « casse le
morceau » avec Debré
et pendant ce voyage . j’essaie de mettre
au point
un nouveau livre .
Geste d’Air France qui
m’a offert mon retour vers Téhéran .
Amour et certitude de Geneviève .
profondément
ouverte à moi . Mais moi ?
Et Maman qui a parfaitement compris mon
geste .
Poids terrible du destin et de l’échec de
Papa .
Le Général de Gaulle .
par essence et par excellence . l’information
.
Mais l’exemple « valable en tout
temps . en tout cas
et en tout lieu « d’une droiture et
d’une dignité
qui viennent de je ne sais qui ni où .
mais de très haut et de très vrai .
De Gaulle . chrétien . contemple des
morts
qui situe sa vie dans toute sa simplicité
.
car il s’est voulu . sur le plan
religieux et essentiel .
quelqu’un de la base . de la piétaille .
au bout du cimetière . une croix parmi
d’autres .
_
neuf pages = notations brèves au Japon
et en Indonésie
Mercredi 30 Décembre 1970
J’ai été reçu hier à 17 h 15 . une
vingtaine
de minutes par Michel Debré .
Il avait ma lettre du Japon et mon
libelle .
M’a demandé immédiatement « Que
faites-vous ? »
Je lui ai exposé que je revenais de mon
voyage
d’études autour du monde . que j’allais
reprendre
la D R E E . M’a demandé si j’allais prendre un poste .
Lui ai répondu que non . ai exposé
pourquoi .
Lui ai rapidement dit ce que je
souhaitais :
apprendre à travailler et réfléchir . un
métier .
Préparation de l’algrégation . Mais ne
m’absorbera pas
et si faisait appel à moi . je la remettrais volontiers
à plus tard . M’a demandé si j’avais des
attaches
territoriales . Lui ai parlé du Périgord
. mais que je n’en
avais plus . M’a dit que cela n’avait pas
d’importance .
Allusionà mon cœur de la diplomatie [1].
M’a demandé si j’étais disponible . Lui
ai répondu que oui
Dit revoir l’organisation et le nombre de
ses collaborateurs
après les municipales en Mars prochain .
Me fera alors signe
Inutile de rester en contact . Se souvient
de moi .
Sur le pas de la porte . m’a félicité
pour mon libelle .
M’avait auparavant demandé ce que
j’allais en faire .
Lui ai dit mon échec à le faire éditer .
Dit que c’était
dommage . car bonne chose qu’il eut paru
dans les 6 mois
du départ du Général .
Sur le pas de la porte donc . m’a dit
surtout qu’il avait
apprécié les
chapitres du début . Lui ai dit que c‘était rare
que mon mouvement de pensée ait été ainsi
compris .
car généralement mes lecteurs avaient
davantage apprécié la fin
M’a dit aussi que la forme était bonne .
Je l’ai donc quitté confiant . et bien
impressionné par lui .
Mais sans connaître son impression sur
moi .
Immense bureau : presque une salle .
Dans une obscurité
presque totale . Seule une lampe sur la
table de travail
dans l’angle le plus au fond . et à côté
de la fenêtre
donnant sur le jardin enneigé . entre la
cheminée et le bureau :
deux photos sur une table de
décharge : en noir et blanc .
le général de Gaulle . en uniforme .
posant pour une photo officielle
de Président de la République . et une autre . en médaillés
en profil . de son père ?
Le visage est plus beau que sur les
photos . et surtout celles
d’il y a dix ans . Suite de gris et
d’ivoire . mais
serein . Apparemment pas la nervosité
qu’on lui prête .
Le geste et la parole sont bien posés .
Décrochant le récepteur d’un téléphone .
il fait penser à un médecin
de médecine générale . dont il a le teint
. le costume . le sérieux .
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