mercredi 16 novembre 2016

livre suite - chapitre III . l'air vif de la démocratie . suite



En permanence et plus ils/elles se ressemblent, les politiques exhibent une image conseillée, censément la leur propre. La réception est la tendance à juger la politique comme un art désuet, sans scenario et accaparé par des seconds rôles, qui n’accèdent au premier que par défaut. Jacques Chirac, quoiqu’ayant subi des périodes d’impopularité, conserva l’essentiel de ses débuts en « jeune loup » : la sympathie, la proximité, l’alacrité. Il parut toujours attentif et ouvert, ses violences ou ses simplismes ne furent pas retenus, hors l’odeur évoquée sur estrade à Orléans, mais très longtemps après Maitgon et avant l’Elysée. Quoique les gestes soient ridicules souvent, et les tics nombreux à l’oral et en jeu de jambes, la prestance a toujours existé : physique flatteur et pas de timidité, jusqu’à passer la main dans le dos de la reine d’Angleterre. L’image de Nicolas Sarkozy s’est accentuée d’année en année, sans varier de pourtour, les derniers jours de campagne pour la primaire ont surligné le décisif : l’exagération constante tandis que la prétention ou l’excuse de parler comme pense tout le monde se sont faites moindres. Bien habillé, ce qui n’est pas votre cas et s’est remarqué sans que vous y remédiez dès que l’état de grâce vous a été ôté, dès que vos dialogues avec Mittal vous ont révélé à nous sans puissance en tête-à-tête. Costumes nets et bien coupés, Nicolas Sarkozy à l’écran et au vivant n’est pas mal, il fait même oublier sa petite taille – je l’ai vu passer à quelques mètres de moi dans les églises qu’affectionne à leur mort la République pour ses hauts placés [1], puis à Chelsea, en plein air, pour le soixantième anniversaire de l’appel du 18 Juin – mais en parole ses gestes sont d’une marionnette, au point qu’a été diagnostiqué un syndrome de La Tourette, et que la dilatation parfois de ses pupilles donnait à croire qu’il était en sevrage de quelque dopage. De même âge, ayant ambitionné – imprudemment – de n’être que normal, le visage peu expressif, sans angle, vous pouviez soigner votre apparence. A l’étonnement de nous tous, et du mien, vouss n’avez jamais su être habillé tranquillement, librement. Toujours engoncé et avec un geste fréquemment, main et avant-bras rejetant en quelque arrière mystérieux des volumes, des arguments, une importunité loin de vous mais qui vous était venue de face. Ni pour vous, ni pour vos deux prédécesseurs, la silhouette, l’élocution, le ton ne nous en imposent. Tout le contraire des quatre premiers président de la Cinquième République et – coincidence – ceux-là n’ont jamais véhiculé une ambition de gestion, ni celle d’une proximité affectée, sauf peut-être Valéry Giscard d’Estaing faisant organiser des invitations à dîner chez l’habitant, avec menu convenu et vaisselle de l’Etat à conserver par les hôtes. Mais la palette était plus vaste que cette lubie. Lui, François Mitterrand, Georges Pompidou ont chacun su parler aux journalistes et aux Français. De Gaulle n’avait qu’un seul auditoire, la France proposée et réenseignée constamment aux Français. François Mitterrand déploya un art extraordinaire d’autorité, de confidence, de compagnonnage, de majesté sur les sujets les plus banaux comme les plus risqués. Chacun était distingué par les Français de leurs Premiers ministres successifs, ce qu’accentua la pratique – loisible mais non écrite dans notre Constitution – de la cohabitation. Pas tant de deux personnalités, c’est presque toujours le cas, mais de deux camps politiques puisque la victoire de la gauche en Mai 1981 fit apparaître progressivement la droite comme une appellation de parti ou de coalition de partis.

Ces affichages divers mais toujours de même format et dans des circonstances toujours identiques n’ont pas enrichi la relation entre vos prédécesseurs immédiats, et encore moins la vôtre, avec nous. Une communication presque quotidienne, ressentie sans doute par vous comme une obligation et non un instrument, n’est pas non plus une relation, encore moins une écoute.

Alors ?

L’exemple fondateur de la France libre a pour premier élément la confiance et la connaissance mutuelle, sur un pied d’égalité entre les protagonistes de l’aventure, quoique tous nommés et n’ayant de relations entre eux que selon cette appartenance au même organisme.  Mais celui qui les consulte sur le point capital : la raison d’être de l’entreprise et sa différence d’avec Vichy, dans l’absolu et selon diverses circonstances possibles et à venir, ne se pose ni en chef ni en arbitre. Il n’a pas seulement besoin de troupes et de combattants, mais de conseil. Il incarne une cause, et même des idées, une attitude qui lui viennent des autres. Il est appelé par les circonstances, par un mouvement de l’âme nationale qu’il a su discerner, telle quelle, parce qu’il a à l’extrême, au plus profond, «  une certaine idée de la France ». Et le frémissement [2] d’une âme, celui qui connaît la personne ainsi animée, ne peut s’y tromper. La connaissance mutuelle est au-delà de toute psychologie. La refondation française à partir de 1958 est forte de vocables, de locutions, de concepts, sans doute latents chez nous en vie publique dès les années 1930, et portant sur des réalités qui apparaissaient nettement comme notre caractéristique, nos points forts et d’expérience, mais n’étaient pas encore à l’honneur et aux frontispices. Le sens de l’Etat, le service public. Même l’attention de la République au prestige, depuis sa véritable mais tâtonnante fondation en conséquence pratique du désastre de 1870-1871, trouva de nouvelles appellations : le rang, la grandeur. Le vocabulaire d’aujourd’hui est tout autre, si même il en existe un pour dire, nous dire l’un à l’autre et de tous à tous, le devoir qu’a la France d’être la France. Il y a eu un indice, pas relevé vraiment, et pas par vous alors que vous auriez dû vous en saisir et nous l’exposer. Cet indice fut révélé par un sondage à propos de l’accueil des déplacés, des migrants, de celles et ceux, femmes, enfants, vieillards, hommes de chaque âge : près de 60% d’entre nous l’ont – un instant ? durablement si l’on approfondissait ? – ressenti comme un point d’honneur.

Voilà le point de départ d’un tour de table en conseil des ministres, voilà le sujet d’entretiens particuliers. Votre rôle, votre fonction ne sont pas d’abord de décider mais de susciter les esprits. Cela commence en petit cercle, cela s’achève et devient construction sur le plan national. La circulation des opinions, ni le cahier des doléances – encore que ceux rédigés à l’automne de 1788 témoigne d’une vraie maturité de nos ascendants, gageant sans doute la qualité des débats et des productions des assemblées de notre Révolution – ni la simple information sur un fond de dossier ou sur des expériences déjà pratiquées et exploitées. Mais la recherche de l’esprit commun qui va s’appliquer – tous étant d’accord et contributifs – à un sujet difficile. La mise au referendum ne doit pas être la marque d’une hésitation, la défausse d’un gouvernement, d’un président qui ne se déterminent pas dans la crainte d’une censure plus que d’une erreur, elle est le chemin d’un consensus, donc elle doit dégager une force vis-à-vis de nous-mêmes et vis-à-vis de l’étranger, de nos partenaires. C’est ce qu’a manqué Jacques Chirac à la suite du referendum négatif du 27 Mai 2005. Il y avait déjà l’occurrence démocratique qui ne fut pas saisie – ce qui n’a pas empêché depuis que prenne cours la certitude que tout referendum est suicidaire, or Jacques Chirac avait survécu quoique par le viol de la démocratie, mais sans que cela lui soit reproché, je l’ai dit déjà – il y eut l’occasion manquée d’un tour de l’Europe pour expliquer ce que pouvait avoir de pédagogie générale le refus français, suivi du refus néerlandais. Faire aussitôt un autre traité, encore plus concerté. Alerter sur les dérives déjà constatées qui motivaient le début des rejets de l’entreprise autrefois si populaire, par des parts de plus en plus grandes des opinions publiques dans chacun des Etats-membres.
Vous ne délibérez pas, vous n’allez pas au referendum. Vous n’êtes pas en confiance avec vos partenaires, avec vos ministres, à commencer par le Premier d’entre eux depuis que vous avez remplacé par un compétiteur celui qui était loyal au possible, et qui d’ailleurs portait un sujet essentiel et tout à fait de sa compétence, qui est distincte des vôtres : la réforme fiscale, la « mise à plat », projetait Jean-Marc Ayrault. Votre ambition – juste et légitime – d’une démocratie sociale caractérisée par la négociation entre les partenaires reconnus et aussi par les gestions partagées des principaux organes de solidarité soiale, ne correspond pas à votre pratique personnelle. Celle de votre prédécesseur n’était pas davantage consensuelle ni démocratique, mais singulièrement cela n’a pas marqué le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Sa constante mise en avant de lui-même et de ses vues à presque tout propos, a passé pour une lecture acceptable de notre Constitution donnant le premier rôle au président de la République qui est explicitement le chef : chef de l’Etat, chef des armées, même si ces responsabilités royales sont secondes dans l’énumération des prérogatives présidentielles. Sa communication a toujours été une revendication et son ultime posture de « candidat du peuple » est sans doute un énoncé de circonstance, mais elle a de l’antériorité et des références : parler au nom des gens et selon le sens supposé commun (la vue personnelle imposée publiquement parce qu’elle serait celle de tout le monde, au moins implicitement). Prendre la parole pour les sans-voix – vous avez eu la maladresse de stigmatiser les sans-dents – a encore une consonnance démocratique. Mais communiquer pour maintenir une présence dans l’espace public lasse et plus dangeureusement sous-entend la peur de ne plus exister. Vous n’avez donc pas compris – au moins jusqu’à présent mais c’est ce que j’espère de vous pour que votre second mandat rachète le premier – que votre prérogative fondatrice de tout dans notre pays et pour son outil propre qu’est notre Etat millénaire, est d’animer, d’arbitrer. Précisément parce que vous nommez à tous emplois d’importance et que dans des domaine non publics comme celui de l’Eglise en France ou la très grande entreprise, aucune nomination ne peut se faire contre vous. Les compagnons consultés par de Gaulle en Octobre 1940 et Février 1941 avaient été nommés par lui. Les ministres et secrétaires d’Etat, consultés en conseil des ministres sur l’Algérie, sur l’élection directe du président de la République, étaient nommés par de Gaulle. Comment et pourquoi nommez-vous les membres de vos gouvernements, les plus proches collaborateurs de votre environnement à l’Elysée ? pourquoi ne sont-ils pas, selon toutes apparences de grandes décisions « dévoilées » en version irréversible, consultés, appelés ? Comment expliquez-vous l’attitude et l’ambition de votre Premier ministre, de votre ancien conseiller pour les affaires économiques promu ministre par vous ? La matrice de la démocratie, c’est la confiance mutuelle. Le referendum – dans l’esprit et la pratique du général de Gaulle – est la vérification que l’homme du 18-Juin peut décidément compter sur nous pour continuer, et pas seulement pour l’application du texte adopté selon cette procédure, pour continuer : crûment.

Les déformations de la vie publique et des conditions d’y accéder et surtout de s’y maintenir se sont accentuées par vous et par votre prédécesseur. Davantage par vous puisque vous avez premièrement péché par omission, en ne revenant pas sur les ajustement constitutionnalisés par Nicolas Sarkozy, lequel milite depuis pour d’autres encore plus débilitants. Par vous puisque vous y avez ajouté. Revenir sur ces ajustements ferait un ensemble à faire méditer, à faire travailler par beaucoup de consultations, en empruntant au temps une maturité tranquille, sans directivité.

Regardons-les ensemble, Monsieur le Président de la République.


[1] - Raymond Barre au Val-de-Grâce, Pierre Messmer aux Invalides
[2] - la célébration de la première victoire de la France combattante : Bir Hakeim, la nation tout entière a frémi  cit. source

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