En permanence et plus
ils/elles se ressemblent, les politiques exhibent une image conseillée,
censément la leur propre. La réception est la tendance à juger la politique
comme un art désuet, sans scenario et accaparé par des seconds rôles, qui
n’accèdent au premier que par défaut. Jacques Chirac, quoiqu’ayant subi des
périodes d’impopularité, conserva l’essentiel de ses débuts en « jeune
loup » : la sympathie, la proximité, l’alacrité. Il parut toujours
attentif et ouvert, ses violences ou ses simplismes ne furent pas retenus, hors
l’odeur évoquée sur estrade à Orléans, mais très longtemps après Maitgon et
avant l’Elysée. Quoique les gestes soient ridicules souvent, et les tics
nombreux à l’oral et en jeu de jambes, la prestance a toujours existé : physique
flatteur et pas de timidité, jusqu’à passer la main dans le dos de la reine
d’Angleterre. L’image de Nicolas Sarkozy s’est accentuée d’année en année, sans
varier de pourtour, les derniers jours de campagne pour la primaire ont
surligné le décisif : l’exagération constante tandis que la prétention ou
l’excuse de parler comme pense tout le monde se sont faites moindres. Bien
habillé, ce qui n’est pas votre cas et s’est remarqué sans que vous y remédiez
dès que l’état de grâce vous a été ôté, dès que vos dialogues avec Mittal vous
ont révélé à nous sans puissance en tête-à-tête. Costumes nets et bien coupés,
Nicolas Sarkozy à l’écran et au vivant n’est pas mal, il fait même oublier sa
petite taille – je l’ai vu passer à quelques mètres de moi dans les églises
qu’affectionne à leur mort la République pour ses hauts placés [1],
puis à Chelsea, en plein air, pour le soixantième anniversaire de l’appel du 18
Juin – mais en parole ses gestes sont d’une marionnette, au point qu’a été
diagnostiqué un syndrome de La Tourette, et que la dilatation parfois de ses
pupilles donnait à croire qu’il était en sevrage de quelque dopage. De même
âge, ayant ambitionné – imprudemment – de n’être que normal, le visage peu
expressif, sans angle, vous pouviez soigner votre apparence. A l’étonnement de
nous tous, et du mien, vouss n’avez jamais su être habillé tranquillement,
librement. Toujours engoncé et avec un geste fréquemment, main et avant-bras
rejetant en quelque arrière mystérieux des volumes, des arguments, une
importunité loin de vous mais qui vous était venue de face. Ni pour vous, ni
pour vos deux prédécesseurs, la silhouette, l’élocution, le ton ne nous en
imposent. Tout le contraire des quatre premiers président de la Cinquième
République et – coincidence – ceux-là n’ont jamais véhiculé une ambition de
gestion, ni celle d’une proximité affectée, sauf peut-être Valéry Giscard
d’Estaing faisant organiser des invitations à dîner chez l’habitant, avec menu
convenu et vaisselle de l’Etat à conserver par les hôtes. Mais la palette était
plus vaste que cette lubie. Lui, François Mitterrand, Georges Pompidou ont
chacun su parler aux journalistes et aux Français. De Gaulle n’avait qu’un seul
auditoire, la France proposée et réenseignée constamment aux Français. François
Mitterrand déploya un art extraordinaire d’autorité, de confidence, de
compagnonnage, de majesté sur les sujets les plus banaux comme les plus
risqués. Chacun était distingué par les Français de leurs Premiers ministres
successifs, ce qu’accentua la pratique – loisible mais non écrite dans notre
Constitution – de la cohabitation. Pas tant de deux personnalités, c’est
presque toujours le cas, mais de deux camps politiques puisque la victoire de
la gauche en Mai 1981 fit apparaître progressivement la droite comme une appellation
de parti ou de coalition de partis.
Ces affichages divers mais
toujours de même format et dans des circonstances toujours identiques n’ont pas
enrichi la relation entre vos prédécesseurs immédiats, et encore moins la
vôtre, avec nous. Une communication presque quotidienne, ressentie sans doute
par vous comme une obligation et non un instrument, n’est pas non plus une
relation, encore moins une écoute.
Alors ?
L’exemple fondateur de la
France libre a pour premier élément la confiance et la connaissance mutuelle,
sur un pied d’égalité entre les protagonistes de l’aventure, quoique tous
nommés et n’ayant de relations entre eux que selon cette appartenance au même
organisme. Mais celui qui les consulte
sur le point capital : la raison d’être de l’entreprise et sa différence
d’avec Vichy, dans l’absolu et selon diverses circonstances possibles et à
venir, ne se pose ni en chef ni en arbitre. Il n’a pas seulement besoin de
troupes et de combattants, mais de conseil. Il incarne une cause, et même des
idées, une attitude qui lui viennent des autres. Il est appelé par les
circonstances, par un mouvement de l’âme nationale qu’il a su discerner, telle
quelle, parce qu’il a à l’extrême, au plus profond, « une certaine idée
de la France ». Et le frémissement [2]
d’une âme, celui qui connaît la personne ainsi animée, ne peut s’y tromper. La
connaissance mutuelle est au-delà de toute psychologie. La refondation
française à partir de 1958 est forte de vocables, de locutions, de concepts,
sans doute latents chez nous en vie publique dès les années 1930, et portant
sur des réalités qui apparaissaient nettement comme notre caractéristique, nos
points forts et d’expérience, mais n’étaient pas encore à l’honneur et aux
frontispices. Le sens de l’Etat, le service public. Même l’attention de la
République au prestige, depuis sa véritable mais tâtonnante fondation en
conséquence pratique du désastre de 1870-1871, trouva de nouvelles
appellations : le rang, la grandeur. Le vocabulaire d’aujourd’hui est tout
autre, si même il en existe un pour dire, nous dire l’un à l’autre et de tous à
tous, le devoir qu’a la France d’être la France. Il y a eu un indice, pas
relevé vraiment, et pas par vous alors que vous auriez dû vous en saisir et
nous l’exposer. Cet indice fut révélé par un sondage à propos de l’accueil des
déplacés, des migrants, de celles et ceux, femmes, enfants, vieillards, hommes
de chaque âge : près de 60% d’entre nous l’ont – un instant ?
durablement si l’on approfondissait ? – ressenti comme un point d’honneur.
Voilà le point de départ
d’un tour de table en conseil des ministres, voilà le sujet d’entretiens
particuliers. Votre rôle, votre fonction ne sont pas d’abord de décider mais de
susciter les esprits. Cela commence en petit cercle, cela s’achève et devient
construction sur le plan national. La circulation des opinions, ni le cahier
des doléances – encore que ceux rédigés à l’automne de 1788 témoigne d’une
vraie maturité de nos ascendants, gageant sans doute la qualité des débats et
des productions des assemblées de notre Révolution – ni la simple information
sur un fond de dossier ou sur des expériences déjà pratiquées et exploitées.
Mais la recherche de l’esprit commun qui va s’appliquer – tous étant d’accord
et contributifs – à un sujet difficile. La mise au referendum ne doit pas être
la marque d’une hésitation, la défausse d’un gouvernement, d’un président qui
ne se déterminent pas dans la crainte d’une censure plus que d’une erreur, elle
est le chemin d’un consensus, donc elle doit dégager une force vis-à-vis de
nous-mêmes et vis-à-vis de l’étranger, de nos partenaires. C’est ce qu’a manqué
Jacques Chirac à la suite du referendum négatif du 27 Mai 2005. Il y avait déjà
l’occurrence démocratique qui ne fut pas saisie – ce qui n’a pas empêché depuis
que prenne cours la certitude que tout referendum est suicidaire, or Jacques
Chirac avait survécu quoique par le viol de la démocratie, mais sans que cela
lui soit reproché, je l’ai dit déjà – il y eut l’occasion manquée d’un tour de
l’Europe pour expliquer ce que pouvait avoir de pédagogie générale le refus
français, suivi du refus néerlandais. Faire aussitôt un autre traité, encore
plus concerté. Alerter sur les dérives déjà constatées qui motivaient le début
des rejets de l’entreprise autrefois si populaire, par des parts de plus en
plus grandes des opinions publiques dans chacun des Etats-membres.
Vous ne délibérez pas, vous
n’allez pas au referendum. Vous n’êtes pas en confiance avec vos partenaires,
avec vos ministres, à commencer par le Premier d’entre eux depuis que vous avez
remplacé par un compétiteur celui qui était loyal au possible, et qui
d’ailleurs portait un sujet essentiel et tout à fait de sa compétence, qui est
distincte des vôtres : la réforme fiscale, la « mise à plat »,
projetait Jean-Marc Ayrault. Votre ambition – juste et légitime – d’une
démocratie sociale caractérisée par la négociation entre les partenaires
reconnus et aussi par les gestions partagées des principaux organes de
solidarité soiale, ne correspond pas à votre pratique personnelle. Celle de
votre prédécesseur n’était pas davantage consensuelle ni démocratique, mais
singulièrement cela n’a pas marqué le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Sa
constante mise en avant de lui-même et de ses vues à presque tout propos, a
passé pour une lecture acceptable de notre Constitution donnant le premier rôle
au président de la République qui est explicitement le chef : chef de
l’Etat, chef des armées, même si ces responsabilités royales sont secondes dans
l’énumération des prérogatives présidentielles. Sa communication a toujours été
une revendication et son ultime posture de « candidat du peuple » est
sans doute un énoncé de circonstance, mais elle a de l’antériorité et des
références : parler au nom des gens et selon le sens supposé commun (la
vue personnelle imposée publiquement parce qu’elle serait celle de tout le
monde, au moins implicitement). Prendre la parole pour les sans-voix – vous
avez eu la maladresse de stigmatiser les sans-dents – a encore une consonnance
démocratique. Mais communiquer pour maintenir une présence dans l’espace public
lasse et plus dangeureusement sous-entend la peur de ne plus exister. Vous
n’avez donc pas compris – au moins jusqu’à présent mais c’est ce que j’espère
de vous pour que votre second mandat rachète le premier – que votre prérogative
fondatrice de tout dans notre pays et pour son outil propre qu’est notre Etat
millénaire, est d’animer, d’arbitrer. Précisément parce que vous nommez à tous
emplois d’importance et que dans des domaine non publics comme celui de l’Eglise
en France ou la très grande entreprise, aucune nomination ne peut se faire
contre vous. Les compagnons consultés par de Gaulle en Octobre 1940 et Février
1941 avaient été nommés par lui. Les ministres et secrétaires d’Etat, consultés
en conseil des ministres sur l’Algérie, sur l’élection directe du président de
la République, étaient nommés par de Gaulle. Comment et pourquoi nommez-vous
les membres de vos gouvernements, les plus proches collaborateurs de votre
environnement à l’Elysée ? pourquoi ne sont-ils pas, selon toutes
apparences de grandes décisions « dévoilées » en version
irréversible, consultés, appelés ? Comment expliquez-vous l’attitude et
l’ambition de votre Premier ministre, de votre ancien conseiller pour les
affaires économiques promu ministre par vous ? La matrice de la
démocratie, c’est la confiance mutuelle. Le referendum – dans l’esprit et la
pratique du général de Gaulle – est la vérification que l’homme du 18-Juin peut
décidément compter sur nous pour continuer, et pas seulement pour l’application
du texte adopté selon cette procédure, pour continuer : crûment.
Les déformations de la vie
publique et des conditions d’y accéder et surtout de s’y maintenir se sont
accentuées par vous et par votre prédécesseur. Davantage par vous puisque vous
avez premièrement péché par omission, en ne revenant pas sur les ajustement
constitutionnalisés par Nicolas Sarkozy, lequel milite depuis pour d’autres
encore plus débilitants. Par vous puisque vous y avez ajouté. Revenir sur ces
ajustements ferait un ensemble à faire méditer, à faire travailler par beaucoup
de consultations, en empruntant au temps une maturité tranquille, sans
directivité.
Regardons-les ensemble,
Monsieur le Président de la République.
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