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vendredi 27 février 2015
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samedi 21 février 2015
vendredi 20 février 2015
jeudi 19 février 2015
mercredi 18 février 2015
mardi 17 février 2015
lundi 16 février 2015
dimanche 15 février 2015
samedi 14 février 2015
tentative d'élucider en manière et en but ce que je veux écrire
L’écrit que je tente… je le voyais sous deux aspects.
L’approfondissement et la systématisation de mon expérience de la vie, à
travers d’apparentes diversités, pas seulement la continuité en tous domaines
dont j’ai pris conscience il y a peu : façon d’aimer, façon de me
disperser, façon d’échouer à écrire du comestible et convictions autant
qu’appétits en politique et pour des sujets précis, le gaullisme ou plutôt DG,
la Mauritanie, mais une façon d’en jouir et de vouloir en témoigner, la faire
partager, le spirituel comme source et comme communion en inspiration et en
expression. La mobilisation de deux séries de matériaux : les personnages
de ma vie, les thèmes et situations. Avec peut-être la réflexion sur ce qu’est
réussir, ce qu’est l’unité d’une vie et d’une conscience, ce qu’est l’amour et
ce que sont les grandes situations et les grands sentiments, grands au sens
d’englober, de rendre compte, de fonder.
J’ai commencé sans véritable préméditation ni en méthode ni en plan ni
en prévision d’aboutissement, d’un point d’aboutissement. C’est le point de
départ qui m’est venu. Celui qui écrit et ne serait pas moi assemble ses
matériaux pour régler un problème de couple, celui qu’a diagnostiqué au début
de cette semaine : MCC, problème de couple avec l’écriture, parabole de
l’impuissance et de la stérilité qui sont à présent miennes sauf les
précautions ou les adjuvants que permettent la médecine et que JPD il y a
quinze ans et maintenant m’a fait découvrir. Et j’ai vite eu envie de détailler
des situations ou des aventures, tout simplement l’une d’à présente, le dialogue
de pas une minute avec L. Intervenant : je, au lieu d’écrire : il,
j’ai peut-être trouvé le scenario. Une théorisation et une recherche d’un côté,
des illustrations et des aveux, illustrations par le passé, des aveux au
présent. Il pourrait ainsi y avoir une liste de personnages, décrits
explicitement par le ou les moments qu’ils m’ont donnés, une liste et une
typologie de situations : le succès, l’échec, l’impuissance, la fécondité
tant littéraire qu’amoureuse et plus encore charnelle, la paternité, les
rencontres de mentors par le livre ou par la fréquentation directe, humaine,
vécue. Il y aurait la continuité de comportement et de convictions, le
spirituel, le politique et avec des addictions
: longtemps la drague, longtemps les achats de tableaux et de livres, la
photo de nu, le nu féminin, mais aucune de celles qui lient à jamais (jeu,
alcool, vol) et dont j’ai reçu la grâce d’être protégé. L’inclassable mais le
décisif, trame de vie : la prière et la lectio divina, la maison ou
l’appartement, la résidence, la sensation des continuités et dépendances
généalogiques, notre nom, mes ascendances, curiosité et réalité ne portant plus
seulement sur les miens et des deux « côtés » maternel et paternel,
mais sur ma belle-famille et sur les suites, notre fille. Ce qu’il adviendra de
cette maison et de cette propriété, lutte et coût obsessifs. Ce qu’il adviendra
de mes livres et de mes manuscrits ou papiers, sans y enfermer ma femme et
notre fille survivantes. Les batailles et suspenses : concours, disgrâces,
procès. L’émotion des intimités qui commencent, des rencontres en fortes
sensations d’affinités, jeunes filles ou jeunes femmes pour la plupart, mais
des partages intenses avec certains aînés, gens politiques ou religieux et
prêtres. Le bonheur inexprimable, très longtemps répété, de plus en plus
savouré à mesure que je discernais combien c’est une grâce que « cela
marche », la place donc dans la vie, individuelle, dans la vie du couple,
dans la relation au monde et pour la foi en la beauté. La vie de groupe, la
fratrie, les tentatives en politique, en classes d’âge et promotion scolaire.
Le recevoir d’apprendre, l’auto-formation de
certaines époques, la recherche documentaire à d’autres, les années de
lecture, celles d’écriture. Le rapport à l’argent, le rapport à la maladie, la
santé. Les affleurements de la mort, il y a vingt ans, puis il y a quinze ans,
puis maintenant, si différents dans leur succession, celle-ci imprévisible
autant qu’exclue.
Alors, une façon de bataille entre il et je pour régler cette crise
du couple : l’écriture et moi, qui dure sans doute depuis 1968 et mes deux
premiers échecs amoureux, les fiançailles convenues puis brisées, la
présentation qui me séduit mais dont toute suite m’est aussitôt refusée :
N et L. Et une autre manière de résoudre la crise : y ajouter un matériau
totalement nouveau si je parviens à réaliser le projet que je n’énoncerai pas
dans ce texte, car je veux l’écrire comme si ma vie avait cessé et qu’il ne me
restait, pour un peu de temps, que les moyens et la disposition de récapituler,
de comprendre et donc de rendre la copie. A l’éditeur, et plus encore à
moi-même. Serai-je content de ce qui aura ainsi surgi ? et de quoi suis-je
aujourd’hui constitué ? de ce qui me rend si heureux de le posséder (mon
unité intime, mon retour pour chaque instant à l’amour, principalement à
l’amour de ma chère femme et de notre fille,
vivre et partager dans le même temps et à l’âge que j’ai l’extrême
jeunesse et le cramponnement commencé de la vieillesse) et me fait donc insensible
à ce qui me captait autrefois immanquablement, et dont je sens bien souvent que
cela n’a pas disparu, sauf que le lien possible, je le rejette et que si même
il commençait de se nouer, je me l’arracherais du tour de moi. Voilà où j’en
suis, ce soir. – Tout cela, cependant, peut-être sera mis en cause demain…
Depuis mes premières lignes mercredi, j’ai bafouillé et surtout je me suis
dépris de mon travail puis y suis revenu le trouvant, au moins en structure,
pas inintéressant. Il y a donc le défi de produire quelque chose, et si je
devais ne pas y arriver ces jours-ci, ce serait le signe (comminatoire ?) que
décidément ce ne me fut jamais possible, un mirage et un projet comme d’autres,
irréaliste et ne me correspondant pas, faute que j’en ai les moyens. Donc vraiment
passer désormais à autre chose. Et enfin la difficulté que le matériau surtout
pour le présent, ne m’appartient pas en propre ni exclusivement. Dans ma vie, ce
que j’ai laissé passer, en quoi très précisément j’ai déçu et qui ? mes
grands péchés au vrai.
vendredi 13 février 2015
jeudi 12 février 2015
journal d'il y a cinquante ans
nuit du vendredi 12 au samedi 13 Février 1965 – 03 heures
« Le soir est femme »
Valéry.
Dîner dansant chez Catherine
C.. Bonne. Souriante. Simple. Fait la connaissance de Henriette B. que
j’ai admirée dès que je l’ai aperçue, un peu inaccessible d’apparence. Mais
sympathie profonde. Cheveux très blonds et naturels. Robe noire. Bras nus.
Collier de grosses perles argent. Des yeux bleus, verts. Souvent levés, qui ont
souvent rencontré les miens. C’est peut-être la première fois que j’ai regardé
une jeune fille dans les yeux en dansant. 2° année licence en droit. Licence es
letttres classiques. Sainte Marie des Invalides. Un frère à peine aîné
(Sciences-Po et Droit). Une sœur en philo brune. Deux autres frères. Père X.
Sympathie profonde. Trouble, car possibilité de rencontre vraie.
« Et nous, qui avons tout quitté pour Te
suivre ? »
Sentiment que je ne peux me
donner à elle, car je suis appelé à me donner totalement à Dieu, et qu’en
choisissant le Christ, je choisis tout. Mais renoncement.
Son visage va flotter en
moi, tous ces jours-ci. Je n’aime guère son prénom, mais sa silhouette, son
visage, tout elle-même. « Il le créa homme et femme ». « Dieu
dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul ».
Comme l’homme est fait pour
faire route avec la femme. (D’ailleurs, H. disait que le choix de sa femme par
un homme, est bien révélateur de cet homme). Vocation bien spéciale et bien
eschatologique pour ne pas épouser une femme.
Isabelle, très occupée par
le ski. J’ai surtout aimé en elle, même ce soir, l’Isabelle d’autrefois :
mélancolique et boute-en-train, maternelle et espiègle. Existe-t-elle
encore ?
*
*
*
Déjeuner seul avec
l’ambassadeur de la R.I.M. [1]
. De plain-pied. Amitié qui est en train de naître. L’estime est réciproque.
C’est d’ailleurs le premier Mauritanien qui m’accueille pour moi-même. Les
étudiants m’ayant accueilli, pour faire plaisir à madame Darde, très
probablement. Mais quand même avec beaucoup de gentillesse
Comme la diplomatie est
tentante, qui – avec mon tempérament, mes goûts et mes possibilités – me
donnerait tant d’occasions de dialogue et de découverte. Renoncement.
« Et nous qui avons
tout quitté pour Te suivre ? »
Je ne sais où tu me mènes,
Seigneur, mais la Croix n’est pas loin.
[1] - il s’agit toujours
d’Abdallahi Ould Daddah, aîné d’Ahmed – opposant « historique »
depuis 1991, des militaires au pouvoir depuis 1978 jusqu’à présent, sauf quinze
mois de tentative démocratique par le seul élu à la tête du pays au deuxième
tour d’un scrutin pluraliste et internationalement contrôle – tous deux sont
demi-frères du Président Moktar Ould
Daddah
écrit - suite 3 de l'esquisse
Je délibère d’intervenir,
mais je choisis de respecter mon compagnon à l’ouvrage, de ne pas le commenter.
Ou seulement lui dirai-je ce qu’il
m’apporte. Il me fait comprendre que jusqu’à son travail, les situations, les
événements constituaient mon gisement tandis que maintenant ce sont les
personnes qui se dégagent ou plutôt ce que je n’ai su connaître d’elles, alors
qu’elles seules m’intéressaient, me suscitaient mais je ne le savais pas. Je ne
regrette pas qu’elles me soient restées mystérieuses à leurs époques
respectives. Côte à côte, périodiquement, à heure fixe ou par hasard, à
longueur d’années ou pendant quelques minutes, la communion ou l’étreinte – le
furtif d’une perspicacité d’âme que je croyais jumelle de l’autre parce qu’il
constituait soudainement tout le paysage ou la grâce de l’étreinte qui est
danse des profondeurs, vertige dont on peut revenir, mais cela n’est pas su
d’emblée, ni peut-être même souhaité – me suffisaient.
Quelque chose – ce temps-ci
dans le défilement de mon existence, dans ce que je vis comme de l’extérieur –
a changé. Age ou sacrement. Ce qui m’eût ébranlé est une simple salutation.
Ainsi hier en fin d’après-midi, la conclusion d’un échange entre quelques-uns
sur une page d’évangile se faisait difficilement. Certains s’accrochaient à
leur façon de comprendre le texte, d’autres arguaient de variantes surprenantes
pour la traduction, on ramait sans se pénétrer de la solution, regarder ce
Christ singulier, homme de dialogue s’il en fut quand arriva la fille d’un des
particicpants. Je fus soudain dans ce qui avait pendant des décennies donné à mon
existence et à sa course sans décision, une continuité, celle de ma
vulnérabilité. J’ai toujours été
sensible au charme féminin, indépendamment d'ailleurs de la beauté
conventionnelle ou de mode, ou de l'âge, ou même de l'attitude réserve ou de
disponibilité. Ce qui m'a conduit à des épisodes ou à du partage. Les
personnages de mon compagnon, mais que je ne rencontrais et n’accompagnais
qu’en situation et qu’en circonstances. Je jouissais plus de celles-ci que
d’eux. Cependant, surtout quand ce n'est que l'instant de la mutuelle présence,
si partielle soit-elle, j'étais émerveillé que ce charme existe, action de
grâces donc. Je l’ai reconnu aussitôt à sa prise sur moi, à un enveloppement
m’isolant de tout ce qui m’occupait à l’instant et me faisant oublier les
témoins de mon extase. Seul, le prêtre qui avait proposé notre exercice,
remarqua ma concentration et la transformation de ma voix, de mon visage. Je
disais à la jeune fille ce que je voyais : elle donc. Elle répondait par
le nombre de ses enfants, me faisait déduire l’âge que je ne lui aurais pas
supposé. Son texte ne correspondait pas au teint de son visage qui avait lui
aussi changé, comme le mien. J’avais conscience de lui donner ce qu’elle allait
garder longtemps en elle, un talisman contre la suite de sa vie, le
vieillissement de ses affections et de son corps, la garantie qu’elle s’était
attachée un instant quelqu’un d’autre que ses habituels personnages, à elle.
J’ai
voulu expliquer à notre unique témoin la perfection de ce moment, revenant malgré
moi à ce comportement de toute ma vie, la sensibilité à la situation, à sa
dialectique sans aller à l’impossible divination de ce qu’en regard de moi
vivant celle dont je reconnaissais qu’elle me pénétrait. Un aveu et une
interrogation dont je ne sais non plus comment un célibataire par état de vie
et de consécration de soi, a pu les recevoir. Je ne suis pas un converti à
l’impassibilité, en lieu et place d’une fidélité dont j’ai été incapable
pendant des décennies. Simplement, j’ai été guéri à un moment précis et par un
moyen précis. Plus que le mariage qui, par lui-même, ne protège d’aucune tierce
rencontre ni d’aucune nostalgie rétrospective, il y a eu une prise de moi parce
qui continue de me surpasser, sans que je puisse savoir comment, pour elle, ma
femme l’a vécu et si elle l’a discerné en moi. Si nous avions dû délibérer notre
mariage, nous ne l’aurions jamais décidé, l'un et l'autre réfractaires à
l’invisible mais si sensible contrainte. Saurons-nous, comprendrons-nous jamais
comment nous arrivâmes à l'instant d'échanger nos consentements ? j'ai alors
quasi-physiquement eu la sensation, grâce insigne et palpable, que de mon
engagement je recevrai toujours le soutien et la force de le maintenir et que
la fidélité – suite d'une longue histoire que je ne pouvais imposer à celui qui
avait remarqué mon dialogue avec la jeune femme et ne s’en étonnait d’ailleurs
qu’en ne regardant que moi – allait désormais être ma vérité, mon chemin et mon
socle. Ce qui est. Transformation instantanée et heureuse de ma vie et de ma
psychologie. Guérison peut-être... Don Juan et le volage indécis m'ont quitté
comme un vêtement qui ne va plus ou que l'on n'a jamais vraiment choisi ni
apprécié. Voilà pour l’aveu, une explication.
L’interrogation
est plus aisée car elle n’aboutit à aucune réponse, que l’expérience ou la
récurrence valideraient. Comment se constitue un charme et même une certaine beauté ?
dans le cas de la nouvelle arrivée, ce peut surprendre. Elle est tout le
portrait de son père, qui est pourtant laid au sens morphologique, quoique les
yeux soient d'une grande bonté et d'une vraie demande. Et elle, c'est sans
doute l'âme qui affleure, qui cille et frémit, mais elle doit être appelée. Lui
dire ce que je voyais lui faisait plaisir, beaucoup plus et durablement que
bien d'autres choses banales ou dangereuses. Elle rougissait et, comme dans un
scenario, elle nous a fait changé de registre et passé de la métaphysique à
l’aventure virtuelle puisque, me rappelant notre fille et donc notre mariage,
ce dont je n'avais pas besoin, elle nous amenait à retoucher terre. Son prénom
était celui d’une héroïne d’un écrivain qui en avait fait son journal d’amour
conjugal. Et tout a cessé que ma formulation du vœu vrai qu’elle soit heureuse
dans la suite des jours et des nuits qui lui sont donnés.
Que pouvait penser notre
prêtre ? vivre ce qu’il avait surpris. Se réjouir comme moi de la
possibilité qu’autrui nous gratifie tellement par un seul instant d’apparition
et en y ajoutant plus une réplique, un acquiescement qu’une durée ?
Vérifier tranquillement la force en lui du sacrement initial pour un état lui
interdisant, sans cependant l’en faire souffrir, d’en imaginer un autre.
Pourrai-je vérifier si, en lui, c’est un choix, une préférence ou de la
prudence ? J’ai tenté souvent d’écrire ce que je venais de vivre, ainsi
emporté jusqu’au souhait indicible qui ne s’exauçait pas à cause de l’autre,
ai-je cru longtemps, à cause de moi, ce que je comprends maintenant. Mais j’ai
bien plus densément entendu la respiration de religieux voués au tout autre
qu’ils me faisaient seulement cotoyer ou ce hoquet de larmes que je devinais
sans qu’elles perlent, larmes de celles et ceux qui ne suscitent pas la
rencontre.
Situation que j’ai vécue,
au point que ce fut le rythme-même de ma vie, en tête à tête avec qui ne me
voulait pas ou me quittait.
Ainsi se groupent et se
retrouvent les personnages dont beaucoup allaient lui revenir quand il
identifierait les premiers à se manifester pour la revue qu’il organise,
appelée à résoudre cette crise, désormais insupportable.
Je ne les crois pas de même
sorte. Tous ne sont pas rencontre et femme. Et l’échec ne fut pas qu’amoureux
dont je vois aujourd’hui qu’il me procura la chance de réaliser ce qui m’avait
été si longtemps impossible : la stabilité du désir et de ses défis,
l’unité du cœur et le penchant constant, joyeux de l’imagination, la
consécration profane qui est l’un des versants par où venir à l’éternité.
L’échec de carrière m’a également favorisé, puisqu’il m’a dispensé d’un drame
d’amour dont je ne me serai pas dégagé comme des précédents. J’eusse été
désarmé à mort. Il me laisse l’interrogation à laquelle j’espère encore pouvoir
répondre. La réussite de l’ambition nous abîme-t-elle par son exaltation ou par
la confirmation que certains chemins y ont amené, même si la reprise de ces
chemins ou de les suivre nous assèche progressivement. J’eusse davantage appris
des fonctionnements de nos pouvoirs en société humaine. Aurai-je fait le vrai
usage de cette familiarité pour favoriser le bien commun ? je ne le sais
pas. Serai-je devenu autre ? Le saint a-t-il la nécessité d’une ambiance
particulière ? J’ai été amené par défaut à la situation qui est
irrévocablement la mienne sauf à réussir un projet considérable mais hors de ma
portée selon toute raison. L’espérance est la même qui me faisait attendre la
mobilisation par une femme – et ce fut : malgré l’inattendu, le
presqu’anodin inital comme pour endormir ma peur du définitif, envisagé en
forme de pierre tombale, et malgré d’ultimes et énormes traverses - et qui aujourd’hui me fait anticiper le
possible et l’impossible, bonheur égal puisque ce sera soit ma tentative soit
ma sagesse. L’amour m’ayant porté sans que je l’ai sollicité, choisi comme je
l’ai été en dispense d’opiner et de comparer, de soupeser moi-même, je crois à
d’autres dénouements, tous heureux malgré la persistance de deux décennies
d’astreintes et de limites auxquelles s’adjoignent maintenant ce que l’âge et
l’inertie infligent au corps et à chacune de nos facultés courantes. Je n’ai jamais
consenti le pari de longues servilités pour de place en place parvenir. L’amour
et la rencontre ont aussitôt leurs fruits et la déception a pour palliatif les
rechanges, tandis que la carrière, si les circonstances font défaut, me paraît
à regarder celle des autres, même très parvenus, comme une course à l’impasse,
à l’interruption. L’assouvissement par la gloire, par les apparences ne sont
pas de ce registre. Il y faut du travail, et même sans aucun fruit ou presque
jusqu’à présent, je m’y suis adonné. J’en ai reçu du plaisir.
Contredire cette
présentation de l’échec et la présente résignation lui paraissait nécessaire.
La crise de couple qu’il lui fallait résoudre avec ce qui était à sa portée,
était liée à ce consentement de n’avoir pas réussi. D’autres, moins doués,
beaucoup moins doués s’étaient organisés avec autant de sang-froid, de méthode
pour réussir. Des horaires, des sujets, et surtout la concentration. Il voyait
bien sa propre tendance à la dispersion, presqu’une tare. De toujours quitter
pour une autre la tâche pourtant commencée avec plaisir et même du talent, de
laisser en plan le moindre objet pour visiter autre chose. Le vice de
l’infidélité et de l’inconstance ne réside pas dans ce quoi l’on se consacre
mais dans un mouvement auquel rien ne permet de résister. Il avait réussi, au
moins quant à lui, son mariage puisqu’il y demeurait. Ce constat pouvait-il
inspirer le remède à la présente crise. Celle-ci était durable, très antérieure
au couple qu’il avait formé sur le tard. Il avait, d’innombrables fois, ou
presqu’innombrables, tenté, commencé, continué et achevé avec foi et dans
l’expérience d’une capacité qu’il croyait productive. Repoussé, il avait admis
de l’être et ne revenait jamais sur ce qui n’avait pas abouti.
Trois personnages, à se
présenter, disaient chacun, et avec une grande force, l’alternative qui eût
tout changé. Un quatrième avait deux qualités, l’une de confirmer le témoignage
des trois premiers, l’autre d’expliquer beaucoup de conclusions, très
factuelles qui l’auraient peiné s’il n’était arrivé entretemps à bien mieux
qu’un port ou au camp de base.
jeudi 12 février
2015 – 14 heures 37 à 16 heures 47
(pause
évaluation etr recherche de la suite, choix de la suite : 15 heures 54)
Avant toute entrée en scène
et de qui que ce soit, la situation.
L’impuissance.
L’expé rience de l’impuissance, l’impuissance productrice de crise,
reproductrice d’impuissance. L’insuffisance, l’incapacité, le silence et
l’inertie du réel par disproportion avec les souhaits du vivant. Il en a connu
beaucoup de versions, elles n’ont pas toujours un visage, elles ne sont pas
toutes d’ordre relationnel, mais toujours elles imposent une évaluation de soi,
l’impossibilité éprouvée de changer la route, de contourner l’obstace, de faire
céder ou apparaître la possible ouverture. Il a été lui-même contraint de
s’avouer un manque absolu de moyens.
Première expérience, si durable qu’elle lui a
paradoxalement donné une grâce qu’il
n’attendait ni ne souhaitait, dont il pensait n’avoir besoin ni dans l’instant,
ni à longueur de ces années douloureuses, ni pour l’avenir. La grâce de la foi,
la foi religieuse, pas un déterminant psychologique mais le discernement d’un
accompagnement, d’une présence. Evidence rétrospective depuis qu’il était
arrivé à ce pays d’une douceur calme que sont la stabilité et le contentement
du cœur. Il n’avait pas cherché Dieu, de naissance il était et respiré dans le
sein de Celui-ci, sans dévotion spéciale, sans pratique liturgique particulière
que la prière du soir en famille dès ses premiers, l’aîné à son côté, les
parents derrière eux et debout, lui la mainà un grossier berceau de bois le
long de son propre lit et où l’ours en peluche cousu par une marraine sachant
récupérer sous l’Occupation. Le berceau faisait l’ambiance en grinçant, la
formule récitée ne changeait pas, il la réciteraait au chevet de sa mère
mourante puis l’apprendrait à leur fille, laquelle peut-être la transmettrait
encore une fois. Se donner, obtenir quelque amélioration de son propre
comportement, invoquer une protection générale. Une piété sans lassitude aux
messes dites en latin, donc incompréhensible. Cela avait perduré. La question
l’avait obsédé au point d’être tout le narcissisme de son adolescence, quel
état de vie, celui de religieux, celui d’un ministère sacerdotal. Il ne
demandait pas une proximité plus sensible de Dieu ni le moyen de Lui
correspondre davantage. Il ne changeait pas de formule, celle-ci était une
auscultation, une recherche de patrimoine : avait-il la vocation ? il
ne définissait pas mieux celle-ci qu’en une interrogation et attendait la
parole qui le délivrerait, qui le ferait venir, l’appellerait. Les homélies de
fin d’enfance évoquaient « le plus haut service », il en rougissait,
convaincu d’être particulièrement concerné, plus que les centaines de ses
camarades dans l’immense chapelle à plusieurs étages d’un établissement
confessionnel jouxtant l’immeuble d’un ancien président du conseil, aussi laïc
que glorieuxdans un Paris heureux et beau. Rien n’était venu qu’une autre
version de l’impuissance, de la prière qui ne fait rien céder, à croire qu’elle
n’est pas entendue. Une déception amoureuse, la première. L’adolescente, sœur
d’un de ses condisciples, une robe rose, un sourire. Toujours demeurerait le
souvenir du charme alors que la silhouette, le visage n’étaient pas
exceptionnels. Très tard puis à présent, une fidélité qu’il n’avait pas eu à
manifester recevrait sa justification puis quelques images et confidences dont
il n’avait pas été le destinataire d’origine. Il n’avait pu se déclarer qu’au
frère mais il savait maintenant la coincidence en date de son aveu avec
l’engagement de la jeune fille pour un autre. Et de celui-là, qui lui
apporterait du récit et de quoi voir – car elle était morte grand-mère mais
jeune encore – il aurait l’écho de sa propre cour si impuissante à
l’époque : oui, elle avait hésité, oui, il avait eu des chances, le mari
pas encore veuf l’en avait assuré quand fortuitement il avait rencontré le
couple, les avait aussitôt reconnus mais, quoique lui faisant face et pouvant
lui parler, n’avait pas été identifié par celle qu’il avait tant pressée mais
sans jamais la tenir ni l’embrasser. Supplication sans accueil ni espérance. Il
n’était qu’allusif, se montrait, pensait séduire en distrayant, la robe d’été
n’était pas rose mais jaune. Dans les soirées d’adolescences à la garde d’aînés
et de parents réfugiés en fond d’appartement ou ne s’absentant que pour les
commencements jamais troubles, il lui manquait une compétence pour la valse
qu’il aurait presque, un soir de grâce, mais tellement ailleurs dans le temps,
dans la suite de sa vie et dans un tout autre lieu, celui où elle règne depuis
la révolution des nationalités et des uniformes blancs et rouges, antan. Il lui
était resté de cette période où commencent de se formuler plus de questions que
d’évidences, mais pas encore d’envies ni de désirs précis une sorte
d’enjambement de deux réalités généralement bien concrètes. Dieu existe-t-Il,
qui et comment est-Il ? et l’autre a-t-il un corps, existe-t-il en sorte
qu’on puisse l’apercevoir et l’aimer autrement qu’en rêve et en aveux dialogués
de ce qui s’appelle l’amour mais dont on ignore le sens, la portée, la
pratique. Il était plus certain de Dieu dont il attendait un appel qu’il ne se
permettait pas d’anticiper, que du corps féminin inimaginable par lui-même
autant qu’en relation avec le sien. Etait-ce sa première expérience de
l’impuissance et des limites aux capacités de sa prière ou de sa
séduction ? un chemin courait parallèlement dans sa vie comme s’il se
dédoublait, des études supérieures assez heureuses et sanctionnées par la
réussite à l’un des deux concours les plus prestigieux du pays, des bouffées de
chaleur au cœur et à une partie plus physique de lui-même arrivant d’un autre
monde quoique banal : celui des vacances et celui d’une école pour gens
bien nés. Les tempes insistant l’une contre l’autre, le brouillard à fixer le
regard d’une élève à laquelle il servait passagèrement de tuteur. Le féminin ne
s’assemblait pas encore, les morceaux du puzzle se trouvaient par hasard sans
qu’il les cherchât, l’une, puis une autre, une troisième, des présences, des
durées, des existences se signifiant et ne demeurant qu’au stade du frôlement,
la place Vendôme, une salle de fêtes à Royan, des premières dans une vie qui ne
sont pas aussitôt rangées comme telles dans l’ordre des souvenirs tellement
elles sont d’abord vécues.
Non, ce n’était pas encore
l’impuissance, seulement une immaturité qui ne le lassait pas de lui-même mais
ne l’envoyait nulle part. A tort, est-il dit à toutes époques que le vacarme y
domine. Non, les ébauches d’amours putatifs et sans chair, la prière d’abandon
à une volonté divine dont il voulait autant qu’il craignait qu’elle soit autre,
étaient chacune aussi silencieuses que les précédentes et que seraient, de même
facture, les suivantes. Rien n’arrivait, beaucoup se ressemblait. Un changement
radical en mode de vie, de subsistance parce que de pays lui donna l’impression
d’une novation. C’était trop peu lié avec tout ce qu’il avait vécu jusques-là
et avec ce qu’il ambitionnait comme carrière pour qu’il ne s’y immergea
persuadé que rien ne serait indélébile. Pourtant, déjà, se formait en lui des
structures encore existantes et aussi fortes au point il en était maintenant.
Piété chrétienne et ce pays nouveau, presque totalement saharien. Structures
ponctuant les journées et l’assurant d’un vis-à-vis intérieur, intime,
iréductible. Pays de la fin de son adolescence et de son premier baiser, des
correspondances d’amour, des enchantements de se savoir séduit. Des décennies
passeraient qui ne modifieraient ni la sensation de ce constant accompagnement
par bien plus que soi, ni la répétition de cette mutuelle pénétration à
laquelle acquiescer ou pas. Quant au pays, quoiqu’il n’ait pu y résider
durablement ni même y revenir séjourner et rencontrer fréquemment, il persiste
dans ses pensées, ses mises à jour, ses réflexions écrites.
L’impuissance à désespérer,
à mourir a frappé alors qu’il rentrait chez lui, en famille. Supplier d’amour
et n’être pas entendu. Le premier précédent n’avait pas été intense ni blessant
puisqu’aucune espérance n’avait trouvé d’aliment. Banalement, un penchant
n’avait pu s’épanouir ni recevoir son cours. Et la vocation qu’il n’avait su se
formuler à lui-même, ne s’était pas davantage énoncée d’En-Haut. Le premier
baiser n’était pas oublié mais n’avait initié aucune intimité. Il n’avait pas
su les lier ensemble par des découvertes, la découverte de ce que l’amour fait
découvrir dans l’ombre ou dans la lumière, clandestinement ou ouvertement. Elle
l’avait pourtant reçu, assuré qu’ils seraient seuls assez longtemps et sortait
d’une douche la faisant douce et disponible bien plus que dans les duos avec
témoin sur les plages rectilignes à perte de vue du sud au nord et retour à
l’identique, ou dans les bâtisses et cours à murs blancs contre la nuit noire
et chaude. Couché sur elle, il n’avait su ni faire ni être, elle s’était
dégagée, avait diagnostiquée une ignorance égale à la sienne, mais des décennies
ensuite elle lui avait envoyé – seulement par internet – son fils aux
nouvelles. La relation n’est que virtuelle, il ne reçoit pas son adresse ni
même, du fils, un accusé de réception. Elle n’est seule de celles qu’il garde
en mémoire, à refuser d’être vues au présent. Orgueil de chacune ou indulgence
pour l’amour d’autrefois : ne pas changer le souvenir, ne rien perturber.
Il n’a donc pas cet expérience du tout autre qu’est devenue la même. Il l’a eue
pour la capitale de dix mille habitants semée dans un sable rouge entre des
euphorbes et des chèvres broutant du carton qui semblaient promises à plus
d’éternité que les petites bâtisses en coquillages concassées. Devenue une
agglomération sans plan ni personnalité, infidèle à tout un environnement :
le grand désert, et aux populations que la sècheresse a poussée en elle, c’est
tellement de ce qu’il a connu que cela ne touche à rien dans sa mémoire. C’est
autre. Qu’en serait-il d’une femme autrefois aimée ? réponses vécues. Près
de vingt ans ensuite, le visage défait de peau et de chevelure par une vieillesse
de bien plus de vingt ans : comment et pourquoi ? ou bien sa mère au
visage habituel de soixante ou soixante-dix ans lui rendant étrangère au
premier regard la jeune femme photographiée parfaitement à ses vingt ans. Ses
parents à leurs vingt ans, beaux mais sans lui, et son aîné tellement enfant.
Ce sont bien eux puisque les albums sont de famille de même que la piste sur
laquelle roule jusqu’à s’immobiliser l’énorme avion, est bien voisine de
quelques mètres d’une autre de trente et quarante ans. Mais c’est tout
différent.
écrit - suite 2 de l'esquisse
Je délibère d’intervenir,
mais je choisis de respecter mon compagnon à l’ouvrage, de ne pas le commenter.
Ou seulement lui dirai-je ce qu’il
m’apporte. Il me fait comprendre que jusqu’à son travail, les situations, les
événements constituaient mon gisement tandis que maintenant ce sont les
personnes qui se dégagent ou plutôt ce que je n’ai su connaître d’elles, alors
qu’elles seules m’intéressaient, me suscitaient mais je ne le savais pas. Je ne
regrette pas qu’elles me soient restées mystérieuses à leurs époques
respectives. Côte à côte, périodiquement, à heure fixe ou par hasard, à
longueur d’années ou pendant quelques minutes, la communion ou l’étreinte – le
furtif d’une perspicacité d’âme que je croyais jumelle de l’autre parce qu’il
constituait soudainement tout le paysage ou la grâce de l’étreinte qui est
danse des profondeurs, vertige dont on peut revenir, mais cela n’est pas su
d’emblée, ni peut-être même souhaité – me suffisaient.
Quelque chose – ce temps-ci
dans le défilement de mon existence, dans ce que je vis comme de l’extérieur –
a changé. Age ou sacrement. Ce qui m’eût ébranlé est une simple salutation.
Ainsi hier en fin d’après-midi, la conclusion d’un échange entre quelques-uns
sur une page d’évangile se faisait difficilement. Certains s’accrochaient à
leur façon de comprendre le texte, d’autres arguaient de variantes surprenantes
pour la traduction, on ramait sans se pénétrer de la solution, regarder ce
Christ singulier, homme de dialogue s’il en fut quand arriva la fille d’un des
particicpants. Je fus soudain dans ce qui avait pendant des décennies donné à
mon existence et à sa course sans décision, une continuité, celle de ma
vulnérabilité. J’ai toujours été
sensible au charme féminin, indépendamment d'ailleurs de la beauté conventionnelle
ou de mode, ou de l'âge, ou même de l'attitude réserve ou de disponibilité. Ce
qui m'a conduit à des épisodes ou à du partage. Les personnages de mon
compagnon, mais que je ne rencontrais et n’accompagnais qu’en situation et
qu’en circonstances. Je jouissais plus de celles-ci que d’eux. Cependant, surtout
quand ce n'est que l'instant de la mutuelle présence, si partielle soit-elle,
j'étais émerveillé que ce charme existe, action de grâces donc. Je l’ai reconnu
aussitôt à sa prise sur moi, à un enveloppement m’isolant de tout ce qui
m’occupait à l’instant et me faisant oublier les témoins de mon extase. Seul,
le prêtre qui avait proposé notre exercice, remarqua ma concentration et la
transformation de ma voix, de mon visage. Je disais à la jeune fille ce que je
voyais : elle donc. Elle répondait par le nombre de ses enfants, me
faisait déduire l’âge que je ne lui aurais pas supposé. Son texte ne
correspondait pas au teint de son visage qui avait lui aussi changé, comme le
mien. J’avais conscience de lui donner ce qu’elle allait garder longtemps en
elle, un talisman contre la suite de sa vie, le vieillissement de ses
affections et de son corps, la garantie qu’elle s’était attachée un instant
quelqu’un d’autre que ses habituels personnages, à elle.
J’ai
voulu expliquer à notre unique témoin la perfection de ce moment, revenant
malgré moi à ce comportement de toute ma vie, la sensibilité à la situation, à
sa dialectique sans aller à l’impossible divination de ce qu’en regard de moi
vivant celle dont je reconnaissais qu’elle me pénétrait. Un aveu et une
interrogation dont je ne sais non plus comment un célibataire par état de vie
et de consécration de soi, a pu les recevoir. Je ne suis pas un converti à
l’impassibilité, en lieu et place d’une fidélité dont j’ai été incapable
pendant des décennies. Simplement, j’ai été guéri à un moment précis et par un
moyen précis. Plus que le mariage qui, par lui-même, ne protège d’aucune tierce
rencontre ni d’aucune nostalgie rétrospective, il y a eu une prise de moi parce
qui continue de me surpasser, sans que je puisse savoir comment, pour elle, ma
femme l’a vécu et si elle l’a discerné en moi. Si nous avions dû délibérer notre
mariage, nous ne l’aurions jamais décidé, l'un et l'autre réfractaires à
l’invisible mais si sensible contrainte. Saurons-nous, comprendrons-nous jamais
comment nous arrivâmes à l'instant d'échanger nos consentements ? j'ai alors
quasi-physiquement eu la sensation, grâce insigne et palpable, que de mon
engagement je recevrai toujours le soutien et la force de le maintenir et que
la fidélité – suite d'une longue histoire que je ne pouvais imposer à celui qui
avait remarqué mon dialogue avec la jeune femme et ne s’en étonnait d’ailleurs
qu’en ne regardant que moi – allait désormais être ma vérité, mon chemin et mon
socle. Ce qui est. Transformation instantanée et heureuse de ma vie et de ma
psychologie. Guérison peut-être... Don Juan et le volage indécis m'ont quitté
comme un vêtement qui ne va plus ou que l'on n'a jamais vraiment choisi ni
apprécié. Voilà pour l’aveu, une explication.
L’interrogation
est plus aisée car elle n’aboutit à aucune réponse, que l’expérience ou la
récurrence valideraient. Comment se constitue un charme et même une certaine beauté ?
dans le cas de la nouvelle arrivée, ce peut surprendre. Elle est tout le
portrait de son père, qui est pourtant laid au sens morphologique, quoique les
yeux soient d'une grande bonté et d'une vraie demande. Et elle, c'est sans
doute l'âme qui affleure, qui cille et frémit, mais elle doit être appelée. Lui
dire ce que je voyais lui faisait plaisir, beaucoup plus et durablement que
bien d'autres choses banales ou dangereuses. Elle rougissait et, comme dans un
scenario, elle nous a fait changé de registre et passé de la métaphysique à
l’aventure virtuelle puisque, me rappelant notre fille et donc notre mariage,
ce dont je n'avais pas besoin, elle nous amenait à retoucher terre. Son prénom
était celui d’une héroïne d’un écrivain qui en avait fait son journal d’amour
conjugal. Et tout a cessé que ma formulation du vœu vrai qu’elle soit heureuse
dans la suite des jours et des nuits qui lui sont donnés.
Que pouvait penser notre
prêtre ? vivre ce qu’il avait surpris. Se réjouir comme moi de la
possibilité qu’autrui nous gratifie tellement par un seul instant d’apparition
et en y ajoutant plus une réplique, un acquiescement qu’une durée ?
Vérifier tranquillement la force en lui du sacrement initial pour un état lui
interdisant, sans cependant l’en faire souffrir, d’en imaginer un autre.
Pourrai-je vérifier si, en lui, c’est un choix, une préférence ou de la
prudence ? J’ai tenté souvent d’écrire ce que je venais de vivre, ainsi
emporté jusqu’au souhait indicible qui ne s’exauçait pas à cause de l’autre,
ai-je cru longtemps, à cause de moi, ce que je comprends maintenant. Mais j’ai
bien plus densément entendu la respiration de religieux voués au tout autre
qu’ils me faisaient seulement cotoyer ou ce hoquet de larmes que je devinais
sans qu’elles perlent, larmes de celles et ceux qui ne suscitent pas la
rencontre.
Situation que j’ai vécue,
au point que ce fut le rythme-même de ma vie, en tête à tête avec qui ne me
voulait pas ou me quittait.
Ainsi se groupent et se
retrouvent les personnages dont beaucoup allaient lui revenir quand il
identifierait les premiers à se manifester pour la revue, appelée à résoudre
cette crise, désormais insupportable.
Je ne les crois pas de même
sorte. Tous ne sont pas rencontre et femme. Et l’échec ne fut pas qu’amoureux
dont je vois aujourd’hui qu’il me procura la chance de réaliser ce qui m’avait
été si longtemps impossible : la stabilité du désir et de ses défis,
l’unité du cœur et le penchant constant, joyeux de l’imagination, la
consécration profane qui est l’un des versants par où venir à l’éternité.
L’échec de carrière m’a également favorisé, puisqu’il m’a dispensé d’un drame
d’amour dont je ne me serai pas dégagé comme des précédents. J’eusse été
désarmé à mort. Il me laisse l’interrogation à laquelle j’espère encore pouvoir
répondre. La réussite de l’ambition nous abîme-t-elle par son exaltation ou par
la confirmation que certains chemins y ont amené, même si la reprise de ces
chemins ou de les suivre nous assèche progressivement. J’eusse davantage appris
des fonctionnements de nos pouvoirs en société humaine. Aurai-je fait le vrai
usage de cette familiarité pour favoriser le bien commun ? je ne le sais
pas. Serai-je devenu autre ? Le saint a-t-il la nécessité d’une ambiance
particulière ? J’ai été amené par défaut à la situation qui est
irrévocablement la mienne sauf à réussir un projet considérable mais hors de ma
portée selon toute raison. L’espérance est la même qui me faisait attendre la
mobilisation par une femme – et ce fut : malgré l’inattendu, le
presqu’anodin inital comme pour endormir ma peur du définitif, envisagé en forme
de pierre tombale, et malgré d’ultimes et énormes traverses - et qui aujourd’hui me fait anticiper le
possible et l’impossible, bonheur égal puisque ce sera soit ma tentative soit
ma sagesse. L’amour m’ayant porté sans que je l’ai sollicité, choisi comme je
l’ai été en dispense d’opiner et de comparer, de soupeser moi-même, je crois à
d’autres dénouements, tous heureux malgré la persistance de deux décennies
d’astreintes et de limites auxquelles s’adjoignent maintenant ce que l’âge et
l’inertie infligent au corps et à chacune de nos facultés courantes. Je n’ai
jamais consenti le pari de longues servilités pour de place en place parvenir.
L’amour et la rencontre ont aussitôt leurs fruits et la déception a pour
palliatif les rechanges, tandis que la carrière, si les circonstances font
défaut, me paraît à regarder celle des autres, même très parvenus, comme une
course à l’impasse, à l’interruption. L’assouvissement par la gloire, par les
apparences ne sont pas de ce registre. Il y faut du travail, et même sans aucun
fruit ou presque jusqu’à présent, je m’y suis adonné. J’en ai reçu du plaisir.
Contredire cette
présentation de l’échec et la présente résignation lui paraissait nécessaire.
La crise de couple qu’il lui fallait résoudre avec ce qui était à sa portée,
était liée à ce consentement de n’avoir pas réussi. D’autres, moins doués,
beaucoup moins doués s’étaient organisés avec autant de sang-froid, de méthode
pour réussir. Des horaires, des sujets, et surtout la concentration. Il voyait
bien sa propre tendance à la dispersion, presqu’une tare. De toujours quitter
pour une autre la tâche pourtant commencée avec plaisir et même du talent, de
laisser en plan le moindre objet pour visiter autre chose. Le vice de
l’infidélité et de l’inconstance ne réside pas dans ce quoi l’on se consacre
mais dans un mouvement auquel rien ne permet de résister. Il avait réussi, au
moins quant à lui, son mariage puisqu’il y demeurait. Ce constat pouvait-il
inspirer le remède à la présente crise. Celle-ci était durable, très antérieure
au couple qu’il avait formé sur le tard. Il avait, d’innombrables fois, ou
presqu’innombrables, tenté, commencé, continué et achevé avec foi et dans
l’expérience d’une capacité qu’il croyait productive. Repoussé, il avait admis
de l’être et ne revenait jamais sur ce qui n’avait pas abouti.
Trois personnages, à se
présenter, disaient chacun, et avec une grande force, l’alternative qui eût
tout changé. Un quatrième avait deux qualités, l’une de confirmer le témoignage
des trois premiers, l’autre d’expliquer beaucoup de conclusions, très
factuelles qui l’auraient peiné s’il n’était arrivé entretemps à bien mieux
qu’un port ou au camp de base.
jeudi 12 février
2015 – 14 heures 37 à 16 heures 47
(pause
évaluation et recherche de la suite, choix de la suite : 15 heures 54)
mercredi 11 février 2015
le charme, explication et légende pour un aparte avec témoin
sera expliqué et développé
j'ai toujours été sensible au charme féminin, indépendamment d'ailleurs de la beauté conventionnelle ou de mode, ou de l'âge, ou même de l'attitude réserve ou de disponibilité. ce qui m'a coinduit à des épisodes ou à du partage. Mais toujours, surtout quand ce n'est que l'instant de la mutuelle présence, si partielle soit-elle, j'ai été émerveillé que ce charme existe, action de grâces donc. Notre mariage, il y a dix ans et huit mois, a été un événement à bien des titres car si E. et moi avions dû délibérer, nous n'aurions jamais décidé, l'un et l'autre "réfractaires" au mariage ou apeurés, etc... ce fut, tout simplement, et à l'instant de l'échange de nos consentements, j'ai quasi-physiquement eu la sensation, grâce insigne et palpable, que de mon engagement je recevrai toujours le soutien et la force de le maintenir et que la fidélité - suite d'une longue histoire que j'ai garde de vous imposer et que je n'ai pas (encore) écrite - allait désormais être ma vérité, mon chemin et mon socle. Ce qui est. Transformation instantanée et heureuse de ma vie et de ma psychologie. Guérison peut-être... Don Juan et le volage indécis m'ont quitté comme un vêtement qui ne va plus ou que l'on n'a jamais vraiment choisi ni apprécié.
Comment se "fait" un charme et même une certaine beauté ? dans le "cas" de L., née B., ce peut surprendre. Elle est tout le portrait de son père, qui est pourtant laid au sens morphologique, mais dont les yeux sont d'une grande bonté et d'une vraie demande. Et elle, c'est sans doute l'âme qui affleure, qui cille et frémit (Giono : l'âme de l'univers était comme un rayon de soleil dans l'eau) et le lui dire certainement est lui faire plaisir, beaucoup plus et durablement que bien d'autres choses banales ou dangereuses. Elle rougissait et, comme dans un scenario, elle a "botté en touche" en me rappelantr notre fille et donc notre mariage, ce dont je n'avais pas besoin, mais qui ajouta encore (finesse de son texte, même si ce fut involontaire et seulement réflex). Il y a en littérature les amours-passion habitant toute une vie : La porte étroite, Climats que vous avez sans doute lus, mais il y a les journaux et récits d'un amour, d'une perte et d'une communion par-delà le provisoire de la séparation pour mort de l'un des deux : Anne Philipe et le temps d'un soupir, Bertrand de Jouvenel et revoir Hélène, l'oeuvre presqu'entière et le journal d'Henri de Bourbon-Busset : une Laurence aussi, qu'il appelait, mon lion.
j'ai toujours été sensible au charme féminin, indépendamment d'ailleurs de la beauté conventionnelle ou de mode, ou de l'âge, ou même de l'attitude réserve ou de disponibilité. ce qui m'a coinduit à des épisodes ou à du partage. Mais toujours, surtout quand ce n'est que l'instant de la mutuelle présence, si partielle soit-elle, j'ai été émerveillé que ce charme existe, action de grâces donc. Notre mariage, il y a dix ans et huit mois, a été un événement à bien des titres car si E. et moi avions dû délibérer, nous n'aurions jamais décidé, l'un et l'autre "réfractaires" au mariage ou apeurés, etc... ce fut, tout simplement, et à l'instant de l'échange de nos consentements, j'ai quasi-physiquement eu la sensation, grâce insigne et palpable, que de mon engagement je recevrai toujours le soutien et la force de le maintenir et que la fidélité - suite d'une longue histoire que j'ai garde de vous imposer et que je n'ai pas (encore) écrite - allait désormais être ma vérité, mon chemin et mon socle. Ce qui est. Transformation instantanée et heureuse de ma vie et de ma psychologie. Guérison peut-être... Don Juan et le volage indécis m'ont quitté comme un vêtement qui ne va plus ou que l'on n'a jamais vraiment choisi ni apprécié.
Comment se "fait" un charme et même une certaine beauté ? dans le "cas" de L., née B., ce peut surprendre. Elle est tout le portrait de son père, qui est pourtant laid au sens morphologique, mais dont les yeux sont d'une grande bonté et d'une vraie demande. Et elle, c'est sans doute l'âme qui affleure, qui cille et frémit (Giono : l'âme de l'univers était comme un rayon de soleil dans l'eau) et le lui dire certainement est lui faire plaisir, beaucoup plus et durablement que bien d'autres choses banales ou dangereuses. Elle rougissait et, comme dans un scenario, elle a "botté en touche" en me rappelantr notre fille et donc notre mariage, ce dont je n'avais pas besoin, mais qui ajouta encore (finesse de son texte, même si ce fut involontaire et seulement réflex). Il y a en littérature les amours-passion habitant toute une vie : La porte étroite, Climats que vous avez sans doute lus, mais il y a les journaux et récits d'un amour, d'une perte et d'une communion par-delà le provisoire de la séparation pour mort de l'un des deux : Anne Philipe et le temps d'un soupir, Bertrand de Jouvenel et revoir Hélène, l'oeuvre presqu'entière et le journal d'Henri de Bourbon-Busset : une Laurence aussi, qu'il appelait, mon lion.
écrit - esquisse 1
Maintenant
que j’en ai vécue une,
qu’est-ce que la vie ?
Depuis leur mariage, il
n’avait plus qu’un seul problème de couple. Il comptait le résoudre maintenant.
Il avait tous les éléments en mémoire. Les personnages, nombreux, souvent intenses,
disparus pour la plupart, introuvables ou refusant quelque relation ne faisant
pourtant rien risquer, du moins de son propre point de vue. Il se savait
protégé par dix ans d’une vie, la sienne, plus que celle de sa femme plus
sensible que lui à leurs multiples astreintes matérielles, financières. S’ils
portaient les mêmes deuils, ils ne les vivaient pas tous deux, de la même
façon. Il avait la souffrance affichée des tombes et la mémoire des derniers
instants supposés. Il ne les disait pas. Elle avait un autre courage, elle ne
se plaisait ni là où ils existaient ni dans la vie en général, les lieux
l’enfermaient et l’amour qu’elle éprouvait ne lui faisait ressentir aucun sens
ni justification pour ce qu’elle n’avait pas choisi. L’amour était là pourtant,
se disant avec insistance mais humilité en termes de sollicitude. Il était
pesant, elle était présente. Protégé, lui, tout simplement par la
responsabilité qu’il se savait d’elle. Quelque chose de surnaturel lui était
advenu au moment d’échanger le oui
sacramentel de la liturgie catholique, le oui
sans doute de toute liturgie nuptiale. Physiquement, il avait ressenti qu’il
recevait la grâce et le goût de tenir parole, et que cela durerait. Et cela
avait tenu. Depuis dix ans, il n’avait plus été tenté par personne, soit en
rencontre ou cotoiement de hasard, soit rétrospectivement par le souvenir d’un
bonheur, d’une alternative manqués. Ce qui pendant des décennies l’avait
empêché de se consacrer à un couple, à une personne, à une femme, semblait
avoir disparu. Ils n’avaient pas délibéré leur mariage, il eût peut-être une
fois de plus reculé, fui, et elle avait
acquiescé au diagnostic maternel : aucune vocation ou aucune
aptitude ni au mariage ni à la maternité. Nature ? allure ?
conformation ? c’était simplement et sans motif, la négation. Or, ils
s’étaient mariés, l’un à l’autre. Mieux valait constater : l’un par
l’autre, ils avaient pleine conscience.
Personnage principal, elle
donc. Personnage mystérieux. Il ne savait guère son histoire, il avait l’usage
de ses goûts et de ses refus mais pas le secret de ce qu’elle voudrait ou
aurait voulu vivre, encore moins de ce qui l’attachait à lui. Le souci
permanent qu’il lui causait, il le savait en fait et en multiples raisons. Il
ne la connaissait pas alors qu’elle était à présent, et de beaucoup, la femme
avec laquelle il avait déjà le plus longtemps vécu, et le plus intimement. Sans
aucune diversion : personne d’autre dans sa propre vie, et elle l’exercice
successifs de plusieurs métiers, les heures de son absence lui donnant, à lui,
encore plus le goût et l’occupation de penser à elle.
Second personnage à la
complexité très différente. Leur fille. Seconde ancre pour sa fidélité
d’homme et souci de correspondre, moins à une liberté qu’il avait pressentie
dès la conception de leur enfant, qu’à la responsabilité – seconde forme – et à
la gloire – gratification – ou à la culpabilité de fournir et travailler, ou
pas, le terreau des souvenirs, les apports faisant de la petite enfance la
force de tout avenir. Sa femme le surprenait par l’amour qu’elle avait pour lui
et par ces fulgurances de beauté ou de communion, l’assurant non des fondements
de son choix, mais de son bonheur d’homme, de mari. Leur fille l’étonnait par
ses dires, par ses refus et par ses retours – affection puis raison – à des
accords qu’il pensait ne plus recevoir. Il était plus le témoin de cette vie à
laquelle il comparait parfois la mémoire de ses propres premières années, que
l’instigateur. Mémoire des faits et des sentiments qu’il avait lui-même vécus
antan et suite, multiplication quotidienne de ce qu’il voyait de sa fille, des
confidences, des constats, des constructions, des questions qu’elle lui disait.
Il apprenait d’elle bien plus qu’il n’avait jamais appris. Parce qu’il
l’admirait, l’aimait ? était intensément disponible sauf quand il était à
écrire. Papa, as-tu du temps ? Il répondait affirmativement. Il échangeait
progressivement ou d’un coup sa propre vie contre celle d’un enfant. Son
enfant, un réflexe ? ou un enfant dont chaque jour, chaque soir il
refaisait, confirmer le choix. Ce n’était pas une préférence à tout autre, et
les entrées et les sorties de l’école primaire lui réservaient des habitudes et
des rencontres de charmants visages, d’autant plus attirants qu’il leur était indifférent,
connu : le père de telle camarade. Le grand-père ? Parfois, leur
fille qui n’aimait pas le prénom qu’ils lui avaient donné, souffrait de cette
apparence paternelle, étiquetée jusqu’au démenti. Refus de la généalogie ?
Si elle devait en être handicapée, en souffrir, l’âge lui pesait mais comme un
vêtement ne convenant pas. La sensation de sa fille
n’était pas récurrente, il comptait la lui faire transcender par la fierté de
son père, qu’il lui donnerait. Ainsi qu’à sa femme. Pour elles deux, il avait
commencé tard et petitement. Mais il savait bien que sans elles, il n’aurait
jamais commencé, elles n’eussent jamais existé, elles justifiaient chacune de ses
attentes, chacun de ses refus et palliaient chacun de ses échecs.
journal d'il y a cinquante ans
Avertissement : à mon affectation en service national français, comme
enseignant au Centre de formation administrative de Nouakchott (ce ne sera
l'Ecole nationale d'administration mauritanienne qu'en Novembre 1966), je
tenais déjà un journal manuscrit depuis Août 1964.
Je commence
ici la mise au net de ces notes en tant qu'elles racontent mon premier séjour
en Mauritanie : Février 1965 à Avril 1966. J'y fête mon 22ème anniversaire et y
vivrai un amour malheureux qui occupera beaucoup de ces pages : elles seront parfois omises.
Les notes
sont écrites à la mise au net, c'est-à-dire cinquante ans plus tard. L'ensemble
serait évidemment à nuancer, surtout pour les personnes dont beaucoup ont eu de
l'époque à parfois jusqu'à nos jours, de l'importance.
Mon affectation m'avait été confirmée le 13 Janvier 1965. J'avais été auparavant reçu au concours d'entrée à l'Ecole nationale d'administration française, le 18 Décembre 1964, après avoir "fait" Sciences-Po. et le Droit.
Jeudi 11 Février 1965
Depuis que je suis rentré de
Frileuse [1],
je n’ai pas arrêté : rendez-vous avec des Mauritaniens, conférences au
ministère de la Coopération, ou ailleurs, courses avec Maman. Et dans quelques
jours, c’est l’envol vers Nouakchott, autant dire l’inconnu total, bien que
j’ai pris tous ls contacts possible à Paris, et qu’à travers les gens que j’ai
rencontrés, j’ai pu avoir – je crois – tous les points de vue possibles.
Je regrette de n’avoir pas
noté chaque soir, ce qui avait été dit dans la journée. Mais maintenant – et
avant d’aller déjeuner demain chez l’ambassadeur de la R.I.M. [2],
quelques impressions se dégagent.
+ conférence de la
Coopération
Travail plus humain qu’intellectuel, à
faire là-bas. Trouver méthodes pédagogiques tout à fait nouvelles :
imagination . De toutes façons niveau très faible des élèves. Le français est
pour eux une langue étrangère. Ne pas leur enseigner nos défauts. Faire des
travaux pratiques le plus possible.
Impression fréquente que ces conférences –
dont j’ai pris note par ailleurs, ne cadrent pas avec la réalité :
- travail à faire beaucoup plus humble, et
moins « influent », au lieu de grandes divagations sur les
« E.N.A. »,
- réalité de la Mauritanie très différente
de celle du reste de l’Afrique.
Mais bien au fait de la politique de la
France et de la mentalité des initiateurs de cette politique, cf. Triboulet.
+ rencontre de Mauritaniens
chez madame Darde, dimanche 31 Janvier.
Conversation facile avec Ahmed Killy, et
Abdallah (I.H.E.O.M.). Impression de garçons sérieux et ouverts. Abdallah très
francisé. Mais Ahmed killy, sur la défensive, accusant gentiment madame Darde
de donner une vision trop folklorique et carte postale de la Mauritanie, et des
hommes
Madame Darde m’a parlé avec
enthousiasme : vérité de
ces hommes, franchise parfois déroutante, humour, accueil magnifique dans le
désert. Désert où l’on attend tout de Dieu.
+ déjeuner au Paris-Luxembourg avec des amis
d’Abdallah. Conversation amicale, aucune défience ou complexe de ces gens, que
l’on a somme toute pacifiés sans les soumettre. Fait la
« connaissance » de Abderrahmane, fonctionnaire à la Radio, et de
Ahmed (dont j’ai su plus tard, qu’il s’appelle Ould Daddah, et est donc frère
du Président et de l’ambassadeur à Paris). Nous nous sommes attardés et avons
parlé librement d’à peu près tout : la Mauritanie et ses problèmes
économiques, la politique française, de Gaulle, les prochaines élections
présidentielles.
M’ont fait l’impression d’être modérés et
ouverts.
(( Ceci me fait rappeler un autre point
relevé par Mme Darde, leur discrétion.
Toujours prêts à accueillir, et à faire quelque chose pour nous, mais aller
vers eux.))
Impression qu’il n’y a guère de problème
politique. Le Président étant bien accepté. Le problème des Noirs étant
escamoté dans la conversation avec les Mauritaniens, ou réglé par l’ambassadeur
qui souligne qu’un certain % de ministres sont Noirs, et que Moktar met des
préfets noirs dans le Nord, et des Blancs dans le Sud.
+ j’en viens déjà à parler
de l’ambassadseur, d’Abdallahi Ould Daddah. Le Mauritanien qui m’a – finalement
– le plus frappé tous ces jours-ci, et avec qui je me réjouis beaucoup de
déjeuner demain. Type d’homme formidable. Mince et un peu frêle. Mais une tête
magnifique et d’une grande noblesse (d’après des photos d’ailleurs, le costume
européen lui va mieux que le vêtement traditionnel). Hôtel particulier meublé
sobrement – à la française, mais avec goût.
Malheureusement, Madame Darde a beaucoup
parlé et la discrétion de l’ambassadeur a rendu la conversation moins
multilatérale. Visiblement, il était heureux de me recevoir. Je lui ai dit
combien j’arrivais en demandeur dans son pays, et combien j’étais heureux de le
connaître, que les contacts que j’avais eus jusqu’alors, m’encourageaient. Que
j’avais « choisi » la Mauritanie pour le désert et l’austérité.
(A vrai dire, je mettais Madagsacar en
premier, au mois de Novembre, en remplissant ma demande. Mais Madagascar était
impossible à obtenir. D’emblée, j’ai écarté les grandes villes : Dakar,
Abidjan. Creyssel m’a proposé Tchad ou Mauritanie, relevant le fait qu’un
« scout » serait utile en Mauritanie, pour des déplacements éventuels.
Maman, sur le conseil du Père Boulanger, m’a fait choisir la Mauritanie. Et
depuis, je me suis ancré et consolidé dans mon choix, le ratifiant plus chaque
jour
. spiritualité du désert : austérité,
et silence
. le fait que je sois le seul E.N.A. Pas
de « faisandage » de combine, pas à voir, toute une année, des gens
avec qui je ne sympathiserai guère.)
L’ambassadeur a souligné qu’il comptait
sur moi pour fertiliser le
désert. Autrement dit, voir les deux côtés, et apporter au pays. Dans cet ordre
d’idées, pour que la coopération culturelle en soit vraiment une, je prendrai
des leçons d’arabe à Nouakchott [3].
Comment faire reespecter nos idées et notre culture, si nous ignorons les idées
et la culture de notre interlocuteur. Je crois d’ailleurs que cet effort peut
me faciliter bien des contacts.
M’a fait part de sa foi dans son pays. Au début, il y a cinq ou six ans, était
sceptique (a d’ailleurs été communiste, ou marxiste dans sa jequnesse). Premier
conseil des ministres à Nouakchott sous la tente. N’y croyait pas. Mais
maintenant sait que cela est possible, que c’est en route, que son pays a de
l’avenir. A foi en lui. J’aime qu’il m’a amené à partager cette foi.
A une question de monsieur Darde sur le
parti unique [4], il a
répondu très clairement et très simplement.
* nécessité armature et colonne vertébrale
pour le pays. Pas le luxe ni les moyens d’une opposition.
* rôle d’information. D’où nécessité d’une
non-identification avec l’administration. Administration traditionnellement mal
vue (souvenir colonial), d’où information apparemment non engagée. Au fond,
parti à la fois canalisation et courroie de transmission.
M’a demandé avec beaucoup de franchise, si
je pensais que le régime capitaliste était plus adapté que le régime socialiste
à la Mauritanie. Je lui ai dit que je partais en Mauritanie sans aucune idée
préconçue, ne connaissant pratiquement rien du pays. Mais que je le tiendrai au
courant de mes impressions. Qu’en retour, je lui demandais de me faire
confiance, et de me guider un peu.
M’a paru plus informé par Le Monde que par son gouvernement. Je
touche là – je crois – un des problèmes essentiels de la diplomatie.
(Petit scandale que j’ai constaté hier à
la Coopération, et qui rejoint mon observation précédente. Un rapport sur les
possibilités de recasement en Mauritanie des travailleurs mauritaniens en
France, fort intéressant, et qui intéresserait au premier chef les autorités
mauritaniennes, ne leur pas été distribué, faute de crédits.
D’ailleurs, un autre fait frappant :
toute la documentation, même officielle, est de source française. Au moins
celle de base. Indépendance ?
Que le rôle des dirigeants mauritaniens
doit être dur parfois tant de telles conditions, de parler en Mauritaniens et
de connaître leur pays et son intérêt…
àC’est d’ailleurs
un des côtés par lequel je peux aider la Mauritanie, c’est faire connaître et aimer aux Mauritaniens, leur propre pays.)
Le dîner avait lieu le mercredi 3 Février.
+ thé au Copar, chez Mohamed Ould Daddah, avec
les Darde. Ahmed et Hamdi (que je connaissais de vue par le Droit, mais avec
qui je n’avais guère parlé…) étaient là. Rite du thé. Petits verres. Thé amer,
puis de plus en plus sucré à mesure des « resucées » (au sens propre,
car les verres sont mélangés à chaque fois) que l’on verse dans les verres de
très haut. Petite théière jolie. (Claude m’a appris l’autre dimanche qu’elles
étaient en vente au Prisunic.
Dommage…, cf. la rose artificielle de Sacha Guitry).
Conversation détendue mais banale. Le
moins qu’on puisse dire est que les contacts sont faciles. Mais peuvent-ils
être vraiment profonds ? Mon séjour à Nouakchott, le dira peut-être ?
Dans l’auto., en me ramenant à la maison,
les Darde m’ont parlé du problème de la femme
. excision dès la naissance (conséquences
surtout psychologiques)
. Mauritaniens se marient plus volontiers
avec Européennes, dès qu’ils sont évolués (problème de Mme Moktar)
. conception du mariage dans l’Islam, pas
polygame dans l’espace (une femme à la fois) mais dans le temps
+ lundi dernier, 8 Février
Conversation fort agréable, chez Miss Cha.
[5]
avec le colonel Chalmel, qui a passé deux ou trois en Mauritanie, dans les
méharistes vers 1925-1930. Description très vivante des combats, mission
essentiellement militaire. Convergence avec Madame Darde sur la beauté et la
spiritualité du désert, qu’on ne pénètre qu’avec le temps. Notions sur les
points d’eau et les pâturages. Insiste et j’en ai été frappé) sur la liberté des Maures. Vont où ils
veulent. Pas le canal des mers et des maisons. A aussi souligné que le Maure n’était
pas travailleur.
+ juste après, à la Rhumerie.
Entretien avec Creyssel (et aussi ceux qui
partent en R.C.A., au Sénégal et en Haute-Volta). Est revenu en passant sur
l’idée de non-travail des Maures. M’a parlé longuement de l’Ecole, de Widmer [6]
(cinquantaine bien passée, marié à Américaine), goût de l’efficacité, du
rendement. A reparlé de mon double travail : enseignant à Nouakchott, et
« messageries » culturelles pour ressourcer les fonctionnaires.
+ mardi après-midi, à la
Miferma.
Reçu cordialement par M. Paoli,
bourlingueur, qui a fait la guerre dans le Pacifique. Société florissante.
Toujours impressionné par l’infrastructure de la société sur place. A paru être
un peu tendu vis-à-vis de la Mauritanie. Conscient de créer un Etat dans
l’Etat. Les brochures qu’il m’a remises, montre les installations et même
l’investissement social. De toutes façons, il me faudra bien connaître le
dossier Miferma.
A un peu peur du désert. Mais reconnaît
combien il est majestueux. Néant. Vide. Il n’y a rien. Je serai bien reçu à la
Miferma.
+ hier, déjeuner avec
Dumont-Martin (fonctionnaire à la Coopération) et avec M. Cornu, conseiller à
la Fonction publique Nouakchott. A jeté
beaucoup d’eau sur le feu. C’est peut-être bon, car je me faisais peut-être une
trop belle idée de mon séjour là-bas : week-end en brousse, contacts
multiples, etc… voire voyages.
. sceptique sur les contacts, n’en a pas
personnellement. Estime que c’est question de don et de personnalité.
. trouve le Mauritanien paresseux, peu
ouvert au porogrès, dissimulateur et faux. On croit être de plain-pied alors
qu’on ne l’est pas.
. a insisté sur le problème des crédits.
Tout étant absorbé par la construction de l’Ecole, rien ou peu pour
l’enseignement. Pour aller en brousse (brousse = ce qui n’est pas la
capitale), il faudra probablement me débrouiller par moi-même.
. m’a donné l’impression que les Français
vivaient repliés sur eux-mêmes. Ne cherchent pas les contacts avec les
Mauritaniens.
J’espère ne pas être coupé,
par un écran de Français et ne pas avoir à choisir entre les Français et les
Mauritaniens. Risque de recevoir de belles idées et d’être enthousiasmé à
Paris, et d’être enterré complètement à Nouakchott. Nécessité si je veux
connaître le pays, et ceux qui l’habitent, de sortir de Nouakchott. Espoir que
le contact sera amical et facile avec l’ambassade et que je pourrai avoir des
liens avec les hauts-fonctionnaires mauritaniens.
Donc ensemble de points de
vue, notes discordantes sur la Mauritanie. Je pense que toutes deux sont
vraies. L’amitié et la vérité sont possibles avec les Mauritaniens, mais avec
beaucoup plus de temps, peut-être, que les apparences ne le laissent croire.
Réflexion commune du colonel
Chalmel et de madame Darde : intuition étonnante du Mauritanien, et
promptitude à juger et à estimer. Ce peut (toute modestie mise à part) être une
force pour moi, qui aime jouer cartes sur table, et parle franchement.
[1] - près de
Saint-Nom-la-Bretèche, aux environs de Paris : j’y ai effectué « mes
classes » militaires, sans grade
[2] - abréviation pour
République Islamique de Mauritanie
[3] - je ne l’ai
malheureusement pas fait
[4] - il vient d’être
constitutionnalisé par une loi du 12 Janvier 1965
[5] - première
agrégée d’anglais en France, 1911 – cinquante ans au lycée Racine – amie de mes
grands-parents maternels depuis leur séjour à Saint-Quentin au début des années
1920, avant leur participation à l’occupation de la Rhénanie
[6] - la Mauritanie doit
certainement les fondements statutaires et matériels de son Ecole nationale
d’administration à cet homme exceptionnel de ténacité, de patience, de revenue
à la charge. Grand,
toujours costumé et cravaté, chapeau, place du mort dans un combi bleu à toit
blanc, il va recueillir lui-même les signatures ministérielles pour cette
entreprise. Parcours antérieur que je n’ai pas su sinon qu’il était du côté de la France libre, au Levant –
la mission laïque – pendant la guerre. Egotiste et autiste, il n’est pas
sympathique, mais il a l’acharnement
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