L’écrit que je tente… je le voyais sous deux aspects.
L’approfondissement et la systématisation de mon expérience de la vie, à
travers d’apparentes diversités, pas seulement la continuité en tous domaines
dont j’ai pris conscience il y a peu : façon d’aimer, façon de me
disperser, façon d’échouer à écrire du comestible et convictions autant
qu’appétits en politique et pour des sujets précis, le gaullisme ou plutôt DG,
la Mauritanie, mais une façon d’en jouir et de vouloir en témoigner, la faire
partager, le spirituel comme source et comme communion en inspiration et en
expression. La mobilisation de deux séries de matériaux : les personnages
de ma vie, les thèmes et situations. Avec peut-être la réflexion sur ce qu’est
réussir, ce qu’est l’unité d’une vie et d’une conscience, ce qu’est l’amour et
ce que sont les grandes situations et les grands sentiments, grands au sens
d’englober, de rendre compte, de fonder.
J’ai commencé sans véritable préméditation ni en méthode ni en plan ni
en prévision d’aboutissement, d’un point d’aboutissement. C’est le point de
départ qui m’est venu. Celui qui écrit et ne serait pas moi assemble ses
matériaux pour régler un problème de couple, celui qu’a diagnostiqué au début
de cette semaine : MCC, problème de couple avec l’écriture, parabole de
l’impuissance et de la stérilité qui sont à présent miennes sauf les
précautions ou les adjuvants que permettent la médecine et que JPD il y a
quinze ans et maintenant m’a fait découvrir. Et j’ai vite eu envie de détailler
des situations ou des aventures, tout simplement l’une d’à présente, le dialogue
de pas une minute avec L. Intervenant : je, au lieu d’écrire : il,
j’ai peut-être trouvé le scenario. Une théorisation et une recherche d’un côté,
des illustrations et des aveux, illustrations par le passé, des aveux au
présent. Il pourrait ainsi y avoir une liste de personnages, décrits
explicitement par le ou les moments qu’ils m’ont donnés, une liste et une
typologie de situations : le succès, l’échec, l’impuissance, la fécondité
tant littéraire qu’amoureuse et plus encore charnelle, la paternité, les
rencontres de mentors par le livre ou par la fréquentation directe, humaine,
vécue. Il y aurait la continuité de comportement et de convictions, le
spirituel, le politique et avec des addictions
: longtemps la drague, longtemps les achats de tableaux et de livres, la
photo de nu, le nu féminin, mais aucune de celles qui lient à jamais (jeu,
alcool, vol) et dont j’ai reçu la grâce d’être protégé. L’inclassable mais le
décisif, trame de vie : la prière et la lectio divina, la maison ou
l’appartement, la résidence, la sensation des continuités et dépendances
généalogiques, notre nom, mes ascendances, curiosité et réalité ne portant plus
seulement sur les miens et des deux « côtés » maternel et paternel,
mais sur ma belle-famille et sur les suites, notre fille. Ce qu’il adviendra de
cette maison et de cette propriété, lutte et coût obsessifs. Ce qu’il adviendra
de mes livres et de mes manuscrits ou papiers, sans y enfermer ma femme et
notre fille survivantes. Les batailles et suspenses : concours, disgrâces,
procès. L’émotion des intimités qui commencent, des rencontres en fortes
sensations d’affinités, jeunes filles ou jeunes femmes pour la plupart, mais
des partages intenses avec certains aînés, gens politiques ou religieux et
prêtres. Le bonheur inexprimable, très longtemps répété, de plus en plus
savouré à mesure que je discernais combien c’est une grâce que « cela
marche », la place donc dans la vie, individuelle, dans la vie du couple,
dans la relation au monde et pour la foi en la beauté. La vie de groupe, la
fratrie, les tentatives en politique, en classes d’âge et promotion scolaire.
Le recevoir d’apprendre, l’auto-formation de
certaines époques, la recherche documentaire à d’autres, les années de
lecture, celles d’écriture. Le rapport à l’argent, le rapport à la maladie, la
santé. Les affleurements de la mort, il y a vingt ans, puis il y a quinze ans,
puis maintenant, si différents dans leur succession, celle-ci imprévisible
autant qu’exclue.
Alors, une façon de bataille entre il et je pour régler cette crise
du couple : l’écriture et moi, qui dure sans doute depuis 1968 et mes deux
premiers échecs amoureux, les fiançailles convenues puis brisées, la
présentation qui me séduit mais dont toute suite m’est aussitôt refusée :
N et L. Et une autre manière de résoudre la crise : y ajouter un matériau
totalement nouveau si je parviens à réaliser le projet que je n’énoncerai pas
dans ce texte, car je veux l’écrire comme si ma vie avait cessé et qu’il ne me
restait, pour un peu de temps, que les moyens et la disposition de récapituler,
de comprendre et donc de rendre la copie. A l’éditeur, et plus encore à
moi-même. Serai-je content de ce qui aura ainsi surgi ? et de quoi suis-je
aujourd’hui constitué ? de ce qui me rend si heureux de le posséder (mon
unité intime, mon retour pour chaque instant à l’amour, principalement à
l’amour de ma chère femme et de notre fille,
vivre et partager dans le même temps et à l’âge que j’ai l’extrême
jeunesse et le cramponnement commencé de la vieillesse) et me fait donc insensible
à ce qui me captait autrefois immanquablement, et dont je sens bien souvent que
cela n’a pas disparu, sauf que le lien possible, je le rejette et que si même
il commençait de se nouer, je me l’arracherais du tour de moi. Voilà où j’en
suis, ce soir. – Tout cela, cependant, peut-être sera mis en cause demain…
Depuis mes premières lignes mercredi, j’ai bafouillé et surtout je me suis
dépris de mon travail puis y suis revenu le trouvant, au moins en structure,
pas inintéressant. Il y a donc le défi de produire quelque chose, et si je
devais ne pas y arriver ces jours-ci, ce serait le signe (comminatoire ?) que
décidément ce ne me fut jamais possible, un mirage et un projet comme d’autres,
irréaliste et ne me correspondant pas, faute que j’en ai les moyens. Donc vraiment
passer désormais à autre chose. Et enfin la difficulté que le matériau surtout
pour le présent, ne m’appartient pas en propre ni exclusivement. Dans ma vie, ce
que j’ai laissé passer, en quoi très précisément j’ai déçu et qui ? mes
grands péchés au vrai.
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