mercredi 11 février 2015

écrit - esquisse 1



Maintenant

que j’en ai vécue une,

qu’est-ce que la vie ?









Depuis leur mariage, il n’avait plus qu’un seul problème de couple. Il comptait le résoudre maintenant. Il avait tous les éléments en mémoire. Les personnages, nombreux, souvent intenses, disparus pour la plupart, introuvables ou refusant quelque relation ne faisant pourtant rien risquer, du moins de son propre point de vue. Il se savait protégé par dix ans d’une vie, la sienne, plus que celle de sa femme plus sensible que lui à leurs multiples astreintes matérielles, financières. S’ils portaient les mêmes deuils, ils ne les vivaient pas tous deux, de la même façon. Il avait la souffrance affichée des tombes et la mémoire des derniers instants supposés. Il ne les disait pas. Elle avait un autre courage, elle ne se plaisait ni là où ils existaient ni dans la vie en général, les lieux l’enfermaient et l’amour qu’elle éprouvait ne lui faisait ressentir aucun sens ni justification pour ce qu’elle n’avait pas choisi. L’amour était là pourtant, se disant avec insistance mais humilité en termes de sollicitude. Il était pesant, elle était présente. Protégé, lui, tout simplement par la responsabilité qu’il se savait d’elle. Quelque chose de surnaturel lui était advenu au moment d’échanger le oui sacramentel de la liturgie catholique, le oui sans doute de toute liturgie nuptiale. Physiquement, il avait ressenti qu’il recevait la grâce et le goût de tenir parole, et que cela durerait. Et cela avait tenu. Depuis dix ans, il n’avait plus été tenté par personne, soit en rencontre ou cotoiement de hasard, soit rétrospectivement par le souvenir d’un bonheur, d’une alternative manqués. Ce qui pendant des décennies l’avait empêché de se consacrer à un couple, à une personne, à une femme, semblait avoir disparu. Ils n’avaient pas délibéré leur mariage, il eût peut-être une fois de plus reculé, fui, et elle avait  acquiescé au diagnostic maternel : aucune vocation ou aucune aptitude ni au mariage ni à la maternité. Nature ? allure ? conformation ? c’était simplement et sans motif, la négation. Or, ils s’étaient mariés, l’un à l’autre. Mieux valait constater : l’un par l’autre, ils avaient pleine conscience.

Personnage principal, elle donc. Personnage mystérieux. Il ne savait guère son histoire, il avait l’usage de ses goûts et de ses refus mais pas le secret de ce qu’elle voudrait ou aurait voulu vivre, encore moins de ce qui l’attachait à lui. Le souci permanent qu’il lui causait, il le savait en fait et en multiples raisons. Il ne la connaissait pas alors qu’elle était à présent, et de beaucoup, la femme avec laquelle il avait déjà le plus longtemps vécu, et le plus intimement. Sans aucune diversion : personne d’autre dans sa propre vie, et elle l’exercice successifs de plusieurs métiers, les heures de son absence lui donnant, à lui, encore plus le goût et l’occupation de penser à elle.

Second personnage à la complexité très différente.  Leur fille. Seconde ancre pour sa fidélité d’homme et souci de correspondre, moins à une liberté qu’il avait pressentie dès la conception de leur enfant, qu’à la responsabilité – seconde forme – et à la gloire – gratification – ou à la culpabilité de fournir et travailler, ou pas, le terreau des souvenirs, les apports faisant de la petite enfance la force de tout avenir. Sa femme le surprenait par l’amour qu’elle avait pour lui et par ces fulgurances de beauté ou de communion, l’assurant non des fondements de son choix, mais de son bonheur d’homme, de mari. Leur fille l’étonnait par ses dires, par ses refus et par ses retours – affection puis raison – à des accords qu’il pensait ne plus recevoir. Il était plus le témoin de cette vie à laquelle il comparait parfois la mémoire de ses propres premières années, que l’instigateur. Mémoire des faits et des sentiments qu’il avait lui-même vécus antan et suite, multiplication quotidienne de ce qu’il voyait de sa fille, des confidences, des constats, des constructions, des questions qu’elle lui disait. Il apprenait d’elle bien plus qu’il n’avait jamais appris. Parce qu’il l’admirait, l’aimait ? était intensément disponible sauf quand il était à écrire. Papa, as-tu du temps ? Il répondait affirmativement. Il échangeait progressivement ou d’un coup sa propre vie contre celle d’un enfant. Son enfant, un réflexe ? ou un enfant dont chaque jour, chaque soir il refaisait, confirmer le choix. Ce n’était pas une préférence à tout autre, et les entrées et les sorties de l’école primaire lui réservaient des habitudes et des rencontres de charmants visages, d’autant plus attirants qu’il leur était indifférent, connu : le père de telle camarade. Le grand-père ? Parfois, leur fille qui n’aimait pas le prénom qu’ils lui avaient donné, souffrait de cette apparence paternelle, étiquetée jusqu’au démenti. Refus de la généalogie ? Si elle devait en être handicapée, en souffrir, l’âge lui pesait mais comme un vêtement ne convenant pas. La sensation de sa fille n’était pas récurrente, il comptait la lui faire transcender par la fierté de son père, qu’il lui donnerait. Ainsi qu’à sa femme. Pour elles deux, il avait commencé tard et petitement. Mais il savait bien que sans elles, il n’aurait jamais commencé, elles n’eussent jamais existé, elles justifiaient chacune de ses attentes, chacun de ses refus et palliaient chacun de ses échecs.

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