jeudi 12 février 2015

écrit - suite 3 de l'esquisse



Je délibère d’intervenir, mais je choisis de respecter mon compagnon à l’ouvrage, de ne pas le commenter. Ou seulement  lui dirai-je ce qu’il m’apporte. Il me fait comprendre que jusqu’à son travail, les situations, les événements constituaient mon gisement tandis que maintenant ce sont les personnes qui se dégagent ou plutôt ce que je n’ai su connaître d’elles, alors qu’elles seules m’intéressaient, me suscitaient mais je ne le savais pas. Je ne regrette pas qu’elles me soient restées mystérieuses à leurs époques respectives. Côte à côte, périodiquement, à heure fixe ou par hasard, à longueur d’années ou pendant quelques minutes, la communion ou l’étreinte – le furtif d’une perspicacité d’âme que je croyais jumelle de l’autre parce qu’il constituait soudainement tout le paysage ou la grâce de l’étreinte qui est danse des profondeurs, vertige dont on peut revenir, mais cela n’est pas su d’emblée, ni peut-être même souhaité – me suffisaient.

Quelque chose – ce temps-ci dans le défilement de mon existence, dans ce que je vis comme de l’extérieur – a changé. Age ou sacrement. Ce qui m’eût ébranlé est une simple salutation. Ainsi hier en fin d’après-midi, la conclusion d’un échange entre quelques-uns sur une page d’évangile se faisait difficilement. Certains s’accrochaient à leur façon de comprendre le texte, d’autres arguaient de variantes surprenantes pour la traduction, on ramait sans se pénétrer de la solution, regarder ce Christ singulier, homme de dialogue s’il en fut quand arriva la fille d’un des particicpants. Je fus soudain dans ce qui avait pendant des décennies donné à mon existence et à sa course sans décision, une continuité, celle de ma vulnérabilité. J’ai toujours été sensible au charme féminin, indépendamment d'ailleurs de la beauté conventionnelle ou de mode, ou de l'âge, ou même de l'attitude réserve ou de disponibilité. Ce qui m'a conduit à des épisodes ou à du partage. Les personnages de mon compagnon, mais que je ne rencontrais et n’accompagnais qu’en situation et qu’en circonstances. Je jouissais plus de celles-ci que d’eux. Cependant, surtout quand ce n'est que l'instant de la mutuelle présence, si partielle soit-elle, j'étais émerveillé que ce charme existe, action de grâces donc. Je l’ai reconnu aussitôt à sa prise sur moi, à un enveloppement m’isolant de tout ce qui m’occupait à l’instant et me faisant oublier les témoins de mon extase. Seul, le prêtre qui avait proposé notre exercice, remarqua ma concentration et la transformation de ma voix, de mon visage. Je disais à la jeune fille ce que je voyais : elle donc. Elle répondait par le nombre de ses enfants, me faisait déduire l’âge que je ne lui aurais pas supposé. Son texte ne correspondait pas au teint de son visage qui avait lui aussi changé, comme le mien. J’avais conscience de lui donner ce qu’elle allait garder longtemps en elle, un talisman contre la suite de sa vie, le vieillissement de ses affections et de son corps, la garantie qu’elle s’était attachée un instant quelqu’un d’autre que ses habituels personnages, à elle.

J’ai voulu expliquer à notre unique témoin la perfection de ce moment, revenant malgré moi à ce comportement de toute ma vie, la sensibilité à la situation, à sa dialectique sans aller à l’impossible divination de ce qu’en regard de moi vivant celle dont je reconnaissais qu’elle me pénétrait. Un aveu et une interrogation dont je ne sais non plus comment un célibataire par état de vie et de consécration de soi, a pu les recevoir. Je ne suis pas un converti à l’impassibilité, en lieu et place d’une fidélité dont j’ai été incapable pendant des décennies. Simplement, j’ai été guéri à un moment précis et par un moyen précis. Plus que le mariage qui, par lui-même, ne protège d’aucune tierce rencontre ni d’aucune nostalgie rétrospective, il y a eu une prise de moi parce qui continue de me surpasser, sans que je puisse savoir comment, pour elle, ma femme l’a vécu et si elle l’a discerné en moi. Si nous avions dû délibérer notre mariage, nous ne l’aurions jamais décidé, l'un et l'autre réfractaires à l’invisible mais si sensible contrainte. Saurons-nous, comprendrons-nous jamais comment nous arrivâmes à l'instant d'échanger nos consentements ? j'ai alors quasi-physiquement eu la sensation, grâce insigne et palpable, que de mon engagement je recevrai toujours le soutien et la force de le maintenir et que la fidélité – suite d'une longue histoire que je ne pouvais imposer à celui qui avait remarqué mon dialogue avec la jeune femme et ne s’en étonnait d’ailleurs qu’en ne regardant que moi – allait désormais être ma vérité, mon chemin et mon socle. Ce qui est. Transformation instantanée et heureuse de ma vie et de ma psychologie. Guérison peut-être... Don Juan et le volage indécis m'ont quitté comme un vêtement qui ne va plus ou que l'on n'a jamais vraiment choisi ni apprécié. Voilà pour l’aveu, une explication.

L’interrogation est plus aisée car elle n’aboutit à aucune réponse, que l’expérience ou la récurrence valideraient. Comment se constitue  un  charme et même une certaine beauté ? dans le cas de la nouvelle arrivée, ce peut surprendre. Elle est tout le portrait de son père, qui est pourtant laid au sens morphologique, quoique les yeux soient d'une grande bonté et d'une vraie demande. Et elle, c'est sans doute l'âme qui affleure, qui cille et frémit, mais elle doit être appelée. Lui dire ce que je voyais lui faisait plaisir, beaucoup plus et durablement que bien d'autres choses banales ou dangereuses. Elle rougissait et, comme dans un scenario, elle nous a fait changé de registre et passé de la métaphysique à l’aventure virtuelle puisque, me rappelant notre fille et donc notre mariage, ce dont je n'avais pas besoin, elle nous amenait à retoucher terre. Son prénom était celui d’une héroïne d’un écrivain qui en avait fait son journal d’amour conjugal. Et tout a cessé que ma formulation du vœu vrai qu’elle soit heureuse dans la suite des jours et des nuits qui lui sont donnés.

Que pouvait penser notre prêtre ? vivre ce qu’il avait surpris. Se réjouir comme moi de la possibilité qu’autrui nous gratifie tellement par un seul instant d’apparition et en y ajoutant plus une réplique, un acquiescement qu’une durée ? Vérifier tranquillement la force en lui du sacrement initial pour un état lui interdisant, sans cependant l’en faire souffrir, d’en imaginer un autre. Pourrai-je vérifier si, en lui, c’est un choix, une préférence ou de la prudence ? J’ai tenté souvent d’écrire ce que je venais de vivre, ainsi emporté jusqu’au souhait indicible qui ne s’exauçait pas à cause de l’autre, ai-je cru longtemps, à cause de moi, ce que je comprends maintenant. Mais j’ai bien plus densément entendu la respiration de religieux voués au tout autre qu’ils me faisaient seulement cotoyer ou ce hoquet de larmes que je devinais sans qu’elles perlent, larmes de celles et ceux qui ne suscitent pas la rencontre.

Situation que j’ai vécue, au point que ce fut le rythme-même de ma vie, en tête à tête avec qui ne me voulait pas ou me quittait.

Ainsi se groupent et se retrouvent les personnages dont beaucoup allaient lui revenir quand il identifierait les premiers à se manifester pour la revue qu’il organise, appelée à résoudre cette crise, désormais insupportable.

Je ne les crois pas de même sorte. Tous ne sont pas rencontre et femme. Et l’échec ne fut pas qu’amoureux dont je vois aujourd’hui qu’il me procura la chance de réaliser ce qui m’avait été si longtemps impossible : la stabilité du désir et de ses défis, l’unité du cœur et le penchant constant, joyeux de l’imagination, la consécration profane qui est l’un des versants par où venir à l’éternité. L’échec de carrière m’a également favorisé, puisqu’il m’a dispensé d’un drame d’amour dont je ne me serai pas dégagé comme des précédents. J’eusse été désarmé à mort. Il me laisse l’interrogation à laquelle j’espère encore pouvoir répondre. La réussite de l’ambition nous abîme-t-elle par son exaltation ou par la confirmation que certains chemins y ont amené, même si la reprise de ces chemins ou de les suivre nous assèche progressivement. J’eusse davantage appris des fonctionnements de nos pouvoirs en société humaine. Aurai-je fait le vrai usage de cette familiarité pour favoriser le bien commun ? je ne le sais pas. Serai-je devenu autre ? Le saint a-t-il la nécessité d’une ambiance particulière ? J’ai été amené par défaut à la situation qui est irrévocablement la mienne sauf à réussir un projet considérable mais hors de ma portée selon toute raison. L’espérance est la même qui me faisait attendre la mobilisation par une femme – et ce fut : malgré l’inattendu, le presqu’anodin inital comme pour endormir ma peur du définitif, envisagé en forme de pierre tombale, et malgré d’ultimes et énormes traverses -  et qui aujourd’hui me fait anticiper le possible et l’impossible, bonheur égal puisque ce sera soit ma tentative soit ma sagesse. L’amour m’ayant porté sans que je l’ai sollicité, choisi comme je l’ai été en dispense d’opiner et de comparer, de soupeser moi-même, je crois à d’autres dénouements, tous heureux malgré la persistance de deux décennies d’astreintes et de limites auxquelles s’adjoignent maintenant ce que l’âge et l’inertie infligent au corps et à chacune de nos facultés courantes. Je n’ai jamais consenti le pari de longues servilités pour de place en place parvenir. L’amour et la rencontre ont aussitôt leurs fruits et la déception a pour palliatif les rechanges, tandis que la carrière, si les circonstances font défaut, me paraît à regarder celle des autres, même très parvenus, comme une course à l’impasse, à l’interruption. L’assouvissement par la gloire, par les apparences ne sont pas de ce registre. Il y faut du travail, et même sans aucun fruit ou presque jusqu’à présent, je m’y suis adonné. J’en ai reçu du plaisir.

Contredire cette présentation de l’échec et la présente résignation lui paraissait nécessaire. La crise de couple qu’il lui fallait résoudre avec ce qui était à sa portée, était liée à ce consentement de n’avoir pas réussi. D’autres, moins doués, beaucoup moins doués s’étaient organisés avec autant de sang-froid, de méthode pour réussir. Des horaires, des sujets, et surtout la concentration. Il voyait bien sa propre tendance à la dispersion, presqu’une tare. De toujours quitter pour une autre la tâche pourtant commencée avec plaisir et même du talent, de laisser en plan le moindre objet pour visiter autre chose. Le vice de l’infidélité et de l’inconstance ne réside pas dans ce quoi l’on se consacre mais dans un mouvement auquel rien ne permet de résister. Il avait réussi, au moins quant à lui, son mariage puisqu’il y demeurait. Ce constat pouvait-il inspirer le remède à la présente crise. Celle-ci était durable, très antérieure au couple qu’il avait formé sur le tard. Il avait, d’innombrables fois, ou presqu’innombrables, tenté, commencé, continué et achevé avec foi et dans l’expérience d’une capacité qu’il croyait productive. Repoussé, il avait admis de l’être et ne revenait jamais sur ce qui n’avait pas abouti.

Trois personnages, à se présenter, disaient chacun, et avec une grande force, l’alternative qui eût tout changé. Un quatrième avait deux qualités, l’une de confirmer le témoignage des trois premiers, l’autre d’expliquer beaucoup de conclusions, très factuelles qui l’auraient peiné s’il n’était arrivé entretemps à bien mieux qu’un port ou au camp de base.

jeudi 12 février 2015 – 14 heures 37 à 16 heures 47
(pause évaluation etr recherche de la suite, choix de la suite : 15 heures 54)

Avant toute entrée en scène et de qui que ce soit, la situation.

L’impuissance. L’expé rience de l’impuissance, l’impuissance productrice de crise, reproductrice d’impuissance. L’insuffisance, l’incapacité, le silence et l’inertie du réel par disproportion avec les souhaits du vivant. Il en a connu beaucoup de versions, elles n’ont pas toujours un visage, elles ne sont pas toutes d’ordre relationnel, mais toujours elles imposent une évaluation de soi, l’impossibilité éprouvée de changer la route, de contourner l’obstace, de faire céder ou apparaître la possible ouverture. Il a été lui-même contraint de s’avouer un manque absolu de moyens.

 Première expérience, si durable qu’elle lui a paradoxalement  donné une grâce qu’il n’attendait ni ne souhaitait, dont il pensait n’avoir besoin ni dans l’instant, ni à longueur de ces années douloureuses, ni pour l’avenir. La grâce de la foi, la foi religieuse, pas un déterminant psychologique mais le discernement d’un accompagnement, d’une présence. Evidence rétrospective depuis qu’il était arrivé à ce pays d’une douceur calme que sont la stabilité et le contentement du cœur. Il n’avait pas cherché Dieu, de naissance il était et respiré dans le sein de Celui-ci, sans dévotion spéciale, sans pratique liturgique particulière que la prière du soir en famille dès ses premiers, l’aîné à son côté, les parents derrière eux et debout, lui la mainà un grossier berceau de bois le long de son propre lit et où l’ours en peluche cousu par une marraine sachant récupérer sous l’Occupation. Le berceau faisait l’ambiance en grinçant, la formule récitée ne changeait pas, il la réciteraait au chevet de sa mère mourante puis l’apprendrait à leur fille, laquelle peut-être la transmettrait encore une fois. Se donner, obtenir quelque amélioration de son propre comportement, invoquer une protection générale. Une piété sans lassitude aux messes dites en latin, donc incompréhensible. Cela avait perduré. La question l’avait obsédé au point d’être tout le narcissisme de son adolescence, quel état de vie, celui de religieux, celui d’un ministère sacerdotal. Il ne demandait pas une proximité plus sensible de Dieu ni le moyen de Lui correspondre davantage. Il ne changeait pas de formule, celle-ci était une auscultation, une recherche de patrimoine : avait-il la vocation ? il ne définissait pas mieux celle-ci qu’en une interrogation et attendait la parole qui le délivrerait, qui le ferait venir, l’appellerait. Les homélies de fin d’enfance évoquaient « le plus haut service », il en rougissait, convaincu d’être particulièrement concerné, plus que les centaines de ses camarades dans l’immense chapelle à plusieurs étages d’un établissement confessionnel jouxtant l’immeuble d’un ancien président du conseil, aussi laïc que glorieuxdans un Paris heureux et beau. Rien n’était venu qu’une autre version de l’impuissance, de la prière qui ne fait rien céder, à croire qu’elle n’est pas entendue. Une déception amoureuse, la première. L’adolescente, sœur d’un de ses condisciples, une robe rose, un sourire. Toujours demeurerait le souvenir du charme alors que la silhouette, le visage n’étaient pas exceptionnels. Très tard puis à présent, une fidélité qu’il n’avait pas eu à manifester recevrait sa justification puis quelques images et confidences dont il n’avait pas été le destinataire d’origine. Il n’avait pu se déclarer qu’au frère mais il savait maintenant la coincidence en date de son aveu avec l’engagement de la jeune fille pour un autre. Et de celui-là, qui lui apporterait du récit et de quoi voir – car elle était morte grand-mère mais jeune encore – il aurait l’écho de sa propre cour si impuissante à l’époque : oui, elle avait hésité, oui, il avait eu des chances, le mari pas encore veuf l’en avait assuré quand fortuitement il avait rencontré le couple, les avait aussitôt reconnus mais, quoique lui faisant face et pouvant lui parler, n’avait pas été identifié par celle qu’il avait tant pressée mais sans jamais la tenir ni l’embrasser. Supplication sans accueil ni espérance. Il n’était qu’allusif, se montrait, pensait séduire en distrayant, la robe d’été n’était pas rose mais jaune. Dans les soirées d’adolescences à la garde d’aînés et de parents réfugiés en fond d’appartement ou ne s’absentant que pour les commencements jamais troubles, il lui manquait une compétence pour la valse qu’il aurait presque, un soir de grâce, mais tellement ailleurs dans le temps, dans la suite de sa vie et dans un tout autre lieu, celui où elle règne depuis la révolution des nationalités et des uniformes blancs et rouges, antan. Il lui était resté de cette période où commencent de se formuler plus de questions que d’évidences, mais pas encore d’envies ni de désirs précis une sorte d’enjambement de deux réalités généralement bien concrètes. Dieu existe-t-Il, qui et comment est-Il ? et l’autre a-t-il un corps, existe-t-il en sorte qu’on puisse l’apercevoir et l’aimer autrement qu’en rêve et en aveux dialogués de ce qui s’appelle l’amour mais dont on ignore le sens, la portée, la pratique. Il était plus certain de Dieu dont il attendait un appel qu’il ne se permettait pas d’anticiper, que du corps féminin inimaginable par lui-même autant qu’en relation avec le sien. Etait-ce sa première expérience de l’impuissance et des limites aux capacités de sa prière ou de sa séduction ? un chemin courait parallèlement dans sa vie comme s’il se dédoublait, des études supérieures assez heureuses et sanctionnées par la réussite à l’un des deux concours les plus prestigieux du pays, des bouffées de chaleur au cœur et à une partie plus physique de lui-même arrivant d’un autre monde quoique banal : celui des vacances et celui d’une école pour gens bien nés. Les tempes insistant l’une contre l’autre, le brouillard à fixer le regard d’une élève à laquelle il servait passagèrement de tuteur. Le féminin ne s’assemblait pas encore, les morceaux du puzzle se trouvaient par hasard sans qu’il les cherchât, l’une, puis une autre, une troisième, des présences, des durées, des existences se signifiant et ne demeurant qu’au stade du frôlement, la place Vendôme, une salle de fêtes à Royan, des premières dans une vie qui ne sont pas aussitôt rangées comme telles dans l’ordre des souvenirs tellement elles sont d’abord vécues.

Non, ce n’était pas encore l’impuissance, seulement une immaturité qui ne le lassait pas de lui-même mais ne l’envoyait nulle part. A tort, est-il dit à toutes époques que le vacarme y domine. Non, les ébauches d’amours putatifs et sans chair, la prière d’abandon à une volonté divine dont il voulait autant qu’il craignait qu’elle soit autre, étaient chacune aussi silencieuses que les précédentes et que seraient, de même facture, les suivantes. Rien n’arrivait, beaucoup se ressemblait. Un changement radical en mode de vie, de subsistance parce que de pays lui donna l’impression d’une novation. C’était trop peu lié avec tout ce qu’il avait vécu jusques-là et avec ce qu’il ambitionnait comme carrière pour qu’il ne s’y immergea persuadé que rien ne serait indélébile. Pourtant, déjà, se formait en lui des structures encore existantes et aussi fortes au point il en était maintenant. Piété chrétienne et ce pays nouveau, presque totalement saharien. Structures ponctuant les journées et l’assurant d’un vis-à-vis intérieur, intime, iréductible. Pays de la fin de son adolescence et de son premier baiser, des correspondances d’amour, des enchantements de se savoir séduit. Des décennies passeraient qui ne modifieraient ni la sensation de ce constant accompagnement par bien plus que soi, ni la répétition de cette mutuelle pénétration à laquelle acquiescer ou pas. Quant au pays, quoiqu’il n’ait pu y résider durablement ni même y revenir séjourner et rencontrer fréquemment, il persiste dans ses pensées, ses mises à jour, ses réflexions écrites.

L’impuissance à désespérer, à mourir a frappé alors qu’il rentrait chez lui, en famille. Supplier d’amour et n’être pas entendu. Le premier précédent n’avait pas été intense ni blessant puisqu’aucune espérance n’avait trouvé d’aliment. Banalement, un penchant n’avait pu s’épanouir ni recevoir son cours. Et la vocation qu’il n’avait su se formuler à lui-même, ne s’était pas davantage énoncée d’En-Haut. Le premier baiser n’était pas oublié mais n’avait initié aucune intimité. Il n’avait pas su les lier ensemble par des découvertes, la découverte de ce que l’amour fait découvrir dans l’ombre ou dans la lumière, clandestinement ou ouvertement. Elle l’avait pourtant reçu, assuré qu’ils seraient seuls assez longtemps et sortait d’une douche la faisant douce et disponible bien plus que dans les duos avec témoin sur les plages rectilignes à perte de vue du sud au nord et retour à l’identique, ou dans les bâtisses et cours à murs blancs contre la nuit noire et chaude. Couché sur elle, il n’avait su ni faire ni être, elle s’était dégagée, avait diagnostiquée une ignorance égale à la sienne, mais des décennies ensuite elle lui avait envoyé – seulement par internet – son fils aux nouvelles. La relation n’est que virtuelle, il ne reçoit pas son adresse ni même, du fils, un accusé de réception. Elle n’est seule de celles qu’il garde en mémoire, à refuser d’être vues au présent. Orgueil de chacune ou indulgence pour l’amour d’autrefois : ne pas changer le souvenir, ne rien perturber. Il n’a donc pas cet expérience du tout autre qu’est devenue la même. Il l’a eue pour la capitale de dix mille habitants semée dans un sable rouge entre des euphorbes et des chèvres broutant du carton qui semblaient promises à plus d’éternité que les petites bâtisses en coquillages concassées. Devenue une agglomération sans plan ni personnalité, infidèle à tout un environnement : le grand désert, et aux populations que la sècheresse a poussée en elle, c’est tellement de ce qu’il a connu que cela ne touche à rien dans sa mémoire. C’est autre. Qu’en serait-il d’une femme autrefois aimée ? réponses vécues. Près de vingt ans ensuite, le visage défait de peau et de chevelure par une vieillesse de bien plus de vingt ans : comment et pourquoi ? ou bien sa mère au visage habituel de soixante ou soixante-dix ans lui rendant étrangère au premier regard la jeune femme photographiée parfaitement à ses vingt ans. Ses parents à leurs vingt ans, beaux mais sans lui, et son aîné tellement enfant. Ce sont bien eux puisque les albums sont de famille de même que la piste sur laquelle roule jusqu’à s’immobiliser l’énorme avion, est bien voisine de quelques mètres d’une autre de trente et quarante ans. Mais c’est tout différent.

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