lundi 2 février 2015

journal d'il y a cinquante ans


                                          Mardi 2 Février 1965                                                   Fête de la Purification

en bibliothèque de Sciences-Po. 21 heures 20


Voici près d’une semaine que je suis de retour de Frileuse [1]. J’ai été très dépaysé pendant les premières heures, et le cœur rempli du souvenir de ceux que j’avais laissés au camp. Le dialogue est difficile avec papa et maman. Appréhension de mon départ, surtout lors de mon arrivée. Et puis, certaine impatience de ma part. Espèce d’égoïsme latent, à me croire le seul important et digne d’intérêt.

Espèce de peur de Maman, devant ma facilité à dépenser de l’argent, et même plus que je ne gagne. Elle a raison, devant mon année de désert. Répète souvent qu’elle voudrait me voir établi. Acceptera-t-elle que j’entre dans un ordre religieux ?

Faire que ces jours avant mon départ, soient paisibles. Que je fasse plaisir. Aimer. Etre soumis, affectueux, et déférent. Attentionné pour les frères et sœurs.

La Mauritanie envahit mon esprit et mon cœur

De plus en plus, j’envisage cette année, comme une année de semi-retraite, de désert, de vie spirituelle. D’abandon à la volonté de Dieu, d’offrande de moi-même, en dépit de tout cet orgueil, de toutes ces satisfactions intellectuelles, de cette perpétuelle illusion de créer Dieu, d’un Dieu dépendant de moi.

Lettre très stimulante de Christian, reçue jeudi dernier. M’a fait prendre conscience que j’avais choisi non seulement le Christ, mais aussi ses exigences, d’ailleurs c’est tout un, et que ma vocation est certaine. Que tout le reste, même cette incertitude, ces objections multiples qui se présentent sans cesse à mon esprit, que les autres (Papa, Maman, Boyau [2], les événements, heureusement pas tous, et même assez peu), me présentent, que surtout cette attirance pour la diplomatie, cette impression que je suis fait pour cela, et que j’y réussirai certainement. Conscience que tout cela, est simplement obstacle et non pas route et chemin. Que cela doit être vaincu, parce que Dieu le veut ainsi, qu’il présente ainsi le choix que j’ai à faire pour lui. « Aimes-tu tout cela, plus moi ? ou m’aimes-tu, moi tout seul ».

Même si je n’en ai pas la conviction psychologique, même si je doute de sa véracité, même si tel événement révélateur par instant, ne l’est pas, à d’autres moments de ma réflexion, même si tel entretien, avec le ministre plénipotentiaire, directeur de l’I.H.E.O.M. ce matin, me grise et me fait sentir que j’aime la diplomatie, même si le succès à l’E.N.A. m’ouvre telle ou telle carrière,
même si je doute,
même si j’ai peur.
« La peur, c’est le signe du devoir » viens-je de lire dans le petit livre sur le Père de Foucauld.
même si…
je persévère. Dans tous les désarrois, tu garderas ma Foi. J’aime Dieu, j’aime son unique service. Je ne veux pas, je ne peux pas me partager, partager ma vie. « Ne savez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père ? »


[1] - cantonnements du 5ème R.I. – bois de bouleaux, très vastes terrains – j’y « fais mes classes » du mardi 5 au mercredi 27 Janvier 1965… succinctement – c’est là que m’est parvenue la confirmation de mon affectation en Mauritanie

[2] - François Boyer-Chammard, jésuite, « père spirituel » des classes terminales à Saint-Louis de Gonzague où j’ai effectué l’essentiel de ma scolarité de Septembre 1950 à Juin 1960

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