Mardi 2 Février
1965 Fête de la Purification
en bibliothèque de Sciences-Po. 21
heures 20
Voici près d’une semaine que
je suis de retour de Frileuse [1].
J’ai été très dépaysé pendant les premières heures, et le cœur rempli du
souvenir de ceux que j’avais laissés au camp. Le dialogue est difficile avec
papa et maman. Appréhension de mon départ, surtout lors de mon arrivée. Et
puis, certaine impatience de ma part. Espèce d’égoïsme latent, à me croire le
seul important et digne d’intérêt.
Espèce de peur de Maman,
devant ma facilité à dépenser de l’argent, et même plus que je ne gagne. Elle a
raison, devant mon année de désert. Répète souvent qu’elle voudrait me voir
établi. Acceptera-t-elle que j’entre dans un ordre religieux ?
Faire que ces jours avant
mon départ, soient paisibles. Que je fasse plaisir. Aimer. Etre soumis,
affectueux, et déférent. Attentionné pour les frères et sœurs.
La Mauritanie envahit mon esprit et mon cœur
De plus en plus, j’envisage
cette année, comme une année de semi-retraite, de désert, de vie spirituelle.
D’abandon à la volonté de Dieu, d’offrande de moi-même, en dépit de tout cet
orgueil, de toutes ces satisfactions intellectuelles, de cette perpétuelle
illusion de créer Dieu, d’un Dieu dépendant de moi.
Lettre très stimulante de
Christian, reçue jeudi dernier. M’a fait prendre conscience que j’avais choisi
non seulement le Christ, mais aussi ses exigences, d’ailleurs c’est tout un, et
que ma vocation est certaine. Que tout le reste, même cette incertitude, ces
objections multiples qui se présentent sans cesse à mon esprit, que les autres
(Papa, Maman, Boyau [2],
les événements, heureusement pas tous, et même assez peu), me présentent, que
surtout cette attirance pour la diplomatie, cette impression que je suis fait
pour cela, et que j’y réussirai certainement. Conscience que tout cela, est
simplement obstacle et non pas route et chemin. Que cela doit être vaincu,
parce que Dieu le veut ainsi, qu’il présente ainsi le choix que j’ai à faire
pour lui. « Aimes-tu tout cela, plus moi ? ou m’aimes-tu, moi tout
seul ».
Même si je n’en ai pas la
conviction psychologique, même si je doute de sa véracité, même si tel
événement révélateur par instant, ne l’est pas, à d’autres moments de ma
réflexion, même si tel entretien, avec le ministre plénipotentiaire, directeur
de l’I.H.E.O.M. ce matin, me grise et me fait sentir que j’aime la diplomatie,
même si le succès à l’E.N.A. m’ouvre telle ou telle carrière,
même si je doute,
même si j’ai peur.
« La peur, c’est le signe du
devoir » viens-je de lire dans le petit livre sur le Père de Foucauld.
même si…
je persévère. Dans tous les
désarrois, tu garderas ma Foi. J’aime Dieu, j’aime son unique service. Je ne
veux pas, je ne peux pas me partager, partager ma vie. « Ne savez-vous pas
que je dois être aux affaires de mon Père ? »
[1] -
cantonnements du 5ème R.I. – bois de bouleaux, très vastes terrains
– j’y « fais mes classes » du mardi 5 au mercredi 27 Janvier 1965…
succinctement – c’est là que m’est parvenue la confirmation de mon affectation
en Mauritanie
[2] -
François Boyer-Chammard, jésuite, « père spirituel » des classes
terminales à Saint-Louis de Gonzague où j’ai effectué l’essentiel de ma
scolarité de Septembre 1950 à Juin 1960
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