L’imagination
n’est pas la production intime de fiction, autant de compensations à une
réalité limitée ou décevante, autant de refuges délicieux et putatifs.
Non ! c’est un moteur de recherche, une manière d’évaluer soi et le monde,
un chemin de conviction. L’utopie est créatrice de réalité si elle est artiste,
elle suppose donc un projet.
L’imagination
n’est pas non plus l’inventaire d’un contenu inaccessible sauf par la
rêverie ; elle est au contraire une conduite délibérée, elle est active.
La passivité est le premier consentement à la médiocrité de la réalité. L’imagination
est le premier pas pour tirer parti de la réalité, en analyser les
potentialités, la beauté possible, les implications. Elle prolonge des données,
elle aide à les analyser.
L’imagination
ne crée pas de l’imaginaire, elle n’est pas indépendante de l’histoire ni du
regard que le sujet porte sur lui-même et sur le monde, elle est tributaire des
structures intimes d’une personnalité, d’une société, d’une civilisation. Elle
suscite, éveille une réalité alternative, elle est une critique et une
proposition.En cela, elle est l’expression la plus vive de ce à quoi tiennent
personnalité, société et civilisation ; elle exprime une vision du monde,
une place du vivant, elle est une philosophie même si elle est contingente, et
elle est précisément contingente.
L’imagination
est la forme la plus élevée de la prière et de la foi, elle convoque des sujets
et des êtres, elle nourrit des intuitions et des certitudes inenvisageables
autrement. Elle y fait entrer de plain-pied comme le poème
Elle se
distingue des activités mentales et artistiques par la manière dont elle
s’exerce. Elle peut s’appuyer sur l’ensemble des facultés humaines comme
ignorer la plupart. Elle
peut ne pas s’exprimer, ne pas même venir à une conscience explicite ;
elle est cependant constitutive de la personnalité puisqu’elle dépasse le rêve
activement, puisqu’elle prolonge et utilise la mémoire, fait feu de toute
culture, agence pour une œuvre qui peut n’être jamais communiquée ni montrée
l’expérience entière d’une vie ou à l’inverse la totalité des souhaits d’une
personnalité en train de se faire.
L’imagination
distingue moins les êtres car elle n’est pas subjective ; au contraire,
elle les relie à des structures psychologiques et spirituelles faisant une
époque, un temps de l’histoire, une étape dans l’évolution du vivant. Elle
n’est pas individualiste.
L’imagination
est la forme humaine de cette activité divine souveraine qu’est la création. Elle
n’est ni anticipation, ni nostalgie, elle est la recherche du chemin le plus
court, le plus pratique et le plus efficace entre une conception de l’esprit,
un souhait d’âme (ou une peur, une défiance) et une impossible concrétisation.
Elle est sans mesure, c’est ce qui distingue sa production de la réalité. Elle est
donc incomparable en activité comme en résultat, elle récite et décrit ce
qu’elle voit et entend. Dieu l’achève qui est seul à pouvoir réaliser tous les
rêves et à inspirer l’infinité des possibles.
Par l’imagination, l’être
humain se sait déjà éternel ; c’est pourtant la seule faculté que périme
l’au-delà puisque l’éternité est la plénitude du réel et le don fait à la
créature de comprendre le tout de la création en contemplant, d’égal à égal,
enfin, le créateur. L’imagination est l’espérance, l’attente de la réalité
totale.
paru dans la revue des anciens élèves, dont je suis, du collège 7 Février 2005
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