samedi 2 novembre 2013

l'imagination



L’imagination n’est pas la production intime de fiction, autant de compensations à une réalité limitée ou décevante, autant de refuges délicieux et putatifs. Non ! c’est un moteur de recherche, une manière d’évaluer soi et le monde, un chemin de conviction. L’utopie est créatrice de réalité si elle est artiste, elle suppose donc un projet.

L’imagination n’est pas non plus l’inventaire d’un contenu inaccessible sauf par la rêverie ; elle est au contraire une conduite délibérée, elle est active. La passivité est le premier consentement à la médiocrité de la réalité. L’imagination est le premier pas pour tirer parti de la réalité, en analyser les potentialités, la beauté possible, les implications. Elle prolonge des données, elle aide à les analyser.

L’imagination ne crée pas de l’imaginaire, elle n’est pas indépendante de l’histoire ni du regard que le sujet porte sur lui-même et sur le monde, elle est tributaire des structures intimes d’une personnalité, d’une société, d’une civilisation. Elle suscite, éveille une réalité alternative, elle est une critique et une proposition.En cela, elle est l’expression la plus vive de ce à quoi tiennent personnalité, société et civilisation ; elle exprime une vision du monde, une place du vivant, elle est une philosophie même si elle est contingente, et elle est précisément contingente.

L’imagination est la forme la plus élevée de la prière et de la foi, elle convoque des sujets et des êtres, elle nourrit des intuitions et des certitudes inenvisageables autrement. Elle y fait entrer de plain-pied comme le poème

Elle se distingue des activités mentales et artistiques par la manière dont elle s’exerce. Elle peut s’appuyer sur l’ensemble des facultés humaines comme ignorer la plupart. Elle peut ne pas s’exprimer, ne pas même venir à une conscience explicite ; elle est cependant constitutive de la personnalité puisqu’elle dépasse le rêve activement, puisqu’elle prolonge et utilise la mémoire, fait feu de toute culture, agence pour une œuvre qui peut n’être jamais communiquée ni montrée l’expérience entière d’une vie ou à l’inverse la totalité des souhaits d’une personnalité en train de se faire.

L’imagination distingue moins les êtres car elle n’est pas subjective ; au contraire, elle les relie à des structures psychologiques et spirituelles faisant une époque, un temps de l’histoire, une étape dans l’évolution du vivant. Elle n’est pas individualiste.

L’imagination est la forme humaine de cette activité divine souveraine qu’est la création. Elle n’est ni anticipation, ni nostalgie, elle est la recherche du chemin le plus court, le plus pratique et le plus efficace entre une conception de l’esprit, un souhait d’âme (ou une peur, une défiance) et une impossible concrétisation. Elle est sans mesure, c’est ce qui distingue sa production de la réalité. Elle est donc incomparable en activité comme en résultat, elle récite et décrit ce qu’elle voit et entend. Dieu l’achève qui est seul à pouvoir réaliser tous les rêves et à inspirer l’infinité des possibles.

Par l’imagination, l’être humain se sait déjà éternel ; c’est pourtant la seule faculté que périme l’au-delà puisque l’éternité est la plénitude du réel et le don fait à la créature de comprendre le tout de la création en contemplant, d’égal à égal, enfin, le créateur. L’imagination est l’espérance, l’attente de la réalité totale.  

                                                                                          paru dans la revue des anciens élèves, dont je suis, du collège 7 Février 2005

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