vendredi 30 septembre 2016
jeudi 29 septembre 2016
de mon ami, Michel Martin-Roland
Poser une question, de nos jours, passe uniquement par le recours au pronom interrogatif QUOI.
Ecoutons-nous, écoutons aussi les poseurs de questions à la radio (à commencer par Léa Salamé) :
- Pour vous, la politique c’est QUOI ?
- Vous pensez QUOI de la déchéance de nationalité ?
- Vous avez QUOI dans la tête quand vous dites que vous êtes un frondeur ?
- Ils font QUOI les députés la nuit ?
- La fermeture des frontières a eu QUOI comme conséquences pour les réfugiés syriens ?
L’inversion du sujet a disparu de notre langue parlée : Qu’est-ce que la politique selon vous ? Que pensez-vous de la déchéance de nationalité ? Que signifie pour vous l’appartenance aux frondeurs ? Que font les députés la nuit ? Quelles ont été pour les réfugiés syriens les conséquences de la fermeture des frontières ?
Tu fais QUOI aujourd’hui ? Que fais-tu aujourd’hui ?
Je dirais, parodiant Aragon (Un jour, un jour):
QUOI ! Toujours ce serait un français massacré
Et l’enfant détourné d’une syntaxe oubliée
Notre langue avilie par un sabir bâclé !
mercredi 28 septembre 2016
mardi 27 septembre 2016
lundi 26 septembre 2016
vous serez réélu - suite . début de 16
Monsieur
le Président de la République,
de quelles institutions sommes-nous capables ?
lesquelles nous faut-il ? que souhaitons-nous pour notre vie ensemble,
pour décider, pour nous exprimer à nous-mêmes et aux autres ? Le
savez-vous ? Pierre Mendès France en témoigne : « La démocratie,
c’est beaucoup plus que des élections et le gouvernement de la majorité :
c’est un type de mœurs, de vertu, de sens civique et de respect de
l’adversaire. C’est un code moral » [1]
vous serez réélu - suite 15
Dans ce désert, mental et
physique, deux événements déclenchent en moi, soudainement, un mouvement qui
n’a pas de précédent dans mon existence, jusques-là.
Un de mes élèves,
fonctionnaire du commandement territorial qui appartient désormais à la jeune
République, m’invite à passer vingt-quatre dans le campement émiral de sa
tribu. Un des professeurs au lycée français, qui vient de quitter la Compagnie
de Jésus, et publiera ensuite sur le pays d’une façon que j’ai jugé à première
lecture tendancieuse, vient avec nous puisqu’il est seul à posséder une
voiture : la 2 CV de l’époque. Ensablements divers mais arrivée quand
même. Les tentes, les conversations interprétées par mon homme, qui a déjà
dépassé la cinquantaine et que l’exercice scolaire doit, non seulement
améliorer en présentation écrite de l’exercice de ses responsabilités, mais
surtout rétribuer davantage s’il réussit au concours de sortie. Me séduire dans
cette perspective fait également partie de l’équipée. Un des moments qui me
convertit parce qu’il m’introduit à ce pays, pour ce qu’il est à lui-même et
aux siens, se passe et dure à regarder la vie du puits, desservant le
campement. Un âne, unique, une corde et un seau de cuir, peut-être cinquante
mètres de corde, remonter ainsi l’eau en stimulant l’âne qui n’est pas rebelle.
Une musique continue, étrange, s’entend : la corde sur un madrier posé à
l’ouverture du puits, pas de poulie, le frottement d’un archet donc que manie
l’âne en allant et revenant, le seau tendant la corde qui creuse le bois. Le
bois est poli, dur de texture, doux au toucher, usé humainement, animalement.
Anier et quelques femmes sont autour du puits, l’auge où le seau est déversé
est à la disposition des animaux. Je suis là, étranger, à regarder. Et j’aime
regarder, et j’aime cette vie que – très probablement – je ne pratiquerai
jamais, mais je l’admire. Je ne sais évidemment pas le statut servile de cette
main d’œuvre sinon qu’elle n’est pas salariée. Je suppose qu’aucune monnaie ne
circule dans les tentes et entre elles. Je n’interroge pas, Ahmed Ould Eli El
Kori, de statut guerrier, m’expose sommairement l’organisation sociale. Le fils
de l’émir, pas dix ans, est là, nous parlons. Il y aura la prière, il y aura
l’aube et encore la prière. J’apprends le zrig et des repas uniquement à la
viande de méchoui, le beure liquide baraté dans des outres, écoeurant mais
auquel m’habituer, tout sent le cuir, tout a le toucher du sable. Il n’y a pas
de vent pendant cette initiation. Je rentre conquis sans me l’expliciter, mais
enfin arrivé, débarrassé de la nostalgie d’où je viens, de la France, des
miens, d’une « grande école » où je vais passer, de concours en
concours, les prochaines années dema vie, où se clora mon adolescence sans
forcément avoir mûri. Mûrit-on jamais chez nous, en France ? surtout si la
hiérarchie administrative au plus ou moins bon et prestigieux endroit de
laquelle nous serons affectés, criblera difficultés professionnelles et
personnelles. Les corps à corps avec la vie seront surtout nos déceptions et
nos ambitions de carrière, bien peu l’exercice de nos fonctions. Ce qu’il vient
de se passer en quelques heures est brutal : j’aime ce pays, j’admire une
beauté qui n’est pas tactile, pas visuelle, qui ne se raconte ni ne se décrit,
qui tient sans doute à ce que la nature, ou presque l’absence de nature si
celle-ci se définit par des êtres vivants, animaux, végétaux, humains, ne sont
pas luxuriantes mais si simples qu’elles s’imposent. Boire, manger, dormir,
sans murs, sans horaires que par nécessité. Faire et non vouloir. Tout est
immédiat, et surtout une communion amicale, les deux Européens que nous sommes,
Francis de Chassey et moi, cohabitant provisoirement avec deux autres Français,
l’un ingénieur du génie rural, l’autre paysagiste et horticulteur. Claude
Baerhel sillonne déjà toute la Mauritanie pour y aménager des barrages
rudimentaires mais tellement féconds, tels quels, et Jean-Pierre Manya plante
et arrose des eucalyptus de part et d’autre de l’avenue de l’Indépendance qui
va du Marahaba où nous prenons nos repas jusqu’au recrutement d’Adama (linge et
cuisine enfin assumés dans notre petit appartement au sol couvert de linoléum)
à la présidence de la République, à peine plus volumineuse qu’un bâtiment
fruste pour comité d’entreprise en France, en bordure d’une plage bretonne.
Mais la pierre est d’Atar, d’un ocre magnifique, et devant, la drisse battant
un mât métallique sans orgueil, flotte ou pend le drapeau vert du Prophète
frappé d’un croissant de lune doré, à l’horizontal, et accueillant donc
l’étoile qui importe.
Quand la porte m’est
ouverte, que la salle sans décor ni aux murs blancs ni au plafond monacale se
présente à mes yeux, je n’imagine rien de ce qu’il va se passer et décidera en
partie de ma vie. Le président de la République me semble encore plus jeune que
l’Etat qu’il est en train d’organiser, mais dont il reconnaît que ce sont bien
les Français qui en ont eu le projet et l’ont, de fait, fondé. Il m’admet à son
audience, sollicitée par la voie hiérarchique, le directeur – assistant
technique français – de ce centre de formation administrative où j’enseigne de
jeunes dactylographes ou des fonctionnaires proches de la retraite comme mon
hôte de quelques semaines auparavant. Moktar Ould Daddah a le sourire déjà de
l’amitié, au moins de la bienveillance dont il me gratifie d’emblée. Je saurai
vite que c’est l’aisance d’âme, la confiance d’être compris, dans son dessein,
dans ses explications, par un jeune homme diplômé selon les facultés et les
maîtres qu’il a lui-même fréquentés, dix-douze ans auparavant. C’est une
première conversation : je suis sous son charme. Nous allons désormais
nous entretenir de son pays, de son travail de chef d’Etat, depuis cet instant
d’Avril 1965 jusqu’en Mai 2003, où nous reverrons avec son épouse – française
de naissance – le texte de ses mémoires. La rédaction originale est manuscrite,
elle est de son écriture. Avec l’intense émotion que provoque la très belle
surprise, je découvrirai à première lecture de la saisie numérique de son texte
que ce politique, cet homme de dessein, de conviction, de foi dans la
toute-puissance d’une dignité nationale ne concédant jamais en esprit, est un
écrivain : son œuvre fondatrice d’une nation, et sans doute de davantage,
tant la mise en commun des ressources et des espérances arabo-musulmanes et
africaines lui doivent, a été exceptionnelle. Et avoir su, par lui-même, sans
« nègre » donc, en proposer la
structure et la mémoire par écrit n’a pas d’équivalent en Afrique. Des dizaines
de fois, parfois des jours entiers ou presque, moi prenant des notes assez
aisément car mon éminent ami parle avec soin et lentement, ou enregistrant,
tandis qu’il proteste de sa joie d’être intimement compris, nous travaillerons
ensemble. Je ne distingue plus, ainsi à ses côtés, qui est étranger, qui est
national, ce qu’est la France si vieille, si assurée dans son existence et sa
légitimité, ou ce qu’est la Mauritanie contestée, convoitée, très ancienne de
société, d’habitudes, d’imbrication de la religion et de la politique dite
traditionnelle, et très jeune s’il s’agit d’organiser en terles contemporains
et internationalement monnayables la mise en valeur économique et financière
d’un sous-sol, d’une zone maritime considérables, mais cela sans expérience
nationale propre, sans cadres en nombre. Assistance technique, investissements
étrangers : aux débuts du pays, à son indépendance, tout le concours
extérieur, ossature-même de l’administration sont de chez nous, de l’ancienne
métropole, de la France donc. Quelques semaines auparavant, je ne ressentais
pas mon pays comme une métropole, avec des avances sur autrui ou des
possibilités à offrir ou à retirer. Je n’avais aucune imagination de ce qu’il
est nécessaire d’implanter physiquement et mentalement pour que quelque chose
se développe qui s’appellera un Etat. En version brute, voici donc le
nationalisme, la fierté, la formation de cadres et d’experts, voici aussi la
politique à définir et appliquer consensuellement faute qu’existent des
alternatives au développement des extractions minières aussi vite que possible,
et cela sera, faute aussi que l’indépendance supporte des formes diverses
vis-à-vis des voisins, tous prétendent à une partie du territoire mauritanien
dans ses frontières coloniales, et vis-à-vis de nous, de mon pays : la
France.
Monsieur le Président de la
République,
le soir de votre élection,
vous vous êtes brièvement adressés à nous avant de partir vers la place de la
République, vous parlez au balcon de Tulle. C’est la promesse, c’est
l’intuition unanimement partagée d’un changement fondamental dans notre
relation nationale avec nos partenaires africains, nos anciennes colonies, avec
ces nationalités nouvelles que beaucoup en elles et en nous empêchent de
s’équilibrer, de se vouloir et s’épanouir vraiment. Je courielle vos paroles à
mes amis mauritaniens, près de cinquante ans – alors – après qu’ils m’aient
accueillis [1].
Reniac, à ma table de travail
après-midi du lundi 26 septembre 2016,
16 heures 36 à 17 heures 40
Ce n’est pas leur cause que
je me suis appropriée en répondant à leur confiance et en découvrant, aimant ce
qu’ils sont, ce qu’ils font, c’est leur pays et sans doute l’essence de ce que
peuvent être les nationalismes d’aujourd’hui quand ils ne sont que fierté et
offre d’entr’aide en complète conscience de soi. Là-bas, tout autre que chez
nous, je comprends en conclusion de mon adolescence et tandis que foire un
premier amour, la contagion française. Rien ne se transpose ni ne s’imite, mais
un esprit de confiance en soi, en la vie politique, en la vie internationale ne
doit rien à la taille, à la masse, aux statistiques, même à l’ancienneté de
formes étatiques ou d’indépendance. Il doit tout à des hommes, à des femmes, à
leur cohésion, à leur foi et ce ciment-là est de même nature partout et en tous
temps, en toute civilisation. Le patriotisme, le sens du bien commun, le partage
continu de l’avenir à mesure qu’il se présente et qu’il faut absolument se
l’approprier, le faire nôtre a la paix pour synonyme. La paix entre semblables,
le dévouement à des intérêts qui ne sont pas de conquêtre mais de constitution.
J’ai découvert cela en Mauritanie. Sans doute, est-ce faisable ailleurs et
selon d’autres statuts qu’une coopération entre peuples de puissance et de
moyens apparents fort différents, incarnée d’abord par de jeunes enseignants.
Mais le fait est que cette jeunesse et cette mission sont immédiatement viables
et féconds. Que de fois, vous ai-je recommandé l’établissement à nouveau d’un
service national, militaire et civique, développé par tous les Européens et
déployé principalement chez nos voisins africains : la démocratie, la
France, l’Europe par contagion naturelle, sur place, tandis que la formation
des cadres et la suite des études, voire les débuts d’expérience en entreprises
se feraient par réciprocité chez nous puisque nous serions en nombre chez eux.
J’ai bénéficié d’une
explication de texte et de fortes leçons de choses et de psychologie : le
président Moktar Ould Daddah m’a fait ressentir que le placage, l’importation,
dit-on en Afrique, de nos institutions surtout quand nous-mêmes les pratiquons
si loin de leur esprit et de leur jurisprudence fondatrice, n’est pas la
démocratie, n’est pas non plus féconde ni même acceptable. Ce que nous avons
inventé à partir de 1981, selon des successions de mésestime, voire de haine,
et que nous appelons l’alternance au pouvoir ne nous a pas été bénéfique et
nous a fait perdre de pensée et d’ambition ce que tentait avec nous de Gaulle
du 18 Juin 1940 au 27 Avril 1969 : le consensus national. L’Afrique peut
d’autant moins attendre des alternances que les élections sont truquées. Il
faut la participation de tous au pouvoir, c’est sans doute l’enjeu majeur de
votre conversion et de votre réélection. C’est le développement pratique de ce
thème que vous auriez arrêté pour votre campagne, et qui rappellerait celui –
si heureux – de « la France unie » selon François Mitterrand :
« la France fraternelle ».
Par ses militaires, que
mobilisent quelques civils dissimulés et ambitieux, le père fondateur est
là-bas renversé. Le président Giscard d’Estaing, loyal et même admiratif de son
homologuee mauritanien, n’est pas mécontent que se termine là cette guerre au
Sahara occidental : nos compatriotes, quelques-uns, enlevés du site
minéralier, la Kedia d’Idjill dont ils encadrent l’exploitation, ont embarrassé
la France officielle. Nous reconnaissons les putschistes, nous allons désormais
toujours les reconnaître. Au début, en Juillet 1978 et jusqu’en Décembre 1984,
les présidents de ces successifs comités règnent dans l’ordre exact où ils
avaient été aide-de-camp de Moktar Ould Daddah. Sans doute, Valéry Giscard
d’Estaing ne cède-t-il pas à la demande des nouveaux maîtres que leur soit
renvoyé celui qu’ils ont évacué vers nous et nos hôpitaux militaires.
Davantage, François Mitterrand qui a invité à Latché pour la dernière
Saint-Sylvestre de sa vie d’opposant, propose-t-il – d’accord avec Hassan II du
Maroc – de rétablir l’état des personnes et des choses tel qu’il était en 1978.
Moktar Ould Daddah refuse de rentrer chez lui entre des baïonnettes
françaises : c’est dit ainsi en aparte à l’Elysée lors d’un dîner pas
vraiment officiel ni non plus seulement africain.
A force de dictature et
d’années, les militaires finissent par se renverser autrement que tour à tour.
Une « transition démocratique » s’esquisse à partir du 3 Août 2005 quand
est déposé le colonel Maaouyia Ould Sid Ahmed Taya, en son absence du pays,
comme il l’avait fait de son propre prédécesseur, le colonel Mohamed Khouna
Ould Haïdalla, complice aussi du coup du 10 Juillet 1978. L’énoncé est
peut-être compliqué, il le paraît encore pour les actualités maintenant de ce
pays, mais vingt ans de règne, souvent
sanglant entre la Mauritanie et son voisin du sud, ou entre ethnies, celles
originaires de la vallée du Fleuve soupçonnée de préparer des coups de force,
s’achèvent à la satisfaction générale, même si Jacques Chirac qui s’est lié
avec le dictateur et l’a même soutenu d’une visite officielle à quelques
semaines d’une réélection boycottée par les opposants, regimbe. Observée par
des centaines de témoins étrangers et un important dispositif procédurier et
informatique fourni par l’Union européenne, à notre instigation, une élection
présidentielle a lieu : pluralité de candidatures, deux tours de scrutin,
un an de préparation technique, de confection des listes électorales et de
délivrance des titres pour voter. Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi est élu au
lieu d’Ahmed Ould Daddah, demi-frère du président Moktar et vétéran des
candidatures contre les militaires, mais en vain puisque les élections de 1992
à 2007 n’en sont pas. Est-ce une première en Afrique ? je le crois : les militaires ont accepté
de passer la main, plus ou moins sincèrement. Des fautes vont être commises,
des imprudences aussi, que relève une mission sur place de notre Conseil
d’Etat : le chef de la garde prétorienne concentre trop de prérogatives,
de fonctions et surtout d’armes. C’est lui qui renverse le président Sidi au
motif que ce dernier ne met pas les formes pour le remplacer : le 6 Août
2008.
Il y a eu le discours
qu’Henri Guaino a fait lire de confiance par votre prédécesseur à l’université
Cheikh Anta Diop de Dakar, il y aura les soupçons de financement occulte par la
Libye de la campagne présidentielle gagnante de 2007, mais le Quai d’Orsay, la
« cellule diplomatique » de l’Elysée et son équipe spéciale pour
l’Afrique au sud du Sahara tiennent à ce que nous refusions ce fait accompli. Les
coups militaires sont trop fréquents, notre expertise est mise en cause par nos
partenaires européens, la Côte d’Ivoire si longtemps modèle de notre
décolonisation, nous coûte cher depuis la disparition de Félix
Houphouët-Boigny, député à notre Assemblée nationale depuis 1945 jusqu’à
l’établissement de notre Cinquième République. Nicolas Sarzkoy condamne donc le
putsch, l’Union européenne suit de confiance, l’Union africaine plus fermement
encore quoiqu’allant aux nouvelles sur place. Mais à propos de l’Afrique, et
même de la Syrie, en sorte que Bachar El Assad a été invité à notre revue du 14
Juillet 2010 – celle que suivra de peu le discours inaugurant à Grenoble à
propos des Roms et d’autres échauffourées, la stigmatisation des populations
migrantes puis de tous les allogènes chez nous – votre prédécesseur doit
beaucoup à un connaisseur, Robert Bourgi. L’introduction de celui-ci est
achetée par les putschistes mauritaniens grâce à Karim Wade, fils du président
sénégalais alors régnant. L’achat sera encore plus ciblé puisque Claude Guéant
recevra en espèces le prix de la caution [2]qu’accorde
dès la fin de Septembre la France au nouveau régime. Or, c’est notre semestre
de présidence de l’Union européenne.
La Mauritanie, à mes vingt
ans, m’avait appris ce qu’est le projet d’Etat et la ténacité de l’indépendance
quand tout débute, et combien notre spiritualité publique peut soutenir des
prises de conscience et une geste à qui elle a donné les instruments de son
expression. Voici que la Mauritanie, foncièrement la même quoique sa population
ait triplé et que les revenus tirés de la mer alimentent davantage le budget
que les ventes de minerai de fer, m’introduit à mes soixante-cinq ans dans un
débat interne au sommet de notre propre Etat, tel que pratiquant beaucoup de
nos responsables politiques, honoraires ou au pouvoir, à commencer par les plus
importants ministres de la gauche portée au pouvoir par François Mitterrand, je
ne l’avais jamais soupçonné. Sauf en guerre de succession, notamment pendant la
dernière du septennat interrompu de Georges Pompidou [3].
Deux cabinets ministériels traitant de l’Afrique et les propres conseillers
diplomatiques du Président s’opposent à ce que l’interruption d’une rare
tentative démocratique en Afrique au sud du Sahara, soit légitimée par nous.
Claude Guéant l’emporte, les putschistes, interdits de visa pour l’Europe, sont
reçus par lui, aux environs immédiats de l’Elysée, puis règulièment viennent en
France, lever des fonds. Naturellement, ils gagnent l’élection organisées par
eux et pour la montre, après que des négociations forcées entre légitimistes et
militaires aient disposé du Président régulièrement élu deux ans plus tôt.
Nicolas Sarkozy assure même en visite officielle au Niger avoir téléphoné à son
homologue gardé à vue, dans les premières jours de sa déconfiture. Au nom de ce
dernier, je suis amené à le démentir et fait bénéficier à la Mauritanie d’une
rubrique nouvelle instituée à Libération [4]:
la vérification des dires publics, ce que Le
Monde, très heureusement a fait sien aussi avec ses
« décodeurs ». Ma messagerie internet, mon ordinateur, puis celui de
ma femme, ayant fait état à l’un de ses amis par téléphone, de ce qu’il
m’arrive, sont attaqués, pillés. Aussitôt.
Que la corruption perdure
ainsi, de France en Afrique (Balkany dans un avion kazakh se pose en Mauritanie
et s’y emploie dès les premières semaines du régime illégal) et d’Afrique en
France, n’est pas digne de nous. Sans doute, nos interventions à main armée en
Afrique au sud du Sahara pendant votre premier mandat ont-elles eu du fond et
de l’effet, mais nous n’avons pas su convaincre nos partenaires européens et
notre compréhension de l’Afrique, de la démocratie sincère n’est plus du tout
ce que nous pensons encore. J’ai écouté depuis quinze ans ceux qui se sont
succédés dans le beau bureau qu’avait Jacques Foccart, au 2 rue de l’Elysée, je
n’en ai rien retiré pour que changent nos relations avec les personnes et les
intérêts d’Afrique. Au contraire, chaque succession au palais que vous habitez
actuellement a renforcé nos tolérances puisque nous n’en contrarions aucune,
qu’à dose homéopathique ou selon des nunances en protocole. Le discours prononcé
par François Mitterrand à la Baule, parmi ses homologues africains, et qu’avait
en grande partie inspiré de ton et de forme l’Abbé Pierre – qui me l’a confié
quand je le veillais dans la tourmente l’ « affaire Garaudy » le
perdait – est aujourd’hui de mémoire lointaine. Il n’est pas indifférent que
l’appel à une insurrection de la générosité dans le terrible hiver de 1953-1954
[5]
et l’établissement envisagé d’une proportionnalité entre nos appuis et concours
à quelque régime que ce soit et son fonctionnement interne, aient le même
inspirateur.
De Saint-Denis ces jours-ci
et de Nouakchott depuis plusieurs décennies, je reçois donc, très précis, le
reeflet de notre visage quand il suscite l’adoption, l’espérance de
populations, d’hommes, de femmes, de jeunes gens, d’anciens qui ne sont pas
directement de notre sang mais qui reconnaissent en notre esprit leur propre
fonds. Notre nationalité est ainsi contagieuse, nous ne pouvons pas en jouer,
la travestir, et rien qu’en prétendant le conserver sans le nourrir en chacune
de nos générations, en chacun de nos principaux actes de toutes natures, à
chaque endroit de notre sol – comment ne pas penser aux espaces ou bâtiments
dits de rétention ou d’internement administratifs ? n’en avoir pas honte ?
– nous ridons ce visage et peut-être approcherait-il, selon nos insuffisances,
celui de notre mort à chacun.
Ibidem, 18 heures 15 à 19 heures 45
[1] - ----- Original Message -----
Sent: Sunday, May
06, 2012 9:59 PM
Subject: le message de Tulle - pour vous,
mes chers amis mauritaniens
François Hollande a donc été élu à près de 52% des suffrages
exprimés. C'est net, mais ce n'est pas énorme. Il surprendra et fidèlisera - je
le crois - par son indépendance de jugement, sa ténacité, son ancrage à gauche.
Il y aura donc bien plus avec lui à mesure de la fidélité et de la bonne
marche. L'Europe y sera gagnée, certainement. Déjà ce soir, la réaction de
Berlin.
De son premier discours - prononcé sur la place principale de
"sa" ville de Tulle, celle de la cathédrale - je retiens pour vous,
mes chers amis mauritaniens, pour tous les ex-"françafricains", pour
moi donc aussi, ces quelques mots en fin de discours, qui me paraissent très
précis, très vécus, très prometteurs.
citation - Nous ne sommes pas n’importe
quel pays, nous sommes la
France, la paix, la liberté, le respect, la capacité de
donner aux peuples de s‘émanciper des dictatures et des règles illégitimes de
la corruption. - fin de citation
Merci de tant continuer d'exiger de mon
pays, si intime du vôtre, qu'il soit ce qu'il doit être avec vous et vis-à-vis
de lui-même.
A bientôt.
----- Original Message -----
Sent: Monday, May
07, 2012 6:31 PM
Subject: Re : le message de Tulle - pour
vous, mes chers amis mauritaniens
Cher ami
Bertrand
J'ai passé une très belle soirée car
cette victoire de Mr Hollande, je l'ai
tellement prétendue et défendue qu'aujourd’hui j'en
suis fier. Je pense que son arrivée suscite beaucoup d'espoir pour
nous mais pour vous également. C'est surtout la grandeur de la France qui nous manque.
Bonne chance pour tout le monde
[2] - un
million d’euros, dont la moitié se trouve encore au domicile de l’ancien
secrétaire général de la présidence de la République, puis ministre de
l’Intérieur, quand le juge d’instruction y fait perquisitionner
[3] - le
barrage à la candidature de Jacques Chaban-Delmas qu’élèvent Pierre Juillet et
Marie-France Garaud
[4] - que nourrit, entre
autres, Cédric Mathiot
[5] - développez circonstances et fait fondateur de
cet élan
dimanche 25 septembre 2016
vous serez réélu - suite
Me porter fort de mon pays.
Si souvent dans chacune de mes affectations diplomatiques, selon des fonctions
théoriquement non politique et seulement d’application : notre commerce
extérieur, ses prospections, ses offres, ses financements, ses contentieux, je
l’ai fait sans instructions mais sans difficulté non plus. N’être que moi-même
mais assuré intimement d’être dans le vrai en disant la disponibilité de la
France à ce pays qui m’accueille et dont les responsables, me trouvant
peut-être sympathique à eux, au leur, à leurs perplexités, se confie beaucoup à
moi. Je rends compte à ceux auprès de qui la publication de mes opinions dans
le plus influent de nos journaux, m’a accrédité. Raymond Barre, devenu pour
quelques mois mon ministre, sans doute pour préparer Matignon et Rivoli
ensemble, accueille le plaidoyer portugais sans précaution et sans le crible de
notre ministère des Affaires Etrangères. Celui du Portugal est sis au palais
des Nécessités… Je l’avertis aussi de la main mise probable de l’Allemagne (censément
la nôtre, surtout avec Helmut Schmidt à la chancellerie) sur des gisements
d’uranium importants. Plus tard, et en meilleure position hiérarchique et
surtout en confiante amitié, je plaide aussi bien la levée d’un ostracisme
méprisant pour l’Autriche, celui pesant sur Kurt Waldheim, son président
fédéral, depuis des dénonciations et présomptions à propos de ce qu’il aurait
perpétré à Thessalonique pendant la guerre hitlérienne, que l’accueil dans la
Communauté européenne, d’un pays et d’un peuple qui en a envie, qui est capable
en tout d’honorer sa signature, ce qui a toujours été rare de la première
candidature britannique en Août 1961 à celles de toutes les anciennes colonies
soviétiques d’Europe centrale et de l’est, qui surtout nous apporte, avant la
« chute du mur » et l’implosion à Moscou, une connaissance, une
capillarité avec cet ensemble qu’aucun pays occidental n’a à ce point.
Je crois bien qu’en parlant
avec cette femme et en l’assurant que la mauvaise passe actuelle ne durera pas,
que passeront aussi les suspicions et les simplismes manifestés par beaucoup de
Français envers toute personne qui ne se costume pas à leur habitude ou envers
une religion dont ils ont d’autant moins idée qu’ils ne savent même plus celle
qui leur fut censément native ne sont pas le fond de notre caractère, je me
porte encore davantage fort de nous qu’en fonction diplomatique, fort de cette
nation que vous présidez actuellement, que vous avez voulu diriger. Je lui dis
cette France à laquelle elle est attachée mais dont elle craint d’en être
incomprise et repoussée.
Elle me dit alors son père
arrivé d’Algérie à douze ans, il en a maintenant quatre-vingt-sept. Je ne
calcule qu’en vous écrivant maintenant. Il est venu avec les armées de notre
libération ou autrement, ce n’est pas à cause de la sienne et de la guerre du
F.L.N. Elle est allée là-bas, elle ne peut dire qu’elle y est retournée, elle a
été bien accueillie et depuis elle apprend, avec quelques amies mais ici,
l’arabe, au moins pour lire les noms de rue à Alger. Elle veut remonter à ses
origines, les connaître, elle dit le plus naturel : la double culture,
alors même qu’elle ne sait pas parler la langue de ses grands-parents, de son
père. Naturellement, au travail (elle est employée à la mairie de Clamart), elle
n’est pas en mellafa, mais au dehors, dans la rue, ici, elle s’estime en droit
de porter ce qu’elle porte. Elle est connue de ses collègues pour sa religion,
elle a été parfois sinon moquée du moins mésestimée uniquement pour cette
origine qui se voit pourtant si peu. Elle sourit, nous sommes vraiment à
l’aise, je lui dis ne pas connaître l’Algérie quoique – juste avant les
élections donnant peut-être le pouvoir démocratiquement au F.I. S. et dont
le second tour fut empêché par l’armée [1]
– j’allais y être invité par l’évêque d’Oran et aussi d’anciens élèves en
faculté de droit, dont j’encadrais les
travaux dirigés juste après les « événements de Mai », mais je suis
familier d’un pays proche, la Mauritanie, où j’ai atterri à mes vingt-et-un
ans. Quand la porte du consultant s’ouvre inopinément, l’appelle – d’un nom
français, m’a-t-il semblé – je n’ai pas le réflexe que j’ai à toute rencontre,
le plus fréquemment, c’est dans les transports publics, de lui demande son
adresse internet, elle me sourit encore, je la perds mais elle demeure. Je suis
certain que nous pouvions aller plus loin, moi pas dans l’assurance d’une paix
française, consensuelle entre toutes nos diversités d’origine et même de
mœurs : cela n’était pas à redire, mais sera à vivre, mais elle dans une
introduction qui me fait encore défaut. Sa vie de famille et de couple en ce
qu’elle identifie une des composantes de notre nation maintenant, l’éducation
des enfants, la pratique religieuse et, à ce propos, ce qu’elle entend par
islam, ce qu’elle s’approprie : est-ce identitaire ? est-ce sa vie
spirituelle ? si elle ne parle pas l’arabe, ne sait pas lire la toponymie
algérienne, comment lit-elle le Coran ? dans le plus concret de la
lecture, de la méditation, de la prière, surtout si elle est alors seule à
chercher Dieu, à s’entretenir avec Celui-ci, y a-t-il analogie avec ce que je
vis, pratique en chrétien ? Je voudrais qu’elle m’aide à vivre par elle ce
qu’est vivre en France quand on est une femme de religion musulmane,
d’ascendance algérienne. Je ne le sais pas, mais je crois bien que nous avons à
nous entr’aider entre compatriotes pour nous connaître mutuellement, pour
vouloir nous connaître ainsi. Ne pas cohabiter, mais être ensemble. Ce n’est
pas affaire d’expertise, de veille sécuritaire face à de possibles
« radicalisation », pas non plus de police de proximité ou de
médiation, surtout pas une géographie de répartitions ethniques.
Quand je sors d’un DC4 pour
aller monter dans un DC3, que la carcasse en bois du hangar de Mermoz n’est pas
loin, qu’il fait froid quoique nous venions d’atterrir au Sahara mais au bord
de l’océan, sans que se discerne au sol par quelques lumières une ville, puis
de la piste que ne borde aucun bâtiment, ne s’aperçoive un minimum d’urbanisme,
je ne sais rien de là où je vais vivre au moins un an. Service encore dit
militaire, coopération pour les appelés diplômés de l’enseignement supérieur.
Reçus par concours à l’Ecole nationale d’administration, nous formons à nous
seuls une compagnie, au 5ème régiment d’infanterie, stationné au
camp de Frileuse, des bouleaux, des baraquements en bois, j’imagine le
« repaire du loup » en Prusse orientale, puis la rue Monsieur
(le secrétariat d’Etat à la Coopération) nous dispose selon nos premiers ou
seconds choix dans les Etats de l’éphémère Communauté française : les
E.N.A. qui s’y instituent sous des dénominations diverses ont besoin
d’enseignants à tout donner. Je voulais Madagascar pour me distancer des miens,
pour commencer je ne sais quoi de la vie. M’interrogeant sur une vocation
religieuse, j’avais accueilli avec tristesse mon succès à ce concours réputé
difficile et que je n’avais préparé qu’en lectures de ma fantaisie (idées
politiques nous décrivant ou nous ayant enfantés, politique économique
allemande, celle de l’ordo-libéralisme, Roepke notamment, mis en œuvre par
Ludwig Erhard) : je me croyais appelé à une autre vie. Chance, nous avions
à composer sur « dirigisme et libéralisme en France depuis 1945 » –
ce qui demeure d’actualité – et j’avais servi de l’Allemagne en comparaison
sinon en modèle. Madagascar a déjà été promis à plus recommandé que moi, les
grandes capitales ne me tentent pas, je préfère être le seul
« énarque » là où j’aurai à me produire. Donc la Mauritanie. Je ne
réalise qu’alors combien tout m’y convient, notre parenté avec l’ermite de
Tamanrasset et la cure de désert, au sens spirituel, que me recommande un moine
de Solesmes avec lequel je suis en train de me lier [2].
Reniac, à ma table de travail
après-midi du dimanche 25 septembre 2016,
17 heures 48 à 19 heures 35
L’inconnu, l’étrangeté, ce
vont être le pays non les hommes quoique ceux-ci soient si différents de moi.
Le pays, d’abord, ne m’accueille pas, les hommes au contraire m’entourent,
m’écoutent, me sourient : je suis leur enseignant, ils sont contents,
heureux que je les enseigne, continuellement je leur demande des exemples selon
eux de ce que j’essaye de leur apprendre, et très vite je perçois que je ne
vais leur être utile que si je leur apprends – avec mes outils d’étudiant de
Sciences-Po. et de futur élève à l’E.N.A. française – leur propre pays. L’outil
principal que je leur propose, est la curiosité, une curiosité bâtisseuse,
cherchant les structures dans le vague ou l’imperfection, les tâtonnements,
même la nudité apparente : les institutions et l’économie d’une République
Islamique de Mauritanie qui commence tout juste la cinquième année de son
indépendance. Je leur apporte comment connaître et comment assimiler, rendre
productif ce qu’en résumant, en grossissant, en expliquant ils savent déjà et
découvrent à présent de leur pays neuf. Je les encourage à en être fiers. Eux,
simplement, me font confiance. Je suis chez eux. Physiquement, affectivement,
je ne peux vivre sans leur aide, sans eux. Ce que je comprends de ce qu’il commence
d’être courant, d’appeler leur « construction nationale »,
m’intéresse très vite. Tout est si squelettiques dans un pays qui n’a pas un
million d’habitants, dont la capitale n’en a pas dix mille, où tout est sable
rouge, silence et lenteur, les pantalons et chemises n’étant qu’européens – on
ne dit d’ailleurs pas : français, mais européens – que regarder, penser en
termes de structures, d’ingrédients, de matériaux s’impose à l’évidence. Ce
m’est bien plus sensible que me situer en Afrique et parmi des musulmans. Je ne
vois que des peaux bronzées ou noires, des vêtements amples et ouverts au vent
comme des voiles, je ne ressens qu’une bonne volonté générale. Le plus immature
de tous, c’est moi, pleurant les miens, mes parents, et bientôt la verdure, le
climat de France. J’avais commencé, peu avant le concours, de tenir un journal,
de grands cahiers manuscrits, y consignant mes lectures et les allers-retours
d’une décision qui ne venait pas : celle d’ « entrer dans les
ordres », plus un amour frigide, sans texte ni gestes. Le premier mois ne
s’enregistra qu’en références bibliques, j’enseignais, allais à la messe, une
des pièces d’une des villas-patios des cadres expatriés faisant chapelle,
jouxtant la chambre à coucher d’un spiritain sans grade, je déjeunais et dînais
au restaurant du plus représentatif des deux hôtels de la capitale. Pas de
trottoirs, pas d’ascenseur. Et le centre de formation administive s’abritait
sous le hangar où avait d’abord travaillé et délibéré, notamment sur
l’autonomie interne puis l’indépendance une assemblée terrioriale, élue sous le
régime colonial et devenue nationale : pas cinquante députés, tous en
sandales, boubous et haouli, sentant le cuir, pacifiques au possible,
naturellement francophones. Je vivais, jour après jour, machinalement, dormant
dans l’hôtel réservé aux députés, mais où le gouvernement, accueillant ma
coopération et mon savoir, honorait son engagement de me loger, sa
contrepartie. L’eau, une heure par jour, puisqu’elle arrivait par
camions-citernes du fleuve Sénégal faisant la frontière méridionale, à deux
cent kilomètres de là. L’ampoule au plafond supposait le vissage d’un plomb au
commutateur, il fallait l’apporter et l’emporter avec soi. Existence sans
attente, journées et nuits simplement quotidiennes, j’étais machinal, sans
sentiments et désormais sans question. J’étais étranger à l’étranger, mais ma
langue était courante partout où j’avais à me trouver : classes et
restaurant. Le paysage n’était pas même étrange puisqu’il n’y avait aucun point
de vue sur l’ensemble de ce qui n’était qu’une possible agglomération, rien
n’avait plus de deux étages, aucun relief qu’un imperceptible moutonnement, le
sable figé mais qu’avait modelé le vent d’une saison précédente. Le ciel
n’était ni bas ni haut, luminescent, grisâtre. Il fallait vraiment être né là
pour y vivre, mais – paradoxalement – personne ou presque de cette petite
agglomération pour cadres d’un Etat commençant, n’était né à Nouakchott. Moi,
j’allais naître à une conception de la politique au sens créatif, la race et la
religion – quoique, là, ce n’étaient pas du tout les miennes – je n’aurai
à les considérer comme différenciantes, voire belligènes que dans notre France
de maintenant, celle à qui allez demander votre réélection. Car il n’y pas
trois ans que l’islamophobie est devenue une dimension du mal-être français
quand on croyait que seul le chômage l’était vraiment, que la méfiance entre
ethnies appelait quelques-uns à une guerre civile préventive ou à des
expulsions massives, quand on avait cru si longtemps que seule la lutte des
classes faisait l’Histoire.
ibidem, le soir du même dimanche 25
septembre 2016,
21 heures à 21 heures 40
[1] - date et circonstances en
1992
[2] - Dom
Jacques Meugniot 1927-2011 . expert au concile Vatican II de son Abbé, supérieur
majeur : la congrégation bénédictine de Solesmes : il choisit la
Mauritanie selon ce que je lui en ai rapporté pour vivre en ermite. Il se sent
perturbateur de sa communauté (il y est entré à la fin de 1943) s’il y demeure,
en ayant eu une forte influence sur beaucoup de ses cadets, en philosophie
notamment. De 1975 à 2005, il est donc là-bas tandis que je n’y vais plus
jusqu’en 2001
vous serez réélu - suite
Ecrivant ainsi, qui est
décisif, pour qualifier nos relations avec le répété étranger ou celui que nous
considérons comme étranger, je perçois combien le vocabulaire nous manque pour
caractériser des relations, des situations et finalement le for intime de
personnes avec lesquelles nous travaillons, vivons ou que nous avons à
accueillir ou qui nous choisissent à raison d’habitudes, de relations, rapports
hérités. Et pour nous, comment devons-nous nous dire, nous considérer
nous-mêmes ? Français de souche ? n’allons-nous pas vers ces hideuses
définitions génétiques ou généalogiques nous ayant régi quelque temps sous une
occupation étrangère : parents, grands-parents juifs, à combien de degrés
ou selon quels géniteurs est-on éligible pour les chambres à gaz ? Ma
chère mère n’aimait ni son nez ni sa voix, pas de photographie de profil et pas
d’enregistrement. Par téléphone, je lui apprends une de mes trouvailles
généalogiques aux archives départementales d’un de nos séjours ou passages
familiaux : une cantinière Lévy épouse un officier supérieur du régiment
qui a garnison Carcassonne, on est sous Louis-Philippe. Elle a, et moi avec
elle, avec mes sœurs et frères, nous sommes neuf, un seizième ou un
trente-deuxième de sang juif. Bien utile quand, dans le grand amphithéâtre de
la Sorbonne, je reçois la parole que je demande au VIème congrès international
humaniste juif. Elisabeth et Robert Badinter sont là, Dominique Schnapper aussi
et le précieux Elie Barnavi. J’ai tenté d’expliquer au Vatican puis à ceux de
nos évêques que je pouvais atteindre par circulaire postale ce que vivait et
faisait vivre l’Abbé Pierre, tombé dans « l’affaire Garaudy », un
livre révisionniste qu’il n’avait pas lu, qu’un Dominicain de son entourage
avait trouvé très bien, alors qu’il ne soutenait qu’un ami perdu de vue,
converti d’ailleurs à l’Islam après avoir été un des héros de 1968 en
réprouvant l’intervention soviétique contre Dubcek et Otta Sik, en
Tchécoslovaquie. Il me faut faire de même devant ce parterre, à juste titre
éveillé et susceptible. Mon aïeule est la première pièce que j’avance, je suis
écouté à tel point que plus de dix ans ensuite Robert Badinter me félicite
d’une conférence en Sorbonne sur l’antisémitisme et la shoah… les prismes
déformants. J’apprends deux choses que je conserve aujourd’hui comme lignes
d’influence et de compréhension pour le Proche-Orient, et aussi pour le risque
que nous continuons de courir d’une fragmentation nationale en communauté,
admise avec légèreté malgré beaucoup de dénégations par tous ceux qui se
pressent au dîner annuel du C.R.I.F. La première : est Juif celui qui se
considère, se reçoit tel. Ce n’est ni ethnique ni religieux. Le chrétien ne
s’en souvient pas mais les textes qui le fondent distinguent les Juifs,
adversaires du Christ, et celui-ci ainsi que ses disciples et sympathisants,
tout autant juifs que les Pharisiens, Sadducéens, et autres. La deuxième :
la France qui, en ses cœur, chair et histoire, est forte de la deuxième
« diaspora » juive au monde (après celle des Etats-Unis), peut et
doit utiliser celle-ci pour contribuer à régler la question de Palestine, qui
pèse tant sur l’Europe et contribue à motiver une bonne part de la prétention
des Etats-Unis à l’hégémonie. Nos compatriotes juifs, surtout quand ils sont
notoires, doivent faire entendre raison et avenir à leurs frères de religion ou
de race revenus ou venant en Palestine au titre de l’Etat s’appelant Israël.
L’avenir n’est pas la communautarisation ni en société, chez nous, ni en
géographie là-bas.
J’étends cette conviction et
cette prise de conscience à d’autres parmi nous et à nous avec d’autres, chez
nous. La beauté d’une demande de naturalisation est le choix, la profession de
foi de celui qui l’articule. Italien de naissance mais discerné et formé par
Richelieu, Mazarin, un de nos plus grands hommes d’Etat : mon parler n’est
pas français, mais mon cœur l’est bien. Et faut-il des papiers : sans
doute dans un Etat de droit et pour travailler quelque part, rien que payer des
impôts et utiliser, souvent nativement, notre langue, devrait procurer aussitôt
ces papiers. Et sommes-nous conséquents ? quand a pu se dessiner la
perspective d’une indépendance pour une bonne part de nos parents d’Amérique –
le talent ? non, l’émancipation et la totale empathie avec un peuple qui, presque
en son entier, a fait haie de part et d’autre du légendaire Chemin du roy,
entre Québec et Montréal… le suspense au balcon quand par une chance
providentielle il suffit de brancher une sonorisation imprévue par le protocole
mais laissée sur place de la veille… vive… vive le Québec… vive le Québec…
libre ! – quand se fait alors la détente, que se reprend la respiration
après deux siècles de patience et d’attente, comment ? pourquoi ?
n’avoir pas convenu, et encore aujourd’hui, Monsieur le Président de la
République, ne pas convenir d’une nationalité commune ? tout y est, des
fameux Gaulois au droit du sol et aux arbres généalogiques. Commune, ensemble.
A l’inverse, la pureté de la race et des ascendances ? nos rois,
systématiquement, n’épousaient-ils pas des étrangères, par arrangement de leurs
géniteurs respectifs et des ministres que ceux-ci mandataient pour signer les
dots et agrandissements territoriaux ? et ces mariages, ces accueils
royaux n’étaient-ils pas gages de paix ? les princes otages de l’Antiquité
gréco-romaine, nos reines et impératrices quand s’implantèrent ou se
succédèrent nos dynasties (on a dit jusqu’à Napoléon et à Louis XVIII nos
races, comme, longtemps, on appela langue ce qui allait devenir nation :
c’était on ne peut plus pratique, concret). Alors, aujourd’hui comment
dire ? Français de souche ? Français d’adoption ?
nouveaux-venus ? je ne sais, mais au comportement, au regard, à l’accueil,
au désir d’être considéré, au naturel avec lequel il est répondu à mon entrée
en conversation, parfois en communion : ce couloir d’attente de la
consultation médicale dans un de nos plus grands hôpitaux franciliens, cet
arrêt de tramway en grande banlieue, l’échange d’« un signe de paix »
à la messe paroissiale… Plus largement encore, ces affinités que je découvre,
que je ressens avec ce ministre, grand juriste soviétique, qui a charge de la
Justice dans cette République nouvellement indépendante, et qui manifestement
entre dans ce partage. Le lieu commun, ce qui nous fait nous découvrir d’âme et
de réactions, d’instinct communs, est l’amour de son pays, de son peuple, de
son histoire, ce Kazakhstan où je représente la France, selon la volonté et la
signature de François Mitterrand à la demande insistante de Pierre Bérégovoy,
malgré le Quai d’Orsay, et sans doute aussi les Finances, ce pays auquel je
m’attache puisque de toutes mes forces je veux le comprendre, le découvrir et
l’amener à lui faire apprécier le mien comme compagnon sûr en ce monde.
Reniac, à ma table de travail
après-midi du dimanche 25 septembre 2016,
15 heures 55 à 16 heures 45
vendredi 23 septembre 2016
jeudi 22 septembre 2016
ébauche du plan de ma lettre ouverte à François Hollande, président de la République
Introduction
… mes chers
compatriotes
… Monsieur le
Président de la République
I – Vous et nous
(portraits de François
Hollande et des Français)
II – La France contagieuse
(à partir
d’expériences : une journée à Saint-Denis, une arrivée à Nouakchott, et
des rencontres multiples depuis mon enfance)
III – Le patriotisme européen
(solidarités,
nouvelles institutions à partir des peuples et non plus des gouveernements, à
partir du social et non plus de l’économie)
IV – L’argent contre les
Etats
(la bataille en cours
depuis ?la politique économique et sociale, la transparence et la
visibilité, le consensus possible, le plan)
V – La morale refondatrice
(politique étrangère développant
II et III – le refus des dictatures nationalistes et des régimes de façade – le
critère des droits de l’homme en relation bilatérale – l’autorité morale)
VI – L’air libre de la
République
(nous = la démocratie
concrète, les changements de pratique de nos institutions, le retour à de
Gaulle et l’invention du présent et de demain : les mûes de la société, la
génération Y, l’amnésie et la curiosité, la formation de soi par soi, la
révolution par l’information circulée, le service militaire et civique,
l’éducation nationale, la « démocratie participative »)
VII – Etre le roi
(vous = la fonction
n’est pas celle que vous croyez, mais celle dont nous ressentons le besoin
vos prédécesseurs, eux
et nous, nous et eux)
Conclusion
… mes chers
compatriotes
… Monsieur le
Président de la République
… un puis plusieurs
tribuns du peuple
Annexes
* propositions
d’améliorations de notre vie quotidienne
id° de notre vie
publique
* principales lettres
adressées à François Hollande
* lettres à de Gaulle,
Valéry Giscard d’Estaing, Nicolas Sarkozy, François Mitterrand,
et à Mikhail
Gorbatchev, Angela Merkel & des réponses
Photos
BFF et : sa mère – femme et fille – pape JP II –
François Mitterrand – Abbé Pierre – Michel Jobert 22 IX 16
mercredi 21 septembre 2016
mardi 20 septembre 2016
lundi 19 septembre 2016
vous serez réélu - suite = chapitre 2 ... la France contagieuse
Pas l’étranger, l’inconnu.
La station du métro parisien : Montrouge, ou celle de Saint-Denis
basilique. Surgir entre des bâtiments à la destination incertaine, au béton
monocolore, une façon de ruelle introduisant une avenue vers la banlieue au sud
de la capitale qui va vers des successions de plus en plus spacieuses de
maisons individuelles à jardinets, ou une place immense, déserte, au nord de
celle-ci.
Reniac, à ma table de travail
samedi 17 septembre 2016, 18 heures 23 à …
C’est la nuit… il fait nuit…
mais ce qui surgit n’est pas moi. La basilique, à double façade. Le premier
plan, presque blanc, couleur plâtre. Et un second plan, ne laissant voir que le
convexe du toit, légèrement en recul : il est gris, à peine distinct du
ciel sans étoiles, noir. Il n’y a pas de lune. Je dois trouver l’hôtel où j’ai
retenu. L’université Paris VIII est indiquée. Familiarité de l’institution, où
j’ai enseigné pendant cinq ans, au jour le jour d’une actualité très propice,
le fonctionnement des organes européens selon leur genèse : entre 2003 et
2008, la Convention Dehaene-Giscard d’Estaing, si intelligemment menée,
tellement en relation avec toutes les contributions possibles, aucune ne devant
être institutionnelle ou gouvernementale mais toutes personnelles, ainsi des
étudiants à pied d’égalité avec des ministres des Affaires étrangères régnant
sur tant de services. Et puis les relations extérieures de l’Union européenne.
Entrant à cette université en simple contractuel – j’ai été refusé quatre fois
aux agrégations de droit public et de science politique, deux en 1972-1974, la
première en polémique donnée dans le Monde avec Pierre Joxe sur les prétentions
constitutionnelles du Programme commun de gouvernement, les seules que je
contestais, et deux autres en 2004 et 2006… et je n’ai pas non plus été admis
en professeur associé – j’avais proposé comme premier thème, le partenariat
euro-méditerranéen, ce que l’on appela vite le « processus de
Barcelone » h – tellement ignoré malgré sa fécondité, ou plutôt à cause d’une
fécondité dont les gouvernements ne se mêlaient pas, déléguant tout aux
échanges entre hauts fonctionnaires (belle époque de la télécopie qui laisse
quelques archives automatiquement au contraire du téléphone ou de l’internet…)
tellement ignoré que Nicolas Sarkozy le proposa dès son élection et qu’il
fallut la commission ad hoc de l’Assemblée nationale pour donner de l’habit
neuf à ce qui avait déjà l’âge de raison. Dans ces locaux bon marché, s’est
maintenue à peu prèss l’une des idées d’Edgar Faure : les
« katangais » à Vincennes, déménagés de l’illustre fort et du chêne
de saint Louis, aux abords de la basilique autour de laquelle se fonda
spirituellement la capitale française parce que nécropole royale avec encore
saint Louis et ses commandes de gisants si semblables à ceux des galeries de
rois aux façades de nos cathédrales franciliennes.
Lire et débattre à mesure
les textes relevés dans les sites européens, avancer selon leur esprit et non
la rétractation des gouvernants et l’amnésie des commentateurs. Le plaisir
aussi d’enseigner en découvrant ou de découvrir en enseignant, en faisant
découvrir la vie et l’apparition des propositions et de leurs agencements.
J’apprenais la timide novation, à l’automne de 2007, des contestations et
explications en Sorbonne ou à l’Odéon du printemps de 1968. Votre prédécesseur
prétendait fonder l’autonomie des universités et faisait signer Valérie
Pécresse. La loi d’orientation défendue par Edgar Faure – nommé à l’Education
nationale par l’intuition du dernier Premier ministre du général de Gaulle,
intuition du même aux Affaires étrangères pour confier quatre ans plus tôt au
même la reprise d’une relation franco-chinoise – cette loi fut votée à
l’unanimité, véritable phénomène encore plus spirituel que politique sans précédent
et sans réédition dans toute l’histoire de nos Républiques. Ce fut dans des
amphithéâtres, juste pleins, la même approximation des votes et des
possibilités de parler, mais il manquait tout, l’élan, la verve et l’enjeu.
Autonomie telle qu’il fut impossible à l’Institut qui m’avait recruté d’obtenir
mon prolongement au-delà des soixante-cinq ans constaté par mon acte de
naissance.
A lire les contributions,
puis les textes arrêtés, qui durent beaucoup à mon camarade de promotion à
l’E.N.A., Alain Lamassoure qui, m’encensant en réunion et commissions des
ambassadeurs à l’automne de 1994, ne savait pas plus que moi qu’il chantait mon
oraison funèbre car il n’en disait sur aucun autre de mes homologues – je
comprenais combien un texte peut être fécond ou tout empêcher. Le traité de
Lisbonne – prétentieux, puisqu’il a abrigé et remplacé tout ce qui l’avait
précédé depuis Mai 1950 compris, et bâclé au point que la sécession d’un
Etat-membre fut traité d’avance à la discrétion de celui-ci : c’est à la
Grande-Bretagne depuis son referendum sur le brexit d’initier les palabres sur les conditions de so,n départ.
J’avais vu dans ce projet de Constitution pour l’Europe la disposition
décisive : désormais, les textes européens se réviseraient, s’amenderaient
selon leurs propres dispositions, et non selon la négociation entre
gouvernements. Absente du texte de Lisbonne, c’est cette disposition qui à
terme aurait tranquillement digéré ce qui perd l’entreprise européenne depuis
Maastricht : la gestion seulement intergouvernementale de l’identité du
Vieux Monde. Y a-t-il identité ? expression quand il n’y a pas la
voix ? une voix unique, la voix. En bonne pédagogie, une classe de la
trentaine d’élèves n’est pas vraiment dynamique ni porteuse de tous, surtout
quand il y a des différences de niveau et de capacité. De même, nous le savons,
vous le savez, un gouvernement de près de quarante membres aux responsabilités
et moyens très disparates ne peut être collégial, c’est une énième chambre
d’enregistrement de la parole ou des bons mots de celui qui le préside, les
haines, contestations ou complicités se font au regard, mais il ne peut en
sortir une pensée commune, plus ferme et innovante, plus vraie que l’addition
de trois dizaines d’avis et opinions. Une pensée qui opère.
J’appris aussi que
« mes » étudiants, pour la plupart travaillaient afin de se loger, de
se nourrir. A mon époque, il y cinquante-six ans, Sciences-Po – Paris, rue
Saint-Guillaume – ne coûtait qu’à peine plus que les cotisations sociales, mais
quand il s’est agi d’évaluer la
contribution de Descoings à une compétition hors sujet avec des universités
d’outre-Atlantique alors que nous cherchons les cades aujourd’hui de la
République comme en 1875 on avait trouvé à les formerl’excellence de la
formation, ne découvrit-on pas que les frais de scolarité – là – tournait
autour de 14.000 euros et sans qu’au conseil d’administration soient admis
s’informer et à délibérer quelques représentants des scolarisés ! J’ai
supplié Pierre-René Lemas que l’on réfléchit à une réorientation dont seul une
personnalité, non héritière du système, serait capable. Les cadres de la
République, les animateurs du service public. Vainement. Je constate d’ailleurs
dans la version actuelle du collège des Pères Jésuites à Paris – l’école saint
Louis de Gonzague dont les plus importants bâtiments jouxtent l’immeuble où
vivait et écrivait Georges Clemenceau, réputé anti-clérical, mais excellent
voisin – c’est aussi le miroir aux alouettes » de l’excellence,
c’est-à-dire de l’abandon de ce qui nous a plusieurs fois fait renaître. Nous
n’imitons pas bien, nous savons inventer, c’est une science qui ne se transmet
mais qui exige un réceptacle et une ambiance : la liberté et la prise de
conscience d’une nécessité vitale. Une très jolie de mes élèves, tous les soirs
et jusqu’après minuit, servait ainsi dans un bar au Quartier Latin, bien des
autres, filles et garçons, dormaient peu, pas du tout par dissipation mais en
gagne-pain nocturne. Comme ils étaient pauvres et que je le suis devenu, nous
comprenions ce qu’il faut changer.
Et vous, Monsieur le
Président de la République, avez-vous enseigné dans le plein-air d’une
université de banlieue, avec beaucoup d’étrangers, certes à peu près
francophones mais mieux que Français, voulant recevoir de nous quelque entrée
dans le monde du souhaitable. Les sujets d’Europe dont je m’étais chargé, qui
n’avaient pas de programme par arrêté ministériel, ni manuel leur correspondant
classiquement, m’ont alors paru le souhaitable. Je n’avais pas toujours placé
l’Europe en fin autant qu’en moyen de la pensée, de l’action et de toute
dialectique politique ou économique. Tant que la France paraissait se tenir, et
j’avais quinze ans quand le miracle recommença de s’opérer, la coopération
européenne, le poids des possibles divergences ou timidités de nos
partenaires m’avaient paru encombrants, mais depuis qu’il s’est avéré que
la France, par des gouvernants de moins en moins indépendants et inventifs
mentalement, tournait à la nostalgie ou la simple image dans le regard d’autres,
j’ai pensé que l’Europe nous offrait, si nous la saisissions, de revenir à nos
plus fortes ambitions, aux plus fondées.
Tandis que se tait,
semble-t-il pour moi seul, cette façade en deux plans, en deux épaisseurs, aux
lumières révélant bien la différence des matériaux, des destinations, je suis
fasciné par une nudité sans apprêt, sans sculptures faisant par elles-mêmes
monument. Du mur valant par sa luminescence, par son coutour, les lignes plus
simples, du crayon sur papier, à la règle et c’est debout. L’Université,
l’enseignement magistral, l’apostrophe des étudiants, leurs questions ;
leurs réponses, les mise aux voix se fondent dans la question de m’orienter
sans le moindre souvenir. En cinq ans, je ne suis pas même retourné à la
basilique, encore moins suis-je allé en ville. Celle-ci commence par cette
place où les passants, minuscules en proportion de la surface désertique, sans
arbres, sont rares. Et je commence à apprendre.
Quand, l’an dernier, au
milieu de 2015, vous êtes, avec les édiles, vous informer sur les projets et
les avancements de restaurations, de travaux, certaines imaginations mêmes, où
êtes vous allé : pendant votre visite, puis ensuite et d’où
veniez-vous ? J’arrive, cette nuit, de la Bretagne océane et du premier
chapitre de cet essai de livre qui vous est destiné. Sans mandat, sans
modestie, sans orgueil, simplement parce que j’ai mon âge et mes amours, celui
de mes aimées, épouse et petite fille, celui de notre pays, il me semble tout
porter de nos héritages, de notre vieillesse à tant de moments si rayonnante et
forte, d’une jeunesse que je sens pour demain, y compris la mienne retrouvée si
cet écrit aboutit, et si l’ordalie que je souhaite pour la fin de mon existence
formelle ici-bas. Et vous quand la portière arrière de votre voiture s’ouvre –
la prochaine, celle de votre campagne, bien imprudemment exposée devant le
siège de votre famille politique d’origine, une Volkswagen, a des portières
coulissantes pour que, a-t-on expliqué, vous puissiez être « extrait »
plus aisément, plus rapidement – vous donc, quand vous arrivez, que des
garde-à-vous font haie et qu’il vous faut affecter le bonheur de vous trouver,
de corps ? mais d’esprit ? là où l’on vous accueille, à quoi
pensez-vous ? quelles associations faites-vous en vous-mêmes. Avez-vous
marché dans les rues de Saint-Denis, la nuit, seul ? Le mot de Jean-Pierre
Chevènement – si malheureux et n’exprimant aucune véritable expérience, sinon
lamentablement tronquée – juste après sa montée sur scène pour inventer ou pacifier
ce qui ne peut s’appeler, de l’extérieur, un Islam, ou l’Islam de France, ne me
revient pas ce soir. Je demande mon chemin, un compatriote d’origine
subsaharienne ? me répond, me
sourit, c’est clair, je pars, je tire une petite valise carénée, noire à roulettes.
De plus en plus, je me sens dans deux pays à la fois, et qui me sont étrangers,
bien plus que deux même. Des pays-villes alors que depuis vingt ans je vis
entouré d’arbres, naturellement là depuis peut-être un siècle, ou que j’ai
plantés, il y a aussi des rosiers, des ronces, plusieurs prés, chacun partant
vers un des méandres du ria, non loin duquel, et de la mer aussi, nos longères
ont été bâties il y a cent cinquante ans, et reconstruites par moi, il y en a
vingt. Je suis éclairé par la lune ou j’entends autant mon cœur que des
hullulements. Nos chiens dorment avant nous. Ce n’est pas la ville, cela n’a ni
nom ni qualificatif. Géographiquement, c’est en France, selon les acceptions
actuelles. Où que j’ai vécu quand c’était davantage que quelques heures et que
l’appropriation faisait son alliance, puis sa combinaison entre les lieux et la
conscience, les sensations d’y être, je crois bien que j’ai été la France. Il
m’a donc été toujours aisé de la représenter quand j’en étais formellement
chargé, mais aussi quand je ne l’étais pas. De même que professionnellement, il
me fut aussitôt naturel de représenter l’intérêt commun en réunion ou en
négociations. C’est d’ailleurs dans cette situation qu’apparaissait évidemment
l’Europe. Les pays à Saint-Denis sont donc la ville, mais aussi les gens,
l’absence de gens, l’allure et l’ethnicité des gens. Je ne parle ce soir qu’à
celui qui s’est arrêté à mon interpellation et m’a renseigné. Je continue, il y
a autant d’Africains, de ce nord-ouest africain que j’ai connu à mes vingt ans,
qu’il y en a, la nuit tombée, à Saint-Louis, au pourtour de Dakar. On parle la
nuit, assis, sans rien mangern ni boire, c’était avant. L’essentiel et qui se
consomme, c’est la nuit et d’être ensemble. Or Saint-Denis est une ville française.
Les moeurs, les vêtements, suis-je l’étranger ? avec ma valise, ses
roulettes, et mon inquiétude d’arriver enfin tandis que ceux me faisant
entourage, haie, et qui sont tranquilles, ne vivent-ils pas ici : chez
eux ?
Cour intérieure, ni pavement
ni goudron, du lisse sans couleurs, pas d’arbre ni même quelquesbacs à verdure,
quatre étages, plus de cent alvéoles distribuées le long de coursives à la façon des bateaux pour voyageurs à bas
prix, l’hôtel ressemble à une prison. C’est pis que de la peur, c’est un autre
monde. Les repères d’un urbanisme habituel soit dans la capitale soit dans ses
banlieues ont disparu. Je n’ai rien. La chambre me rappelle justement un
mauvais souvenir des environs de Dakar où je devais attendre le milieu du matin
suivant de mon arrivée nocturne, la jeune fille qui intensément me tenait lieu
de premier amour, elle avait été déjà mon premier baiser, elle devenait mon
premier chagrin, car auparavant tout avait été avec la seule précédente
tellement peu existant, vivant, chaleureux que j’avais cru au baiser et à un
encensement mutuel. L’almour après l’indifférence ou l’impossibilité. Il me
reste ce soir que le souvenir d’une solitude jumelle, d’une fatigue jumelle, le
lit a quasiment les dimensions de la pièce. J’ai dormi facilement, car la suite
– contrôle médical à subir vite – importait.
Ce qui commence, ce matin,
n’a aucun précédent dans ma vie. Chacune de mes arrivées dans un pays nouveau,
généralement celui d’une affectation suivant une autre que j’ai quittée à grand
regret, était une obligation de m’initier, de comprendre et de rapidement
structurer une mentalité, une construction nationale, des habitudes, c’était
statistique et ensuite surgiraient des gens, et des gens quelques personnes,
des mentors, grands politiques ou chefs économiques, des amours aussi. Les
rapports à rédiger, les entrées à découvrir puis maintenir pour les donner à
nos entreprises, à nos idées, à vos prédécesseurs, Monsieur le Président de la
République, me forçaient enfin à considérer et posséder cet espace schématisé
sur les cartes et mappemondes, comme mien.
Ce matin en quelques
minutes, je vais vivre tout le contraire.
Direction ? je ne la
retiens pas, mais l’arrêt auquel descendre pour atteindre ce centre de
radiologie : théâtre Gérard Philipe. Fanfan la tulipe, Louis XV et les
retournements du front en noir et blanc, mieux que les Indiens et les cow-boys,
pas de cris, peu de chevaux. La Comédie-Française, cette obscure clarté qui
tombe des éoiles… nous partîmes cinq-cent, nous étions trois mille en arrivant
au port… l’entier de la scène, l’acteur … ce n’est pas de l’éclat, ce n’est pas
de la lumière, ce n’est pas du texte, ce n’est pas même de la présence, c’est
une totalité sans nom ni son, nous sommes parterre, poulailler et loges – quel âge
ai-je ? peu importe – tous le même chef d’œuvre, le même Gérard Philipe,
bien plus que le temps d’un soupir,
l’immortalité doit être là pour que nous soyons ainsi, ne respirant pas,
tellement nous existons. Le civisme des rues, des avenues des lieux en banlieue.
Lignes parallèles, les
quatre rails, les trottoirs, les abris, tout est impeccable. Il ne pleut pas,
tout à l’heure, il pleuvra. Pas un papier qui traîne, pas un Français, une
Française habituels, les robes du Maghreb, de l’Indochine, de l’Afrique noire,
la couleur, les peaux, les regards, les hommes sont de tous âges, la jeunesse
est moins belle que la maturité, pas de jeunes filles. Comme je me sens heureux
et à l’aise, parmi ces quelques tous. Je ne me sens pas différent. J’ai ma
petite valise à roulettes comme hier soir, chemise sans dessous, une veste
façon tyrolienne, mes cheveux sont blancs, mon teint est tantôt pâle, tantôt
rouge. Je ne me porte pas toujours très bien, mes jambes sont souvent lourdes.
C’est une ville qui est d’abord une succession d’espace au moins depuis cette
place du Marché que longe la rue ou l’avenue Gabriel Péri ; D’ailleurs,
par le métro on arrive en étapes successives, toutes contemporaines dans notre
regard et par l’uniformité de l’alphabet R.A.T.P., en histoire de France. Il y
a la déclaration de Saint-Ouen il y a les martyrs de l’Occupation, il y a des
saints et des écrivains. C’est très sensible, plus qu’à pied, et a fortiori en
voiture où l’on n’entrevoit que les voisins de côté, de devant, de derrière
seulement. Chaque station a son nom mis en valeur par les intervalles de tunnel
et par la répétition aux murs incurvés, au-dessus des affichages ou entre eux,
c’est plus qu’une date, plus qu’un personnage, c’est nous avant nous. Guy
Môquet et saint Denis. A ma gauche, une femme sans âge, teint bistre,
enveloppée et capuchonnée d’orange à ramages, elle lit un petit livre, c’est de
l’arabe, ce doit être religieux, ou de la poésie, mais quoi de plus poétique si
la poésie choisit d’être véhémente pour me prendre ? je dis tranquillement
à la dame que son petit livre est bien beau, il est usé, c’est du papier fort,
c’est son livre, exactement comme depuis un an, chaque fois que je suis au
volant, l’habitude me saisit de cette récitation. Je m’étais engagé à une
neuvaine dont il fallait répartir en jours, en personnes, et en thèmes les
centaines de Je vous salue, Marie !
et leurs encadrements en Notre
Père ! Je ne compte pas, quelque temps j’ai mémorisé sur mes doigts et
leurs intervalles, maintenant au bout d’un temps ou selon le ressac d’une
imprégnation indistincte mais qui me fait découvrir beaucoup dans ce si peu de
mots, je décrète le Gloire au Père !, et puis je passe à la suite. Elle me
regarde et acquiesce, me remercie. Du français : parfait. Elle est
bilingue, sereine, heureuse que je l’ai remarqué, son livre, pas tellement
elle, quoiqu’elle soit bien le livre, nous n’insistons pas. Si à cet arrêt du
tramway, je la revois – quand ? – je lui dirai qu’il y eut ce moment et
que je voulais lui demander le sens, non de ce qu’elle faisait, mais de ce
qu’elle lisait.
Il y a peut-être ? déjà
dix ans. Le T.G.V. de Paris à Quimper. Pas grand monde dans le wagon, c’est un
début de matinée. Une dizaine de jeunes gens, que des garçons. Sautent et
dialoguent d’un fauteuil à l’autre. Vocabulaire incompréhensible, mais
grammaire française. Du beur, surtout l’accent, les intonations, une indolence
véhémente. Il semble s’agir du baccalauréat. Cela dure, ce n’est pas monotone,
je commence à comprendre, cela dure bien une heure, ils se fatiguent, se
taisent, font du silence et leur chef, selon toute apparence, vient s’asseoir
près de moi. Je lui dis que j’admire la richesse du vocabulaire, l’inventivité
du vocabulaire. L’allemand, version dialectale en Alsace, garde sa grammaire,
certes, mais tout le vocabulaire, le visuel et la senteur du quotidien, les
plantes et les ustensiles, les nuances aussi de l’affection par tant de
diminutifs qui font grelots ou clochettes ne sont qu’alsaciens, un plein-air
qui ne peut être clos mais qui a tellement de racines, et vit encore tellement
même si les existences et les références ont changé et changeront plus encore,
que c’est un univers complet à soi-seul. Cette langue, dite beur, est aussi une
dérive de la vie dans la structure mentale française : la grammaire.
L’identité, c’est la structure, l’ossature, pas l’habillement ni la confection.
Oui, j’admire cette contagion française dans un milieu et un genre de vie qui,
de naissance, sont tout autres que nos habituelles arborescences.
Voici qu’il me répond, un
français de Sorbonne. Il est bilingue, beur et agrégation de lettres. Oui,
c’est bien de bac. qu’ils s’entretenaient, de l’histoire qu’on leur fait passer
et subir. Il est autant français que moi, d’esprit et de langue, mais il
voudrait que soit mis autant d’application, autant d’art pour transmettre son
histoire particulière et celle de ses compagnons, ou d’autres villages dans nos
banlieues, ou d’autres groupes. Il ajoute même que ces histoires particulières,
quoique de relents nationaux, de nationalité qui ne sont pas la nôtre, je veux
dire la mienne, ou celle qu’il a adoptée et apprécie, manifestement, valent
d’être enseignées, de faire partie de nos enseignements parce qu’elles sont un
apport, exactement comme leurs locuteurs apportent une force et un nombre, une
population de plus. Et voici qu’il m’apprend, qu’au moment-même des massacres
de Sétif [1],
il y en eut d’aussi horribles, fortuits ou ordonnés, à Gorée. L’île-escale-base
de départ pour les esclaves d’une terre dite française à une autre, tout autant
française… L’enseigner autant que les Gaulois. Même si c’est consacrer,
mémoriser ce qui salit notre âme, fait tache.
J’acquiesce et lui répond
qu’il tombe bien. Ayant alors – encore pendant aujourd’hui, mais reporté comme
tant d’autres de mes projets d’écriture – l’idée de documenter un essai sur
cinq Français et l’Allemagne [2],
j’ai compilé le dossier du procès de jspeh Caillaux en Haute Cour, procès en
pacifisme férocement diligenté par une rare mais très efficace entente de Poincaré
avec Clemenceau, on fut en 1917. Et dans les cartons, j’ai lu l’histoire d’un
rgeoupe important numériquement de Russes « blancs » qui refusèrent
de marcher au combat sous un uniforme étranger, par exemple la Légion, et qui
voulaient se battre sous notre uniforme. Ce refus fut considéré par la justice
militaire comme une mûtinerie, exécutions donc. Or, le Conseil d’Etat saisi par
qui ? et selon quels moyens ? condamna l’Etat français, ses
hiérarchies, ses références et ces… condamnations. Sans lui faire sentir que j’avais
beau jeu et tenais un exemple solide, je dis à mon homme que ces silences de
l’Histoire n’ont rien à voir avec le racisme, c’est tout bonnement une
conception éthérée des événements. Cette conception ne sert personne, il faut
certainement en sortir, ces Russes, ces tirailleurs sénégalais ont été des
héros, sans eux peut-être nous n’aurions pas été en nombre ou suffisants pour
vaincre la grande Allemagne.
Le train continua, ils
descendraient plus loin que moi, groupe de « rapeurs » archi-connus,
accueillis peu auparavant par Ardisson, ils commençaient une nouvelle tournée.
A la station Marché du tramway, une femme noire, des yeux très grands, fendus
et doux, un bébé sur la poitrne, ils sont à ma droite, l’enfant me regarde, m’examine,
je demande son âge, il se prénomme Mattéo, deux T mais pas d’H. Je félicite, le
tramway arrive. Je me sens très bien. Personne de race, si une arrivante qui
court, personne sauf elle, et moi, mais toute la rame française, vivant ici et
parlant ici, la langue d’ici et qui n’a rien de banlieue.
Monsieur le Président de la
République, je me suis dit que la France est contagieuse pour tellement passer
dans la langue et donc l’esprit des gens. Mais de nous, les anciens en extraits
de naissance et ascendance – vous êtes du XVIIème siècle, et votre prédécesseur
ainsi que l’actuel de vos Premiers ministres sont de la seconde moitié du XXème
– oui, de nous, quelles que soient les générations et leur nombre dont nous
sommes issus, doivent arriver quelque chose, un geste, une réciprocité, soudre
une mise en commun. L’adoption doit être mutuelle, chacun ajoutant à l’autre.
Je commence à théoriser ainsi quand c’est déjà la station suivante : une
école communale fait l’angle de l’avenue Paul Eluard avec la rue Jules Vallès.
Fronton cassant l’angle : « l’instruction est la grandeur d’une
nation . MDCCCLXXV ». La République débat encore les lois
constitutionnelles, mais déjà c’est cela qui se grave et va se faire. L’heure
est aux rentrées en classe, Babel, arche de Noé, tous quartiers ?
peut-être, mais les comportements sont de toujours, les poussettes, les enfants
sont analogues, je passe, je suis croisé, davantage de mamans que de papas. Rue
Elsa Triolet. Le Parti communiste, encadrement ou ossature, la « ceinture
rouge » de Paris ou le peuple qui habite et qu’Haussmann a mis hors les
murs, que la Commune a tenté de remettre en possession de la ville, et
puis… La rue est nouvelle pour moi, ce
sont des immeubles nets, de hauteur parisienne, mais de dessin, de facture
autres. Il y a certainement un héritage ici autant qu’ailleurs et moins commun
qu’ailleurs, un héritage pas de monuments de la puissance ou de la statuaire,
encore que les écoles, un gymnase Maurice Baquet et surtout le théâtre Gérard
Philipe en fin de l’avenue Carnot, soient de pierre de taille ou de matériau
XXème siècle Pompidou ou Malraux. Oui, il y a un patrimoine dans nos banlieues,
et celles-ci ne sont pas de la non-ville, de la non-capitale, ce sont des
agglomérations, des centres d’existences, de rencontres et de traditions
multiples. Il y a un mois, montant de Monrouge vers Plessis-Robinson et de
niveaux en niveaux de vie, je vivais aussi d’autres déclinaisons de notre goût
de ba^tir et d’habiter aussi respectables et parfois plus chaleureux, plus
intimistes, secrets même que les avenues ou les cotoiements de parc où mon
enfance a marché, duré : la Muette et son jardin du Ranelagh, la rue de
Passy, le Trocadéro puis l’avenue Hoche, la rue de Courcelles, le parc Monceau.
Et aujourd’hui, comme j’aimerai quelques combles, mais avec ascenseur pour mes
années octante à si bientôt venir, qui ne soient pas loin du jardin du
Luxembourg et de … c’est être Parisien
sans doute, mais il n’y a pas que Paris, qui soit la France. Combien la
« province », les provinces nous l’ont reproché. Parachuté,
inéligible sauf parrains et militants sur ordre, tout nouveau venu, et pourtant
comme elle se brise aisément la glace. Je l’ai vécu dans le Haut-Doubs, mais…
pas là où je vis, habite, femme, enfants, chiens, chèvres, poissons rouges, en
Bretagne du sud, le long de la mer. Nouveau venu, dépendant, j’ai pu être aimé.
Propriétaire, des hectares, l’interdiction que nous opposons, ma femme et moi,
aux chasseurs : je ne suis pas accepté, depuis vingt-cinq ans, sauf un
sexennat municipal parce qu’il fallait empêcher un autre, natif de plusieurs
siècles, pas aimé, alors je fus élu à dix contre un, je crus à un choix,
j’avais été un outil. Mais oui, c’est notre pays.
Reniac, à ma table de travail
lundi 19
septembre 2016, 17 heures 35 à 20 heures 58
Inscription à :
Articles (Atom)