dimanche 25 septembre 2016

vous serez réélu - suite




Ecrivant ainsi, qui est décisif, pour qualifier nos relations avec le répété étranger ou celui que nous considérons comme étranger, je perçois combien le vocabulaire nous manque pour caractériser des relations, des situations et finalement le for intime de personnes avec lesquelles nous travaillons, vivons ou que nous avons à accueillir ou qui nous choisissent à raison d’habitudes, de relations, rapports hérités. Et pour nous, comment devons-nous nous dire, nous considérer nous-mêmes ? Français de souche ? n’allons-nous pas vers ces hideuses définitions génétiques ou généalogiques nous ayant régi quelque temps sous une occupation étrangère : parents, grands-parents juifs, à combien de degrés ou selon quels géniteurs est-on éligible pour les chambres à gaz ? Ma chère mère n’aimait ni son nez ni sa voix, pas de photographie de profil et pas d’enregistrement. Par téléphone, je lui apprends une de mes trouvailles généalogiques aux archives départementales d’un de nos séjours ou passages familiaux : une cantinière Lévy épouse un officier supérieur du régiment qui a garnison Carcassonne, on est sous Louis-Philippe. Elle a, et moi avec elle, avec mes sœurs et frères, nous sommes neuf, un seizième ou un trente-deuxième de sang juif. Bien utile quand, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, je reçois la parole que je demande au VIème congrès international humaniste juif. Elisabeth et Robert Badinter sont là, Dominique Schnapper aussi et le précieux Elie Barnavi. J’ai tenté d’expliquer au Vatican puis à ceux de nos évêques que je pouvais atteindre par circulaire postale ce que vivait et faisait vivre l’Abbé Pierre, tombé dans «  l’affaire Garaudy », un livre révisionniste qu’il n’avait pas lu, qu’un Dominicain de son entourage avait trouvé très bien, alors qu’il ne soutenait qu’un ami perdu de vue, converti d’ailleurs à l’Islam après avoir été un des héros de 1968 en réprouvant l’intervention soviétique contre Dubcek et Otta Sik, en Tchécoslovaquie. Il me faut faire de même devant ce parterre, à juste titre éveillé et susceptible. Mon aïeule est la première pièce que j’avance, je suis écouté à tel point que plus de dix ans ensuite Robert Badinter me félicite d’une conférence en Sorbonne sur l’antisémitisme et la shoah… les prismes déformants. J’apprends deux choses que je conserve aujourd’hui comme lignes d’influence et de compréhension pour le Proche-Orient, et aussi pour le risque que nous continuons de courir d’une fragmentation nationale en communauté, admise avec légèreté malgré beaucoup de dénégations par tous ceux qui se pressent au dîner annuel du C.R.I.F. La première : est Juif celui qui se considère, se reçoit tel. Ce n’est ni ethnique ni religieux. Le chrétien ne s’en souvient pas mais les textes qui le fondent distinguent les Juifs, adversaires du Christ, et celui-ci ainsi que ses disciples et sympathisants, tout autant juifs que les Pharisiens, Sadducéens, et autres. La deuxième : la France qui, en ses cœur, chair et histoire, est forte de la deuxième « diaspora » juive au monde (après celle des Etats-Unis), peut et doit utiliser celle-ci pour contribuer à régler la question de Palestine, qui pèse tant sur l’Europe et contribue à motiver une bonne part de la prétention des Etats-Unis à l’hégémonie. Nos compatriotes juifs, surtout quand ils sont notoires, doivent faire entendre raison et avenir à leurs frères de religion ou de race revenus ou venant en Palestine au titre de l’Etat s’appelant Israël. L’avenir n’est pas la communautarisation ni en société, chez nous, ni en géographie là-bas.

J’étends cette conviction et cette prise de conscience à d’autres parmi nous et à nous avec d’autres, chez nous. La beauté d’une demande de naturalisation est le choix, la profession de foi de celui qui l’articule. Italien de naissance mais discerné et formé par Richelieu, Mazarin, un de nos plus grands hommes d’Etat : mon parler n’est pas français, mais mon cœur l’est bien. Et faut-il des papiers : sans doute dans un Etat de droit et pour travailler quelque part, rien que payer des impôts et utiliser, souvent nativement, notre langue, devrait procurer aussitôt ces papiers. Et sommes-nous conséquents ? quand a pu se dessiner la perspective d’une indépendance pour une bonne part de nos parents d’Amérique – le talent ? non, l’émancipation et la totale empathie avec un peuple qui, presque en son entier, a fait haie de part et d’autre du légendaire Chemin du roy, entre Québec et Montréal… le suspense au balcon quand par une chance providentielle il suffit de brancher une sonorisation imprévue par le protocole mais laissée sur place de la veille… vive… vive le Québec… vive le Québec… libre ! – quand se fait alors la détente, que se reprend la respiration après deux siècles de patience et d’attente, comment ? pourquoi ? n’avoir pas convenu, et encore aujourd’hui, Monsieur le Président de la République, ne pas convenir d’une nationalité commune ? tout y est, des fameux Gaulois au droit du sol et aux arbres généalogiques. Commune, ensemble. A l’inverse, la pureté de la race et des ascendances ? nos rois, systématiquement, n’épousaient-ils pas des étrangères, par arrangement de leurs géniteurs respectifs et des ministres que ceux-ci mandataient pour signer les dots et agrandissements territoriaux ? et ces mariages, ces accueils royaux n’étaient-ils pas gages de paix ? les princes otages de l’Antiquité gréco-romaine, nos reines et impératrices quand s’implantèrent ou se succédèrent nos dynasties (on a dit jusqu’à Napoléon et à Louis XVIII nos races, comme, longtemps, on appela langue ce qui allait devenir nation : c’était on ne peut plus pratique, concret). Alors, aujourd’hui comment dire ? Français de souche ? Français d’adoption ? nouveaux-venus ? je ne sais, mais au comportement, au regard, à l’accueil, au désir d’être considéré, au naturel avec lequel il est répondu à mon entrée en conversation, parfois en communion : ce couloir d’attente de la consultation médicale dans un de nos plus grands hôpitaux franciliens, cet arrêt de tramway en grande banlieue, l’échange d’« un signe de paix » à la messe paroissiale… Plus largement encore, ces affinités que je découvre, que je ressens avec ce ministre, grand juriste soviétique, qui a charge de la Justice dans cette République nouvellement indépendante, et qui manifestement entre dans ce partage. Le lieu commun, ce qui nous fait nous découvrir d’âme et de réactions, d’instinct communs, est l’amour de son pays, de son peuple, de son histoire, ce Kazakhstan où je représente la France, selon la volonté et la signature de François Mitterrand à la demande insistante de Pierre Bérégovoy, malgré le Quai d’Orsay, et sans doute aussi les Finances, ce pays auquel je m’attache puisque de toutes mes forces je veux le comprendre, le découvrir et l’amener à lui faire apprécier le mien comme compagnon sûr en ce monde.


Reniac, à ma table de travail
après-midi du dimanche 25 septembre 2016,
15 heures 55 à 16 heures 45

Aucun commentaire: