mardi 13 septembre 2016

suite



Ce contact, autant avec nous qu’avec vous-même, ne peut s’établir que par une réflexion libérée de tout a priori, de toute contrainte par les circonstances, par la perspective électorale. Vous ne devez réfléchir qu’à l’intérêt du pays dont se déduit l’inventaire des possibilités du moment pour les affecter à la solution souhaitable, et au besoin mobiliser ou inventer d’autres moyens en renfort. Ce souci et cette liberté se ressentent dans l’opinion la moins informée, elle rende votre communication rare et personnelle. La relation avec nous, avec nos acquis, avec nos vœux et selon notre tempérament qu’étant l’un de nous, vous savez bien, fait votre prestige. Vous nous représentez vraiment. Vous n’êtes pas un homme politique quelconque, vous êtes le pays, la France. Vous ne l’êtes pas par votre élection – celle-ci n’est qu’un crible, une formalité selon les modes actuels – vous l’êtes parce que vous avez confiance en nous, en notre ressort et que vous en appellerez à nous si les moyens habituels ou en réserve. Vous n’êtes pas seul, vous êtes soutenu, vous pouvez demander davantage. C’est le secret de notre redressement, de notre cohésion qui gît là. La confiance ne se demande pas en tant que telle, elle se constate, elle est une disponibilité que vos comportements, que la densité de votre réflexion, que votre imprégnation de notre esprit, de notre Histoire, que votre discernement de notre bien commun et de son analogie avec l’intérêt et les vœux d’Europe, chez nous, chez nos voisins dans le monde entier quels que soient les démons, que tout en vous font ressentir. Et d’abord chez vos adversaires, chez tout partenaire. L’élection vous met – pour une brève période, vous avez cruellement éprouvé cette brièveté, cette évanescence – en position d’acquérir cette crédibilité. Le soir des résultats vous portant sur le pavois, chacun – dans l’intimité joyeuse de vos électeurs et des militants de votre famille de naissance politique, et aussi à l’étranger et chez vos compétiteurs, parmi les soutiens de vos adversaires – oui, chacun vous croit capable de maintenir, diversifier, augmenter, soutenir, nourrir cette crédibilité.

Aussitôt prises vos fonctions présidentielles, vous volez à Berlin. Votre parole a tout le poids, toute la force de votre élection. Vous êtes en force. De Gaulle et ses visiteurs de l’été de 1958, à commencer par Foster Dulles : quelles sont ses intentions, il est crédible mais on ne le connaît pas, on ne le connaît plus. François Mitterrand, vers qui accourt Helmut Schmidt, partenaire s’il en fût de Valéry Giscard d’Estaing [1], n’est pas en place depuis huit jours. Souverainement, il rassure le chancelier : les communistes (qui sont au gouvernement et l’un d’eux, Charles Fiterman, est même en charge des Transports, donc du plan de toute mobilisation nationale), me faire un coup dans le dos ? Le partenaire durable sera un autre Helmut : Kohl. Et, c’est à l’étranger, que vous acceptez de faire ratifier ce pacte budgétaire que vous n’avez pas négocié et qu’a mis en place votre adversaire, Nicolas Sarkozy, ce pacte dont vous aviez dit que vous ne l’accepteriez pas en l’état. Sans doute, en fin de votre campagne, Pierre Moscovici vaticine beaucoup en votre nom : peut-être des protocoles additionnels… ce sera un pacte de croissance, une somme considérable l’abondant, que doublera un autre engagement européen du même genre, le plan Juncker à l’entrée en fonctions d’une nouvelle Commission à Bruxelles. Vous n’aurez pas pesé pour qu’elle soit présidée, non par un chef de gouvernement adepte des « paradis fiscaux », mais par un authentique socialiste : l’allemand … vérifier, également candidat à la présidence du Parlement européen. Comment d’ailleurs avez-vous pu prendre pour directeur de votre campagne de 2012, celui que Dominique Strauss-Kahn avant sa toilette d’hôtel le 15 Mai 2011, avait chargé de sa réclame ? Quels furent d’ailleurs les titres du Franc-Comtois à faire partie de la nouvelle Commission et être même lecteur de la copie de ses successeurs rue de Bercy, tant il y fut terne la première année de votre mandat ? C’est une question que je vous poserai d’emblée si – enfin – vous m’admettez à votre audience : votre choix de certains. La promotion Voltaire à l’Ecole nationale d’administration, certes, mais d’autres : ainsi Emmanuel Macron, sosie du Francis Pérol [2] de votre prédécesseur. L’économie comme domaine à l’Elysée, après la banque, et avant la banque. Ce dîner de Berlin vous désarme dès vos premières heures, il vous interdit une politique de relance par le budget, par la dépense publique. Presque toute la doctrine économique française, nationale critique vos premiers choix, celui d’une apparente orthodoxie et de la fidélité à cet engagement, à ces ratios que vous aviez répudiés en commençant votre campagne. Exactement comme les promesses de création d’emplois articulées par le pire représentant [3] des représentants du patronat français que nous ayons eus depuis l’institution du Centre national du patronat français, rebaptisé illisiblement en M.E.D.E.F. Des chiffres mirobolants, jamais vérifiés dans la réalité [4]. A Berlin, il vous suffisait de faire connaissance, de vous laisser connaître, de commencer à voir les affinités et les aspérités de votre hôtesse. Vous auriez remis à l’été la discussion de ce pacte budgétaire, les apparences faciles à donner, renégociations pour les uns (nous), concessions pour hâter la ratification selon les autres (les Allemands). Que démontrez-vous et à qui ? une bonne volonté ? une ductilité ? un défaut d’examen préalable. Y a-t-il eu ensuite un débat en conseil des ministres ou entre vous et vos ministres concernés, pas seulement Pierre Moscovici ni Emmanuel Macron (qui vous accompagnait à Berlin ? je regarderai dans le Monde, j’en garde la collection depuis qu’en Septembre 1960, à mon entrée… sur titres, puisqu’il faut parfois se faire valoir à peine d’être minoré [5]… à Sciences-Po. : 27 rue Saint-Guillaume à Paris, je fis mienne aussitôt la recommandation de mon maître de conférence, le si rigoureux et civique Jean Maheu, assimiler chaque jour le « prestigieux quotidien du soir »). Pourquoi cette acceptation, sans contre-partie ? je ne vous crois ni paresseux, ni limité intellectuellement, au contraire. Vous possédiez certainement le dossier, vous l’avez – j’en suis convaincu – beaucoup pesé et avec beaucoup de vos futurs collaborateurs ou ministres. Remarque, question et constatation qui valent pour presque toutes vos décisions. Elles sont travaillées, vous connaissez le dossier, vous avez la culture et l’expérience d’une vie politique, d’une grande diversité de fonctions pour comprendre les alternatives, les discerner. Pourquoi alors décidez-vous presqu’immanquablement : à côté ? pourquoi n’y a-t-il de continuité dans vos décisions en tant de domaines que suscitent notre époque et notre évolution nationale, que dans l’oubli ? ou le mépris ? ou le déni de vos origines politiques ? Pourquoi ne donnez-vous jamais vos sources, vos références, vos arguments-mêmes pour n’être pas dans le fil d’une gauche pour notre temps, dans le sens de nos traditions et expériences nationales ? pourquoi ne cherchez-vous pas à transcrire ce qui nous tient à cœur, qui tient en tout cas à cœur à vos militants, à vos électeurs d’un passé encore tout récent ? Vous parlez beaucoup – et je n’ai pas encore lu les six livres de vos confidences paraissant cet automne – mais vous dites bien peu qui nous permette de reconsttiuer le cheminement de vos pensées, de vos prévisions et de vos choix. Et vous communiquez si mal, même quand vous tournez assez bien phrases et textes. Mauvais ton, trop suppliant, trop ajouté et votre commentaire presque quotidien des actualités un peu partout et à presque tous les propos est toujours banal. Il choque parce qu’équipé de tant de plumes, de collaborateurs, de ressources en données et en précédents, vous ne savez énoncer ce qui sera retenu, aura fait balle. Art anglo-saxon certes que le bon mot, talent exceptionnel du général de Gaulle pour mémoriser et être mémorisé. Le trait.

Donc, Florange dès votre premier automne à notre tête, et cet automne-ci, peut-être votre dernier à l’Elysée : Alstom. Points communs que je juge secondaires car ce qui m’importe est votre rapport à nous, notre relation de citoyens et de peuple avec vous : points communs, l’aboutissement calamiteux d’erreurs stratégiques commises par les dirigeants, l’inanité rétrospectivement ressentie avec rage et douleur de promesses, d’engagements au plus haut niveau de l’Etat, l’anéantissement d’un patrimoine français, industriel certes, mais plus encore technologique. Plusieurs générations, liées et cohérentes familialement, socialement, géographiquement, ethniquement devrai-je dire, avaient accumulé, conservé, affiné des savoir-faires. Une industrie peut reparaître, affaire d’investissement, de calculs d’opportunités économiques. Mais un savoir qui ne se sera plus appliqué ni exercé pendant plusieurs années, à une époque – la nôtre – où les innnovations vont vite et ne s’assimilent qu’à condition de les vivre, de les expérimenter, et souvent d’en être l’origine. Une intelligence industrielle assassinée. Elle vaut beaucoup plus que des installations ou que des carnets de commandes.


[1] - à deux mois du renouvellement de l’Assemblée nationale où devrait diminuer la majorité introuvable de Juin 1968, voire disparaître au profit de la gauche et de son programme commun de gouvernement, Valéry Giscard d’Estaing, alors seulement ministre de l’Economie et des Finances, tarit par avance la ressource dont pourrait disposer cette gauche pour tenir ses engagements : fin des avances de la Banque de France au Trésor et d’un système séculaire de financement des besoins de l’Etat. Désormais, ce sera le recours aux marchés et ceux-ci auraient-ils confiance dans les socialistes – la loi du Janvier 1973, qui continue de nous régir. Par précaution dans la perspective d’un nouveau renouvellement de l’Assemblée nationale, encore plus difficile, celui de 1978, puis de l’élection présidentielle décisive, Valéry Giscard d’Estaing, président de la République, fait adopter en G8 avec l’appui allemand une véritable mise en garde contre tout passage à gauche des pays membres de l’Alliance atlantique…

[2] -

[3] - Pierre Gattaz
[4] - les deux plans européens ou pactes de croissance et les engagements successifs du MEDEF « en échange » des abaissements de charges et des démantèlements du droit du droit travail

[5] - ainsi Nicolas Sarkozy a-t-il été élève de l’Institut d’Etudes politiques de Paris, mais il n’en est pas diplômé …

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