Ce contact, autant avec nous
qu’avec vous-même, ne peut s’établir que par une réflexion libérée de tout a
priori, de toute contrainte par les circonstances, par la perspective
électorale. Vous ne devez réfléchir qu’à l’intérêt du pays dont se déduit l’inventaire
des possibilités du moment pour les affecter à la solution souhaitable, et au
besoin mobiliser ou inventer d’autres moyens en renfort. Ce souci et cette
liberté se ressentent dans l’opinion la moins informée, elle rende votre
communication rare et personnelle. La relation avec nous, avec nos acquis, avec
nos vœux et selon notre tempérament qu’étant l’un de nous, vous savez bien,
fait votre prestige. Vous nous représentez vraiment. Vous n’êtes pas un homme
politique quelconque, vous êtes le pays, la France. Vous ne l’êtes pas par
votre élection – celle-ci n’est qu’un crible, une formalité selon les modes
actuels – vous l’êtes parce que vous avez confiance en nous, en notre ressort
et que vous en appellerez à nous si les moyens habituels ou en réserve. Vous
n’êtes pas seul, vous êtes soutenu, vous pouvez demander davantage. C’est le
secret de notre redressement, de notre cohésion qui gît là. La confiance ne se
demande pas en tant que telle, elle se constate, elle est une disponibilité que
vos comportements, que la densité de votre réflexion, que votre imprégnation de
notre esprit, de notre Histoire, que votre discernement de notre bien commun et
de son analogie avec l’intérêt et les vœux d’Europe, chez nous, chez nos
voisins dans le monde entier quels que soient les démons, que tout en vous font
ressentir. Et d’abord chez vos adversaires, chez tout partenaire. L’élection
vous met – pour une brève période, vous avez cruellement éprouvé cette
brièveté, cette évanescence – en position d’acquérir cette crédibilité. Le soir
des résultats vous portant sur le pavois, chacun – dans l’intimité joyeuse de
vos électeurs et des militants de votre famille de naissance politique, et
aussi à l’étranger et chez vos compétiteurs, parmi les soutiens de vos
adversaires – oui, chacun vous croit capable de maintenir, diversifier,
augmenter, soutenir, nourrir cette crédibilité.
Aussitôt prises vos
fonctions présidentielles, vous volez à Berlin. Votre parole a tout le poids,
toute la force de votre élection. Vous êtes en force. De Gaulle et ses
visiteurs de l’été de 1958, à commencer par Foster Dulles : quelles sont
ses intentions, il est crédible mais on ne le connaît pas, on ne le connaît
plus. François Mitterrand, vers qui accourt Helmut Schmidt, partenaire s’il en
fût de Valéry Giscard d’Estaing [1],
n’est pas en place depuis huit jours. Souverainement, il rassure le
chancelier : les communistes (qui sont au gouvernement et l’un d’eux,
Charles Fiterman, est même en charge des Transports, donc du plan de toute
mobilisation nationale), me faire un coup dans le dos ? Le partenaire
durable sera un autre Helmut : Kohl. Et, c’est à l’étranger, que vous
acceptez de faire ratifier ce pacte budgétaire que vous n’avez pas négocié et
qu’a mis en place votre adversaire, Nicolas Sarkozy, ce pacte dont vous aviez
dit que vous ne l’accepteriez pas en l’état. Sans doute, en fin de votre
campagne, Pierre Moscovici vaticine beaucoup en votre nom : peut-être des
protocoles additionnels… ce sera un pacte de croissance, une somme considérable
l’abondant, que doublera un autre engagement européen du même genre, le plan
Juncker à l’entrée en fonctions d’une nouvelle Commission à Bruxelles. Vous
n’aurez pas pesé pour qu’elle soit présidée, non par un chef de gouvernement
adepte des « paradis fiscaux », mais par un authentique
socialiste : l’allemand … vérifier, également candidat à la présidence du
Parlement européen. Comment d’ailleurs avez-vous pu prendre pour directeur de
votre campagne de 2012, celui que Dominique Strauss-Kahn avant sa toilette
d’hôtel le 15 Mai 2011, avait chargé de sa réclame ? Quels furent
d’ailleurs les titres du Franc-Comtois à faire partie de la nouvelle Commission
et être même lecteur de la copie de ses successeurs rue de Bercy, tant il y fut
terne la première année de votre mandat ? C’est une question que je vous
poserai d’emblée si – enfin – vous m’admettez à votre audience : votre
choix de certains. La promotion Voltaire à l’Ecole nationale d’administration,
certes, mais d’autres : ainsi Emmanuel Macron, sosie du Francis Pérol [2]
de votre prédécesseur. L’économie comme domaine à l’Elysée, après la banque, et
avant la banque. Ce dîner de Berlin vous désarme dès vos premières heures, il
vous interdit une politique de relance par le budget, par la dépense publique.
Presque toute la doctrine économique française, nationale critique vos premiers
choix, celui d’une apparente orthodoxie et de la fidélité à cet engagement, à
ces ratios que vous aviez répudiés en commençant votre campagne. Exactement
comme les promesses de création d’emplois articulées par le pire représentant [3]
des représentants du patronat français que nous ayons eus depuis l’institution
du Centre national du patronat français, rebaptisé illisiblement en M.E.D.E.F.
Des chiffres mirobolants, jamais vérifiés dans la réalité [4].
A Berlin, il vous suffisait de faire connaissance, de vous laisser connaître,
de commencer à voir les affinités et les aspérités de votre hôtesse. Vous
auriez remis à l’été la discussion de ce pacte budgétaire, les apparences
faciles à donner, renégociations pour les uns (nous), concessions pour hâter la
ratification selon les autres (les Allemands). Que démontrez-vous et à
qui ? une bonne volonté ? une ductilité ? un défaut d’examen
préalable. Y a-t-il eu ensuite un débat en conseil des ministres ou entre vous
et vos ministres concernés, pas seulement Pierre Moscovici ni Emmanuel Macron
(qui vous accompagnait à Berlin ? je regarderai dans le Monde, j’en garde la collection depuis qu’en Septembre 1960, à
mon entrée… sur titres, puisqu’il faut parfois se faire valoir à peine d’être
minoré [5]…
à Sciences-Po. : 27 rue
Saint-Guillaume à Paris, je fis mienne aussitôt la recommandation de mon maître
de conférence, le si rigoureux et civique Jean Maheu, assimiler chaque jour le
« prestigieux quotidien du soir »). Pourquoi cette acceptation, sans
contre-partie ? je ne vous crois ni paresseux, ni limité
intellectuellement, au contraire. Vous possédiez certainement le dossier, vous
l’avez – j’en suis convaincu – beaucoup pesé et avec beaucoup de vos futurs
collaborateurs ou ministres. Remarque, question et constatation qui valent pour
presque toutes vos décisions. Elles sont travaillées, vous connaissez le
dossier, vous avez la culture et l’expérience d’une vie politique, d’une grande
diversité de fonctions pour comprendre les alternatives, les discerner.
Pourquoi alors décidez-vous presqu’immanquablement : à côté ?
pourquoi n’y a-t-il de continuité dans vos décisions en tant de domaines que
suscitent notre époque et notre évolution nationale, que dans l’oubli ? ou
le mépris ? ou le déni de vos origines politiques ? Pourquoi ne
donnez-vous jamais vos sources, vos références, vos arguments-mêmes pour n’être
pas dans le fil d’une gauche pour notre temps, dans le sens de nos traditions
et expériences nationales ? pourquoi ne cherchez-vous pas à transcrire ce
qui nous tient à cœur, qui tient en tout cas à cœur à vos militants, à vos
électeurs d’un passé encore tout récent ? Vous parlez beaucoup – et je
n’ai pas encore lu les six livres de vos confidences paraissant cet automne –
mais vous dites bien peu qui nous permette de reconsttiuer le cheminement de
vos pensées, de vos prévisions et de vos choix. Et vous communiquez si mal,
même quand vous tournez assez bien phrases et textes. Mauvais ton, trop
suppliant, trop ajouté et votre commentaire presque quotidien des actualités un
peu partout et à presque tous les propos est toujours banal. Il choque parce
qu’équipé de tant de plumes, de collaborateurs, de ressources en données et en
précédents, vous ne savez énoncer ce qui sera retenu, aura fait balle. Art
anglo-saxon certes que le bon mot, talent exceptionnel du général de Gaulle
pour mémoriser et être mémorisé. Le trait.
Donc, Florange dès votre
premier automne à notre tête, et cet automne-ci, peut-être votre dernier à
l’Elysée : Alstom. Points communs que je juge secondaires car ce qui
m’importe est votre rapport à nous, notre relation de citoyens et de peuple
avec vous : points communs, l’aboutissement calamiteux d’erreurs
stratégiques commises par les dirigeants, l’inanité rétrospectivement ressentie
avec rage et douleur de promesses, d’engagements au plus haut niveau de l’Etat,
l’anéantissement d’un patrimoine français, industriel certes, mais plus encore
technologique. Plusieurs générations, liées et cohérentes familialement,
socialement, géographiquement, ethniquement devrai-je dire, avaient accumulé,
conservé, affiné des savoir-faires. Une industrie peut reparaître, affaire
d’investissement, de calculs d’opportunités économiques. Mais un savoir qui ne
se sera plus appliqué ni exercé pendant plusieurs années, à une époque – la
nôtre – où les innnovations vont vite et ne s’assimilent qu’à condition de les
vivre, de les expérimenter, et souvent d’en être l’origine. Une intelligence
industrielle assassinée. Elle vaut beaucoup plus que des installations ou que
des carnets de commandes.
[1] - à
deux mois du renouvellement de l’Assemblée nationale où devrait diminuer la
majorité introuvable de Juin 1968, voire disparaître au profit de la gauche et
de son programme commun de gouvernement, Valéry Giscard d’Estaing, alors
seulement ministre de l’Economie et des Finances, tarit par avance la ressource
dont pourrait disposer cette gauche pour tenir ses engagements : fin des
avances de la Banque de France au Trésor et d’un système séculaire de financement
des besoins de l’Etat. Désormais, ce sera le recours aux marchés et ceux-ci
auraient-ils confiance dans les socialistes – la loi du Janvier 1973, qui
continue de nous régir. Par précaution dans la perspective d’un nouveau
renouvellement de l’Assemblée nationale, encore plus difficile, celui de 1978,
puis de l’élection présidentielle décisive, Valéry Giscard d’Estaing, président
de la République, fait adopter en G8 avec l’appui allemand une véritable mise
en garde contre tout passage à gauche des pays membres de l’Alliance
atlantique…
[2] -
[3] - Pierre Gattaz
[4] - les deux plans européens
ou pactes de croissance et les engagements successifs du MEDEF « en
échange » des abaissements de charges et des démantèlements du droit du
droit travail
[5] - ainsi Nicolas Sarkozy
a-t-il été élève de l’Institut d’Etudes politiques de Paris, mais il n’en est
pas diplômé …
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