lundi 9 septembre 2013

2003 - depuis soixante ans - XIX - avant d'en écrire la suite (2013 depuis soixante-dix ans)





XIX






Il y avait dans la beauté de ma mère, à ses cinquante-cinquante-cinq ans, ce que n’a pas la beauté. Il n’y avait chez elle aucune impersonnalité, à quoi entraine toujours la beauté parce que celle-ci tient à la mode, tient au souci du regard d’autrui, ou au moins à celui qu’on porte sur soi. Ma mère ne se regardait pas. Elle n’attendait sur elle qu’un jugement moral, d’équité, nullement une appréciation esthétique. Ses goûts n’étaient pas arrêtés, sauf intimement, surtout s’il s’agissait de livres. Elle s’avouait peu, elle questionnait avant d’affirmer, elle cherchait l’accord.

Je voudrais que les hommes (et les femmes) qui se donnent mission, à charge ou pas d’être élus, cooptés, nommés, distingués, reconduits – c’est second, et ne fait pas partie de leur mental – aient cette transparence et qu’ils perdent ce souci qui paraît aujourd’hui, si premier : le souci de leur image, c’est-à-dire de l’effet produit, plus encore que de savoir ce que réellement on pense d’eux, et plus précisément, faut-il l’écrire, de la manière dont ils s’acquittent de ce que leur place leur donne à faire. Vœu ?

De mes mentors à l’étranger que je visitais et interrogeais assidûment pour les avoir repérés et choisis comme indicateurs de leur pays, j’ai toujours, quelle que soit leur nationalité, ressenti leur amour pour leur peuple. Ils entendaient tous celui-ci comme le produit d’une histoire, comme des tributaires ou des bénéficiaires d’une géographie contraignante mais acceptable et ils raisonnaient, chacun avec ses mots et généralement en discours direct, sans parabole, en termes de vocation, ils projetaient donc la politique et l’esprit de leur pays, ils le disaient à moi qui les écoutais et m’étaient reconnaissants de leur fournir, d’exiger même d’eux, la matière et le rythme d’un regard autant sur eux-mêmes que sur ce dont ils étaient manifestement la production. Je n’ai guère entendu – mais c’était public, et autre – que de Gaulle exceller comme eux au soliloque sur le pays dont on est. Il faut bien entendu être émancipé des rivalités politiques, ou les avoir mis hors champ, le temps de la conversation qu’ils me prodiguaient.

Valéry Giscard d’Estaing, contrairement tout juste à l’image qu’on a de lui et qu’il n’a plus su contrôler dès lors qu’il était parvenu à la présidence de la République, a approché ce niveau et avait ce regard. Georges Pompidou, qui l’enviait plus qu’il ne l’admirait, avait eu ce mot, qui dans le temps où tout souriait au «  Kennedy français », parut juste. Ce n’est pas qu’il n’aime pas la France, mais il se croit supérieur sous-entendu à celle-ci. Le successeur du Général quant à lui se croyait supérieur à de Gaulle. C’est à propos d’un article, vite posthume, de François Furet sur le déclin français, que je rencontrais, pour la première fois, l’ancien président. L’entrée en matières avait été l’amitié, il en avait eu trois expériences, l’une dangereuse et qui l’avait finalement desservi, une seconde qui perdurait mais ne lui ajoute pas beaucoup, une troisième, celle de Michel d’Ornano, qu’il pleurait encore. Affectif et vulnérable, comme les tomes inachevés mais touchants, de ses mémoires Le pouvoir et la vie, le montre, mais trop tard [1]. Adolescent prolongé mais si doué. Comment ne pas l’entendre alors dire sa France, sans en tirer parti hostile et réducteur, comme l’eût fait sans doute un politique ou un journaliste – professionnels – tant l’homme se livrait en donnant une vue parfois très courte, parfois étincelante, le plus souvent tristement juste, de notre pays. Malheureusement, le morceau ne fut que pour moi, je ne l’ai pas réentendu ou, sous sa plume, lu et nos entrevues suivantes, ou ma proposition de l’accompagner en discret preneur de notes et metteur en forme dans ses conversations et consultations pour la Convention européenne, et ce dont il avait été chargé, tombèrent à plat. J’en déduis que l’environnement politique, sa perpétuelle compétition, la prise qu’on redoute de donner et qu’on donne par là-même aux commérages et au mépris (jaloux) des tiers empêche que coule le lait de la tendresse humaine [2].

Laurent Fabius, dont Les blessures de la vérité donneraient la meilleure image si ces mémoires qu’elles prétendent constituer étaient relus, sait parler de politique et en politique. Ses propos privés, parce qu’ils sont aisés, et réalistes, ne sont pas d’un idéologues mais ils n’apprennent rien sur le lien entre une vie personnelle, l’amour d’un pays et le métier d’élu et de candidat. Il manque de la chair quelque part, je ne sais où, j’aime bien l’homme pourtant quoiqu’il m’ait fait royalement défaut. Il a la courtoisie et la chaleur, la présence de son inventeur, François Mitterrand, il en aurait presque le charme, il n’en a malheureusement, pour lui et pour nous, pas le mystère.

De tous les épigones du Général de Gaulle que je tentais de convaincre de faire quelque chose, mais quoi ? dans les années 1970, et c’eût été, par construction, forcément contre Georges Pompidou, le plus disert, structurant, et en somme intelligent pour donner le bon regard sur l’actualité, était et demeure Jean-Marcel Jeanneney. Il avait de naissance le même péché que Michel Debré, à qui il avait d’ailleurs dû le début de sa carrière ministérielle, être le fils d’un père et avoir des enfants, à ceci près que manifestement le brio des siens a suffi à les placer hors du commun, tandis que l’ancien Premier ministre du Général n’a été étranger à aucune des étapes heureuses du parcours de Jean-Louis. Chez Jeanneney, il y a semble-t-il plus de courage intellectuel et politique que physique, et l’illusion que convaincre est affaire de raisonnement et de clarté, ce qui ne l’empêche pas d’être à l’opposé de Valéry Giscard d’Estaing, ou plutôt de ne guère l’estimer. Je dois à l’économiste, plus encore au juriste qu’il ne fut que par politique, des structures et des manières de comprendre qu’a chaleureusement et avec vivacité complétées François Goguel. L’intelligence des institutions des pays peut certes venir du café du Commerce, là où tout le monde a raison, où l’esprit paraît pratique et où l’on juge selon ce qui fera l’unanimité ; elle est le plus souvent contrainte par une discipline parlementaire ou l’anticipation d’un retour devant les électeurs. Combien de la majorité de Jacques Chirac, si celui-ci n’avait forcé la main des siens, étaient réellement en faveur de la réduction de la durée du mandat présidentiel ? Bien moins encore que du temps de Georges Pompidou. J’en ai des émoignages écrits que je provoquais. Comment se battre, en citoyen, quand les partis sont d’accord et que Premier ministre et président de la République, pour des raisons toutes personnelles, s’accordent une complicité mutuelle ? Naguère, les colonnes du Monde, mais un article ne convainc qu’une individualité. Je parvenais à être lu de François Mitterrand, ce qui ne s’oublie pas.

Le président de la République impressionnait, pas du tout le candidat qui à l’époque où je le rencontrais, sur introduction de son frère Robert, portait des favoris ou presque. La mode était pour tous hideuse, les mini-jupes des donzelles, les pattes d’éléphant aux pantalons des plus chenus, les cheveux étaient longs, gras, descendaient aux oreilles, les femmes commençaient à parler, du moins les plus jeunes, la télévision passait insensiblement du noir-et-blanc à la couleur mais restait d’Etat, on disputait de la peine de mort et il y avait peu de chances qu’elle fût abolie. François Maurirac discerna Georges Pompidou dès novembre 1962, Christian Fouchet avait un volume du Bloc-notes avec la page marquée, celle où il avait été question de lui, c’est-à-dire de son avenir. Sur un meuble bibliothèque, derrière lui et à contrejour, au dernier étage de la rue de Bièvre, une magnifique photographie dédicacée en voisin et en connaisseur à François Mitterrand par le découvreur de Thérèse Desqueyroux. La première rencontre, à peu près contemporaine de celle qui fit de Laurent Fabius l’heureux directeur du cabinet du chef de l’opposition de gauche, avait été roide, naïvement je l’avais voulu d’égal à égal, c’était au siège du parti, alors place du Palais-Bourbon, sans doute dans l’immeuble où Paul Reynaud s’était installé avant-guerre, quand il marchait au pouvoir et la France à la défaite. C’est en public, et quand il rendit avouée sa maladie, que François Mitterrand se livrait le plus, c’est ce qui fera sa demeurance selon son propre vœu. Il parlait de sa vie politique, des gens qu’il n’aimait pas, des moments d’Histoire qu’il avait vécus et de ce que la conjoncture lui laissait de possible à faire, la France et lui-même ne venaient pas dans la conversation, soit que ces deux poles-là de son probable dialogue intérieur fussent naturels, soit qu’ils aient à demeurer secrets. Je ne le démêle pas, l’attachement que l’on pouvait éprouver pour lui tenait beaucoup à la majesté et à la manière monarchique dont il avait décidé d’exercer le pouvoir. A très juste titre, car la gauche avait besoin de s’imposer spectaculairement. Le résultat ne s’est pas estompé. Mitterrand pour longtemps suit de peu l’homme du 18 Juin dans le classement que font les Français des successifs présidents de leur République.

Une place à part, celle de Maurice Couve de Murville, l’homme si discret, si humble dans le maintien, si convaincu de la qualité de son appareil mental que sa biographie est à faire, alors que son rôle a été décisif à des reprises essentielles. Avoir jour et heure fixes hebdomadaires avec de Gaulle pendant onze ans, rien que cela ne distingue mais induit. Une autre place à part, celle de Michel Jobert, peut être encore deux, celle d’un Chef d’Etat africain fondateur de son pays en version moderne étrangère aiux diverses formes de la corruption financière, politique, phraséologique, celle du directeur d’un « grand quotidien du soir ». Cela fait dans une vie d’homme qui n’a pas brillé par lui-même, l’honneur d’avoir été dans la confiance, et peut-être l’estime, de quelques-uns qui furent d’exception. Tous les autres, sauf injustice qui ne me saute pas à la pensée, ont été honnêtes, de ceux que je rencontrais, y compris ceux qui ont passé pour manipulables selon des intéressements personnels. Honnêtes mais limités, au point d’étonner quand ils sont grands parfois. J’ai voulu témoigner en faveur de Roland Dumas pas tant parce qu’il me nomma à un emploi et à un poste que je voulais, et que j’ai dû à l’amitié confiante de Pierre Bérégovoy, que pour montrer dans ce qui va avec les relations extérieures de notre pays où est la corruption, c’est-à-dire l’amteurisme, la brièveté de vues et la pauvreté parfois, souvent, de notre présence à l’exportation, à la vente. L’homme était trop élégant pour qu’on ne l’ait pas détesté aux Affaires Etrangères où la France, de génération en génération, s’ingénie à ce que « dans les services » on ne parle en son nom que médiocrement, craintivement ; l’énergie se passant à dauber les collègues, plus qu’à inventer comment s’attacher nos partenaires ou les retrouver. Surtout, l’unité allemande, version absorption d’une des Républiques par l’autre, n’eût pas été conduite et cadrée comme elle le fut, sans lui, sans son amicale emprise sur Hans-Dietrich Genscher. Ce qui le rend largement créancier.

Mon père m’apprenait qui j’étais à ses yeux, me disait ce qu’était ma mère aux siens et se définissait en demande d’amour vis-à-vis de ses enfants. C’est beaucoup trop pour une société où les amitiés distinguent le familier du professionnel, où les collaborateurs cherchent la faille et non la profondeur. Il y a une relation, je crois, entre le jeu et la politique, les ascensions plaisent, sont applaudies par un parterre ou un tour de table admirant davantage la chance que l’impétrant – j’ai assez vécu cela quand j’avais l’honneur des colonnes du Monde : la tribune qui m’était donnée, et qui fut toujours contestée, était le véritable objet de l’envie ou de l’estime, non ce que j’écrivais ou avais su discerner et exprimer. Il me fut prêté un entregent que je n’eus jamais, il vaut mieux finir par ses commencements que le contraire. La chute de ces ingénieux – ingénus – de la politique. A droite, on souffre et à gauche on se relève en durant. Alain Savary, droit, qui sauvait la mise à toute la gauche et à François Mitterrand, car – Compagnon de la Libération – il pouvait déposer sans faire déchoir personne ni que son geste, le geste qui lui était commandé, soit interprêté trop féalement, la gerbe annuelle sur la tombe de Colombey. Sa démission d’un ministère difficile pour un projet qui était consensuel, n’eût été la droite en quête de thème, les privatisations ne vinrent qu’après la suspension de toute mesure refusée par les tenants de « l’école libre ». Je le vis à Montréal, dans la porte-tambour d’un grand hôtel où entrait le Président français et sa suite, c’était peu de temps avant sa mort, j’aurais voulu le rencontrer, ce fut convenu, c’était trop tard, la figure humble était belle, lumineuse. On ne parlait pas encore de fief, mais il me semble que la circonscription qui l’élisait a été ensuite celle de Lionel Jospin. La chute de Michel Noir, la disparition de Michèle Barzach. Le maire de Paris, ayant manqué l’Elysée, ne laissa se prendre aucune place qui eût fait tourner peut-être autrement le R.P.R. L’ancien maire de Lyon et Bernard Tapie, chacun sur les planches, comment gagner sa vie, sinon payer des dettes inchiffrables, quand – comme l’intendant de la parabole – on n’a jamais travaillé de ses mains, la politique s’avoue en s’employant, en cas de chute, dans le théâtre ou pour l’écran.

Quand souffrent les gens, ils sont vrais, accessibles. Christine Ockrent qui ne peut être Françoise Giroud, souffrait,  Bernard Kouchner était secrétaire d’Etat, je le vis, avenue Charles Floquet. L’homme aura sauvé souvent la raison, l’honneur et quelque beauté, même s’il y a à dire et s’il a des travers. Le parcours me fascine, à la base une technicité, sans doute celle qui répond le mieux de notre époque, mais tout autour ce qui n’est pas une sainteté laïque, ce qui est presque mieux et qui s’affiche avec naturel, de la perception des choses, du discernement des circonstances. Ceux qu’on recase à des emplois qu’on croirait similaires, sauf que ce ne sont pas eux qui les ont créés, ils les ont désignés, sollicités, Charles Millon dans les institutions de la faim, François Léotard dans celles des guerres ou des paix balkaniques. Une ambition présidentielle qui croupionne…

La gauche propice à des redressements, et peut-être à de l’autorité morale. Ainsi Pierre Mauroy, calicot mais authentique dans des débuts militants qui ne furent pas « mitterrandistes », devient, par une démission sur le beau thème de l’éducation nationale et du service public, une conscience aux cheveux blancs, à l’internationalisme que savent en général bien gérer les candidats quand ils sont Français (Michel Camdessus, Jacques Delors). Henri Emmanuelli, constant et dans la ligne du premier, dans celle aussi de Jaurès, dont rétrospectivement l’influence pendant les dix-quatorze premières années du XXème siècle fut bien plus déterminante que ne le laisse croire l’image un peu ordinaire d’un tribun hors de pair, mais dont la voix n’est pas reconstituable.au cinéma.

Rencontres de quelques-uns, visages et voix publics qui sont le décor, l’accompagnement d’une vie. L’actualité qui s’efface par elle-même, tandis que la mémoire de notre corps quand il était jeune, subsiste, et même insiste à proportion que gagnent sur nous les vagues du vieillissement, de la sénescence. Contemporains, mes contemporains, quoique la jeunesse aux chaussures de sports à semelles surcompensées, aux pantalons à peine retenus au gras de la hanche, l’est aussi, qui me dissuade de la désirer puisqu’elle n’est pas mienne.

La politique dans les villages : art du maire régnant, la technique de l’ingratitude, le savoir-faire d’une apparence de modestie, le huis-clos faute de venue des administrés des réunions publiques municipales. Surimposition des mœurs, du qu’en dira-t-on, de la rumeur, des complicités statutaires entre promotionnaires de l’unique communale et gestion des affaires publiques, qui sont à peine communes, et au vrai additionnent surtout des pétitions et des intérêts. Le miracle est que la haine n’y est pas meurtrière, que l’habitude tient lieu d’hypocrisie et finit par rendre sincère une amitié qui tient à la fréquentation des mêmes quelques lieux.

Il y a de l’analogie entre une vie de famille quand chacun a pris conjoint ou compagne, et a quitté le giron natal, et la vie d’une commune rurale, ou d’une rue dans une ville pas trop grande. On s’ignore, on se connaît, des hiérarchies demeure qui n’ont plus aucune raison contemporaine de rester aussi vivaces. Hiérarchie de meute.

Les rencontres. Celles de rue, de voisinage, de transports en commun. Celles de hasard, fortes mais peu durables, fondées sur une stupéfiante affinité, qu’on cultive en quelques phrases et qu’un revoir défait. Celles d’amour qui se déclinent en nuances ou occurrences plus riches encore que l’arc-en-ciel. Ces apparences publiques que les médias d’aujourd’hui rendent trop familères et envahissantes, à leur propre détriment, acteurs, gens de politique, parfois des candidats au magistère moral qui écrivent pour surtout être invités à parler et à se commenter eux-mêmes. J’ai une autre expérience encore, dont je n’ai pris la mesure qu’il y a peu, la relativisant en sorte que je ne me suis pas pour autant grandi, mais que je discerne mieux ce que je dois accueillir et qui je dois apprécier avec componction ou véritable attirance. Les pères spirituels. J’eusse, avec le recul, préféré une ou deux mères… deux auraient été à envisager, une abbesse à Argentan il y a trente ans, que j’entrevis dans une ambiance de nuit tombée et d’un accueil qui nous était accordé, précisément à mon père spirituel du moment, en même temps qu’à moi, une autre abesse, celle de Jouarre. La femme quand elle a une responsabilité spirituelle, a généralement quelque expérience de ce qu’elle est chargée de conduire. Dieu n’est pas une expérience, et les sciences à son sujet sont des circonférences bien floues, que la jeunesse accepte, volontiers disciple, mais que la vieillesse étalonne, j’en suis là.

La force des entretiens, dans ce registre, est qu’on les mémorise aisément. C’est leur chance, parce qu’ils sont ainsi détachables de la personne avec qui on les tint. Ces religieux me touchent rétrospectivement aujourd’hui bien davantage par la sincérité de leur pauvreté, par le témoignage d’une certaine foi dite hors la chaire et sans le support d’un public de conférences que par l’autorité intrinsèque ou le discernement dont ils paraissaient – dans ces moments d’autrefois – m’administrer si fortement la preuve. Ils n’étaient pas tendres, ils n’hésitaient pas. Ils auraient eu à gagner en apprenant l’entretien psycho-thérapeutique, notamment celui pratiqué par l’école lacanienne. Quel respect, quelle mémoire, quelle adresse chez ces praticiens, nous laisser aller, nous soutenir dans un dire que nous ne saurions, face seulement à nous-mêmes et de tête, poser en sorte que nous nous reconstruisons à partir de notre propre matériau, celui que nous remettons au jour.

Dieu n’oriente pas, Il attire.

Le plus souvent, j’ai été mal orienté, on m’a mal orienté, je ne savais ni me dire ni m’avouer, on a fait d’un libertaire un modéré, on m’a fait peur d’être libre, on m’a dissuadé, empêché d’être révolté. Je n’ai pas su me consacrer à mon plaisir et à mon travail, celui d’écrire, peut-être de peindre. Il n’y a que la prière qui m’ait été constante, secourante, véridique, je ne crois pas avoir changé de prière ni de foi, de même qu’on ne change pas de peau.

La beauté de la vie, c’est que nous soyons tous dans le même bain. La démocratie est de cette vérité-là. Personne n’est davantage digne qu’un autre. Je m’avoue tardivement que j’ai été davantage fasciné par des inconnus que par des gens du pinacle. Une silhouette de jeune fille à vélo. m’a paru dès mon adolescence la personnification de la liberté.

On présente – en fiches éducatives – la femme prisonnière de sa physiologie, et bien encore de nos mœurs sociales et sexuelles, tandis que l’homme serait des deux celui qui est libre. J’ai toujours expérimenté l’inverse. La femme est la plus libre, parce qu’elle a le secret que l’homme n’appréhende que peu et du dehors, elle a la capacité de se donner totalement.

Quelle déception quand en politique, une femme n’est qu’un homme. Cas fréquent.

Féminité des tribuns en pays économiquement sous-développés. Ils sont sensitifs, ils croient au contact, ils cultivent la durée. On conçoit que les pays, censément avancés, ne puissent les entendre, encore moins les comprendre.

Pas de fin plus juste pour un texte, un dit, une prière que celle-là : maintenant et à l’heure notre mort.

Après… c’est cette sensation que nous inspire la plante reconnaissante de l’avoir arrosée ou l’arbre que nous avons émondé, cette reconnaissance nous la sentons. Les lieux où j’habite aussi souvent que je le peux, leur accueil me réconcilie avec le moment de mon existence, il s’en faut d’une fleur qui a éclos depuis mon départ, celle-là me dit de venir et elle partage le monde entre elle et moi, ou plutôt elle me donne d’être apparue, signe que le monde, la vie m’acceptent encore. Il y a aussi la joie silencieuse de la bête que j’abreuve, le bond de mes chiens qui savaient que ce soir ce ne serait pas des boîtes, mais de la viandre fraîche. Il m’a fallu soixante ans pour accepter qu’un regard aimant sur moi m’engage à définitivement aimer, rendre, donner. Partager.

Les danses assises des peuples du désert. La course immobile, en profondeur, de qui a vieilli, beaucoup couru.

Le grégorien a capella, les psaumes comme une sorte de vêtement psychique qui semble toujours sur mesure, à chacun, à soi, et qui – dès qu’endossé – répond de notre âme.

Le frisson de la rencontre. La sorte de justesse, de résonnance signalant la rencontre que nous sommes en train de vivre, qui nous est donné et – qui plus est – qu’il nous est donné de reconnaître comme telle.

Notre honneur dont nous sommes responsables.

Le sentiment de notre dignité qui nous pousse à ne pas nous relâcher dans l’affiche de notre identité. Combien d’années dans chaque vie, gaspillées hors de ce que nous sommes et devons être. Bien plus contrés que les personnes dans leur vie individuelle, les peuples, les communautés. Contraints à l’identité, faute de quoi c’est la mort ou la subordination.

L’autre, si analogue à nous que nous pouvons lui parler comme nous nous parlons, avec les mêmes arguments et la même hésitation, tant il nous faut être adéquat, et si différent qu’il nous apprend que pour nous-mêmes surtout, nous sommes autant inconnus qu’il paraît l’être de nous et de lui-même.

Là où tout se joue : le mi-chemin.

Le jeu du monde, les mêmes hommes, la même humanité dans des couleurs et selon des latitudes, des histoires et des circonstances si différentes. Comprendre du dedans.

Nous ne saurons débattre qu’en ayant, au préalable, accepté que l’argumentation de l’autre, même moins logique, surtout si elle est plus sensitive, est autant légitime que la nôtre.

On apprend et l’on aime, d’abord par curiosité. D’où il vient que la femme est maîtresse d’amour.

Après… après toute prise de conscience, et je crois que la mort est une décisive prise de conscience, après… toujours, la prière.

Présence.





[1] - Valéry Giscard d'Estaing,  Le pouvoir et la vie
* La rencontre (Cie 12 . Février 1988 . 399 pages)
** L'affrontement (Cie 12  . Mai 1991 . 486 pages)
*** L'éloignement (à paraître)

[2] - le mot est d’Alfred Fabre-Luce, fidèle de Valéry Giscard d’Estaing, après avoir été, en sa jeunesse, admiratif de Joseph Caillaux

Aucun commentaire: