XI
Le suicide d’une nation
n’est pas la fin de sa société, ainsi la Pologne pendant un siècle et demi. La
fin d’un régime – celui des communistes en Europe orientale et dans tout
l’espace russe – n’est pas la fin d’une nation. Le renversement d’un ordre
social n’est pas forcément une libération générale.
Le gouvernement de Vichy
et le programme de la Résistance, les instaurations administratives et
économiques de la Quatrième République dans son entier et de la Cinquième à ses
débuts sont très proches en vision de la constitution idéale et publique du
pays.
Les manuels dans le
secondaire entre le début des années 1930 et la fin des années 1950 ne
changèrent praatiquement pas, pour ce qui aurait dû la matière la plus sujette
à recomposition, l’histoire et la géographie. La querelle franco-allemande
commençait au partage décidé par le traité de Verdun et à la bataille de
Bouvines livrée en 14 comme au XXème siècle mais au XIII, quant à l’Angleterre
il lui était plus reproché de nous avoir dépossédés au Canada et aux Indes, que
de nous être maritimement supérieure. On reprochait alors à Louis XV ses
maîtresses mais pas sa politique extérieure. La bataille sous Denain, en 1709,
remportée par le Maréchal de Villars, que Louis XIV aurait personnellement
remplacé à la tête des troupes, s’il l’avait perdue, est avant la lettre nos
victoires de la Marne.
Qui sait en Allemagne
encore, et même au Quai d’Orsay aujourd’hui qu’il y eût un exact homonyme du
chancelier Gerard Schröder, ministre des Affaires Etrangères du chancelier
Ludwig Erhard, et encore plus américanophile que celui-ci.
En Allemagne également,
depuis trente-six ans, la diplomatie est dirigée par le parti minoritaire dans
la coalition gouvernementale. Depuis Adenauer, outre-Rhin, trois ministres des
Affaires Etrangères, seulement ; en France depuis de Gaulle ayant maintenu
dix ans jour pour jour Maurice Couve de Murville au Quai d’Orsay, nous en
sommes au onzième, et encore deux d’entre eux ont respectivement duré sept ans
et cinq ans.
Pourquoi la psychologie
est-elle séparée de la psychiâtrie, l’une attachée à la philosophie sinon aux
explications de texte, et l’autre aux soins des patients, le lien n’étant fait
que par quelques universitaires allant à la rencontre des médecins quans ils
formalisent la psychologie cognitive. Pourquoi l’histoire événementielle, et la
mémorisation des dates, ont tant cédé à l’évocation des tendances économiques
et sociales, sans y inclure également aux frontières de celles-ci avec la
géographie, la présentation des psychologies natives des peuples du monde.
Une ambition seulement
économique n’est pas constitutive d’un peuple, l’Allemagne fédérale des années
1950 à 1970 l’a vécu qui n’a retrouvé de dialectique collective que par le
rapprochement avec la République démocratique, puis par sa laborieuse
absorption. Tant que l’Union européenne restera d’abord un succès économique et
monétaire, elle n’aura pas de prise dans les esprits, on ne pourra proposer de
se diminuer, encore moins de mourir pour elle. La France au rebours de ses
principaux voisins n’ose plus avoir d’ambition que celle d’une gestion par
répartition, alors même qu’on lui chante – patronat et gouvernement actuel
ensemble – la sécurité par capitalisation et les grands équilibres par un
allongement de la durée de vie au travail. La pétition est d’ailleurs
maladroite puisqu’elle équivaut – tout le monde l’a compris – à diminuer le
montant de la retraite, forcément prise par anticipation du délai légal tant
celle-ci est devenue le moyen de renflouer les cotations en bourse et les
apparences du bilan des entreprises.
La croissance interne est
l’association véritable du capital et du travail, la croissance externe est la
trouvaille de dirigeants, associés à des banques d’affaires et des institutions
d’audit, pour gagner des marchés et des chalandises qu’ils n’ont pas su ou
imaginé créer eux-même ; l’exercice, combinant l’abstraction des jeux de
table et l’appropriation de nouveaux pouvoirs sur les gens, plus que sur les
choses, s’apparente à celui de la libido la
plus personnelle.
La direction des grandes
entreprises industrielles et de services, ou des principales institutions
financières, est aux mains, en France, le plus souvent d’anciens membres de
cabinets ministériels, celui du Premier Ministre ou celui du ministre des
Finances, bien plus rarement d’une famille plaçant l’un des siens à la tête du
groupe transmis en bien héréditaire, encore moins d’employés ayant gravi
longuement les derniers échelons vers le pouvoir.
L’habitude s’est prise
d’abord rue de Bercy et s’est maintenant étendue au domaine social, qu’il y ait
plusieurs ministres, ministres délégués, secrétaires d’Etat avec un seul
cabinet, coiffant des administrations centrales à leur disposition et donc que
ne commande personne nommément. Quel en est le sens ?
Il est devenu courant,
depuis que privatisation, déréglementation, mondialisation sont l’ambiance, de
ne quitter de hautes fonctions exécutives dans la finance internationale ou
nationale que pour aller, en apparence bénévolement, prendre la tête
d’institutions prêchant l’éthique et le sens de l’homme ; pourtant et
rétrospectivement, sans que les gestions aient d’ailleurs été malhonnêtes
intellectuellement et encore moins comptablement, qui a souvenir qu’un
directeur général du Fonds monétaire international ou, en France, de la Caisse
des dépôts et consignations, ait protesté contre l’inhumanité ou la nocivité
des procédures ou des garanties dont ils avaient la charge, au moins
nominale ?
Etre informé ou
s’informer ?
Se documenter est se
faire juge soi-même, le but est préalablement défini ; recevoir en images,
en texte, en bande sonore les « nouvelles », c’est apparemment
dépendre de ceux qui composent et garnissent ces supports. Le contraire se
vérifie pourtant car la mémoire organise ce qui est nouveau, le rattachant à de
l’ancien, l’instituant cause ou conséquence.
Les époques de la vie où
l’on lit tout et ligne à ligne, fin de l’adolescence, hospitalisation, et
celles où l’on procède par carottes avec l’émerveillement de ce que l’on
découvre et cependant un esprit d’abandon qui fait ne pas achever le livre
ouvert.
Les notes d’une
administration à un ministre sont-elles une communication, une demande de
dialogue, une information, un compte-rendu ? Qui est l’instrument de
l’autre ?
Le rapport éducatif est
invivable si l’enseignant récite, rien n’est transmis qui n’est pas soumis à
l’évaluation de qui le reçoit, pour le plaisir ou pour assimiler.
Chaque posture dans la
vie individuelle a son pendant dans une vie de communauté, il y a des charmes
qui se rompent, des réputations qui se font, celui qui lit l’emporte sur celui
qui s’exprime à partir seulement d’un fonds que deux phrases ont épuisé car
elles n’étaient que de sens commun, mais une lecture sans mémoire ni
perspective non seulement n’est que déchiffrage. Les politiques, quand ils sont
de carrière et par là arrivent quelque jour au pouvoir sont l’un ou l’autre,
bon sens annonné sentencieusement – ou aujourd’hui, qu’on soit de droite ou de
gauche, pleurardement – ou technicité que l’on n’a pas en propre.
La justice – en France –
est égale pour tous, mais pas son accès qui est à grands frais, l’appel ne peut
se faire que par truchement onéreux d’avoué, le recours en Conseil d’Etat s’il
implique un franc de réclamation suppose un avocat officiellement listé, le
juge de l’exécution ne peut être saisi que par assignation donc par huissier,
l’erreur matérielle ou l’omission d’un délai ou la paresse au travail d’un
avocat n’est sanctionnable en responsabilité professionnelle que si la preuve
est administrée qu’avec un autre mais sans changer de moyens on l’eût emporté.
Dans les relations
internationales, si l’on est fort, au moins dans l’instant et selon l’aire de
jeu où l’on se déplace, on peut faire fi des procédures et n’avoir aucun public
à redouter. En droit interne, c’est toujours des deux parties, celle qui est
personne physique qui pâtit de la moindre erreur commise par elle ou plus
encore par son conseil.
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