Testament d’un encore vivant
grâce à d’autres que lui
Je me confie à vous, plus encore que
dans tout le corps de ce petit livre. J’ai eu grand mal à l’écrire. Ce que je
tente de vous dire, je le ressens en vous autant qu’en moi, les mots nous
manquent, le regard et le désir sont là. Nous savons que maintenant la
conclusion nous appartient. Précisément parce que nous plus déléguer à qui que
ce soit la responsabilité de la suite. Nous avons expérimenté qu’un seul est
insuffisant, qu’en votant pour lui, nous le livrons à lui-même. Il en fait les
frais : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et maintenant François Hollande
nous l’ont répété, et nous en périssons. Même plus vagabonds ou désespérés
d’opinion. Déjà inertes. La conclusion nous appartient, le changement n’est pas
un programme, il est la volonté de faire la décision, de l’imposer à nos
mandataires, de nous l’imposer à nous-mêmes. Le ressort de la suite française est
cette résolution. Et nous avons ensemble compris que cette suite est
européenne, et réciproquement. La rencontre en Allemagne de celles et ceux qui
le nient est sans doute bien ajustée puisque la fragilité de nous tous, natifs
de ce Vieux Monde, de ces vieux pays, de ces peuples anciens tellement
civilisés, tellement riches, chacun tellement subtil, est actuellement celle
des Allemands comme souvent. L’économie puissante, la longévité et la
collégialité au gouvernement depuis davantage de temps que partout ailleurs en
Europe. Si les négationnistes l’emportent du Rhin à Berlin et à l’Oder, la
partie pour notre suite à tous, sera plus difficile mais plus évidente, car la
réunion de celles et ceux qui nient a le résultat mathématique que même les
enfants connaissent.
Je n’ai pas peur car je sais qu’au pied
du mur, il y a partout la résolution. Et maintenant nous avons l’expérience
dans chacun de nos pays de ce qu’est, de ce que peut être l’illusion du refus.
Mais le refus ne doit pas être le refus des négationnistes, et de leurs
accompagnants jouant d’eux pour se faire choisir et gouverner solitairement un
pays, des peuples qu’ils croient chacun solitaires. Le refus que continue notre
enfoncement dans la tolérance du vide des gestions collectives, du nihilisme
des dispersions de nos patrimoines de toutes natures, est éclairé, motivé. Il
porte des structures de conduite tous ensemble.
Sans raison, par instinct ? j’ai
cru en François Hollande quoi qu’il se soit présenté à nous tous les votants,
les Français, sans passé, ni exploit, ni légitimité. Je réalise que ce vote
d’il y a cinq ans était adulte, pas seulement le mien, mais celui de millions
d’entre nous. Nous n’attendions ni sauveur ni salut. Nous commencions de
réaliser que la politique – et je le constate de plus en plus maintenant,
l’entreprise surtout, qu’elle soit individuelle ou de taille et d’enjeu
considérables – n’est pas l’affaire d’un seul, qu’elle est profondément
collective, qu’elle est d’essence collective. Pas parce qu’elle est la gestion
du grand nombre et de beaucoup de sujets, d’affaires, de dossiers, de
circonstances – prévisibles, imprévisibles – mais parce qu’elle n’est vraiment
possible que portée à tous, par une réflexion commune, par une ambiance que
nous créons à tous et qui devient l’esprit d’une entreprise – celle-ci au sens
économique et financier – mais aussi d’une entreprise au sens de l’aventure qui
a sa date de commencement et sa date d’aboutissement. Et cela ne s’est pas
fait, nous avons laissé faire.
J’ai essayé – avec vous qui avez bien voulu
m’accompagner de mes premières lignes jusqu’ici – de présenter des antidotes,
de les évaluer. Il nous faut les choisir et prendre toutes ensembles. J’ai
longtemps cru à la conversion de l’élu d’il y a cinq ans, conversion par
intelligence. Les circonstances ne faisaient pression que lentement, les
éphémérides de l’impuissance et de l’échec faisaient une chaîne chronologique
atterrante mais ne nous liaient pas encore. La leçon – je ne sais si François
Hollande l’exprimera lui-même, je le lui ai demandé après tant de suggestions
au jour le jour ou presque depuis son investiture par son parti d’origine – est
la péremption des anciennes manières d’exercer le pouvoir.
Pendant quatre vingt dix ans, autant
dire un siècle, la France s’est gouvernée, sauvée, perdue, reprise selon une
commission parlementaire appelée gouvernement. La mûe apportée par le général
de Gaulle n’a pas été la mise au goût du jour de notre ancienne monarchie,
faussement interprétée comme une autocratie alors que fondamentalement elle
avait toujours été le respect et la culture référencée du bien commun.
L’élection du président de la République au suffrage au suffrage universel
direct a été la première étape d’une remise de la décision, autant dire même du
pouvoir, à nous tous. Nous en sommes restés là, malgré les efforts des premiers
successeurs du fondateur.
L’existence humaine est une relation,
avec nous-mêmes, avec les autres, nos frères de condition, nos analogues. Le
cœur de chacun est un mystère, davantage encore pour lui-même que pour les
autres plus libres de considérer, du dehors, les entraves et les possibilités
de l’envol.
La relation, j’ai eu la chance très
répétée dans ma vie, de l’éprouver avec des hommes, des personnalités dédiées à
la politique. Trait commun : considérer la politique comme le mystère et
la responsabilité d’un peuple que l’Histoire désigne pour être et demeurer un
peuple, moyennant à chaque génération sa propre réévaluation et le consentement
à lui-même et surtout à l’espérance et aux moyens d’être encore plus lui-même.
Le politique n’est pas discursif, il est la conscience de beaucoup.
Je le dirai plus clairement – je crois –
en disant les dettes de ma reconnaissance. Je le fais brièvement, devant vous,
même si vous ne les avez pas connus, même si peut-être, puisque l’amnésie
caractérise aujourd’hui commentateurs, présentateurs autant que les acteurs
dont ils sont les faire-valoir. Ce va être ma conclusion. Tous ont physiquement
disparu. Aujourd’hui, pourtant, ils existent et me structurent, puissè-je vous
faire ressentir qu’ils sont disponibles pour tous, et qu’en sus nous pouvons
chacun en rencontrer d’autres mais du même bois, du même esprit, de la même
fidélité à autre qu’eux-mêmes et leurs biens. Nos aïeux certainement, nos
enfants – je l’espère, et gratifié tellement par notre fille, je le crois – ont
fait, pourront faire ces rencontres, et même ont été et seront de celles et
ceux que j’ai rencontrés. Car je n’ai rencontrés que quelques-uns, mais ce fut
pour tous.
Aujourd’hui [1] où je
finis de vous écrire, après plusieurs tentatives, depuis l’automne de 2013,
toutes fondées – par une erreur tenace que je croyais la simple et nue
espérance – sur la possible, probable, logique conversion d’un président
revenant à des convictions et donc à des jugements répondant aux circonstances
sans s’en laisser imposer par celles-ci, nous répondant finalement parce que
son propre recours contre lui-même serait de nous écouter… aujourd’hui,
maintenant que tout a disparu des vieux usages et des vieux rites, même s’ils
paraissent encore en scène, c’est le vote entre gens se reconnaissant de gauche
pour choisir quelqu’un qui… Ils sont courageux, aucune chance d’aboutir selon
les rites anciens d’une élection et d’un nouveau quinquennat. La primaire
d’autres n’a été que la trouvaille d’un chef par élimination [2].
Enfin, il y a eu des initiatives et du spectacle, et la redite d’un diable
utile à tous les professionnels y recevant la fonction de sincère sauveur.
Aujourd’hui, du civisme. Et ce même jour, le dixième anniversaire de l’Abbé
Pierre, les réflexes qu’il raviva tant de fois. Je l’ai connu et accompagné au
plus crépitant et douloureux d’une méprise qui s’est appelé « l’affaire
Garaudy » : une autre forme très achevée du négationnisme. , comme
d’ailleurs pour la cause des extrêmistes d‘aujourd’hui, ceux d’Europe, autant
que les égarés du djihadisme ou les soutiens de Wladimir Poutine et maintenant
de Donald Trump, il y a du vrai et de la lucidité à l’origine de ce qui
deviendra, est devenu un odieux parcours. L’Abbé Pierre, une solitude, un
secret spirituel, un tempérament s’exorcisant eux-mêmes par l’obsession des
autres faite d’une empathie avivée par le scandale. Un homme-cri. Coincidence
des dates, au lendemain d’un anniversaire, celui de l’événement sans doute le
plus symbolique de notre histoire nationale, l’exécution capitale du roi. Nos
crises de légitimité – nous en vivons une de plus – nous font, font la France.
Et ce sont des hommes et des femmes qui
nous l’apprennent, souvent rétrospectivement, faute que beaucoup puissent vivre
dans l’intimité de ceux qui affrontent et résolvent – bien ou mal – ces crises.
Ressentant vivement celle où nous sommes depuis une grande décennie, sans la
qualifier, sans poser de diagnostic, j’ai voulu que François Hollande sous la
forme qu’il aurait voulue organise ma proximité avec lui. En annexe à ce que je
termine de vous écrire, vous trouvez ma proposition. Elle n’a pas, en cinq ans,
reçu seulement un accusé de réception ou quelqu’indication qu’elle ait été
sinon examinée, au moins lue. Qui y a perdu ? Sans être de ses
collaborateurs, j’avais été admis à l’audience, à la conversation – quelques
fois – et à la correspondance de François Mitterand, ce qui eut parfois quelque
résonnance dans les faits et décisions de ses quatorze ans de règne. Même avec
Valéry Giscard d’Estaing, que je suivais et critiquais dans la presse
nationale, j’eus un dialogue indirect : je savais ses réactions à mes
articles et son conseiller personnel me recevais. Je n’ai donc pas cru déplacé quarante
et trente ans plus tard de le demander à celui qui n’est plus qu’un président
manqué. Même si d’autres suites lui restent possibles, dont celle de participer
à la refondation, en France, d’un socialisme de gouvernement. Ce que ne
contient pas forcément une arrivée au pouvoir d’un représentant du Parti de ce
nom. Il est vrai que ce mouvement de refondation après le probable échec à
cette élection-ci a commencé depuis les « primaires de la gauche ».
Ce que je tente n’est pas de ce
registre, et ne dépend pas de la personnalité qui sera à l’Elysée à la mi-Mai
2017. Vous l’avez compris. Porter votre voix autant que la mienne, et de tant
d’autres de nos compatriotes qui le voudront, pendant tout le quinquennat à
venir.
L’Abbé Pierre [3], une
gloire nationale, dont je suis l’unique intime quotidien pendant quelques
semaines, pendant la courte mais intense opprobre, qui m’a fait aller à lui, à
sa rescousse. Simplement. Ses mises à l’écart des médias par les siens,
apeurés, craignant l’amalgame, le fiasco d’une entreprise et d’une sainteté,
d’une ingéniosité aussi depuis cinquante ans. Mais d’autres – davantage dans ma
vie – à la notoriété plus précaire ou moindre pour des raisons ne tenant pas à
eux, mais à nous. J’ai envie de vous dire ces autres puisqu’ils m’ont appris,
que les ai aimés et qu’ils m’ont, je le crois, estimé. Sans doute par affinité
et aussi par la conscience que je leur donnais de me donner – oui – beaucoup
plus qu’eux-mêmes ou des récits et témoignages.
D’eux à une époque de ma vie où j’allais moins à la recherche de ce que
le passant, l’inconnu, par hasard, dit de tout et de notre pays puisque je le
salue et qu’il m’a inspiré de le saluer, n’importe où, n’importe quand, lui au
pluriel, masculin ou féminin. De ces personnalités, plus ou moins illustres,
j’ai appris, en un système qui se construisait d’une recontre à une autre, la
vien politique, le politique, dans son acception sociale, selon la société que
forme une nation quand elle est mentalement encore unitaire, et la vie dans ce
qu’elle porte sur une femme, un homme, vous, moi, d’ombre ou de lumière. Des
rencontres qui – vous les disant – me présenteront finalement à vous, bien
davantage que les exposés et intuitions qui les ont longuement précédés. Que
vous me confiiez réciproquement les vôtres, librement, me passionnera. Je crois
qu’alors nous serons, ensemble, à la racine des événements et des motivations
de notre époque, de ce que nous voulons et vivons pour notre pays. Quelles que
soient ces rencontres, leur date, leur thème pourvu qu’elles vous aient ajouté
quelque chose ou fait prendre conscience de quelque chose. Et ce « quelque
chose » n’est- ce pas les autres quand ils nous semblent exemplaires et
nous entraînent, au moins à leur intensité d’action, de réflexion, de fidélité,
ces autres-là dans nos vies à chacun, la vôtre, la mienne, garantissent que
nous pouvons agir, réfléchir et porter – au moins potentiellement ce qui nous
rend exigeant au moment des choix, notamment électoraux – des pensées et des
réalisations.
Vous avez bientôt soixante quatorze ans,
enfant vous vous êtes passionné de héros, les plus simples et alors populaire,
leur histoire dessinée sobrement et racontée sans effroi ni effet. Le journal Tintin, par abonnement depuis le numéro
120 – collection perdue par ma faute, faute d’avoir entretenu un garde-meubles
de notre relation quand ma mère nous quitta. Des aventures tout aussi
étonnantes, mais vraies, des personnages de notre vie nationale, les albums au
très grand format, ceux de Job [4], nos
vrais ancêtres d’esprit, leur legs de toutes époques est encore notre
patrimoine.
Les Hansi, aussi pour la plus
emblématique de nos provinces. Puissent nos années actuelles en allonger la
liste. Cela ne se discerne pas. Peut-être manquons-nous d’outils pour les
reconnaître ? nos héros et fondateurs d’aujourd’hui. Vous auriez pu être
moi, questions d’années de naissance, de lieux, ou bien je pourrais, ayant le
double ou le triple de votre âge, être votre, votre grand-père, tandis que vous
cherchez – peut-être – ces héros et fondateurs que ma génération avait encore
si couramment en images. Alors ceux d’aujoud’hui ?
Voici les miens. Ils datent de quelques
années à peine et ont quitté ce côté de la scène auquel nous introduisent les
levers de rideau. Ils m’habitent chacun : inégalement selon notre degré
d’intimité, la durée aussi de notre relation, mais ils m’habitent, me portent
et si je peux entrer en campagne officielle, je leur rendrai leur officialité.
Leur notoriété est encore frémissante. Parce qu’elle résultait d’une vérité d’être.
Evidente pour beaucoup ou seulement pour moi. La valeur et l’apport fondateur
de qui que ce soit ne sont pas quantifiables, mais estimables.
Le premier ne m’apparaît d’abord qu’à
raison de son pays. Apparemment, ce n’est pas ou plus le nôtre quand vient à
moi, dès que j’ai été introduit dans un bureau de grandes mais pas excessives
dimensions, sans décoration, que des baies vitrées : au- dehors sur quoi
elles donnent, le désert, la façade occidentale du Sahara limitant la
Mauritanie par l’Atlantique. La République Islamique, un de nos territoires
d’outre-mer, est indépendante depuis à peine plus que trois ans et le président
Moktar Ould Daddah [5], un sourire d’âme et de
tout le visage comme si une relation de près de quarante ans, l’habitait déjà
et qu’accueillir le jeune coopérant était plutôt des retrouvailles. Ce l’était,
je crois, pour deux raisons dont il ne me donna qu’une, l’autre j’eus à la
deviner. Je n’avais pas encore vingt-deux ans, il en avait sans doute
quarante-cinq [6]. Etudiant très tardif en
France, le baccalauréat à plus de trente ans, la même faculté de droit, à
Paris, que celle dont j’arrivais, pas dix ans d’écart entre nos vies
d’étudiant. Son sourire était d’abord celui d’un frère de race mentale,
l’utilité d’une méthode de travail et de penser. Notre ressemblance fut
immédiatement dans la manière d’envisager l’application de ce qui nous avait
été enseigné. Il fondait donc, depuis peu un Etat-nation, c’était son mot. Un
Etat dont la France, mon pays, la métropole du sien pendant une petite
soixantaine d’années, avait laissé le projet. Une nation encore latente mais
dont il avait la vue intérieure, la nécessité et la logique historiques
intensément présentes en chacun de ses propos, à moi comme aux siens,
collaborateurs, ministres, élus et chefs divers, peuple entier, partenaires
étrangers : français, africains, puis arabes, puis de toute la planète. Il
me dit donc cette raison, apprécia mes diplômes si la scolarité à l’E.N.A. que
je n’avais pas encore commencé en est un, et m’écouta avec un bonheur évident
luis exposer que l’enseignement dont j’étais chargé m’avait paru peu utile si
je devais que réciter mon pays et mes études, qu’en revanche étudier le sien et
les modalités de ce que lui-même entreprenais mais avec mes outils d’étudiant en
haute administration générale de la France, me paraissait plus utile à mes
élèves, futurs dactylographes garçons et filles de quinze-dix-huit ou
fonctionnaires d’autorité déjà très expérimentés à des réalités dont je n’avais
pas la moindre idée. Une thèse de droit public donc documenterait mes cours, le
président de la jeune République me donnerait les introductions et
autorisations ne dépendant dans la pratique que de lui, et nous dialoguerions
ensemble ce que j’entreprendrai le lecture et de copie : il m’en donnerait
la chair et les explications, les logiques humaines et occasionnelles. Cela ne
cessa plus tant qu’il fût en vie. La mise en forme de ses mémoires manuscrits à
la rédaction desquels je l’avais pousé dès que commença chez nous son exil,
après vingt-et-un ans d’une fondation exceptionnelle de morale, de sérénité et
de longueurs de vue.
L’autre raison, je l’ai comprise tard.
Maurice Larue, administrateur de la France d’Outre-Mer, dirigea le cabinet du
jeune président-fondateur dans les premiers jours de l’indépendance vis-à-vis
de nous. La relation de travail, d’amitié certainement mais non explicitée, fut
décisive et apaisante pour un homme d’Etat, forcément seul dans un contexte
sociologique peu propre au sens du service public et dans la rareté d’une
ressource humaine nationale qualifiée. Je lui ressemblais. Le DC4 qui s’écrasa
sur la Sierra Nevada espagnole, en Octobre 1964, fit disparaître une grande
partie des personnels de l’assistance technique et de leurs familles
respectives, vivant en Mauritanie. Il me fut dit que le Président resta, comme
hébété, plusieurs jours. Revenait-il avec moi, ce serait bien immodeste et ce
ne me fut pas dit par Moktar Ould Daddah. Partager ensemble sa passion
d’expliquer et justifier ce qu’il faisait et projetait, ma passion d’apprendre
ce qu’est un pays, ce que doit être son Etat, ce que sont les contingences de
la politique, nous l’avons vécu au point que se constitua pour moi le point de
vue suivant lequel regarder tout peuple, tout Etat, et même tout grand homme
public. Et il en resta ensuite, fortement, ma conscience d’avoir à témoigner de
qui j’ai vu et entendu l’effort pour son pays. Avant de Gaulle, immuable au
milieu des années 1960 et à notre première pratique de l’élection
présidentielle au suffrage universel direct, Moktar Ould Daddah m’inculqua, me
montra le sens du politique.
La démonstration était perceptible parce
que tous éléments de mise en pratique de ce sens existaient à une échelle que
je vivais, que j’ai vécue à chacun de mes séjours en Mauritanie, d’abord
quatorze mois, puis le plus souvent quinze jours-trois semaines. Voyant
« tout le monde », les ministres, d’anciens ministres, les opposants,
des jeunes, à Nouakchott, pas vingt-mille habitants en 1965, peut-être cent
mille dix ans plus tard, sans doute le million aujourd’hui. « En
brousse », accompagnant le président de la République, secrétaire général
du Parti, le DC3 « avion de commandement », la jeune femme en mellafa
nous donnant les indications de vol à l’oreille dans le vacarme du bimoteur,
tous les passagers en bou-bou, le haouli marron clair du Président, que Mariem
a bien voulu me donner à sa mort. Le gisant du Val-de-Grâce, Octobre 2003,
l’homme encore très jeune, Avril 1974, aimant que tel notable, le soir entre
nous après les accueils, le discours aux « camarades militantes et
militants du Parti du Peuple mauritanien », le fasse rire, presqu’aux
larmes. Après les réunions de cadres ou les réjouissances gastronomiques et
littéraires, le hassanya qui est doux et varié à entendre. J’apprenais de cet
homme le lien avec son pays, avec ce
peuple composite, physiquement dénué de tout mais que Moktar Ould Daddah savait
combler d’espérance et de la sensation d’une unité nationale en train de se
faire.
J’ai vécu les moments intenses et les
ambiguités d’un destin qui ne faisait qu’un avec des gens de même vêtement, de
mêmes silhouettes et démarches sur le sable, qui parlaient, parlent encore en
caressant l’air, le ciel de leur paume. Des heures, une nuit, en Février 1966 [7],
quand tout semble perdu, les races s’opposent, on se bat entre lycéens, les
plus hauts responsables du Parti choisissent chacun un camp, selon les
appartenances ethniques, tribales. Huit ans de travail : effacés ? La
reprise et l’exercice du pouvoir, toujours en équipe, mais les équipes
totalement renouvelées et une nouvelle forme pour la persuasion collective, des
séminaires de cadres, région après région, et de nouveau l’unisson, avec une
nouvelle génération. Je suis à Rome, montant au parvis de Sainte-Marie-Majeure,
un lundi de Juillet 1978, titres : coup d’Etat militaire. Je n’étais plus
recenu à Nouakchott depuis trois ans. Père de la nation ou prisonnier
perpétuel ? Il arrive de prison, Mariem me le téléphone. Nous nous
revoyons puis plus d’une semaine à l’hôpital militaire de sa convalescence,
chez nous, mais au bord de la Méditerranée, cette côté qu’il a connu, étudiant
tardif, son récit que j’ai sollicité, les longueurs de journée, enfin
vingt-deux ans plus tard, ensemble à nouveau, chez lui, rentré d’exil, la rekecture
de ses mémoires. Recevant les disquettes de la dactylographie de son manuscrit,
qu’allais-je lire ? ce fut d’un coup l’instant de la si forte joie.
L’écriture, du français de même que lui, Hassan II et Bouledienne
s’entretenaient autant en notre langue de colonisateur et domainant, qu’en la
leur, l’arabe, le legs du Prophète et l’unification du disparate. Le texte
digne absolument de la geste politique. Celle-ci reste la référence, le
précédent, l’espérance de son peuple qui depuis lui n’a connu que quinze mois
de démocratie et de régularité électorale. Le reste du temps, la dictature de
ses aides-de-camp dans l’ordre chronologique de leur service auprès de lui,
chacun pas mauvais mais tous convaincus que la légitimité, le recours ultime,
la souveraineté populaire, ce sont eux et l’obéissance de quelques miliers
d’hommes et la solidarité entre les sept-huit faisant hiérarchie suprême. Il
était prévenu de ce qui s’ourdissait à l’initiative de quelques civils,
pourtant bien dotés, et qui bannirent les hésitations des militaires, alors que
le front contre les Sahraouis, de recrutement et de financement algériens parmi
les Regueibat, par haine ancestrale d’Alger pour Rabat et ses Alaouites. Il
avait choisi de ne rien faire, prévenu seulement un civil, de très grande
qualité, longtemps opposant nationaliste arabisant, le ministre de la Défense
d’alors. Advienne que ce Dieu permettra, et impossible que des militaires ne
soient pas loyaux à leur pays, la guerre sera alors mieux menée. Les déposer,
en nommer d’autres, d’autres qui étaient possibles que les putschistes
n’intégrèrent qu’au soir de leur coup fait aux aurores, qui ensuite tentèrent
un contre-coup et en périrent comme des saints et des martyrs. Moktar Ould
Daddah m’a appris la légitimité. Et aussi que je puis être utile. Je le fus
quand en Janvier 1969 il me demanda si de Gaulle allait tomber. A ma réponse,
il conclut que la grandeur du Général pouvait faire de l’ombre à ses
successeurs pour chacun de nos anciens territoires, et il me dit aussi : vous
êtes moralement intéressant. Une de nos dernières conversations, dans ces
moments du soir où Mariem nous laissait rester seuls, était mon récit triste de
la défection d’un de ses plus proches collaborations. Son stoïcisme, comme
toujours, était souriant, retenu. Nous communiâmes et quand je dus partir, il
me demanda de le bénir. Je le quittai, je me retournai, il restait assis, déjà
très fatigué de ce qui allait l’emporter dans quelques mois, il me regardait.
Il est inoubliable. Depuis le cinquantième anniversaire de son investiture à la
tête de son pays [8], encore sous notre coupe,
j’écris presque chaque semaine dans l’hebdomadaire mauritanien le plus
influent, francophone et d’opposition tolérée. J’essaye de rappeler, avec
d’autres que l’avenir a un dénouement et a depuis longtemps un verbe à voix
baasse, un visage aux joies et constats intimes.
Puis vint, avec une majesté affectueuse,
évidente quand dans l’embrasure de son élégant bureau de rez-de-chaussée, rue
Jean Goujon à Paris, il me saluait m’ayant donné congé, quand à nos dernières
fois, du dernier étage, à la rampe protégeant le bel escalier aux larges
marches du XVIIIème siècle, rue du Bac, il me regardait descendre, m’ayant reçu
en robe de chambre, attentif, avouant qu’il avait perdu toute mémoire, au point
qu’il appela un jour, le général de Gaulle : machin, le nom ne lui venait
plus, mais remis dans les événements qu’il avait faits ses réflexes
apparaissaient vifs et me restituaient donc la chair de l’essentiel… Maurice
Couve de Murville, le ministre de la confiance pour l’homme du 18-Juin, réglant
en quelques semaines de sa charge de commissaires aux Finances à Alger, l’été
de 1943, ce que la France libre devait au Trésor britannique, lui amenant
l’Allemagne par le chancelier Adenauer en Juin-Septembre 1958, acceptant avec
humilité et confiance d’être son Premier ministre pour les leçons à tirer de
« Mai-68 » et pour que l’homme de l’honneur et de la participation,
censément usé par dix ans de son second règne, puisse sans les entraves et silences
de Georges Pompidou, se donner à lui-même et à la France, un dernier cours en
propre.
Pleurant lourdement un départ que l’on
sentait venir plusieurs mois avant qu’il fût effectif, en cherchant les
raisons, en me révoltant aussi à comprendre les écarts que Georges Pompidou, le
successeur si satisfait d’avoir (enfin ?) la place [9],
imposait à la France, je fus initié à une dialectique politique que je n’avais
pas soupçonné, par Louis Vallon [10],
pendant un repas durable et arrosé : Juin 1969, au Petit Pavé. Quand se fit en moi, sans réflexion ni information
particulières, l’évidence que Maurice Couve de Murville était… avait été le
successeur véritable, apaisant mais assuré, que de Gaulle se souhaita, nous
souhaita. Un exercice présidentiel sans débordements à l’intérieur, mais précis
et efficace à l’extérieur, ferait fructifier un acquis de onze ans qu’ils
avaient faits ensemble. Ministre des Affaires Etrangères, puis Premier
ministre, après quelques semaines aux Finances, c’est au crayon et à la gomme
qu’il tenait son agenda (Hermès) :
chaque vendredi matin, tranquilles, trois lettres, Rdv. C’était l’entretien,
tête-à-tête, exclusif, sans compte-rendu, à l’Elysée avec de Gaulle. Premier
des principaux personnages du régime dit gaulliste
Dès que je le lui demandai par lettre,
il me reçut [11] : premier des tout
principaux personnages de ce véritable règne d’une longévité et d’un éclat
exceptionnels, mais au dénouement que j’eusse voulu autre et plus tardif. A mes
yeux, il était le dépositaire, mais l’heure d’une libre succession était
passée. L’avait-il souhaitée ? que souhaita-t-il dans sa vie ? dans
sa carrière ? rien ne lui vint facilement pourtant. Quoique nous nous
soyons entretenus pendant près de trente ans, plus qu’avec aucun autre des …
que faut-il écrire quand il s’agit de qui a travaillé avec de Gaulle, a été son
ministre ou membre de son cabinet ? ou encore de ces fidèles dont j’ai
rencontré quelques-uns qui avaient tout fait de l’été de 1940 à la fin du
pouvoir et au silence de 1969-1970… bien des questions seraient à lui poser.
Autant que pour Moktar Ould Daddah, j’ai compilé des archives, cherché et
recoupé des indices, des événements, j’en ai trouvé plus à son sujet que sur la
Mauritanie où tout a été toujours clair, y compris les complots contemporains et
les raisons, non peccamineuses, de notre entrée au Sahara occidental.
Maurice Couve de Murville a été
disponible toute sa vie, sans passe-temps ni ambition ni véritables affections
de père, d’époux, d’amant, sans nostalgie, sans guette non plus des opportunités
que dans la banque où il devait être le gendre souhaité, la haute
administration accessible par les concours dont il sortait chaque fois major,
la politique chez nous et même jusqu’au poste de secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies où beaucoup le désirèrent quand il n’y avait
plus rien à faire en France [12].
Donc détaché tout à fait des positions où il s’est trouvé, qui – pendant
quarante ans – furent de premier plan. Dans chacune, il excella sans en faire
rumeur, réclame et sans en donner le récit. Des mémoires sur le champ,
approuvées en principe par de Gaulle, et vingt ans plus tard un dialogue avec
le plus proche des journalistes qui, au Monde,
l’avait commenté avec une évidente admiration. Si ! une affection, car la
relation ne fut pas hiérarchique, n’était pas principalement intellectuelle.
L’affection pour de Gaulle et la dilection exceptionnelle, sans pareille, du
Général pour lui. Je crois, ayant lu tout de Gaulle et ayant l’honneur et la
chance de bien connaître le ministre de sa confiance totale, comprendre
pourquoi. L’amour de la France,
certainement. Le goût d’une mise en ordre des événements et ce qu’ils inspirent
comme possibilités, oui : aussi. La considération pour quelques-uns de
leurs partenaires : la politique extérieure, ses rencontres et ses
conférences, les faisant travailler ensemble, même si – de rares fois – chacun,
spontanément, joua seul et sans délibérer avec l’habituel compagnon de pensée [13],
mais avec la certitude, toujours vérifiée, que celui-ci suivrait ou
accomplirait ce qu’il resterait à faire, ou approuverait. La relation entre eux
était donc de confiance mutuelle, de confiance aussi de chacun dans ses propres
capacités et les capacités de l’autre : deux instruments presque parfaits,
dédiés à une unique tâche, la grandeur d’une France dont ils savaient ensemble
la précarité si, presqu’à chaque instant, elle n’était pas soutenue par de
l’ingéniosité, du sang-froid.
Je ne le comprenais pas à mesure de nos
conversations, dont le verbatim eût paru banal car elles portaient sur
l’ambiance politique du moment et sur des éléments de notre histoire
publique : c’était agréable, mais la clé du personnage – s’il faut en
chercher une ou en demander une pour chacun de ceux que nous rencontrons ou qui
sont nôtres mais évoluent à devenir méconnaissables, incompréhensibles – était
simplement son charme, et la limpidité de ce que l’écoutant, j’apprenais.
Toujours c’était dit, comme si le naturel guidait l’Histoire et les relations
de persone à personne, un naturel sans couleur ni contraste. Maurice Couve de
Murville inspirait le calme, les seules saillies était celles d’un humour
qu’une question ou une remarque de ma part, laissait paraître sans que rien ne
soit souligné ou insistant. Et – paradoxe apparent – une telle tranquillité, un
tel enchaînement d’évidences eut aussitôt pour moi un charme dont je ne me suis
jamais lassé, qui opère même quand je lis et copie des documents d’archives
diplomatiques ou du ministère des Finances le concernant ou en rapport avec des
fonctions qu’il exerça. Et il est probable que c’est ce charme-là qui attacha,
conquit de Gaulle, dès leurs premiers entretiens de travai à Alger en Mai 1943.
Ils ne se connaissaient qu’indirectement. Le
Temps, comme l’ensemble de la presse nationale française, ne commença
d’être censuré qu’en Décembre 1940, ainsi ceux qui voulaient quelque nouvelle
de la France en actes à Londres, pouvaient en prendre plusieurs fois par
semaine. Quant à ce plus haut fonctionnaire des Finances [14], il
était connu du général de Gaulle par réputation, et l’amiral Darlan, régent de
fait pour notre Afrique quand y débarquèrent les Américains, appela même
Laurice Vcouve de Murville à son côté, croyant l’atteindre de passage à
l’ambassade qu’avait Vichy à Madrid. Ni l’un ni l’autre n’a raconté le premier
échange, mais je reconstitue tant ma familiarité avec chacun, fit aussitôt
partie de moi-même quand je commençai d’enquêter sur le départ et sur le
gouvernement de l’un, et d’être reçu par l’autre. L’inspecteur des Finances
avait travaillé les ministres pendant toutes les années 1930 et
particulièrement à partir du Front populaire : un seul l’avait marqué, et
l’estime resta réciproque, Pierre Mendès France, qui le remplaçant à Alger, lui
trouva un nouvel emploi lequel décida de toute la suite de sa carrière. De
Gaulle dut lui apparaître comme l’homme d’Etat que l’Histoire, vécue dans les
bureaux où presque tout de la France se décidait (alors et aussi aujourd’hui
pour autant que les pouvoirs publics aient prise sur les événements, les personnes
et les choses), semblait refuser au pays et à son administration. Et Maurice
Couve de Murville, suppléant par sa seule mémoire la totale absence d’archives,
à Alger, en matière de finances, de dettes souveraines et de participations
françaises à l’étranger, dût aussitôt lui paraître l’idéal pour ce qu’il y
avait à faire immédiatement. Il y eut certainement plus : les deux hommes
ressentirent qu’ils savaient mettre en tout de la clarté et de la simplicité
quand presque tous les autres en étaient incapables. Et cette heureuse et grave
communion ne cessa jamais.
Des archives et des conversations avec
une quarantaine des collaborateurs communs à l’Elysée, au Quai d’Orsay, aux
Finances et à Matignon m’ont confirmé cette intuition. Tandis que nous nous
rencontrions, malgré mes affectations à l’étranger – exactement comme l’ancien
directeur des Affaires politiques au ministère des Affaires Etrangères [15] fut
le visiteur régulier du Général pendant sa « traversée du désert alors que
lui-même était en Egypte, puis aux Etats-Unis et enfin en Allemagne. Deux
réputations, chacune considérable dans une administration qui n’est tendre ni
pour les siens, ni pour les personnels qui y sont détachés (j’en sais quelque
chose), ni plus encore s’il est possible pour ses ministres, généralement très
peu considérés. L’excellence personnelle. La voix du Général, comme si celui-ci
entre 1946 et 1958 était demeuré « aux affaires ». A mesure que les
années se multiplièrent, que la mémoire de mon grand homme le cédait à mes reconstitutions
sur papier, une autre relation se superposa à la première faite d’admiration et
de regret d’un rôle si grand qui n’avait pas débouché » et devenait peu
connu, si discret. J’avais appris le genre d’hommes et de serviteurs qui
manquèrent à la France quand les années de Gaulle s’éloignèrent, puis à un
degré pas tellement moindre les années Mitterrand, le genre de serviteurs doint
nous sommes aujourd’hui totalement dépourvus. Cette relation autre devint une
affection avouée de la part de l’ancien Premier ministre : la confiance
l’avait appelée. La confiance d’être compris surtout dans le silence. Secret,
très secret pour tous ses collaborateurs, il avait vécu seul, ne se donnant
qu’à une seule passion : la pensée et la réflexion sur les affaires de
notre pays, lesquelles recouvraient complètement ses échanges avec de Gaulle.
Maurice Couve de Murville me donnait donc ce qu’il y a de plus unique, le legs
de sa pensée, et cette pensée avait été partagée avec de Gaulle, et l’objet en
était, au plus simple, la France au possible, au réel. Un possible tellement à
notre portée qu’il ne pouvait que devenir le réel. Il me sembla de plus en plus
nettement, et j’en suis donc habité au point de m’être découvert dans
l’obligation d’écrire ce livre, et de vous entretenir du possible jusqu’à ce
qu’il devienne le réel par notre simple effort à tous.
Ses collaborateurs, lui-même me
donnèrent quelques traits qu’aucune archive ne peut rendre, mais l’essentiel
fut cette relation m’introduisant au calme d’une intelligence du temps
contemporain.
Jacques Fauvet ne m’était pas vraiment
connu, ni moi de lui. Une de mes sœurs était liée à l’une de ses filles,
chacune autour de ses quinze ans. Voulant répandre ce que je comprenais et
avais aimé de la Mauritanie, à propos de laquelle peu se publiait encore, j’eus
l’idée d’un volume de la collection Petite planète que dirigeait Simonne
Lacouture, aux éditions du Seuil, on était en 1967. Je fut reçu par le
rédacateur en chef du « grand quotidien du soir » que j’avais sur
ordre de Jean Maheu [16], mon
maître de conférences rue Saint-Guillaume, commencé de lire et conserver depuis
Septembre 1960. Devant moi, il téléphona à celle que je voulais rencontrer,
soulignant pour elle autant que pour moi qu’il ne faisait, autant dire jamais,
cette démarche-là. Je fus reçu et déçu, car ce que je voulais faire savoir ne
correspondait pas du tout à ce qui était attendu pour cette collection [17].
C’est donc presque un anonyme, qu’en
quelques semaines, le premier quotidien français d’autorité intellectueelle et morale,
fit soudain connaîtrtre. Nous ne nous rencontrâmes que deux mois après une
première publication, suivies d’autres. Elles avaient été précédées de deux
tentatives de ma part : elles n’avaient donné lieu qu’à rien pour la
première (je voulais évoquer la Libye et des ventes d’armes) et qu’à un très
succinct des remarques que m’avaient inspirées un dialogue entre personnalités
d’importance, où aurait pu se dire de Gaulle, d’autant que j’y figurais en
possible intervenant du parterre : j’y appris par le refus persistant que
je pose au moins une question, combien
les animateurs en magazines audiovisuels qui traitent de politique, décident
tout. On était en 1971 [18]. De
Mars 1972 à Avril 1982, Jacques Fauvet devenu directeur du Monde, aux départs concomitants du général de Gaulle et d’Hubert
Beuve-Méry, imposa que je sois publié, souvent en première page et ou en
cavalier. A un journal pas gaulliste au temps du Général et même après qu’il
ait quitté la scène, je fus utile : la critique ou le le point de vue le
plus offensif contre les gestions qui avaiient succédé aux grands desseins,
étaient bien le rappel de ce qu’avait entrepris de Gaulle. Plage Benoît, le
remblai interdit aux voitures, la Baule dans sa splendeur des journées de
entecôte. Je l’avais reconnu le preier. Jacques Fauvet me fit confirmer que
j’étais bien le même que son solliciteur de 1967.
Je ne savais rien des usages. Pas de
télécopieur, encore moins d’internet : le texte par la poste, le téléphone
pour connaître le sort qui lui était aussitôt. Oui ? non ? pour la
publication, et quand ? J’appris la dictée à des opératrices, par
téléphone la nuit. Un quart d’heure, vingt minutes, je craignais de lasser.
J’envoyais alors ma copie à plusieurs organes de presse. Mon papier intéressait, serait incessamment
publié. Je perdis alors – pour toujours, du moins jusqu’à présent – l’entrée
que je souhaitais aussi dans un
hebdomadaire : le Nouvel Observateur.
On s’y aperçut que mon papier, là aussi sous presse et accepté sans que je
susse, venait de paraître ailleurs. On ne peut faire pire. Je l’avais commis.
Malgré le souhait de Jacques Fauvet, et le mien, car l’administration, au stade
où j’en étais, ne me présageait pas grand-chose qui me passionnât par avance et
me fasse tout tenter, avec méthode, pour la recevoir.
Malgré le souhait de Jacques Fauvet, et
le mien, car l’administration, au stade où j’en étais, ne me présageait pas
grand-chose qui me passionnât par avance et me fasse tout tenter, avec méthode,
pour l’atteindre ou l’obtenir, je n’entrai pas au Monde. C’est la seule vocation – vraie – de rechange que j’ai
jamais éprouvée professionnellement. Certains de mes papiers y irritait :
Philippe Boucher [19], pas
sans influence, n’avait pas admis que « Je m’appelle Portal ! » [20] et
était venu me le dire très fort chez la secrétaire de Jacques Fauvet. Un tour
du premier étage : Pierre Viansson-Ponté qui avait reçu le premier papier
qu’ait publié le journal, avait noté pour « J.F. » : on ne sait
s’il écrit très bien ou s’il écrit très mal, Pierre Planchais, André Fontaine
ne m’admirent pas, surtout ce dernier. Et la question de succession au
directeur régnant allait se poser.
De Jacques Fauvet, ce n’est pas
seulement ma signature et sa notoriété que je reçus, ce fut la fraternité d’un
grand aîné, correspondant avec moi en sus de chacune de mes propositions de
papier pour toute l’évolution de ma carrière et surtout la relation que le
pouvoir avait avec moi, agacé ou bienveillant, m’éloignant de Paris pour que je
ne publie plus [21] ou ne m’exauçant que des
quelques audiences présidentielles : Valéry Giscard d’Estaing que je
commentais pendant tout son septennat et François Mitterand dont
j’accompagnais, mais seulement de plume, les débuts à l’Elysée après l’avoir
soutenu à un instant névralgique : son investiture ou pas, par le congrès
du P.S. tenu à Metz face à Michel Rocard. C’était déjà beaucoup. Il se croyait
responsable des défaveurs que je subissais puisqu’en publiant, il me faisait
courir des risques. La réalité était le contraire : sans cette collaboration
à mes trente-quarante ans, je n’eus jamais franchi les quelques étapes de
carrière qui furent les miennes. La jurisprudence du Conseil d’Etat n’aurait
pas admis une sanction nette appelé par cette collaboration. D’ailleurs son
contenu importait moins que la tribune, dont la plupart de mes camarades de
promotion à l’Ecole Nationale d’Administration ne comprenait pas que j’ai pu y
accéder, et contestaient que je fasse – faute d’autre titre – état d’en être sorti.
Ma dette est bien plus importante. Sans
me reprendre ou réécrire mes articles – la rumeur en courut, à son départ,
comme la corvée que devrait s’appliquer son successeur quel qu’il serait [22]
– Jacques Fauvet en m’ayant ouvert les
prestigieuses colonnes et en m’assurant d’un accueil à peu près systématique
mais toujours au mérite de ce que j’écrivais, m’apprit à suivre l’actualité, à
réagir aussitôt (aujourd’hui, on dirait : en ligne) et à tout dire en très
peu de mots. Une façon d’école poétique, où l’entrée en matière est minimum, où
le coup compte pour un mot et le mot peut tuer ou diminuer. Je sus d’ailleurs,
aussitôt, qu’il se pourrait qu’un jour j’ai à répondre, peut-être sur ma
vie-même, de ce que j’écrivais ou écrirai. Une façon aussi de procureur :
ramasser et approfondir l’attaque, le grief, de prendre au mot l’adversaire et
de le mettre en contradiction avec lui-même ou avec da fonction. Haute, celle
de président de la République. Ce qui supposait de la documentation et des
conseils : j’en fus gratifié par deux personnalités, qui avait été en
forte relation avec de Gaulle et à qui plaisaient que je ferraille contre les
adversaires de notre Constitution ou rappelle notamment Georges Pompidou à qui
et à quoi il devait sa nouvelle place. François Goguel, dont les analyses
électorales, remontèrent le « moral du combattant » à partir
d’Octobre 1962 [23], et Jean-Marcel Jeanneney
[24]
autant politique qu’économiste, et combien importants dans les gouvernements de
1959 à 1969.
J’apprenais donc les règles de toute
tribune, j’apprenais à saisir l’instant et à mémoriser les précédents. Et reçu
familièrement, presque comme un fils, par ce très grand journaliste, je vivais
aussi les scandales d’un grand citoyen, d’un moraliste, autant que les
inquiétudes et la veille constante d’un chef d’entreprise face à la
concurrence, aux créanciers, aux donneurs de publicité. Cumuler tant
d’expériences sans être du milieu – quoique j’eus l’honneur d’être quelques
fois dans l’imprimé des organigrammes du Monde
– c’est rare. Ce fut mon état de vie même si, en temps réel et en parcours
professionnel, ce ne l’était pas pour les tiers, mais mon nom y était associé,
des revues m’accueillirent ou me sollicitèrent.
Je n’aurais pas cherché à entrer dans
l’agenda présidentiel de ces années-ci, à jour fixe, pour quelques instants seulement
et je n’essaierai pas de me faire lire de vous et accueillir par d’autres, dont
de « grands électeurs », si j’avais continué d’être réguilièrement
publié par Le Monde, ou à défaut par
un organe de renom. La Croix qui
m’avait publié à sa suite, m’accueillit bien plus longuement et me quitta –
symbole – juste après m’avoir publié sur la tenue à Paris, autour de Jean Paul
II, des Journées mondiales de la jeunesse (J.M.J.) [25].
Lors de ma première audience à l’Elysée,
François Mitterrand avait juste à lire, de moi, gouverner c’est communiquer : le 30 Janvier 1983, et me
dédicaça, fait rare, la photographie – belle – que j’avais prise de lui à
Athènes, à la fin de l’été précédent. Il venait de petit-déjeuner avec Jacques
Delors et pesta contre les démocrates-chrétiens, tandis qu’attendaient, bien
trop, pour l’apparence de mon grade, le Premier ministre et le ministre de
l’Education nationale, Pierre Mauroy et Alain Savary. Je les saluais, confus,
mais pas plus que le 16 Juin 1977, notre première conversation, lui :
toujours dans l’opposition, il me recevait place du Palais-Bourbon… puis
président de la République, dans le bureau de celui dont il fut
« l’adversaire le plus fidèle » [26],
d’acès si tranquille et aisé en tête-à-tête – en public, il n’est que majesté
mais attentive –, mais jamais je ne reçus la proposition que je sollicitais
sans l’exprimer, faire partie du conseil aulique. J’ai pu conclure que même un
pigiste peut entrer partout, mais qu’un fonctionnaire, plus tout à fait
débutant, n’en voit pas pour autant changer sa carrière. Du moins, fus-je lu,
entendu, accueilli, inviter ce qui donne un peu d’expérience. L’étais-je pour
mes convictions ? ou par considération d’une alliance d’autre origine que
la plus courante dans l’entourage de celui qui donna à la gauche ses lettres de
capacité gouvernementale. J’ai reçu de Mitterrand par Jacques Fauvet, au moins
de quoi admirer de près. Ce ne fut plus jamais ensuite.
Avec le recul de quinze ans, Jacques
Fauvet m’apparaît pour ce qu’il fut et que je ne voyais pas. L’ami à très vite
se vouloir tel avec moi, mais ce fut un très grand journaliste parce que ses
écrits’étaili à quiSans doute, quelqu’un à qui je dois et qui m’honora,
m’apprit, mais principalement comme l’un de nos très grands journalistes.
Pourquoi ? parce qu’il sut être un éditorialiste efficace : si la
France changea presque de régime parce qu’elle changeait de majorité en 1981,
la plume du directeur du Monde y fut
tellement pour quelque chose que Claude Fauvet était injuriée dans les
commerces alimentaires de ses habitudes familiales, dans l’ouest de Paris, par la grande peur des bien-pensants [27]. Il
avait débuté à l’Est Républicain,
juste avant la guerre qu’il passa en camp de prisonniers avec l’angoisse des
derniers jours : lui et ses camarades officiers, étaient-ils emmenés, à
pied, vers l’est ou vers l’ouest. Pour Le
Monde, il « couvrit » le procès du Maréchal et se signala par un
papier de peu de précédent : les Français traiteraient-ils avec dignité leurs prisonniers allemands dès
l’été de 1945 ? ce n’était pas sûr. Au jour le jour, la Quatrième
République, en chronique pour la rue des Italiens à Paris, et par téléphone, un
texte assez différent, pour l’Est Républicain. Il resta toujours bien plus
responsable de la politique intérieure au journal qu’homme des hauteurs, celles
cherchées et très souvent atteintes par Sirius [28]. Et
bien des soirs, il terminait ses pensées et ses rencontres de la journée, ses
comptes aussi du « bouillon » en comparaison des ventes du Figaro, avec moi dans sa voiture de
fonction, rentrant chez lui, non loin du Ranelagh de mon enfance.
L’avais-je déjà entendu et vu à la
télévision, alors l’O.R.T.F. unique et d’Etat ? L’Humanité publia dès le lendemain de sa parution un extrait de mon
papier, le premier à paraître dans Le Monde. J’y réduisais le principal
argument de dissuasion à refuser ce referendum, convoqué pour la
saint-Georges : ce serait voter avec les communistes. Je rappelais que
contre Vichy puis contre l’armée européenne proposée entre 1952 et 1954, les
gaullistes avaient fait cause unique avec les communistes. J’appelai le
journal, mais d’une cabine téléphonique pour ne pas faire identifier ma mère et
ne me présentais que comme l’auteur de l’article : du oui au non [29]. René Andrieu [30]
m’invita à déjeuner avec lui.
L’homme m’impressionna autant par son
physique, par son regard que par la sincérité et la logique de son idéologie.
Ce ne fut pas un exposé, ce n’était pas même une faille d’esprit ou une
solidarité de combat avec beaucoup : le Parti communiste depuis vingt-cinq
ans dépassait de beaucoup dans les urnes les coalitions de gauche, entre le
quart et le cinquième de l’électorat français. Notre relation allait être
régulière mais nos rencontres étaient très espacées. La politique et les
évolutions françaises n’y étaient pas évaluées de la manière dont à lire Le Monde ou à étudier à Sciences-Po. ou
à l’E.N.A. j’avais l’habitude. Pas non plus de la façon binaire que la
Cinquième République utilisait jusques-là pour mobiliser sérieusement. Ni
science ni simplisme ni citations. Pas non plus de révérence pour la hiérarchie
communiste dont il faisait partie
Ce n’est pas un homme qui flotte, il ne
flatte pas non plus. Il est d’une telle sincérité, le patriotisme, personne ne
peut lui en remontrer, c’est pour cela et c’est en cela qu’il soutient l’Union
soviétique, qu’il aime son parti, le communisme. Bien plus qu’une idéologie,
bien plus qu’un système dont l’application sera certainement bénéfique, les
comparaisons le montrent, il s’agit pour lui du cœur et de la chair de l’homme,
un espoir fou, saura-t-il écrire.
Après débat, c’est la nature de ce parti, il lui est préféré Jacques Duclos,
emblématique, significatif, quasi-éternel pour hisser les couleurs comme jamais
quand s’ouvre une succession prévisible à de Gaulle. Ce dernier a été, au fond
préféré, même s’il n’était pas allé en Union soviétique et jusqu’à Baïkonour,
au cœur (Kzyl Orda) du pays kazsakh que je parcourrai un jour, presque trente
ans plus tard : comme au Brésil, des centaines de kilomètres de route droite,
mais la traversée, quasiment un océan, des moutons par milliers, quelques
cavaliers émergeant, et le long du goudron les chameaux velus, ou bien des
manades tranquilles tandis qu’au loin puis proche un convoi minéralier fait
défiler bruyamment ses wagons, le ciel, la terre, l’homme, la steppe et ses
plantes sans racine que le vent appelle à transhumer à la manière des
Regueibats suivant les nuages, la pluie et arrivant aux paturages plantureux
mais précaires. C’est de là qu’a été propulsé Youri Gagarine. Sur le site, dans
la maison de celui-ci, une photo de l’homme du 18-Juin, chapeau de paille… pour
admirer le lancement d’un Soyouz. A côté de lui, Maurice Couve de Murville,
sosie d’un des meilleurs acteurs d’Hitchcok, un implacable dilettante. Préféré
de Gaulle même s’il n’avait pas sorti la France de l’Organisation intégrée de
l’Atlantique nord : le ministre des Armées [31], que
les Etats-Unis avaient tenté de corrompre quand il vint les voir et exposer,
défendre en stratégie notre toute jeune « force de frappe », Pierre
Messmer était d’avis de nous donner des délais et donc aux autres. Le Général
avait refusé, tout de suite et dans le détail, ce qui fut aussi sa manière pour
le referendum du printemps de 1969. On était donc en 1966, le printemps déjà, une
réélection difficile, la première du genre universel direct. Catholiques et
agriculteurs ne s’étaient pas reconnus dans celui qui les légitimait tellement,
des contrats d’aide financière pour les établissements d’enseignement chrétien,
un système de retraite auquel en même temps que les artisans et isolés, les
prêtres et religieux pouvaient cotiser, et le marché commun agricole pour le
financement duquel la France bloquait toute avancée en désarmement douanier
entre Etats-membres et en votation à la simple majorité qualifiée au sein des
instances bruxelloises. L’électorat ouvrier n’avait pas fait bloc contre de
Gaulle et en Mai 1968, il fut dit – Jacques Duclos à Jacques Vendroux,
beau-frère du Général – tenez bon ! Pas de gauchisme certes, mais dans
l’ordre international, l’Union soviétique, les peuples, le Parti communiste
français pouvaient-ils demander mieux ? et à la guerre américaine du
Vietnam, décisive autant pour l’Union soviétique, qui s’opposait le plus
spectaculairement, sur place ou presque [32]?
Quasiment sur son lit de mort, puisque
notre dernière conversation, cette fois chez lui, eut lieu très peu avant
l’incinération au Père-Lachaise, j’y assistais en compagnie de ma chère femme
derrière le rang de Robert Hue – René Andrieu confessa que les communistes
auraient dû soutenir de Gaulle, tout le temps. Nous évoquâmes d’écrire ensemble
cela. Auparavant, alors que je partais pour Lisbonne, en début de carrière, et
écrivais que dans un pays où les
comlmunistes seraient au pouvoir, leurs permanences ne seraient pas mises à sac
[33], mon
ami aux yeux clairs et au front stendhalien, la même logique en amour qu’en
politique, mais les causes forcément successives, m’entretint de son inquiétude
désormais. On était encore en 1975 et l’Afghanistan n’était pas un sujet. Il
craignait que s’établisse à Moscou… la dictature. Ce serait celle de l’armée et
ce serait la fin d’une si grande espérance. La sienne et celle de tant par le
monde. Je la partageais quoique nos voies étaient différentes, mais je pus,
douze ans plus, tard écrire à Mikhaïl Gorbatchev, cette espérance, cette même
espérance que son intelligence et une autorité que je ne savais pas contestée
rétablissaient, en rénovant l’Union soviétique. Le numéro un, septième
secrétaire général du P.C.U.S., me fit connaître qu’il m’avait lu [34].
La voix est belle mais c’est le souvenir
qui me l’assure. Ma chère femme me le dit aussi : elle, à ses six ans, sa
mère avaient ensemble été séduites vraiment par l’ancien collaborateur et
ministre des Affaires Etrangères de Georges Pompidou, banal et presque mou, à
côté de cet homme, pas grand de taille [35],
d’une présence muette, intense. Le visage n’est pas mobile, il regarde, me
regarde, le front dénudé, la bouche qui peut être sensuelle, je ne les vois
pas. Il me reçoit, le bureau censément de Vergennes, une année vient de finir,
dès sa nomination lui faisant quitter l’Elysée où il était le secrétaire
général après avoir dirigé le cabinet du Premier ministre à Matignon et presque
tout tenu, avec Maurice Grimaud, le préfet de police, pendant les
« événements de Mai », il avait su que ce ne serait pas long. Il
avait lutté contre la montre, pas pour la montre. Le Premier ministre d’alors,
Pierre Messmer dont il avait soufflé le nom au successeur de de Gaulle pour remplacer
Jacques Chaban-Delmas, agaçant à force de plaire à l’opinion publique et à
l’Assemblée nationale, venait de saluer le très difficile redressement
isarëlien après l’attaque-surprise d’Anouar-Al sadate, vengeant Nasser. Georges
Pompidou, tenant au dialogue euro-arabe qu’il avait inauguré en même temps
qu’il acceptait l’entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté des Six [36]
désormais vouée à l’extension continue, avait demandé au ministre, jusques là
inconnu, de remettre les choses d’aplomb, au moins pour les opinions là-bas et
pour un peu de réflexion chez nous. Coincé par les journalistes venus en grand
nombre, sans que se distingue un décor gouvernemental, Michel Jobert demanda –
au monde entier – le soir-même : est-ce
être agressif, que de vouloir rentrer chez soi ? Volant vers Stockholm
où allait s’ouvrir la première conférence des temps nouveaux – ceux de la
détente souhaitée, préparée, pressentie par de Gaulle et Couve de Murville – la
Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, la C.S.C.E. [37], le
ministre prend connaissance de ce que lui ont préparé ces services et qu’il
doit lire. Il froisse, qu’y comprendrait sa concierge ? rien, or il s’agit
d’elle, de tous les Européens, au silence à l’est, au verbiage à l’ouest et
tous sous surveillance de soi-disant plus grands, sinon légitimes :
l’Union Soviétique, les Etats-Unis d’Amérique. Michel Jobert parlera, sans
notes. Il me fait maintenant lire ce qu’il a lui-même écrit : Georges
Pompidou est mort depuis six jours et demain, il y a l’Assemblée générale des
Nations Unies, il veut évoquer cet homme qui savait où il allait. Lui-même en atteste. Quand il fut nommé, pour
l’ensemble des commentateurs, ce ne pouvait être que « la voix de son
maître ». Pourquoi ai-je cru aussitôt le contraire ? pourquoi ai-je
prévu qu’introduit comme cela au pouvoir, le collaborateur fidèle et intime
n’allait servir qu’en étant différent d’un explicite jusques là pas très
convaincant ni contagieux. Et le choix de la différence amènerait, quatre ans
après le départ de celui-là, à de Gaulle. Je l’écrivis donc au nouveau
ministre, Michel Jobert me répondit de sa main et me confia, pour information,
à Raoul Delaye, son camarade de promotion et son ami d’intelligence. Pendant un
an, j’étais régulièrement ou à ma demande instruit de que le ministre pensait,
ou refusait ou allait essayer. De la tribune que m’accordait autant que jamais Le Monde, je soutins à fond le nouvel
homme de la parole française.
Maurice Couve de Murville, parce qu’il
n’aimait pas Georges Pompidou, n’avait guère d’inclination pour Michel Jobert,
mais celui-ci en avait pour le grand exemple. Je ne pus les faire se
rencontrer. Jacques Fauvet déjeuna avec Michel Jobert, à mon instigation et
cela ne réussit pas. Les registres entre chacun de mes conducteurs d’évaluation
et d’écriture, n’étaient compatibles, ne se recouvraient que dans ma pensée.
Ecrivant certainement et dans pas longtemps, sur chacun d’eux, j’essaierai de
montrer cette combinaison certaine de la foi, la même, et des talents, très
différents pour notre cause de France et d’Europe.
Je m’entretenais ainsi avec Michel
Jobert, pour la première fois [38].
Nous connûmes notre chagrin. On crut, à sa sortie en avance d’un conseil des ministres, présidé comme en
1969 par Alain Poher, président du Sénat, et donc président de la République
par intérim, qu’il allait se présenter à l’élection : il était devenu
notoire, populaire, le resta. Au lendemain de son élection présidentielle,
François Mitterrand le reçut, premier de tous ses soutiens et de ses entourages.
Rue de Bièvre, il arrivait à pied seul, les photographes en chalut autour de
lui. Il a écrit aussi bien ces débuts et une inconséquence fréquente, la
désinvolture parfois du nouveau roi. Il rédigeait si simplement que le miracle
se soutenait à longueur de ses livres, interrogeant les immortels du quai de
Conti, je fus confirmé qu’il serait reçu à l’Académie française à laquelle il
songeait d’autant moins qu’il eût voulu la présidence de la S.N.C.F, sous
Valéry Giscard d’Estaing, ou ensuite l’académie Goncourt.
L’enfant de Volubilis et de Meknès, ne
découvrant la France qu’à ses vingt ans, faisant pour elle la guerre d’Italie
et scandalisé rétrospectivement que les mémoires de Charles de Gaulle fasse si
peu cas des combattants de 1943-1945, resta en toutes occasions et
conversations l’homme des Arabes et du respect. Le Mouvement des
démocrates qu’il fonda, sans succès électoral, fut pendant une croisade pour la
vie, pour que chacun soit l’évidence qui
dérange. En tête-à-tête, ou par des lettres à l’énergie et à la
perspicacité entrainante, il me mit jusqu’à sa mort – mort de lassitude – en
face de moi-même et de ce que, le pouvant, je devais faire. Une exhortation au
caractère et à la rigueur. Dédicaçant ses livres [39]
comme personne, parce qu’il étudiait sans impudeur mais avec profondeur,
certitude, celle ou celui lui présentant ouvert son nouveau livre, il en disait
autant. Nous recevions, chacun, en pleine vie, le texte de notre propre
épitaphe vers laquelle tendre. Tout le temps.
L’admirant ainsi, l’aimant, je
m’aperçois que cette vie qu’il me souhaitait, a été jusqu’à présent, une simple
introduction. Je n’ai toujours fait qu’écrire et aimer. Faut-il davantage,
davantage qui dépende de moi ? Oui, mais cela dépend encore plus de
vous : pour commencer et continuer. On ne décide jamais seul, car on pense
aux autres. Je pense à vous. Parler aux
Français, Michel Jobert me l’apprit en me confiant souvent la harangue de
conclusion à nos rassemblements du Mouvement des démocrates. Aujourd’hui sous
la cendre, mais il me semble qu’en campagne, elle peut rougeoyer, chaude. Cette
tentative comme toutes celles, avant ou depuis, médiatisée ou instinctive,
nationale ou de village. Faute de dirigeants, faire nous-même. Et si de bons
dirigeants réclament notre soutien, encore plus faire nous-mêmes : ils
seront émancipés des mauvais génies et des apathies mentales qui depuis vingt
ans nous enveloppent dans leur linceul. La France, depuis, fait semblant et
nous ne pouvons plus la reconnaître si la participation, la démocratie, la
considération sont si peu le cours politique. L’applaudissement ne fait pas
même frémir l’air qui nous maintien en vie. Qui ne le sait ? même le
bateleur.
[1] - dimanche 22 janvier 2017
[2] - les
primaires dites de la droite et du centre ont aligné en débat télévisé les - un premier tour de scrutin, fréquenté par a
décidé le duel François Fillon / Alain Juppé. Le premier l’a largement emporté,
mais le le 25 Janvier 2017, une partie de la presse emmenée par le Canard
Enchaîné, le met en difficulté à propos de quelques 600.000 euros perçus par
son épouse Pénélope, comme son attaché parlementaire, et – quand il est à
Matignon – comme critique littéraire à la Revue
des deux mondes
[3] -
1912 + 2007 – prêtre, résistant, député à l’Assemblée nationale française de
1945 à 1951, il fonde Emmaüs en 1949 pour les sans-logis et les miséreux et
lance le 1er Février 1954 un appel, par radio, à la génorisité
publique tant cet hiver-là est froid. Le « succès » est immense, et
de cette date à sa mort « l’abbé » est l’apôtre de toutes les causes
difficiles, dont celle des sans-papiers de plus en plus emblématiques au point
qu’il accuse dans les médias en Avril 1996 le Premier ministre, Alain Juppé, de
lui avoir menti à propos de l’occupation d’une église, évacuée ensuite de
force. Rger Garaudy, collègue au Palais-Bourbon, fait alors paraître un essai
négationniste. Par amitié mais sans avoir lu le texte, l’Abbé Pierre le
soutient et s’isole ainsi complètement jusqu’à une réconciliation avec les
siens et surtout les médias, au bout de quelques mois très difficiles – c’est
pendant ces mois de Mai à Juillet, particulièrement que ma femme et moi nous
nous relatyons, seuls auprès de lui
[4] -
[5] - à
une date imprécise, au plus tard 1919 et au plus tard 1924, né à Boutilimit
dans le sud-ouest semi-désertique de la Mauritanie, il en est le premier chef
de gouveernement en Mai 1957, puis le premier président de la République en
Août 1961
[6] - l’état-civil et ses
registres sont apparus et ne se sont généralisés avec la rigueur des nôtres que
dans les années 1950, en Afrique subsaharienne française, et encore pas
partout : exemple, cette Mauritanie qui m’est si chère et proche
[7] -
[8] - le Calame, paraissant à Nouakchott, diffusé à quelques 4.000
exemplaires,en sus d’une forte fréquentation de son site - http://lecalame.info/?q=node/3707
[9] - une
photo. peu publiée le représente dans ses premiers mois à l’Elysée, debout, les
fesses posées sur la table de travail du Général – il trouve, mais le
photogaphe aussi ?, la pose : naturelle – anien élève de l’Recole
normal et agrégé des lettres, d’extraction très modeste, la famille d’un
instituteur dans le Cantal, il est « l’agrégé sachant écrire » que
souhaite s’attacher de Gaulle à la Libération. René Brouillet fait les
présentations et Georges Pompidou (1911 + 1974) reste proche de l’homme du
18-Juin pendant toute la « traversée du désert », titre valant ceux
de la Résistance à laquelle il n’appartint pas. Il émarge en même temps à la
Banque Rothschild jusqu’en 1958, il dirige le cabinet du Général à Matignon
avant que se mette en place la Cinquième République, dont il sera le Premier
Ministre de 1962 à 1968, essyant notamment les fuex de Mai-68. A la suite desquels il
officialisera sa candidature à la succession du général de Gaulle, ce qui ne
fut pas sans conséquences pendant la campagne référendaire d’alors, qui fut
perdue : de Gaulle, démocrate s’il en est, n’étant plus assuré de la
confiance des Français, démissionna. Son ancien Premier ministre dura moins comme
président de la République. Juste cinq ans, et proposa d’ailleurs la réduction
à cette durée du mandat présidentiel et mourut d’une maladie rare : celle de Waldenström
[10] -
polytechnicien, membre du cabinet de Léon Blum, pendant le Front populaire,
puis chargé en second des services secrets de la France libre, il fonde avec
René Capitant, l’Union démocratique du
Travail U.D.T.caution de gauche
du général de Gaulle, illustrée par l’hebdomadaire officieux : Notre
République. Rapporteur générak du Budget à l’Assemblée natonale, il propose d’y
insérer la participation des salariés à l’accroissement des valeurs d’actif de
leur entreprise – ce qui l’oppose notamment à Georges Pompidou alors Premier
ministre. Celui-ci parvenu à l’Elysée, Louis Vallon (1901 + 1981) publie contre
lui un pamphlet retentissant, l’anti-de Gaulle, ouvrant le
procès en fidélité du nouveau président de la République – ce que publie
ensuite Le Monde, sous ma signature,
est dans cette ligne
[11] - le 12 Janvier 1970
[12] - le
ministre des Affaires Etrangères, refusant spontanément et sans s’en être
entretenu avec de Gaulle, la « grande zone de libre-échange » que
suggère en Décembre 1958 la Grande-Bretagne, alors même que le traité de Rome
instituant un Marché commun réservé entre les Six fondateurs, dont elle n’est
pas, attend encore son entrée en vigueur – il semble que le Général ne l’apprit
que de la bouche de Ludwig Erhard, ministre fédéral allemand de l’Economie,
venant lui demander au contraire l’approbation de la France…
[13] - en
conférence de presse, en Janvier 1963, le président de la République met son
« véto » à l’entrée de la Grande Bretagne dans ce Marché commun –
Maurice Couve de Murville l’apprend en séance à Bruxelles par son holomogue
belge
[14] - avant de dire Rivoli –
à quoi succéda l’appellation : Bercy, quand furent effectifs le
déménagement, la délocalisation de l’imposant ministère voulus par Pierre
Bérégovoy et qu’essaya d’empêcher Edouard Balladur, pour la seule gloire des
bureaux impériaux et royaux de notre XIXème siècle – on disait : le palais
du Louvre…
[15] -
après avoir été le premier commissaire aux Finances de la France combattante, à
Alger, Maurice Couve de Lurville cède la place à Pierre Mendès France (Novembre
1943) et devient notre représentant à Naples puis à Rome dans l’autorité
quadripartite (France, Etats-Unis, Grande-Bretagne, Union soviétique) qui régit
l’Italie après son armistice. A la Libération, de Gaulle le nomme directeur des
Affaires politiques, au Quai d’Orsay, pour y doubler le ministre en titre
Georges Bidault, qui finit par l’évincer en 1950 en l’acréditant au Caire.
Rappelé en France pour résoudre la question de l’appartenance de l’Allemagne à
l’Alliance atlantqiue, il est ensuite ambassadeur aux Etats-Unis, auxquels il
s’oppose à propos de ce qui va devenir la crise de Suez, et va à Bonn où le
trouve la formation du gouvernement conclusif de la Quatrième République, celui
du général de Gaulle le consultant avant tout autre
[16] - né
en 1931, fils de rené Maheu, directeur général de l’UNESCO, il est magistrat à
la Cour des comptes et maître de conférences à Sciences-Po. de 1959 à 1970,
quand je suis l’un de ses élèves (1960-1961) et quelques mois son assistant. Il
sera ensuite au secrétariat général de l’Eysée de 1962 à 1967, puis directeur de la Jeunesse au ministère
compétent et enfin directeur de l’Orchestre national de Paris
[17] -
Jean Lacouture, son époux sur le niveau de gratifications et rémunérations que
veillait Simonne avec exigence, me fit connaître la même déception :
l’essai que m’inspira la démission forcée de de Gaulle, et qui m’avait fait
rencontrer Louis Vallon, enthousiaste à ma lecture, fut refusé, toujours au
Seuil parce que quelques-unes de mes lignes à propos de l’Indochine déplurent.
Or, Louis Vallon qui me recommandait, venait d’apporter rue Jacob une vente de
quatre-cent-mille exemplaires
[18] - Une question rentrée – Le
Monde du 26 Mai 1971 : j’ai constaté
que la liberté d’opinion n’existe pas quand le moyen de l’exprimer est hors de
portée
[19] - il est alors
éditorialiste, rattaché au directeur-même. Né en 1931, il sera nommé au Conseil
d’Etat, en 1991, sur demande exprès de François Mitterrand à qui il a plu
[20] -
une veuve et sa fille se font mettre en prison après que la gendarmerie voulant
faire exécuter une décision de justice ait pris d’assaut leur manoir de la
Fumade et tué le fils et frère – Le Monde
du 19 Février 1975 : je
m’appelle Portal, qui avec un papier de Jean Dutourd dans le Figaro, et des interventions dans
chacune des deux chambres, contribue à faire libérer les deux femmes
[21] - mais
le soir de mon atterrissage à Lisbonne (ma première affectation diplomatique),
le 4 Septembre 1975, je réplique à l’allocution mensuelle du président de la
République : l’économie abstraite . Le Monde du 6 Septembre 1975 – dicté au téléphone
[22] - ce qui s’avéra sans
objet puisque mon dernier article publié le fut trois mois avant que Jacques
Fauvet ne quitte le journal – Le Monde
du 6 Avril 1882 . réinventer le gouvernement
[23] -
carte de Jacques Narbonne, chargé de mission à l’Elysée pour les questions
d’Education nationale de 1958 à 1967,
adressée à François Goguel – celui-ci (1909 + 1999) entré en 1931 aux services
législatifs du Sénat en est le secrétaire généraldu Sénat de 1954 à 1971,
professeur à Scxiences-Po. de 1948 à 1974, il analyse les scrutins nationaux
dont il fonde la sociologie à la suite d’André Siegfried. Georges Pompidou le
nomme au Conseil constitutionnel en 1971
[24] -
1910 + 2010 – fils de Jules Jeanneney, sous-secrétaire d’Etat à la présidece du
Conseil dans le gouvernement de Georges Clemenceau (1917-1920), président du
Sénat (1932-1940), ministre d’Etat à la Libération - lui-même agrégé des
sciences économiques avant la guerre, dirige le cabinet de son père à Matignon,
enseigne ensuite à Grenoble puis à Paris. Il est ministre de l’Industrie de
1959 à 19862, puis ministre des Affaires soxciales de 1966 à 1968 et enfin
ministre d’Etat, chargé de la rédaction du texte soumis au référendum de 1969.
Il fonde en 1981 l’Observatoire français des conjonctures économiques O.F.C.E.
et le préside jusqu’en 1990, après avoir secondé François Mitterrand pour les
premiers sommets économiques auxquels participe ce dernier
[25] - 11 Septembre
1997 : JMJ, des jeunes en attente de confiance. La solution-miracle…
[26] - le mot, juste, est de
[27] - Georges Bernanos
[28] - pseudonyme devenu
transparent, d’Hubert Beuve-Méry, le fondateur en 1944, recevant du général de
Gaulle, Le Monde en mission : il
fallait un « grand » journal, ce le fut à l’adresse et avec la
typographie du Temps
[29] - Le Monde du 30 Mars 1972
[30] - 1920 + 1998 : du
sang sur les mains à la tête des FTP dans le Lot, des articles plus qu’engagés
au moment de l’insurrection hongroise, à compléter
[33] - La fin d’un alibi
– Le Monde du Août 1975
[34] - livre Gratchev
[35] - de Gaulle à Kissinger,
suivant Richard Nixon dans le bureau présidentiel, au dernier printemps d’un
pouvoir qui fut révolutionnaire : quelle
énergie dans ce petit corps !
[36] - elle fut secrètement
négociée par Michel Jobert, cf.
[37] -
[38] - le 8 Avril 1974
[39] - bibliographie