VIII
AD
EAS
Tu es donc en blanc, en chandail
blanc, que je ne suis pas sûr de connaître, en jupe blanche que je ne crois pas
connaître non plus, et cependant je t'imagine, te visualise. Irréels l'un pour
l'autre, puisque c'est maintenant notre plus longue séparation, depuis que nous
nous sommes rencontrés ? Oui, sans doute, mais tu m'habites tellement. Tu es
mon seul projet, ma seule ligne fixe, ma seule décision qui vaille et tienne,
alors que tout s'est écroulé autour de moi, et même si cela se reconstruit, à
l'identique ou autrement, tu auras été le point fixe, le môle. Toi donc, mon
véritable amour, mon amour de vie. [i]
L'amour d'un homme et d'une femme,
de l'homme et de la femme ; dans la Bible que je t'ai offerte, je pense par un
paquet qui avait dû transiter via B, retrouve ce qu'on appelle Le
cantique des cantiques. Ces disparitions-réapparitions des amants l'un
à l'autre, la percée, la brillance du désir, et aussi les temps de calme, les
attentes, les courses, les pertes l'un de l'autre. - Cette année qui va
commencer, pour toi dans une heure, donc pour nous... sera celle de notre
réunion, ou jamais ? Je fais, j'aurais fait tout ce que je puis, je me bats
pour le matériel, mais il va falloir en toi, autour de toi, te battre pour
l'amour et le spirituel, et sans doute quoiqu'il me soit réarrivé de bien ou de
moins bien, matériellement, financièrement, professionnellement parlant, il te
faudra décider si tu viens à moi hors de toute prudence, confiante dans la
Perovidence, que ton amour pour moi, peux bouleverser les choses même et
surtout matériellement, ou bien si tu acceptes ce singulier verdict, et peu à
peu je ne suis plus l'avenir, je suis l'éventuel passé. Décision que je ne
pourrai prendre à ta place, exécuter à ta place. D'une certaine manière, je
souhaite ne pas te l'épargner, afin que cette épreuve, par rapport à nos
facilités de départ, fortifie ta certitude, ton choix, ta détermination. Mais
en même temps, je veux et je fais tout pour ton confort, ta sécurité, la
douceur chaude de nos retrouvailles.
Je ne veux pas non plus
t'ennuyer avec ces fantasmes d'enfant(s !), de foyer, de famille. Cela viendra
naturellement entre nous, et bien sûr, tu as soif d'abord de ton intimité avec
moi, de la force de ta décision et de ton amour en toi-même. Mais j'y pense, ce
sera la grande grâce de notre rencontre, de nos retouvailles. T'aimer
physiquement, aimer physiquement une femme, pour la première fois de mon
existence, sans précaution, sans crainte de l'enfant qui arriverait impromptu,
t'aimer, aimer cette fois, enfin, totalement nu, totalement en liberté. Voilà
ce que signifie aussi ta venue dans ma vie, si tu l'acceptes toujours. [ii]
Oui, le téléphone raccroché ce
matin, roulant vers Kergonan dans des brouillards qui rendaient tous les
chelmins creux, qui faisaient se découper sans horizon, sans arrière-plan les
chênes des talus, comme sur un ciel de lait, tu me manquais, tu me manques à
chaque fois que je découvre quelque chose, que je jouis de quelque chose, de
quelqu'un, d'un livre, d'une idée, d'un spectacle. Partager avec toi, vibrer
avec toi, te connaître, te reconnaître ; je te connais encore si peu, nous
avons encore si peu partagé nos émotions ; cela, la vie quotidienne va nous le
donner, comme j'ai hâte de m'y plonger, de me plonger en toi, d'avoir ta main
dans la mienne quand j'avance, quand tu avances. J'ai alors pensé dans cette
église de Carnac que tu connais, voyant des enfants parfois assez nombreux
entre des parents, des adultes, j'ai pensé à toi, à moi, à nous, je me suis
demandé : cela viendra-t-il ? ou cela me sera-t-il refusé ? Dans ce début
d'année, que de voeux, de souhaits, de chaleur en moi, et cependant je ne vois
pas plus loin que le bout de mes souliers. Heureusement, tu es dans mon coeur,
et je t'y vois, je t'y reconnais, tu ne l'as pas quitté depuis ces quinze mois
de notre rencontre. Ces fougères rouges que le froid a fânées et craquées, ce
sont elles qui font comme du sang séché, magnifique, vif, sur les routes du
brouillard aujourd'hui. Rien de macabre, le reste d'un printemps précédent, la
promesse du printemps de bientôt, une couleur qui t'irait bien, un rouge sombre
qui tire vers le marron, qui sa douceur, un rouge féminin et chaleureux comme
le sang intime de notre rencontre. Gage de notre nouvelle année. M'y aimeras-tu
? renouvelleras-tu tes voeux pour nous ? pour moi, me choisiras-tu en fait
comme ton compagnon ? Quand tu disais ce matin, l'amour est... et je n'ai pas
bien entendu, je t'ai suggéré d'autres mots : choix, tu as acquiescé, mais ce
n'avait pas été ton mot. Choc ? J'ai "décidé" que ce serait joie,
que c'est peut-être ce que tu vais dit, en tout cas c'est cela que nous avons à
vivre.
Il y avait aussi, tandis que
je me suis promené avec Dom R une petite heure après le repas la rumeur énorme
qu'il m'a fait reconnaître, et à laquelle je n'ai pas d'abord cru : celle de la
mer, de l'océan, tout entier, plus vivant que la vie, à entendre proche et
plein, lointain apparemment, quelques kilomètres à vol d'oiseau, mais si fort.
Je suis allé après l'office de Vêpres jusqu'à l'endroit de nos plages de cet
été. Le sable était gris, luisant, mouillé, des nuages sculptaient le ciel, la
rumeur n'était pas plus forte, les vagues venaient très lentement, comme une
nappe, avec une bordure d'écume, jusqu'à nos pieds. Tu étais là, comme cet été,
tu aurais aimé cette rumeur, et surtout cet éveil, cet apaisement en même temps
d'être dans tant d'air, de puissance et de vie. Que cette nouvelle année soit
cette rumeur soulevante et formidable de la vie, du grand commencement en nous.
Alors tu seras mon océan, et je serai ta vague formidable. Comme je voudrais
être de corps et de chair jeune et fort, beau et lisse, comme je voudrais être
à l'image de tous tes rêves et à la puissance de tous tes souhaits et envies,
et besoins. La grâce de ces épreuves, probablement, est que tu me vois tel que
je suis, roulé et meurtri par le système comme l'eau roulerait un corps qui n'a
pas su passer la vague, ou trouver la passe, et puis j'en triompherais. Et
aussi que me connaissant ainsi, je ne sois pas pour toi l'image du père ou
d'une force extérieure, que je sois ton partenaire, ton égal, ton homme nu et
simple, humain, faillible, dont la seule et vraie capacité est l'amour que j'ai
por toi, que tu m'as donné d'avoir pour toi. Qu'alors tu me rechisisses comme
cet égal, cette moitié, ce compagnon, malgré les faiblesses, les malchances et
les faux pas qui m'ont caractérisé peut-être trop cette année qui heureusement
finit et va laisser place à la lumière forte et joyeuse, jeune, d'une autre
année. - Je pars maintenant t'embrasser au téléphone. Oui ! sois mon océan,
prends-moi, enveloppes-moi, sois aussi grande que ton destin. Sois aussi la
tendresse et la douceur, la chair blanche et donnée, le regard qui sait pleurer
par l'émotion de notre échange. Sois tout toi ! [iii]
Permets-moi de t'écrire une
lettre qui ne sera, qui n'est que d'amour, car les nouvelles sont vite dites.
Mais l'essentiel, à mourir de
désespérance et d'attente, d'envie, de désir, c'est toi, toi, et toi. Je t'aime
comme je n'ai jamais aimé, tu incarnes toute ma vie, toute la beauté de la vie,
la beauté de toute femme, la beauté de toute âme, tu incarnes tout le soleil de
l'existence, tu es irremplaçable, tu es mon choix, je t'ai choisie, il m'a
semblé que tu m'avais choisi, que la Providence, que le regard de Dieu
s'étaient posés sur moi pour me donner le bonheur et que le bonheur c'est toi,
uniquement toi, toi par toi-même, telle que tu es, que tu vas continuer de
devenir. Alors, vraiment, je t'en supplie, il faut que tu saches en toi-même si
tu es capable de renverser les montagnes, et tes propres raisons, et tes
proprres peurs, pour m'aimer, m'aimer à la folie, vouloir notre union, vouloir
nos âmes unies pour l'éternité, vouloir nos corps s'aimant, se désirant, se
partageant, luttant dans le plaisir, les larmes et la tendresse. Pour nous
vouloir. Je ne t'imposerai jamais rien, que nous soyons ensemble par notre
mariage ou que tu n'y consentes finalement plus, mais j'aurai des
responsabilités, j'en ai : qui sont de te donner le bonheur, la sécurité, si tu
te confies décisivement à moi. Et c'est pourquoi dès le début de notre
rencontre, qui fut pour moi le début de notre amour, je t'ai parlé en toute
franchise, en toute transparence de toute ma vie, de tous mes problèmes, de
tout, vraiment, parce que j'ai pensé aussitôt que notre amour, notre choix
mutuel, mon choix de toi étaient exceptionnels, uniques dans ma vie, et que
cela se marquait par quelque chose, par une tournure de mon âme et de mes
pensées, tout autant uniques : la franchise totale, l'ouverture de toutes mes
conditions de vie et de pensée. C'est pourquoi je t'entretiens à mesure de mes
difficultés, espérances et désespérances professionnelles. J'espère le miracle,
parce que c'est nécessaire à notre commencement. J'ai été le premier à te le
dire, et à te l'expliquer.
Mais mon véritable, unique et
si chéri amour, j'ai besoin de ta déterminatioon propre, de ton choix renouvelé,
de ton envie, et de ton désir. Si je ne t'habite pas, si tu ne péris pas de
nous attendre, nous ne pourrons obtenir ce miracle de notre réunion, de mon
redressement professionnel. Je ne t'appelle pas à une vie ordinaire. Au-delà
des conditions strictement professionnelels et financières, il y a toute une
vie palpitante, passionnante, nous épanouissant chacun et ensemble. Il y a
toute cette compréhension et tout cet accompagnement dont je dois être capable
pour toi, et il y a toute cette tendresse, tout ce partage dont j'ai besoin que
tu me les prodigues et me les donnes. Ta jeunesse est un atout décisif pour
notre union, parce que tout se commence en toi, et dans ton regard, ton
expérience de la vie, sur la vie. Que tout cela se produise en même temps que
la naissance et la maturation de notre amour, de ton amour pour moi, pour nos
enfants, pour notre couple, de ta prise en charge communément avec moi, de nos
intérêts communs spirituels et matériels, et toutes ces forces de commencement
qui sont celles de ta jeunesse travailleront à notre union, pour notre union.
Au contraire, chaque mois accentue notre séparation et gaspille toutes ces
forces, rend les choses peut-être plus difficiles ensuite pour nous.
Mon amour de folie totale et
de profonde raison..., je ne te demande pas une vie impossible dans l'instant,
une attente passionnée mais contrariée, une patience sans date
d'accomplissement de nos souhaits. Je te demande l'orientation profonde de ton
corps, de ton coeur, de ton âme, de tes désirs vers notre réunion. Car tout ce
que je t'écris n'a aucun sens, que de te dire mon envie de toi, mon envie de
notre union, de notre vie ensemble, que chaque jour rend plus abstraite,
lointaine, mais qui aussitôt commencée effacera tous ces jours et toutes ces
nuits l'un sans l'autre - oui, n'a aucun sens que le simple bon sens. Nous
aimant, nous devons être ensemble et nous réunir. Je comprends que tu
aies repris mentalement une vie quotidienne, et que maintenant tu cherches à
employer ce mois de vacances au mieux, et j'essaie de t'y aider. Mais la
perspective ne doit pas être de s'installer dans une vie ordinaire séparés l'un
de l'autre. Pour moi, c'est désormais impossible. Si je devais savoir au fond
de moi, que tu me quittes, que tu m'as quitté, que je ne suis plus qu'un grand
ami, qu'une sorte d'oncle affectueux comme tu me l'aurais dit à la plage du
premier dimanche de ton retour en Août, si je ne devais plus être ton homme,
l'homme attendu, espéré, alors je sais que je mourrai car il n'y aurait plus aucun
intérêt, plus de soleil dans ma vie. Tu fus mon attente pendant des décennies,
je suis au but. Ce n'est pas du chantage, évidemment, car l'amour n'est l'amour
que dans la liberté. C'est même l'essence de la liberté, de ta liberté,
et je ne puis m'y susbtituer. Je ne puis que me battre persévéramment pour
t'aider, si tu le souhaites et en éprouves le besoin, à discerner en toi-même
si tu m'aimes d'amour, ou d'amitié, si tu m'aimes d'envie et d'impatience, ou
de douce nostalgie d'une éventualité qui aura cédé le pas à d'autres qui vont
venir, ou viendront. Discernes-le, sois prête. Ecris-moi le plus
souvent que tu le peux physiquement, même si mentalement tu crois n'avoir rien
à partager avec moi, à me dire sur toi, sur nous, sur ce que tu vis. Ce sera un
moment précis, où tu percevras en toi ce qu'il y a d'ouvert à moi, et ce que tu
ne partages toujours pas, pour des raisons diverses et sans doute même très
légitimes. Tu liras en toi en m'écrivant. Oui, j'attends ton sursaut d'amour,
et je voudrais tant qu'il ait précédé, presque provoqué sur la terre
et dans les cieux les circonstances objectives de ton retour, de notre
réunion. Qu'en fait, tu aies voulu autant que moi, plus encore que moi, notre
amour...[iv]
Et puis toi, toujours et
surtout. Je ne change pas de cap. C'est toujours toi, telle que tu es à
présent, apparemment peu encline à tout risquer pour me rejoindre, sage et
raisonnable quant à ta passion pour moi, sans m'écrire ni vraiment me redire
des mots d'amour. J'en ai d'abord souffert, et puis j'en ai pris mon parti - je
te dis les choses comme je les sens, comme je les vis et les gère en moi, tant
je t'aime, tant je suis spur de mon penchant pour toi, tant je suis sûr de
pouvoir te rendre heureuse, tant je suis certain de notre commun aboutissement.
Bien sûr, j'aimerai ton impatience à nous revoir, j'aimerai ton désir sensuel
violent, ta hâte à tomber dans mes bras, et à me prendre dans les tiens, bien
sûr j'aimerais que tu prennes tous les risques et que tu ne te réhabitues pas à
une vie quotidienne, qui non seulement est sans moi, puisque je ne suis plus au
Kazakhstan, mais qui n'est pas, me semble-t-il en t'entendant au téléphone,
axée dans la perspective de notre retrouvaille et de nos baisers, et de notre
mariage d'amour. Bien sûr... mais tu es telle que tu es. Je persiste à croire
que tu es exceptionnelle, mais je comprends qu'actuellement tu ne peux vivre
que comme tu vis et comme tu le manifestes. Pour toi-même, en vivant dans le
présent seulement, tu te protèges des impatiences et des désespérances (sans je
l'espère avoir trop de tentations... masculines ou de désespérance), et
vis-à-vis de moi, peut-être as-tu aussi raison, sans l'avoir forcément calculé
: tu ne me pèses pas, tu ne me poses pas de conditions d'échéances, de dates de
nos retrouvailles et de mon rétablissement, tu ne montres pas d'anxiété, et
surtout tu ne décides pas soudain qu'il n'y a plus rien à faire ni à attendre.
Ciao ! pantin ! Exceptionnelle et judicieuse tu le fus à notre rencontre et
tout le temps où j'étais à ..., et pendant nos mois ensemble, en France. Tu le
seras à nouveau j'en suis sûr pour renouer tous les fils, et surtout au cours
des années à venir. D'ici là, j'ai bien conscience que j'aurais à te
reconquérir, à nous faire retoucher le terreau de toutes les racines et
plantations de notre relation d'amour et de désir. J'y suis prêt, je l'admets
et le comprends. Ce qui ne m'empêche pas d'être sensible à toute marque de ta
tendresse, de ton intérêt, de ton goût de me revoir, à tes baisers téléphonés,
à tes certitudes et tes déterminations d'amour, et de souffrir quand tu me
parais très loin de moi... Bref, j'ai confiance, bref tu restes mon cap, et mon
bien le plus précieux, bref tout ce que je vis actuellement, je voudrais que ce
soit avec toi, comme autant de forces donnant encore plus d'énergie, de beauté,
de communion à notre amour. [v]
Je n'ai pas eu la force,
l'inspiration, la capacité de t'écrire ces jours-ci. Ce que tu m'as dit au
téléphone dimanche, que tu avais été prête à me rejoindre, que tu prenais tous
les risques, que sans la mission de ta mère en Allemagne tu allais prendre tes
billets pour la France, cela m'a bouleversé. Depuis quelques jours ou semaines
? je perds dans notre relation la notion du temps, tant une séparation de
maintenant cinq mois, après avoir si peu encore vêcu ensemble, si peu nous être
vraiment mélangés, si peu nous connaître, me semble-t-il de mon côté, me paraît
artificielle. Je m'interrogeais de plus en plus. Cela peut-il continuer ainsi,
penser l'un à l'autre, être censés nous aimer, avoir résolu le projet de
"faire" notre vie ensemble, de nous marier, de fonder quelque chose
de fort, beau, grand et puissant, et cependant ne pas être ensemble. Je me
demandais comment te le dire, comment te demander de vraiment te décider à m'aimer,
donc à venir ! Malgré tout, et malgré toutes les apparences accumulées de
difficultés pratiques actuellement. Et spontanément, tu m'as répondu. J'ai été
bouleversé. J'ai réalisé que j'avais commencé de vivre comme si tu ne m'aimais
pas, ne m'aimerais plus, ne me rejoindrais pas. Tu devenais une abstraction, un
futur antérieur en moi ; tu continuais d'agir et de former ma vie, mes pensées,
mais le futur s'était arrêté et donc la vie avec toi, était en train de mourir.
Tu ranimes tout, tu ressuscites tout, mais j'étais resté prêt à tout, prêt à
toi, prêt à me donner complètement. Je ne me suis jamais reculé par rapport à
cette si forte intuition de l'automne de 1994 mais le temps passant sans toi,
ayant la sensation que tu t'habituais à vivre sans moi, sans notre projet et
que tu rejoignais les courbes et perspectives de la vie que tu aurais eue et
peut-être appréciée si je n'étais pas arrivé il y aura bientôt deux ans, dans
ton paysage... je commençais de douter que cela puisse jamais se réaliser. Or,
voici que tu le veux, voici que tu viens. Vite... Oui, cela été très nouveau
pour moi, dimanche. Et puis la lettre que tu m'as promise. Je l'espère un écho
chaleureux, tendre, enthousiaste de ce que tu m'as dit. Je l'espère...
Tu me sais vulnérable. Besoin
de tendresse, de chaleur, de divination, de proximité, de communion,
d'ouverture. Je dois t'avouer que les distances entre Almaty et la France ne
sont pas le seul facteur à me laisser si souvent dans le froid de ton absence.
J'ai besoin de tes caresses au propre et au figuré. J'ai besoin de tes mots
d'amour, même si c'est banal et répétitif. Et tu ne me les donnes pas toujours.
Il y a des mots que tu ne prononces pas. Que tu ne redis pas, que tu n'as dit
qu'une fois. Il y a en moi très souvent, que seule ta présence pourra dissiper,
effacer, détruire, il y a en moi l'anxiété que tu ne sois pas la tendresse, la
douceur, la proximité, l'ouverture dont j'ai vitalement besoin. Je redoute que
tu t'enfermes en toi-même, je redoute ta susceptibilité au-delà de l'habitude
et de l'accoutumance à prendre l'un l'autre de nos vocabulaires et de nos
comportements. Tes silences, tes brusqueries, sans doute parce que je ne
t'aurais pas comprise, ou que j'aurais voulu forcer ta présence, ta
confidence... Peut-être ! C'est très mystérieux, notre rencontre d'amour est
très mystérieux. Je ne sais toujours pas comment et pourquoi tu m'aimes, ce qui
t'attire en moi, ce qui te fixe sur moi. Sans doute, me connais-tu mieux que je
ne te connais. Toutes ces pages de lettre depuis dix-huit mois, et je parle, je
te parle. Tu m'écris extrêmement peu, tu ne parles que par à-coups, tu peux
être si distante ! Je ne peux vivre juxtaposé à toi. M'aimes-tu ? Sauras-tu
vraiment m'aimer, comme j'en ai tant besoin ? Ton amour, à toi, pour moi ! Et
saurais-je te coincider, t'aimer comme tu le souhaites, comme tu en as aussi
besoin. Nos retrouvailles élucideront cela, je le crois, assez vite. La
distance que nous avons forcément subie de nouveau l'un par rapport à l'autre,
fait que ce sera une nouvelle approche, un nouvel apprivoisement. Bien ou mal ?
C'est un fait ! Au moins, aurons-nous mené notre choix dans la plus grande
lucidité, aussi. Je ne prévois rien, je souhaite. Nous sommes sûrement très
différents, du moins est-ce une explication (que je me donne, en ton absence,
ou faute que tu répondes complètement, et par téléphone c'est difficile, et
nous avons jusqu'à présent si peu vêvcu ensemble...) une explication à ce que
je ressens si souvent comme de la distance et de la froideur. Différence parce
que je serai trop spontané, et toi pas assez, que ma spontanéité te poaraîtrait
verbale, et que la tienne me paraîtrait susceptibilité. Je ne sais. Notre désir
réciproque, physiquement. Un sacrement, un gage, le lieu de notre rencontre, de
notre commencement ensemble ? Comme je le souhaite et l'espère, mais la
contraception, je ne la veux pas, je ne la veux plus ; je veux la liberté
totale, le don plénier. Ce qui suppose que tu le veuilles tout autant, que tu
n'exclus pas les enfants, même à nos tout débnuts, quoique cela pour toi puisse
paraître bien rapide ; ce qui suppose aussi notre mariage assez vite. Et ainsi
de suite... J'ai conscience de t'écrire une lettre difficile, mais j'y
développe mes hantises, mes craintes pour que tu en prennes conscience, que
cela t'aide toi-même dans ta pensée vers moi, vers notre avenir, si tu veux que
nous ayons un avenir commun. Je te livre ces sentiments, ces sensations pour
que, dans une introspection dont je ne démêle toujours pas si tu en as le goût,
lhabitude, ou si au contraire tu te laisses vivre, et vois ensuite, si jamais
c'est nécessaire. C'est pourtant actuellement, maintenant, très nécessaire que
tu connaisses mes attentes et que tu me dises les tiennes. Nous
parler, communiquer, la sensation, la certitude d'être reçu par l'autre,
attendu, accueilli. Sinon, notre vie serait un enfer, et nous n'aurions pas à
la souhaiter.
Je t'ai attendu toute ma vie,
je crois, j'ai cru, je continue de croire que tu es bien celle que j'ai ainsi
attendue, pour l'attente et l'arrivée de qui j'ai toujours écarté toutes les
autres. Au dernier instant, il est encore temps de soudain s'apercevoir que tu
n'es pas celle-ci, ce qui ne signifierait pas du tout que je continuerai
d'attendre. Cela signifiera que je ne dois plus attendre, puisque ce n'était
pas toi, et si ce n'est pas toi, c'est PERSONNE. Veux-tu bien être celle que
j'attendis si longtemps ? veux-tu prendre en toi tous les moyens, toutes les
ressources pour être cette femme, ma femme. C'est-à-dire veux-tu bien te dévoiler
complètement, te mettre nue, non seulement pour te donner de corps et de
tendresse physique à mon amour, à notre possession, à notre émerveillement, à
notre communion mutuels, mais surtout pour me donner à comprendre qui tu es, ce
que tu attends de moi, ce que tu attends de la vie, et comment tu vis toi-même
et veux vivre. Le veux-tu ? Tu en es capable, tu es cette femme, mais cette
femme ne peut être toi, que si tu y consens, que si tu te reconnais en toi-même
! J'espère ne pas te dire tout cela en termes trop compliqués ou abstraits.
Il y a cependant de très
fortes analogies en nous, dans notre course d'amour l'un vers l'autre. Nous
faisons exactement la même démarche, un pari total, une confiance totale dans
la Providence, dans notre intuition chacun que nous sommes l'un pour l'autre
faits et assortis. Malgré tout, et malgré tant. Un saut dans l'inconnu que nous
sentons comme béatifique et nous introduisant dans la vie exactement
convenable, à tous points de vue, de beauté, de chaleur, de partage, de
liberté, de respect mutuel de notre personnalité, de notre liberté, d'attention
à nos besoins réciproques. Tu me sembles, et tu dois sembler aux tiens, faire
exactement la même folie que celle que je dois paraître aux miens en train de
commettre (ce qui n'a rien à voir avec la sympathie que nous avons éveillée
chacun dans nos familles ou nos cercles d'amitié). C'est vraiment un point
commun. Comme tu le disais joliment quand nous nous sommes à nouveau parlé au
téléphone hier soir, nous sommes des héros ! [vi]
Aussi des choses qui m'ont
pris tandis que mercredi soir et jeudi aux aurores j'étais à Kergonan, ambiance
et communauté que j'aime de plus en plus, qui deviennent une structure de ma
vie, un élément de famille. Qui ajoute donc à Reniac, supplée à l'inachèvement
encore de cette maison attendant l'autre où à terme nous vivrons davantage car
nous l'aurons bâtie et aménagée ensemble et à nos mesures communes. Reniac
attend tout l'environnement d'arbres et de potagers et de fleurs, le portail,
mais plus fortement, plus concrètement, attend toi, notre vie, le peuple de nos
enfants, les accueils d'amitié, de famille que nous vivrons et ferons ensemble.
Et les souvenirs que nous nous y créerons et donnerons, des souvenirs d'être
ensemble seulement, seul à seul. [vii]
Sois également assurée que mes
ambitions sont intactes. Fantasmes ? Non : perspectives réelles, que j'ai
toujours eues, et à la conquête de quoi tu vas m'aider par ta confiance, par le
désir de vie que tu remets en moi, par l'assurance formidable que tu me
donneras en étant heureuse dans mes bras, en me rendant heureux et fort dans
les tiens. L'étranger, les voyages, la découverte toujours à contiunuer de
Paris, sois assurée que c'est cela que je te propose, et non pas du tout la
médiocrité. le rythme de notre brillance sociale ou de nos retraites amoureuses
et cachées, nous le trouverons, nous le vivrons ensemble. Nous allons tout
inventer ensemble. C'est - je le crois - ce qui nous unira le plus fortement,
et nous donnant une "seconde" nature, car au fond gloser et parler
sur nos ajustements réciproques de caractère et de comportement est bien
abstrait. On verra, on éprouvera, on fera. - Je te regarde, je te bénis, je
mets mes lèvres à ton front, à tes épaules, à tes tempes, et puis si tu me le
permets tout le long de ton dos, au creux de tes reins, au revers doux de tes
cuisses, de tes genoux, jusqu'à tes pieds, me laissant emplir du désir de toi,
pour très lentement, très doucement venir en ton ventre, ta main m'ayant pris,
conduit et enfoui. Toi, mon amour nu, toi ma tendresse et mon silence, toi la
vie. Toi, toutes les étoiles. Et le débordement du désir et de la joie, et
l'océan et ses vagues de notre déferlement et de nos salives en nos bouches qui
se mêlent et coulent leur miel dans nos yeux s'éveillant. Je te regarde et je
t'aime : toi, mon charme, mon désir, ma nudité, TOI ma future et mon avenir,
TOI regard, corps, odeur et mouvement, TOI magnificence. [viii]
Tu as hier contribué à tous
ces miracles, et à toutes ces grâces par les quelques phrases si justes et
belles et que tu as su prononcer, parce qu'elles t'habitent. Notamment que plus
encore qu'en mes forces propres, tu crois au mystère et à l'exception de notre
rencontre. signe s'il en est d'une méditation en toi, d'un cheminement, aussi
forts, aussi profonds, aussi étonnants que les miens - et sans doute plus
encore puisque nous sommes apparemment de civilisation et de situation si
différentes. et pourtant, nous sommes plus que jumeaux, nous sommes du même
souffle et dela même âme, de la même fabrication ! Je partage tes analyses sur
le Kazakhstan et l'Asie centrale. Nous verrons comment plus tard réaliser ou
contribuer à réaliser ces pronostics.
J'ai aimé ta résolution de
m'écrire quelques lignes tous les jours. Puisses-tu la tenir, cela me fera
grand plaisir d'aoir souvent quelque chose de toi, et comme la respiration-même
de ta vie quotidienne, et aussi de tes sentiments pour moi. Peut-être aussi le
parfum féminin, la beauté et le désir qui se chevauchent et s'emportent l'un l'autre
vers l'homme et la vie et sont si forts et si indicibles, attraction réciproque
et aussi quelque chose de retenu et d'aussi fort. [ix]
J'ai plus que jamais
conscience d'avoir à vivre et gagner, me battre et être beau et heureux pour
toi, et pour toutes les promesses de Dieu que tu incarnes, que tu es. Je suis
donc tes conseils de vie en entrant à l'hopital. Toi, à l'état pur,
c'est-à-dire nue et chérie [x]
Quelques minutes avec toi,
plus fortement encore que chaque jour et nuit... Je t'écris au sortir du
Val-de-Grâce où l'on m'a refait mon pansement, et je suis allé promener
le-chien (qui existe, vit toujours... et va avoir ses "petites
affaires" ce qui suppose que je fasse attention aux tapis à Reniac, et aux
copains...) au Champ-de-Mars, espace de parc, de pelouses, de quelques
bosquets, de grandes plate-bandes, coupé par à peine quelques avenues, qui va
du Trocadéro et de la Tour Eiffel jusqu'à l'Ecole militaire : c'est là qu'en
Juin 1791, mais dans un tout autre décor, naturellement, après que le Roi qui
avait tenté de s'enfuir et avait été arrêté à Varenne, ait été ramené à Paris,
pour la première fois dans l'Histoire apparut le drapeau rouge et eurent lieu
des manifestations proprement républicaines derrière ce drapeau. Bien entendu,
on tira... Ce fut à la Belle-Epoque et dans les années 20, une très belle
promenade avec ces toilettes, soit à robes et jupes longues avant 14-18, soit
après robes au-dessus du genou, petit chapeau boule (mais cheveux coupés très
courts avec une frange un peu garçon cachant en partie le front...) qui
t'iraient toutes très bien. Je t'aime, je fabule, je fantasme, tu es à la fois
le centre de beauté qui m'attire, me fait rêver sensuellement, physiquement,
romantiquement, et l'écrin de beauté où tout placer de la suite de nos vies.
Que nos vies soient belles, dans l'attirance de nos corps et l'entente de nos
âmes, mais qu'elles se déroulent dans une ambiance de beauté, de beaux lieux,
de belles habitations, entourées de belles choses. Que nos enfants, qui seront
une seconde révolution après celle de partager nos instants et de nous dire
l'un l'autre nos émotions, et beaucoup de nos penchants dans l'existence
quotidienne, et la succession des moments, soient eux aussi beaux d'âmes, de
regards et de projets, d'envies.
Il fait beau et frais. La
neige que j'avais dans le très beau jardin à la française du Val-de-Grâce - je
te montrerai tous ces lieux, d'autant que le Pr. DALY est mon
"médecin-traitant" et que c'est à lui, le tout premier, à la
mi-Décembre 1994, que je m'ouvris de nos projets et perspectives (ensuite ce
fut... le Pape !), qu'il exerce au Val-de-Grâce et que pour mes arrêts-maladie
"fictifs" jusqu'à présent (mais qui maintenant ne le sont plus, à la
suite de cette opération) je vais le voir tous les mois. Nous irons donc
ensemble, tu l'éblouiras, j'en suis sûr. J'ai donc vêcu, sans véritablement
souffrir le réveil de l'opération mardi en début d'après-midi - il y a
maintenant une semaine - puis les jours qui ont suivi. Lisant beaucoup.
Ecrivant moins, plus de quarante-huit heures sans ordinateur, car je n'en avais
pas vraiment la force, et ne pouvais tenir assis, ayant curieusement mal à
l'épaule droite, aussi bien ces derniers mois qu'après l'opération. C'est
presque disparu maintenant, et il paraît que c'est tout à fait normal, il y
aurait une communication nerveuse entre la vésicule biliaire et l'épaule
droite. De même qu'en cas d'infarctus, on souffre surtout du cou et du menton.
Ces liaisons sont bien les intuitions de l'acupuncture chinoise... Bref, je suis
sorti samedi matin, après que mes frères et soeurs parisiens m'aient chacun
visité. M et une amie s'étaient relayées pour le-chien. Maintenant, je vis
encore à petite vitesse, mais j'ai des rendez-vous un peu épisodiques, presque
abstraits toujours sur mon recasement. J'ai le sentiment de vivre quelque chose
de surréaliste. Je suis comme suspendu au-dessus de l'existence, et je vais
réatterrir sur une terre vierge et inconnue quand tu vas revenir et que
commencera tout autre chose, que j'ai rêvé depuis si longtemps, et que nous
inventerons et "ferons" ensemble.
Comme je voudrais alors te
charmer, te séduire, te plaire vraiment. Te faire plaisir, t'amuser, t'émouvoir
sensuellement, t'amener avec bonheur à communier l'un en l'autre de chair et de
sang, de chemins sensuels, de balbutiements et d'apprentisage mutuels. Je
l'espère, j'espère ta patience, ta curiosité, la grâce de notre amour. Je sais
que nous ne serons pas déçus, que nous sommes déjà assortis. Comme je voudrais
tout autant partager le maximum avec toi, notamment toutes ces notes,
réflexions, écritures et lectures quotidiennes, que même en fonction
d'Ambassadeur ou auparavant, je prends et vis depuis... "toujours".
Je n'ai jamais pu le faire avec qui que ce soit d'autre, et c'était une sorte de
reproche ou de curiosité, en tout cas la sensation de temps enlevé au couple du
moment. Je crois au contraire que ta forme d'esprit, ta formation à l'étude et
à l'enseignement des langues, ta personnalité-même te donneront cette longueur
d'ondes avec moi ; et puis, surtout... rien ne te sera interdit ou caché, tout
ce qui est à moi, que je fais, "produis" ou écris, en toute
transparence t'est et te sera ouvert. Et je sens bien, et je découvre avec
bonheur ces jours-ci où j'y réfléchissais, que tu es bien la seule, de mon
existence, qui en sois d'avance capable. Ma mère, d'une certaine manière, et
pas tout. Tandis que toi... et ce sera notre vie. J'espère aussi que tu me
feras partager ta vie mentale, que tu trouveras la place de tes anciennes
habitudes et en prendras de nouvelles.
Je sens que les voiles du bateau frémissent ; je ne sais encore vers
quelle partance, mais je crois que tous mes autres rêves - englobés dans
l'amour de toi, dans notre rencontre, dans ce début de vie - sont en passe, eux
aussi, de se réaliser.
Devant moi, d'autres bancs, un fond d'immeubles soit fonctionnels des
années 60, soit de la Belle-Epoque, dont les terrasses et balcons sont inondés
de soleil. C'est certainement parmi les plus belles adresses, mais ce serait
formidable pour les enfants, le-chien : un paysage de verdure en plein Paris,
le long de la Seine, à portée de tout, et pouvoir se promener romantiquement et
pratiquement... et au premier plan, un petit bassin sans eau, avec une statue
1928 d'une femme nue s'essuyant un peu
au sortir du bain, toi en infiniment moins bien. Si je ferme un peu les yeux,
tandis que chauffe le soleil de midi, te voici nue et claire, majestueuse comme
ces jeunes filles grecques de l'antiquité, et tu descends lentement de ton
piédestal, et viens vers moi, splendide, souveraine, et pourtant douce,
désirable, mais mystérieuse de nudité et de pensée. Je suis immobile, tu
grandis dans tout mon univers et ton visage, ton sourire, l'éclat de tes dents,
ton nez, ton front, ton regard deiennent immenses, comme le ciel, et tu es si
proche de moi, tu es tellement moi, que tu m'enlèves au ciel, que c'est une
plongée dans toutes les autres dimensions. J'ai dû voir cela tellement
fort, que les personnes sur les bancs en face sont parties, que seule la statue
a résisté, très blanche, et donc tu es là, maintenant, en jupe assez courte et
moulante, tes jambes parfaites, ravissantes, des bas bien choisis, des souliers
que nous aimons tous deux, et assise à ma droite, sur ce banc, tu donnes le
signal que nous partions, que nous allions déjeuner, que je cesse d'écrire sur
l'ordinateur, que je te dise des choses drôles, puis belles et graves, celles
de notre désir de nous aimer, que je te les dise à ton oreille, au duvet de ta
nuque, et alors tu souris, et nous allons nous lever...
C'est maintenant, au
moins pour Paris et le solitaire que je suis, la plus belle heure, le soleil
chauffe un peu, la lumière est partout. Les jardins ne sont pas dans leur plus
bel apprêt parce qu'il y a beaucoup de travaux, de haies et de palissades, pas
encore de fleurs, pas vraiment de feuillages ; la tour Eiffel est-elle même
emmaillotée de filets, on la repeint pour ses étages inférieurs, mais c'est
plus encore la sensation d'être là, au coeur de mes sentiments et de mes
pensées volant à toi, volant aux instants futurs où tu seras de nouveau avec moi,
m'entourant de ton charme et de ton amour, me captivant, au centre aussi de
tant d'évocations historiques, d'imaginations romanesques, de récits que j'ai
lus ou que je peux esquisser en esprit d'histoire d'amour, de rencontre, de
compréhension et de densité de la vie humaine qui ont cet endroit pour site. Et
ce paysage donc mental et intérieur que soutiennent quelques rumeurs d'oiseaux,
de petits conifères, les pelouses bien tondues, suffit à ce que je me sente au
centre de l'univers et de l'histoire, communiant à tout, puisque j'ai ma main
dans la tienne, que je suis assuré de ton amour et de ton désir, que tu viens,
que tu es là.
Avec toi, de toute ma
tendresse, et par cent mille caresses à ma vivante et complète femme, à mon
ciel de chair et d'or, au corps et au front qui m'envoûte, à la main qui
m'enlève et m'emmène, à mon Hélène de chaque instant, au ventre doux et fort, à
la nuque qui promet le bonheur, qui donne prix au don d'une vie par sa parfaite
courbe à mon regard, à mon aristocrate préférée, au plus beau de mes choix, à
celle dont je rêvais, à ce qui s'incarne et dormmira à mes côtés, m'ouvrira ses
trésors et ses yeux, me permettra l'extase et le quotidien, peindra la fresque
parfaite de nos réunions, de nos larmes, de notre vérité, de nos efforts
accomplis et nous unissant, épuisés d'attente, de communion, couple enfin
réalisé . . . [xi]
Ces
notes annexes, ne les lis que si tu en as le temps et le goût. Cela te donne le
fil de mes cogitations... pas forcément une photographie exacte de tout, car
l'écriture "intime" compense beaucoup de découragements et ou
d'incertitudes sur le "quoi faire". Parce que " quoi être ?
" n'est plus, depuis notre rencontre, et les marques de ta fidélité, une
question. Tu es, dans ces brumes qui souvent reviennent : telle est mon impasse
professionnelle, qui me crucifie, le seul point fixe de toutes mes pensées, le
seul projet qui tienne, le seul horizon attrayant et vers quoi marcher. [xii]
Ta présence, ta beauté sont ma
lumière et tu m'accompagnes d'âme dans tout ce que je fais, vis, rêve même
quand des apparences font ce n'est pas toi. Nous déclencherons le miracle
ensemble, nous en valons la peine. A Reniac, je suppose aussi que j'aurais
enfin tes lettres, celle annoncée en Janvier et celle de mon hospitalisation.
Quelques lignes me suffisent. Tu sais, avec peu de mots et de gestes, me faire
savoir ton amour, et me dire ta profondeur et ta vérité. [xiii]
Oui, tu l'as justement
senti, j'ai absolument besoin de tes lettres, quelques lignes, mais si
tu le pouvais, presque tous les jours, et réellement ce que tu sens,
même si c'est passager ou dépressif. Car c'est ainsi que tu deviendras ma
femme, c'est ainsi que je te sens, c'est ainsi que je puis t'écrire et te
répondre vraiment, au lieu d'être à sens unique, et à ne parler que de moi, ou
que de projets, ce qui doit te paraître bien à côté de la plaque. Ce que tu
m'écris est enfin la vérité actuelle, toi aussi, toi surtout tu es usée par
cette attente et ces vents adverses, et tu n'y crois plus. Tu te figures aussi
que ta vie avec moi serait une transplantation totale, et en pays étranger,
étrange, où tout serait mien, à mes habitudes, ou fruit de mes possessions
familières, et où rien ne serait tien a priori.
Je n'ai pu te téléphoner tous
ces temps-ci et quand je l'ai pu, ton téléphone était malheureusement occupé,
hier vendredi avant que je quitte Paris, et puis tout à l'heure. Mais nos
téléphones portent souvent sur l'actualité, une actualité qui est trop moi, et
pas assez toi, car tu répugnes à beaucoup de parler de toi. Ta lettre m'a donc
plu et fait du bien. Et tout ce que tu m'écris et me confies m'a paru salubre,
parde que très vrai. Je te comprends ainsi beaucoup mieux. Tant que tu as envie
de moi, tant qu'envisageant de me perdre, parce que les circonstances
paraissent contraires (elles étaient de toute manière difficiles, même par le
beau temps d'une succession d'Ambassades, qui était la conjoncture dans
laquelle nous nous sommes connus), tant que tu m'aimes, nous sommes sur un
terrain solide, nous nous récupérerons, et c'est d'ailleurs sur l'amour, et
l'envie de nous aimer, l'envie l'un de l'autre que nous pouvons bâtir, pas sur
des projets que nous aurions caressés anciennement ensemble, pas sur des
engagements dont nous nous croirions redevables l'un à l'autre. Le terrain
solide de la vérité entre nous, c'est de ton côté tes sentiments pour moi,
moraux, mentaux, romantiques, sensuels, physiques, sexuels, intellectuels, sans
que tu les rapportes nécessairement au mariage ou à un engagement de vie, et de
mon côté, saches-le, bien que je te le répète à chacune de mes lettres, à
chacun de mes appels au téléphone, la totale invariance de mes sentiments, de
mon envie, de toi, de ma décision que c'est toi, et toi seule, que tu es la
vie, et que sans toi, sans notre union et le succès de notre union, ma vie n'a
ni sens ni perspective, je suis mort, déjà mort, ou je mourrai... Ton amour me
suffit, même si à tes yeux il est insuffisant, ton amour et mon amour pour toi,
pour fonder une vie, un mariage, le bonheur. Cela je le sens profondément, et
ton inquiétude, ton interrogation sont une vraie maturité, un vrai réalisme.
Je voudrais tout autant te
dire que venant à mes côtés, ce n'est pas en France, ou dans ma maison, ou dans
ma famille, que tu viens. Nous partons ensemble vers du neuf, du
nouveau, à égalité de dépaysement ; toi quittant ton pays et ta famille, sans
doute, mais moi-même ne trouvant de pays, de famille, de racine, de raison pour
cette maison d'où je t'écris, que par toi, que par ta venue, ton appréciation
de ce qui est mien et que j'avais commencé avant toi, mais qui ne peut
continuer et vraiment vivre que par toi et avec toi. Je n'arrive pas à
bien m'exprimer, mais si tu ne viens pas dans ma vie, si tu ne m'ouvres pas ton
corps, ton coeur, ta vie, rien ne peut continuer de moi, et tout ce que j'aurai
vêcu, attendu, tenté de fonder avant toi, n'aura aucune chance de se
poursuivre, d'exister, de porter du fruit. D'ailleurs, ce que je vis depuis un
an accentue ce qui était déjà avant notre rencontre et au moment de notre
rencontre : une vie, des accumulations des souvenirs, d'aventures, de multiples
tentatives de tous ordres littéraire, politique, professionnel mais rien
d'achevé, rien même qui soit en cours d'achèvement. Il fallait lier cette
gerbe, Dieu et toi vous l'avez fait en venant à moi, tu as été le signe de Dieu
dans ma vie, et tu es toi. Depuis mon retour du ..., rien n'a pu être continué
ni avancé. Tout attend encore l'avenir, tout est à construire mentalement, physiquement,
matériellement, ou à reprendre à réordonner et à réagencer. Seul et pour
moi-même ou par moi-même, je n'y arriverai pas, je n'en aurai pas le goût, je
n'y aurai même aucune raison. C'est donc te dire qu'entrant dans ma vie, tout y
est et sera à toi, tout t'y attendait, et tu auras tout à y faire. En ce sens,
nous sommes l'un vis-à-vis de l'autre totalement " à égalité " et en
réciprocité, moi-même j'entrerai dans ta vie, comme dans une vie où tout est à
faire.
Saches surtout que cette année
d'épreuves, de dénuement progressif, comme si je vivais dans un régime
politique, économique et social totalitaire qui m'aurait rejeté pour quelque
faute imaginaire, dont personne ne saurait rien me dire, et l'on ne me
parlerait qu'avec cynisme du minimum vital qu'on m'assure, et donc de quoi vous
plaignez-vous ? oui, saches surtout que cette année m'a tellement dépouillé de
tout, de toutes mes certitudes de cinquante ans d'éducation et de vie, qu'il y
ait un débouché aux talents, aux mérites, à l'expérience, à la compétence, à la
beauté, à la générosité, toutes ces certitudes battues en brèche par cette
impossibilité vérifiée de retrouver situation, travail, rémunération et en fait
considération et nécessité sociale et professionnelle -, oui dépouillé de tout
sauf de l'espérance de m'en sortir, et de la raison-même de m'en sortir qui est
toi, notre amour, la survie puis la résurrection et l'épanouissement de notre
amour, qu'en fait ne n'ai plus ni famille, ni collègues, ni maîtresses
anciennes ou actuelles. Je suis, tu aimes et épouses un homme nu, sans âge,
dont le passé a été périmé par l'échec au présent et dont l'avenir est
apparemment bouché. Et pourtant un homme qui a plein de forces, de jeunesse,
d'imagination, qui peut être encore beau, fort, ton amant, ton initiateur, ton
père, ton fils, ton homme, ton mari, à la fois, un artiste, un écrivain, un
chef, tout... Nécessaire en venant à moi, en m'aimant, en m'acceoptant, en me
désiurant, mais tu l'es infiniment, et bien plus que pour tout autre homme réel
ou imaginable dans ta vie, si tu ne la fais pas avec moi... Tu es littéralement
ma vie.
Que nous soyons seuls pour
savoir comment nous orienter, comment ne pas rater notre vie, oui, tu as
raison, il n'y a ni conseil d'autrui, ni recettes. C'est exact, tu le sens
fortement, et tu le dis très bien. Je me réjouis que tu le ressentes. Ce
printemps, j'y aspire comme toi, la chaleur, la lumière, les fleurs, la
verdure, je le guette. Pour moi, aucun problème d'orientation. Si je ne t'ai
pas, je sais que je vais dans le mur. Rien d'un chantage ou d'une désespérance
à te l'écrire ainsi. Tu es la vie, je le sais, je l'ai vu, je le vis, même si
rien n'est cuit d'avance, mais si beaucoup de choses et de moments seront
difficiles. Je ne me pose que des problèmes de moyens et de responsabilité
vis-à-vis de toi, de nos enfants, des engagements que tu prendrais, que je te
ferai prendre. Ne t'inquiète pas dans le tréfonds de toi-même. Les choses sont
beaucoup plus simples que nous ne nous ledisons ou l'imaginons. Tu as envie de
moi, de me revoir, tu ne veux pas me perdre, mais au-delà tu ne sais pas grand
chose, tu ne vois plus grand chose, tu n'as ni intuition ni pressentiment.
Viens, rejoins-moi, et là, patrtageant tout ensemble, et d'abord la joie de
notre revoir, de notre étreinte, d'une forme d'abandon total, tu verras si tu
restes, et restant tu verras si tu m'épouses, et l'épousant, tu verras si tu
veux des enfants de moi. Il faut qu'en parallèle, évidemment, Dieu nous sourit,
et me rende justice aux yeux des hommes, et des gouvernants actuels de mon
pays, que je retrouve une situation ; alors nous construirons, reconstruirons
ensemble. si au contraure, revenue à poi, passant du temps, quelque temps, tu
sens bien que rien ne se déclenche en toi, que tu n'es pas en paix avec
toi-même dans un projet de demeurer avec moi, alors, sans regret et comme une
constatation, tu me quitteras. Il y aura une rencontre, notre rencontre, tu
auras fait tout le possible, et nous tirerons un trait. Comme en Août, je
respecterai ta liberté, j'essaierai de faire au mieux à cette étape de ta vie,
pour que tu ailles à la suivante, et au bonheur. Je suis convaincu que nous
pouvons être heureux enesemble, que même nous ne nous épanouirons et ne
trouverons la vraie vie qu'ensemble, l'un avec l'autre, avec l'aide l'un de
l'autre, le sourire, la force et la chance l'un de l'autre, mais je ne veux ni
ne peux t'y contraindre. Tu en auras toi-même l'inspiration, et tes doutes et
l'obscurité en toi sont une bonne base de départ. Ne faisons rien d'artificiel.
Notre absence l'un vis-à-vis de l'autre avec cette séparation de semaine en
semaine, de mois en moins, de plus en plus longue rend tout artificiel, y
compris l'image, le souvenir, l'envie que nous avons l'un de l'autre. Nous
finissons par ne plus savoir qui nous sommes, qui est l'autre que pourtant nous
chérissons et désirons. Notre présence retrouvée sera le terrain de la
décision, sans hâte, sans peur, sans artifice, le terrain de ta liberté. Sois
sûre que ma famille que tu as beaucoup vue, quoiqu'en coups de vent successifs,
cette année d'épreuve m'en a plus émancipé que trente ans de vie
professionnelle à l'étranger, ou vingt... C'est toi, toute ma famille ! ma
famille, c'est celle que nous fonderons ensemble, si tu le veux bien.
A cet instant, où au lit, je
t'écris, je voudrais que tu sois à mes côtés, ta tête alourdie à mon épaule, et
que je puisse t'écoûter et te parler... Te dire tout cela en caresses, en
sourires et en vérité. Et aussi que demain, ou entretemps, soient venues la
bénédiction divine, la justice humaine de mon rétablissement professionnel. Je
ne pense qu'à toi, je n'attends que toi. N'aies pas peur de ta liberté, n'aies
pas peur de te tromper, tu es intelligente, volontaire, forte : je suis sûr,
que tu ne feras pas d'erreur. Tu n'en as pas faite depuis que je te connais, ni
vis-à-vis de toi-ême, ni vis-à-vis de moi, ni vis-à-vis de notre amour, et tous
les événements ont servi notre amour, y ont concouru, dans tout ce que tu as
vêcu même quand les apparences étaient très fortes que tu allais me quitter ou
que tu me perdrais. Ne doutes pas de toi-même, espères. Tu en vaux la peine,
même vis-à-vis de toi-même, surtout vis-à-vis de toi-même. [xiv]
Je ferme cette lettre,
ajoutant que quotidiennemment notre vie se fera selon ce que nous voudrons,
nous verrons qui nous voulons, nous formerons un être nouveau, et si tu peux
effectivement mesurer ce que tu quittes des tiens, du Kazakhstan, en fait de
toute une vie de ton enfance et de ton adolescence, tu ne peux prévoir ce que
tu vas vivre quand nous serons ensemble, sinon qu'effectivement nous serons
ensemble. C'est effrayant si l'on ne s'aime pas, si l'on n'est pas précisément
poussé à tout quitter parce qu'on veut être ensemble, et faire et vivre, en
cela, tout autre chose, que ce que l'on a auparavant vêcu. En ce sens, sache
bien que nous sommes exactement dans la même situation d'âme et de
coeur, avec peut-être la différence que moi, je veux changer de vie, plus
encore par rapport à ce que je vis si tristement maintenant, mais que je
voulais changer de vie, déjà, quand je t'ai rencontrée, et que c'est toi qui
m'a donné le déclic de l'amour, de la résolution d'aimer, de l'émerveillement
d'aimer et d'être sûr d'aimer, et que c'est notre amour qui est le facteur
essentiel sinon unique du changement de ma vie. Il se peut que pour toi, les
choses soient intérieurement différentes, que tu rencontres en moi l'amour, un
amour à la fois très romantique, avec la distance, nos civilisations, nos
générations, ma profession de l'époque, et que le chemin à faire soit celui du
réalisme, et en même que tu n'aies pas à perdre de vue le romantisme, puisque
la raison - et tout ce que je vis de négatif et de pas bien affriolant en ce
moment - ne t'inciterait pas, à elle seule, à me rejoindre.
Mais il me semble que
ton débat intérieur ce soit être de savoir si et comment tu m'aimes. Car des
conditions de vie, ou de la mnière dont nous vivrons, ou ce que sera le futur,
nous n'en savons vraiment rien. Ma situation actuelle ne peut être pire. Sous très
peu de jours, j'aurai vraiment de quoi savoir si je m'en tire à court terme ou
si ce sera long, et imprévisible. Je te dis toutes mes coinditions de vie
actuelle, y compris affective. Je te suis totalement transparent, précisément
pour que tu aies en toi-même tous les éléments de clarté sur notre relation.
Rien ne peut se prévoir de ce que produira entre nous, et dans nos modes de vie
cette dynamique de groupe. Bien entendu, il y a tous les paramètres de mon
rétablisement professionnel et aussi de tes études, des enfants. Ils sont dans
l'immédiat, à l'heure où je t'écris, peu prévisibles aussi. Ils sont
souhaitables, mais pas encore descriptibles.
En revanche, n'arrives
pas dans l'idée que tu aies tout à abandonner des tiens et du ..., ou à prendre
une décision de mariage séance tenante dès que nous serons dans les bras l'un
de l'autre. C'est à toi de décider quand tu viens me rejoindre, et ce sera à
toi de re-décider de ta vie avec moi, si tu ne l'as pas encore décidée
vraiment, ce que je ne puis savoir. Je sais et sens ton amour, je sais et sens
tes forces, ton espérance, ton goût de la vie, de vivre avec moi, ta confiance
en mon rétablissement, en mes forces de bonheur pour toi et pour nous. De cela,
je suis assuré, et c'est déjà - pour moi - immense. Ma solitude, t'attendant,
et me séparant de toutes mes amitiés passées et amours aussi qui n'étaient pas
toi, et qui ne me menaient pas à la vie totale, cette solitude grandit, mais
commeun creux de toi, une disponibilité pour toi. Viens donc quand et comme tu
veux. Tu décideras sur place, nous déciderons ensemble, nous prendrons aussi le
temps de beaucoup nous parler. En un mot, tout est à faire et à vivre, cela ne
peut s'imaginer ni en bien ni en mal, sinon que nous nous exauçons l'un l'autre
en faisant cette plongée d'amour dans la vie que nous avions initialement
souhaitée, que je continue de vouloir, qui pour moi n'a pas d'alternative mais
dont je conçois que pour toi ce sera un immense changement. Tu sais surtout que
tu auras toute ma douceur, toute ma tendresse, toute mon écoûte, comme je ne
les ai jamais données à personne, et comme déjà - cet été - tu en as eu la
marque.
Sois sûre que je t'aime,
quoiqu'il arrive et que tu décides : mon amour, au bord de l'eau, du grand
océan, de l'autre rive. [xv]
Comme ce soir, je voudrais, te
regarder, dans les yeux, et sécher tes larmes. Et en même temps, l'alacrité de
notre conversation, tes reproches que je sois dur ou ironique de voix, telle
que tu l'entendais ou qu'elle te parvenait, ou ton scandale que je te demande
comment tu vas, alors que tu t'inquiétais et attendais tant, et avais commencé
de remettre les achats de billets et tes calendriers de venue vers moi, tout
cela me faisait être très proche de toi, très uni à toi, sentant ton caractère
impérieux, ta personnalité forte, tes exigences, ta spontanéité, cette sorte de
susceptibilité, bref toute la réalité de cette jeune fille, de cette jeune
femme que tu es, et qui est ma promise, telle que tu es, telle que tu vas
devenir et continuer d'être à mes côtés, et moi me transformant sous ton action
et à ton désir. D'amour, d'amour de moi pour toi, de toi pour moi, notre amour
bientôt totalement commencé. Enfin...
Ces jours-ci, je voulais, en
écho toujours à ta lettre du ..., à ces doutes quant à nos perspectives, et à
cette vérité encore plus forte et tonique, que tu as envie de moi, de moi dans
tes bras, dans ta chair, dans ton imagination, dans ta vie... oui, je voulais
te redire combien tu m'es nécessaire, combien tu es ma seule nécessité, combien
déjà tu me combles, dans ces temps si difficiles de revers professionnels, de
dénuement financier. Rends-toi compte que même absente, mais en projection de
ton retour et de notre union d'âme et de corps, je ne cherche et n'attends plus
personne, alors que toute ma vie jusqu'à toi avait été une attente, une
recherche, des cueillettes sans cesse, par une sorte de mécontentement
permanent de ce que j'avais, de ce que vivais, des femmes du moment ou de
longues années. Ton apparition, comme celle d'une fée, tapant de sa baguette, a
changé mon comportement ; mon regard ne s'attarde plus, je ne désire plus qui
passe, je n'attends plus quelque réalisation de mes nostalgies ou de mes rêves.
Tu es là, c'est toi, et nulle autre, et c'est tout. Une formidable assurance,
que ce soit toi, que tu sauras me combler, me comprendre, m'étreindre, me
multiplier, me rassasier de tendresse, de sensualité, d'intelligence.
M'épanouir, et que tu sauras m'apprendre à t'épanouir, à te combler et à
t'exaucer. Ne doutes donc pas un instant de ta nécessité dans ma vie.
Notre histoire n'est pas
encore écrite, rien n'est encore irréversible en apparence pour que mon silence
t'inquiète et te fasse déjà remettre en cause ce que tu sentais, et pourtant
cette histoire et notre histoire nous la voulons. Nous saoûler l'un de l'autre,
partager au maximum, nous confier l'un à l'autre, car à ton retour, nous allons
vivre exactement le même mouvement d'abandon de toute notre vie passée, des
sécurités dont nous vivions, toi en famille, moi avec mes habitudes d'amitiés
et de liaisons diverses ; nous allons avoir à nous accepter mutuellement, à
nous donner mutuellement de la patience, de l'écoûte. Quel sera notre terrain
de retrouvailles ? le partage de nos corps ? une grande aventure spirituelle et
affective ? une ambition précise socialement, professionnellement, chacun et
surtout en couple ? Tout à la fois, je crois. Remis en selle ou pas,
professionnellement, quand tu vas me revenir, nous revenir... il y a des choses
qui sont maintenant des caps, et des entreprises de très longue haleine, et que
je ne pourrais désormais vivre qu'avec toi. Joie intense de tout et tant
commencer avec toi. [xvi]
Permets-moi d'interrompre
cette lettre pour dormir un peu : il est 22 heures 15 et l'office de l'aurore sera
à 05 heures 10. J'ai encore été vraiment fatigué cette semaine, avec des
incertitudes me prenant l'âme, conscient que n ous avons du chemin à faire pour
la perfection et la persistance de notre entente amoureuse, atteint aussi par
cette sorte d'usure de mon non-emploi professionnel, par cette sorte de mépris
de la fonction que j'eus ou de la personnalité et des talents que j'ai. Usure
donc et contrecoup de cette intervention chirurgicale. J'attends le printemps
de ton retour, le printemps de ton corps de femme, acceptant, guidant et
attendant mon corps d'homme. J'attends le printemps de notre ampour, de nos
sommeils ensemble, de ton souffle de la nuit, de tes sourires. je sais ton
honnêteté foncière et ta vaillance. Quoi qu'il se passe dans les semaines à
venir, de nos retrouvailles, de tes retards peut-être à venir, de tes doutes ou
de mes fatigues, quoi que soient le chemin, la conclusion de l'étape actuelle,
je suis certain que nous le vivrons dans l'estime, le désir, la tendresse
réciproques. Nous sommes libres de nous aimer. Je nous crois capables de nous
aimer, je sais que nous nous aimons déjà, et que la grâce divine nous
enveloppant, nous mettant dans le même lit, nous faisant marcher avec le même
manteau à nos épaules rapprochées, nous pouvons grandir et vivre ensemble, et
nous aimer de plus en plus avec bonheur et douceur, sans que cela pèse, et
qu'au contraire cela nous exprime, nous magnifie, nous transporte chaque jour
davantage. Permets-moi en m'endormant de songer à toi, nue, ma main à ta hanche
et de te dire par ces caresses et ces mouvements très doux que nous nous
donnâmes déjà une, deux premières fois... de te dire que nous sommes l'un à
l'autre. Si tu le veux, et déjà je le veux, et tu le veux aussi, tu le voulus,
tu le revoudras et nos larmes et nos doutes ne sont que ceux de l'absence. Et
il n'y a d'absence que par rapport à une présence, dans le passé, ou qui peut
se restaurer, se vivre, se refaire, se faire comme une vraie naissance. Mon
printemps ! je pose mes lèvres aux tiennes et m'endors dans ton parfum, tes
cheveux, tes bras, le sourire de tes yeux avant qu'ils se closent, et même sous
les paupières bat encore ton sourire, et de ta bouche se gonfle, léger et
présent, un dernier et très doux baiser, que je recueille, accueille et te
retourne. [xvii]
Le lendemain dimanche, au
soleil de la pelouse devant l'église, pas loin de ce cèdre à l'ombre duquel
nous étions couchés, ou presque, un premier mercredi de ton retour en Août
dernier...
Mon
bel amour, ma femme chérie, oui ! je suis tellement rempli de toi que souvent
j'en oublie l'incarnation, et que porter ton âme en moi, n'est pas forcément la
meilleure écoûte, la peilleure réponse, la vraie chaleur dont tu as
besoin. Et je te parais désinvolte,
distrait, ou égoïste à avoir manqué des téléphones, des appels dont tu avais
soif, pour tenir, pour attendre, pour venir. Il y a aussi que t'appeler, te
téléphoner, t'écrire même - alors que depuis dix-huit mois nous nous serons
déjà beaucoup téléphoné et écrit - c'est chaque fois un événement qui demande
préméditation, mise en présence de toi mentalement, préparation et cadre
intérieurs. Je ne peux te téléphoner n'importe quand ni où. Il me faut comme
disposer des fleurs - ce à quoi tu tiens tant d'ailleurs, fasse que je ne les
oublie pas au dernier instant d'arriver à toi, le jour de l'aéroport... - comme
refiare le lit, comme préparer la chambre, ouvrir les fenêtres, sélectionner le
paysage, faire en moi tout magnifique pour toi. Et puis je vis et fantasme
tellement sur la vie prochaine, la vie avec toi et par toi, la vie en associés,
en amis, en amants, en aventuriers, peut-être en parents, en mari et femme.
C'est - je le sais - toute une série d'abstraction dont me tirent - d'un coup
sec et nécessaire -tes lettres, toujours
très importantes, révélatrices pour moi, si courtes soient-elles, et au
téléphone, tes phrases, tes réclamations, tes indignations, tes mots d'amour à
toi, de ton âme et suivant le ton de ta voix, le ton du coeur que tu as alors,
en confidence (comme tes lèvres gonflées pour ces mots-là, pour ce souffle-là
malgré les kilomètres, ressemblent à tes regards de la nuit, et ces regards où
tes yeux se dilatent, où ton visage a presqu'une impression de douleur et de
nudité à lui seul, ces regards-là sont ceux de la même âme, du même esprit
parfois ironique aux heures de lumière de la journée, quand s'échangent entre
nous la complicité, ou qu'une interrogation te vient, que tu n'as pas encore
formulée, et il me semble te voir pour la première fois...). Tu as des dons
d'immédiateté, un sens pratique qui n'enlèvent rien pourtant ni à tes
attentions, ni à ton romantisme, et que je n'ai pas, en tout cas : pas au
premier degré, et qui font contraste et complémentarité entre nous.
Voilà comment je sens
nos dialogues au téléphone, mais ces dialogues ne peuvent être notre état de
vie, ni notre communication. Avons-nous déjà vêcu ensemble. Almaty était un
commencement, une sorte de danse l'un autour de l'autre, le désir montait mais
ne s'exprimait que peu et ne se vêcut pas. Tes deux premiers séjours ont été un
mouvement constant, un double apprentissage : tu connus mon amour, ma patience,
ma ferveur, ma détermination de te conquérir, de te séduire, de te retenir,
mais t'ai-je montré mes capacités à t'aimer et te rendre heureuse. est-il
possible de monter cela à la femme que l'on aime, que l'on aimera, dont on se
sent dès l'origine de la rencontre, déjà responsable de corps et d'âme : que
rien ne l'abîme, que rien ne la froisse, que rien ne la déçoive que tout soit
beau du premier baiser à la complète nudité, des projets à toutes les
réalisations, des envies d'enfants et des patiences qui seront peut-être ton
voeu ou qui seront peut-être nécessaires. Et je te connus avec tes détresses,
tes solitudes et aussi cette grâce souveraine, cette beauté sans cesse
différente ; tu m'as surpris, constamment, tu m'as captivé, charmé, tu m'as lié
de passion et de curiosité à toi, ma tendresse en a redoublé, une
responsabilité de toi, en même temps que l'expérience forte de ta force, donc
du couple que nous pouvons former à égalité de destin et de parole... En Avril
et en Août, nous avons couru toute la France et aussi toute la gamme et
l'aventure des sentiments, du désir et des projets avec leurs contre-projets...
Ce qui va venir sera tout différent. C'est sûr.
Après le coucher du soleil, ou
presque, aux plages de l'îsthme de Quiberon, côté Océan... et avant de quitter
le monastère pour rentrer dormir à Reniac, après le dîner puis le dernier
office (celui de Complies, à 20 heures 40)
Te le dire, même si tu ne le
lis que plus tard, te le dire, oui mon amour, que parfois, ces jours-ci, ce
soir en t'entendant au téléphone, j'ai l'impression qui m'épouvante que la vie
recule, me quitte, se retire. Tu as besoin de soleil et de chaleur, l'Espagne,
par exemple... mais moi c'est au figuré et au moral. J'ai besoin d'amour et de
chaleur ; j'en ai eu avant toi, avant de te rencontrer, j'en ai encore, pas
assez, et surtout pas dans les conditions de clarté, de transparence, de
décision, de concentration, de consécration que serait le mariage. Mais j'ai
besoin d'un amour et d'un mariage heureux, qui comble ce besoin de tendresse et
de chaleur, qui sécurise cet homme resté enfant et si souvent encore cerné par
la vie, par des peurs inexprimées, ou inexprimables, des peurs d'identité, et
des peurs toutes premières que ne guérissent que le travail, la prière et
surtout le compagnonnage amoureux. J'attends tout de toi, comme tu peux tout
attendre de moi, j'attends la femme, ma moitié, j'attends que celle - toi, TOI
- qui m'a convaincu qu'elle était, qu'elle est celle que j'ai tant attendue et
désirée, j'attends que cette femme soit la femme de douceur, d'attention, de
tendresse qui m'ôte jusqu'au soupçon, jusqu'à l'éventualité que je ne sois plus
jamais seul, et dans le froid.
Tu reviens, et je
voulais - avant notre téléphone de ce soir, depuis cette cabine, dont peut-être
tu te souviens, placée comme elle est, à l'intérieur du mur d'enceinte, du
petit parc à pelouse ombragée de cet été dernier...- oui, je voulais déjà
t'écrire et développer ce que je t'ai dit d'une grande phrase, donc, au
téléphone, tout à l'heure. Que tu arrives vraiment dans les sentiments et les
projets que tu veux, sans aucune contrainte, sans a priori, sans schéma, et tu
m'as répondu que c'étaient bien ta situation et ta pensée.
Oui, je souhaite cela,
mais je ne voudrais pas que ce soit une forme non plus de laxisme. De notre
part ou de ta part. Je t'ai rencontrée pour de bon, pour de vrai, pas pour un
énième "amour" de passage. Je suis fragile, mes équilibres de ces
décennies en t'aimant et en m'abandonnant à notre amour, à toi, très
concrètement, je les perds et sans doute irréversiblement. Je fais ma vie avec
toi, je l'ai attendu, je l'ai souhaitée, ta rencontre me l'a permis et révélé ;
je ne la referais pas après toi, ou contre toi, ou sans toi si tu me fais
défaut, si nous ne pouvons vivre ensemble, si nous ne nous aimons finalement
pas. Tu as toutes les forces de la nouveauté, de la naissance à l'amour, à
l'existence, à l'indépendance, à la liberté et si tu ne fais rien avec moi, tu
peux recommencer ailleurs, autrement, ou attendre quelques mois quelques
années, tu n'en mourras pas - sauf si tu m'aimais et si nous n'avons pas
su, malgré ton amour total pour moi, nous aimer. Oui, viens en toute liberté,
sans schéma, sans projet, mais ne viens que si tu m'aimes, que si
tu sens en toi, par une intuition forte, par une estime de toi-même réelle et
dont je te sais capable (estime voulant ici dire autant compréhension,
connaissance qu'une certaine admiration, qu'un certain jugement positif) oui !
que si tu sens en toi que tu m'aimes, que tu eras heureuse avec moi, que tu
seras heureuse de me rendre heureux. Ces mots, cette phrase, cet aveu, ce
regard qui si fort me frappèrent et donc me déterminèrent, quand nous
redescendîmes à la voiture ce dimanche d'Octobre, il y a dix-huit mois. Nous
allons vivre une nouvelle probation, la troisième... Ce doit être la
"bonne", en ce sens qu'il faudrait de grands événements pour que nous
ayons besoin d'une quatrième afin de savoir si oui ou non nous nous aimons,
voulons et pouvons vivre ensemble. La joie et la gratuité, mais tu viens parce
que tu m'aimes, et je t'accueille parce que je t'aime et que j'ai formé avec
toi les plus décisifs projets. Me comprends-tu bien, mon cher amour ! à la fois
cette totale liberté, mais aussi le sens d'une démarche, de notre approche
mutuelle, de nos baisers. [xviii]
Permets-moi
de commencer par une anecdote : quand j'étais très enfant, je ne
"sentais" jamais le baiser du soir de ma mère, qui avec mon père
venait se pencher sur mon lit, la lumière éteinte déjà, et m'embrasser. Et
parfois, je ressortais de la chambre jusqu'au salon, qui était loin :
l'appartement de mon enfance était immense... avec un très long couloir, et les
chambres et salles de bain assez séparées par un nouveau couloir d'un ensemble
salle-à-manger et deux salons... et j'allais demander mon baiser, même s'il y
avait un dîner d'amis ou de relations, ce soir-là. Il en est de même entre
nous. Ne te vexe pas quand je te répète quelque chose que tu as déjà
enregistrée. D'abord parce que je puis avoir oublié de te l'avoir déjà dit, et
aussi parce que c'est généralement peu signifiant sauf dans l'instant et pour
porter à autre chose, de plus important. Mais en revanche, saches combien la
tendresse et l'affectivité sont pour moi, essentielles.
Notre rencontre n'est pas un
premier amour, une initiation pour toi - même si ce l'est dans la réalité et
pour beaucoup de plans, à ce que tu me confias par bribes et moments - ni pour
moi une aventure de plus. Cela ne s'inscrit pas dans une succession qui
continue pour moi, ou qui s'inaugure pour toi. Nous nous sommes rencontrés, et
je crois, qu'à l'époque, tu le sentis, le voulus, et tu me l'as dit, parce que
nous avons en peu de temps mais très fortement saisis que nous
"ferions" notre vie l'un avec l'autre, l'un pour l'autre, que nous
étions d'une certaine manière au même point, moi voulant une révolution totale,
et donc un commencement que je n'avais jamais eu, et toi sentant que je
pouvais, que je devais être, que je serai l'homme de ta vie. Que des
circonstances, notamment professionnelles, retardent certains de tes voyages,
rendent plus difficiles des prévisions financières, qu'il soit sage de ne pas
ignorer que tu ne pourras seulement vivre à me regarder, à me seconder et à
m'aimer, sinon à élever nos enfants - tout cela est bien évident, et même quand
aucune circonstance n'était défavorable, que l'extraordinaire différence d'âge
et de formation (ce qui peut être aussi un formidable facteur de
complémentarité, d'union et d'admiration réciproque...), il y avait et il y
aurait eu des difficultés. Mais ce n'est pas la raison ni le raisonnement qui
nous fait nous aimer, nous a fait nous rencontrer, et nous fera nous épouser.
Ce ne peut être que l'amour, et l'amour est réciproque. Si je te sens encline à
une relation qui n'est pas l'amour fou, total et nos épousailles au plus vite
pour ne plus gaspiller le temps, pour nous unir, pour jouir de la vie, parce
qu'elle est plus belle étant ensemble - alors quelque chose se fêle, se casse
en moi. La confiance dans notre avenir diminue, peut disparaître. Je ne te
retrouve pas à l'essai, je te retrouve, je t'accueille, je t'attends comme
autant de preuves aussitôt que nous ne nous étions pas trompés, chacun en
nous-mêmes, en nous aimant, en nous attendant, en projetant désormais notre vie
tout différement de ce que nous entrevoyions avant de nous rencontrer.
Or, je te sens maintenant à
voir ta vie à peu près comme elle était avant notre rencontre, sinon l'avantage
et l'intérêt, à beaucoup de points de vue, et tous sont nobles d'ailleurs,
d'avoir quelque part un homme qui t'aime, qui pense à toi, qui fait tout ce
qu'il peut pour t'être agréable, t'accueillir, et une fois sur place te dire et
te montrer le maximum de choses. Je veux dire et je sens que ce sont des
projets de voyage, mais pas des projets de vie - qui maintenant t'habitent. Si
tu ne m'épouses pas, parce que tu ne m'aimes pas vraiment, je ne le regretterai
pas ; notre vie serait infernale si tu ne m'as pas choisi et aimé, tant les
différences objectives qui existent entre nous ne peuvent être des forces
formidables que si nous nous aimons. Sinon, elles nous sépareront très vite. Je
ne veux pas revivre le mois d'Août, je n'en ai les moyens à aucun égard, et si
j'ai tenu à l'époque, c'est que j'avais la conviction que notre projet, notre
attirance n'étaient pas morts, qu'une autre possibilité d'amour, était
parfaitement normale, légitime, justifiée, et que c'était même une salutaire
comparaison à opérer en toi-même, pour mieux te connaître et mieux savoir ce
que tu veux et ce que tu souhaites. Mais on ne se bat pas, on ne peut se battre
contre le non-amour. Je me serais donc trompé - très lourdement, comme jamais dans
ma vie - si tu ne m'aimes pas, si tu ne meurs pas d'impatience et d'envie de me
retrouver, de te consacrer à moi... Tu me diras que tout s'est ralenti, gelé,
que tout est devenu perplexe à cause de la persistance de la séparation. Je
reconnais que ce n'est pas facile, mais moi-même j'ai constamment vêcu dans
l'avenir, dans notre avenir, en toi parce que tu étais l'avenir, à l'évidence,
le seul, le mien. Il me paraissait d'ailleurs tout à fait raisonnable et
équitable - de surcroît - que je sois ton avenir et que tu fusses le mien.
L'avantage, le seul, de mes revers professionnels, puis de notre séparation,
des kilomètres et des mois actuels, et qui pèsent si lourd, c'est qu'au moins
nous ne nous serons pas mariés dans l'euphorie et la facilité pour nous apercevoir,
pour que tu t'aperçoives que ce n'est pas ce que tu voulais, que tu te
sens enterrée, prisonnière, que ce n'est pas ta vie... Si, en effet, j'étais
passé d'une Ambassade à l'autre, c'est certainement ce que nous aurions fait,
et avant tes 19 ans, tu étais la ravissante Ambassadrice de France en Egypte ou
en Bolivie. Tu aurais été embarquée, heureuse, moi aussi, et peut-être ne nous
serions-nous jamais réveillés de ce conte de fées. On peut le regretter, j'ai
cru que ce serait ce conte de fées, mais en même temps je savais ta force, ta
personnalité, et je pensais que cette facilité était un beau cadeau de
l'existence et du destin, mais qu'elle ne serait pas durablement à l'origine de
tout. Les circonstances si adverses rendront le redressement bien plus
savoureux à vivre, nous en saurons mieux le prix, et surtout tu auras vraiment
pris ta décision, et moi, je sais en ce moment que si tu m'aimes, alors
que beaucoup de choses, de l'ordre du matériel, sont décevantes et hostiles,
c'est vraiment que tu m'aimes.
Tu comprends maintenant
la force et la nécessité de ma question, tout à l'heure, au téléphone. Ce ne
sont pas tes réponses, ni ce que nous nous disons depuis trois jours que je
puis vraiment te retéléphoner librement et tranquillement, qui m'inspirent la
suite de cette lettre, mais ce que je sens en moi. La femme que j'attends, qui
m'est nécessaire, ce n'est pas seulement la beauté, la jeunesse, la
personnalité, c'est avant tout son amour ; si je ne suis pas le
battement quotidien de ton coeur, je ne suis rien, et il est vain, sans objet,
totalement abstrait de p"penser" l'un à l'autre. Je ne sais si je
t'apprends là quelque chose à lire en toi-même, ou si je suis d'une race
spéciale : mais l'amour c'est cela, l'habitation réciproque, quelle que soit
l'ambiance, quelles que soient les conditions de température et de distance. Je
le sais parce que je l'ai vêcu, parce qu'on me l'a donné, mais je ne l'ai pas
goûté vraiment, parce que j'attendais que quelqu'un d'autre me le donnât, et
surtout m'en inspirât la réciproque. Et ce fut toi, toi que j'attendais. Si ce
n'est pas toi, c'est que je me serai trompé, toute ma vie, dans cette attente.
Je ne sais ce que je ferai, ni ce que je deviendrai. Je me contenterai
d'exister ? de prendre de grandes et magnifiques offres d'amitié, que je ne
saurais complètement rendre : il y aura quelque chose d'éteint et d'inoccupé en
moi. Ou bien quitterai-je la vie ? Je ne sais pas. Déjà, je sens ces jours-ci
que tu t'es retirée de moi. Ce n'est pas une visiteuse que j'attends, c'est une
amoureuse. Ce que je t'ai proposé en réponse, très vite, étonamment vite, avec
une assurance qui m'étonnait chaque jour à mes réveils et à mes
endormissements, ce que e t'ai proposé, c'est le partenariat total. Ne te
préoccupes pas des études, du métier, de ta vie quotidienne, nous le ferons, le
déciderons, le trouverons ensemble. Il y a des ressources en France, il y a des
idées dans le monde et où que continue ma carrière et même si elle ne se
continue pas, il y aura à faire et à trouver pour toi, sois-en certaine.
Je t'écris en toute confiance
mentale et intellectuelle, espérant qu'ainsi je t'aide, la main dans la main, à
me correspondre, à correspondre à l'amour, à retrouver ce que tu as par moments
intensément cru et voulu, et qu'il me semble qu'actuellement tu ne sais plus.
Peut-être que je noircis le tableau, mais que tout ce temps où nous ne sommes
pas ensemble, au moins serve à notre détermination, dans quelque sens que ce
soit. Il n'y a évidemment aucun critère ni petite chose. Mais tu sais, et tu me
l'as écrit le ..., et au téléphone tu me l'as promis... - tu sais combien
quelques lignes, quelques mots de toi, racontant tout bonnement ta vie
concrète, ou telle pensée du jour, me remplissent de bonheur, m'apprennent sur
toi. Me donner cinq minutes chaque jour, où tu veux, comme tu veux, mais
à heure presque fixe, comme un rendez-vous amoureux en m'écrivant quelques
lignes, en les postant dès que le poids maximum est atteint : deux ou trois
pages... voilà qui est simple. Tu ne le fais pas, en six mois, quatre lettres !
Ce n'est pas un reproche, c'est une constatation qui ne me ferait aucun mal, si
au téléphone tu étais brûlante. Je reconnais que tu t'es inquiétée de mon
silence, je sais ta pudeur, la forme de ton caractère, cette rationnalité que
tu as, comme armure extérieure, et que mes appels, tu en as le besoin et la
douce habitude. J'aurais aimé que tu bouscules le monde entier, et que tu me
téléphones de l'aéroport de Paris : je n'ai pas eu le temps de te
prévenir, mais ta femme est là, qui t'attends, quand arrives-tu mon amour,
quelques minutes, quatre heures au plus ? je sais le trajet vers la Bretagne.
Et c'est cela qui renverse tout...
Voilà, mon cher amour, à
toi de savoir et de décider si tu fus une illusion, si tu es du passé pour moi.
Je n'ai pas envie de revoir une femme qui ressemblera à celle que j'eusse aimé,
et qui m'aimait, mais avec qui discuter emploi du temps, difficultés et
calendrier. Je veux revoir mon amour, je veux vivre notre amour. Tu sais, je
suis sûr que tu le sais : il n'y a pas de degré dans le don et l'on sait bien
si le coeur tout entier est ouvert, ou si les restrrictions et les conditions
encombrent non seulement le seuil, mais tout l'intérieur... Ce silence, que je
ne voulais pas, pendant une douzaine de jours, t'a-t-il fait prendre conscience
que tu m'aimes, que je te manquais ? Moi, avec ton téléphone occupé pendant des
heures, réellement, et plusieurs jours de suite, je ne pensais qu'à une avarie
de machine. Peut-être suis-je injuste et te faisè-je mal à en t'écrivant ainsi,
mais si cela devait appeler de ta part une protestation : comment peux-tu
douter que je t'aime et que tu ne sois mon souci constant ? mon bonheur à
venir, et déjà mon bonheur du passé le plus beau de ma vie ? Toi, mon cher
amour, tu m'as déjà donné de l'inoubliable, mais il reste à me donner : TOI...
Le
veux-tu ? [xix]
... tu as accepté notre
séparation, il y a maintenant plus de quinze jours, mais tout me paraît encore
si présent et si proche. Toi, si présente, si proche que je vois, et entends,
puis tâter et toucher de la main, que je désire et caresse... inventivement,
précisément. Tu as su cheminer vers l'émotion, vers plus de durée en nous et
aux côtés l'un de l'utre "ensuite", et tu es une maîtresse aux talents
innés et sécurisants. Toujours, tu sais me ressusciter. Je te donne mon sexe,
tendu au-dessus de ton visage et de ta bouche, j'aime quand tu le prends à
pleines lèvres, à plein gosier, que tu le tends encore plus. J'aime quand de ta
main, tu le fais revivre, tu tires vers la racine, tu exaltes la tête qui
violace et grossit. J'aime quand tu le prends pour le mettre d'un seul coup,
avec aisance, en toi. J'aime être en toi, m'y sentir puissant, fort et éternel,
et j'aime que tout soit alors lent tandis que je te regarde et que je voudrais
toujours quelque chose qui progresse et qui monte dans ton regard. J'aime
introduire profondément le doigt, ailleurs, sentir que tu le gardes encore
serré en toi, j'aime sentir que tu frémis de là et aussi autour de mon sexe, que
tu m'accompagnes, que nous sommes ensemble quand soudain arrive la délivrance,
et que nous sommes dans le singulier pays d'avoir été dans ce pays...
Je t'embrasse, je te regarde,
je mets ma langue et mes lèvres, doucement comme tu as souhaité que j'apprenne
par toi et pour toi à le faire, ma langue et mes lèvres dans ta bouche, et
cette large et douce rivière qu'est alors ta bouche, puis ta langue à la
rencontre de la mienne. Le kiosque à musique de Vitoria, notre retour de
Cancale à Saint-Malo, une fin d'après-midi ensoeillée et bleue, les herbages de
la côte, les murailles de la ville étaient du même or jaune, tu étais fort
belle, à mon goût, à mes mesures, je ne te pensais pas même nue, tu étais ma
femme et nous marchions ensemble, découvrant ensemble paysages et laisses de
mer. Nous avons mis du temps à rentrer, la nuit fut noire, nous sommes-nous
aimés, mis nus dans le lit quand nous fûmes de retour, comment commençons-nous
alors ? Je ne me souviens que du milieu, ton milieu, et de la fin, notre fin,
mon sexe dans le tien, tes mains qui parfois continuent de caresser et de
prendre autour de mon sexe ou ce qui va avec, les miennes à tes cheveux à ton
cou pour laisser libres tes bras, ma bouche continuant de sculpter un de tes
seins. le plaisir puissant, large, vitorieux, resplendissant, sain comme un
fruit mûr mais pas trop. C'est le nôtre que nous prenons ensemble avec du
temps, comme on serait à table, une table solide dans un cuisine chaleureuse au
plafond bas et intime, des fenêtres petites, des pots de fleurs dedans et
dehors à ces vitres, et ton corps blanc et frais, puissant et évident, ton
visage de femme qui sait... ton visage d'enfant qui attend, qui ne sait qu'un
peu, et la joie éprouvante de nos sexes quand je frôle et attouche et effleure le
tien, les lèvres de ton sexe parmi les épis du pubis et de tes poils courts (si
ceux-ci poussent et repoussent librement, tant mieux, s'ils deviennent plus
doux et abondants, font une tache qui s'élargit sombre au bas de ton ventre, et
que tu ne t'y refuses pas, c'est bien, j'aimerai aussi et peut-être
davantage...), les lèvres de ton sexe répondant très doucement, intimement,
fémininement - leur manière de sourire au passage du mien qui leur fait
connaître d'avance sa raideur et sa force, sa petite fente minuscule que tu
sais explorer et dégager quand tu as tiré les colliers de l'autre peau et de
l'autre couleur pour que surgisse heureux et fort le casque du guerrier. La
peau si fragile, presque transparente, de ce casque fin qui respire, sent -
mieux que n'importe quelle âme, quel esprit - la douceur qui t'est propre,
l'humidité qui est venue, sous-jacente, à tes lèvres nues qui s'entrouvrent. Il
passe et repasse doucement, puis il s'enfonce et revient, c'est toi qui
accueilles et fais les honneurs, c'est moi qui suis de retour [xx].
[xx]. - A Hélène - Reniac, le jeudi 19 septembre 1996 - matin qui commence, or sur les
arbres, me semble-t-il rien que pour moi. Ta silhouette de dos, nue, quand tu
te lèves sans mot dire, le matin, de notre lit. Nue, d'une seule pièce sans
couture, sans un trait, une mouvante surface blanche, le lisse extraordnaire de
ta peau, ton visage de très petite fille, quand tu soupires alors que je suis
sur toi, en toi, mon visage si près du tien, mon sexe planté profond en toi. Tu gémis et je te
regarde...
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