vendredi 13 juin 2014

l'entretien d'embauche - récit juillet 2002 - (2)



II








Il l’avait vécu un soir, en Février, dans un Paris dont il ne se souvenait pas qu’il ait été bruyant, ni qu’il y eut fait froid. On était non loin de la rue du Faubourg Saint Honoré, mais cette croisée-ci de rues où se trouvait un hôtel particulier sans âge, époque ni nom d’hérédité ou d’architecte créateur, était grise, crépusculaire, un décor où ne passait personne et qu’il quitta pour entrer dans un autre. Vécu quoi ? une rencontre intime sur un ton et à des propos auxquels il ne s’était pas attendu. Il avait écrit son offre de services, sinon de compétence, à un homme dont il ne savait rien, sinon qu’un camarade, faisant dans le conseil en recrutement à titre bénévole, pour l’association dont ils étaient tous deux anciens élèves et qu’il était allé voir à tout hasard, lui avait dit qu’il était en recherche de quelqu’un, ou d’idées, ou d’un interlocuteur, ou d’une stratégie. C’était vague, cela sentait la place à prendre, mais pas la place toute faite ayant son cérémonial de prise de possession. Il devait se présenter lui-même. A sa précédente disgrâce dont il ne s’était sorti que par l’amitié de quelques aînés dans son administration nourricière et d’origine, il avait tenté d’approcher un autre très grand patron, confirmé déjà par les médias, qui avait l’hôtel particulier de son groupe rue de Tilsitt, autour de la place de l’Etoile. L’empire, car c’en était un, était du genre faisant alors florès, on achetait des métiers plutôt que des marchés et on révolutionnait par une ou deux techniques nouvelles donnant à croire au chaland qu’il était promu et trouverait honneur à acheter. Cela, en final. Mais l’outil brillait aussi bien dans l’édition, la communication que dans l’industrie de pointe. Le dirigeant était encore jeune, il avait femme et surtout enfants, il pensait à l’antique au mariage de ceux-ci et à la Balzac à cet enoblissement que la durée dans la richesse confère en sus de la puissance. Il s’était attaché un quatuor de cadets qui faisaient ses partenaires au tennis le dimanche matin et dont il appréciait la familiarité. Ainsi, était-il inatteignable sauf pour les chroniqueurs sociaux et les photographes, la bourse pesait si peu qu’on croyait à l’époque pouvoir l’ignorer et de fait les secousses étaient monétaires ou arrivaient de l’étranger. La boucle n’apparaissait pas qui enserre le pouvoir politique et l’entreprise à grand rayon d’ambition ; on n’avait pas encore la sensation de réseaux internationaux où se débattait le pays et où le politique serait peu. L’Histoire semblait encore s’écrire en alcove et du fait de la jalousie du second pour le premier, il y avait donc beaucoup de politique intérieure et des haines de théâtre, les seules véritables. Pour qui était régulièrement par un secrétaire général de la Présidence de la République, suremployé puisqu’avec une dizaine de collaborateurs seulement, le Président sans majorité devait tout seul tenir bon et desserrer une strangulation lente par tout l’appareil d’Etat, par toute la coincidence des dossiers que maîtrisait désormais jusqu’à la prochaine élection un très probable vainqueur. Prenant des notes sous les yeux du dégingandé de charme et de simplicité qu’était et que demeure Jean-Louis Bianco, dans le bureau d’angle que Valéry Giscard d’Estaing avait choisi pour sien de manière à faire dans la différence d’avec de Gaulle et plus encore d’avec l’ancien Premier Ministre et tombeur de celui-ci, le conseiller commercial rappelé du Brésil, coupé des indemnités de résidence et des colonnes de ce « grand quotidien du soir », regardait l’Histoire s’écrire et hésiter, après avoir s’être cru proche de l’ordonner chaque soir dans le bel emploi de qui donne à signer au roi ce qu’en serviteur avisé et méritoire il a mis en forme. D’un garçon au visage flou et à la silhouette replète, petit et marchant de long en large dans un bureau peu vaste, exactement à la manière dont Jean Sérisé l’avait souvent reçu, il y avait déjà une dizaine d’années, il s’était entendu demander s’il avait des références et qui pouvait répondre de lui … Lors d’une tentative électorale, la succession de l’inusable Edgar Faure dans le Haut-Doubs quand celui-ci passa, par appréciation juste de sa vulnérabilité aux législatives, du statut de député à celui de sénateur qu’il obtint de justesse – ce fut un spectacle exceptionnel que de voir et entendre, presque sentir olfactivement au cours d’un repas dit de la majorité et qui à Besançon rassemblait un millier de votants,  ces élus locaux, maires et conseillers généraux inentamables quand ils ont décidé le secret d’un opinion ou d’un choix de personne, l’ancien Président du Conseil dont les aboyeurs disaient qu’on ne présente pas une personnalité de stature internationale, telle que… suer et exprimer sa crainte que les communistes ne se maintenant pas au second tour de l’élection, la liste socialiste l’emporta de tous ses trois candidats – il avait entendu un lauréat de comice agricole, maire du plus jeune âge et de fragile quoique effrontée prestance, lui dxemander tout bonnement qui l’envoyait ainsi à lui, gérant de Saint-Point et du lac du même nom, entre vaches, sapins, château de Joux et frontière suisse. Il avait également entendu un conseiller général dans un bureau de vote puisque la campagne avait sa fin, on était en Novembre 1980, se plaindre de ce qu’il y avait trop de candidats et qu’on ne savait plus pour qui il fallait voter. La démocratie par les oreilles et l’embauche ou l’élection par recommandation, en fait par cooptation. Et la victoire par la passagère défaillance de l’une des deux masses qui à égalité avec l’autre avait d’abord poussé celle-ci, puis résisté à une contre-poussée et soudainement le terrain avait glissé, n’avait plus offert de quoi se caler. Depuis plus de vingt ans, la France politique n’a que cette stricte observance, aucune majorité à l’Assemblée Nationale n’est reconduite, ce qui comme antan, mais à intervalle de cinq ans sauf dissolution, donne un coup pour toi, puis un coup pour moi et pose donc le métier politique en profession où n’être pas ministre n’empêche pas d’être député-maire-conseiller général pour le moins, et inversement ou réciproquement un peu plus tard, ce qui comme il est naturel engendre des pratiques de services à rendre pour n’avoir pas trop à les solliciter quand s’inversent les rôles.
Une chronique trop brillante et trop tôt obtenue dans un organe trop autorisé et écrivant presque chaque jour quelques lignes des tables de la loi, une profession de généraliste quoiqu’elle eût sa précision et sa rigueur d’expérience et de situation à créer ou à dénouer avec les mêmes sanctions que celles du monde des affaires, c’est-à-dire l’exécution d’un contrat ne donnaient ni passé ni alliés au candidat à l’entrée dans un grand groupe. Il n’avait su que bredouiller le nom de l’Ambassadeur qui n’avait pas su empêcher qu’il fut rappelé, extirpé hors d’un pays de rêve qu’il commençait à peine de savourer, et celui du secrétaire général de l’Elysée. Insuffisant. L’idée qu’il avait à proposer était artisanale, pas plus dérisoire ou puérile que le fonds de commerce des plus industrieux et enrichis de nos contemporains, du pneumatique, de l’huile, de la console informatique, du décodeur. Soit une matière première ou un produit dont personne, consommateur ou fabricant ne peut se passer, soit un procédé virtuel ou très mécanique permettant de dériver automatiquement et sans tierce déperdition un flux financier ou quelque flux que ce soit pourvu qu’il soit convertible facilement et sans frais annexes en flux financier. On proposerait aux sorties des salles de cinéma, dont l’empire sis rue de Tilsitt, avec stationnement serré des voitures toutes de même marque, gabarit, couleur et brillant, entre grille style années 1930, chaussée embouteillée et façade sans recul, contrôlait et avitaillait un nombre exponentiel, le texte, ou les images, voire la réplique qu’allait bientôt permettre la technique, le spectateur serait aussitôt consommé le spectacle possesseur des rééditions à se donner privément. D’autres idées pourraient survenir si une meilleure connaissance des productions ou des emprises du groupe était loiisible. Se faire fort de saisir puis développer une novation par jour, il en était capable mais n’avait pas convaincu et après deux ou trois entretiens verbeux de ce genre où assis sur un canapé, les genoux serrés il laissait aller ses yeux d’une commode surchargée de photographies dédicacées par Lagardère à la gestuelle de son stratège, se nommant Gergorin et enseignant la vision planétaire dans quelques universités et autres colloques, comme la manie en commençait de poindre au milieu des années 1980.

En Février 1996, on était au premier hiver d’un règne si longtemps brigué que le prétendant et les électeurs l’avaient commencé fourbus, après que deux surprises aient failli faire tout capoter d’un parcours de trente ans. Nommé Premier Ministre sans que son avis ait été requis, mais son accord était prévisible, Edouard Balladur faillit doubler Jacques Chirac. Ce devenait une manière plausible d’analyser tout des comportements qu’ont les grandes gens à la tête de beaucoup de choses et en puissance de beaucoup d’autres, à partir d’une unique intuition, constamment transposable. Chacun craint de se faire piquer son rang dans la queue, la place qu’il a mis tant de soin et de fatigue à conquérir et se relâcher, perdre une seconde ce que l’on a, y admettre en proche quelqu’un d’un gabarit voisin du sien est mortel. On ne remonte pas dans un train dont on est tombé en marche. La règle est plus impérieuse que la fidélité au programme ou au clan grâce auxquels on a ôté un peu d’égotisme à une candidature toute personnelle. On habille de mérite, de dévouement, d’une sagesse hors du commun celui et celle qui l’emporte, mais le si peu qui a fait la différence à l’instant unique où se fait la décision avait certainement un socle immense et depuis longtemps présageant rétrospectivement l’immanquable succès du nouveau propriétaire. De celui-ci, il avait d’abord pensé n’avoir pas perdu la relation. Précisément, l’élection partielle dans le Haut-Doubs lui avait fait rencontrer le maire de Paris. La campagne les passionnait tous deux, Jacques Chirac, en connaisseur voyait le candidat quoique sans répondant, sans appui, puisque sans investiture, faire des progrès, remuer quelques esprits, gagner certainement des voix et ne pas démériter. Ils en avaient débattu et le pontissalien d’adoption avait même obtenu, en espèces que l’ancien Premier Ministre et futur Président de la République était allé chercher dans une armoire forte au recoin d’un des plus vastes et plus imposants bureau de tout Paris sinon de la planète. Quoi que vous fassiez plus tard, et même si vous me traitez d’un va-de-la-g… sachez que ce je fais pour vous aujourd’hui, je l’oublie du même coup et que cela ne vous lie à aucune reconnaissance, ils s’étaient quittés une première fois sur ces mots tandis que Joan Baez, parce que Georges Pompidou en avait été féru, entrait chez le maire et recevait sa main. Une autre fois, de l’argent encore lui avait été donné. Ses dépenses de campagne n’étaient pas couvertes, loin de là, il allait en supporter les dettes une bonne dizaine d’années jusqu’à ce qu’enfin libre il contracte des emprunts pour se donner racine mais à l’opposé du Jura, en plate Bretagne du sud. La nuit du premier tour, il avait mis, entre lui et le ring dont il avait été débarqué faute du minimum qui était élevé en pourcentage des inscrits, quelques centaines de kilomètres et un communiqué donnant à ses électeurs toute indépendance de jugement pour le second. A quatre heures du matin suivant, à la nuit noire, en baie de Saint-Tropez, une marina que lui prêtait quelques jours un très proche du président régnant, qui faisait dans le champagne à travers toute l’Allemagne avec tant de succès que ce serait l’un des fleurons les mieux sertis du futur L.V.M.H., Jacques Chirac était « au bout du fil », lui demandait ses voix, lui décrivait la lutte au couteau entre son mouvement, nos idées et nos convictions, insistat-il, et Valéry Giscard d’Estaing, grand favori pour une réélection à venir dans un semestre. Ainsi, chacune des six élections législatives partielles du prochain dimanche était décisive et les presque trois points que lui-même pesait dans le Haut-Doubs feraient la différence. Il le refusa, le maire de Paris ne lui en voulut pas et l’entretien d’embauche, qu’il eût fallu ne pas manquer et dont il ne savait pas sur le moment qu’il ne se reproduirait jamais, eu lieu en forme. Au début de 1981, François Mitterrand appréhendait qu’au second tour il ne fût pas présent, tant la verve et l’activisme de Jacques Chirac emplissait l’arène et restait forte la possession d’état de celui qu’on attaquait à propos de diamants pour ruiner plus efficacement une image publique perdue de contrôle. Mais Jacques Chirac voyait la déconfiture de Valéry Giscard d’Estaing et son propre passage en tête de toutes les droites, il y avait donc des circonscriptions à gagner, Thionville fut mis à plat sur la grande table de travail du maire, Jacques Toubon et lui se tutoyaient, le cadet était au milieu, voyait les chiffres, imaginait une rue principale en descente, des pavés pour chaussée, des briques pour encadrement des fenêtres et ce n’était pas la tristesse probable et l’anonymat obligé de marches frontalières ni vraiment à l’est ni vraiment au nord du pays qui le firent refuser, mais d’avoir à évincer un communiste, des communistes et toute une dialectique de générosité et de tradition militante, au nom de quoi ? et pour qui ? La chance ne passait pas encore, il fut sollicité de donner son avis, le maire avait-il à se présenter lui-même à l’élection présidentielle ? Non, répondit-il, le tour viendrait et Michel Debré était à honorer, quoique lui-même ne le soutint pas, toutes les tentatives de copies conformes à de Gaulle depuis Avril 1969 et jusqu’en Avril 2002 ont sonné faux, et tout autre que l’homme du 18 Juin est grandiloquent, usurpe quelque chose quand le texte appelle la France à la rescousse et renvoie dos à dos les grandes divisions de la gauche et de la droite. Et quand un peuple a la mémoire défaillante, c’est diminuer le héros que d’en présenter un mime. Le dernier épisode se joua en costume et sur la véritable scène, au premier étage du palais de l’Elysée, quand parvenu au haut de l’escalier qui n’est pas vraiment majestueux et qu’on peut contempler aussitôt les portraits peints en pied, pas mauvais, de Charles de Gaulle en sombre et en manteau  et de Georges Pompidou en embrasure de fenêtre, tous dos immobiles et paraissant réconciliés, il se trouva là, à attendre d’entrer chez le secrétaire général et que le nouveau Premier Ministre, Jacques Chirac une seconde fois mais en maître sous un Président diminué, l’aperçut, sans un mot, le regarda photographiquement. Ce jour-là, il était un traître puisqu’il visitait le dernier bastion que le prétendant allait enlever. Ils se revirent à la portière du président du Kazakhstan, l’amnbiance était fonctionnelle et un Ambassadeur n’a pas à solliciter un maire, même si celui-ci l’est de la capitale, tandis que va une visite très officielle.

Ni du sérail politique donc, ni de la carrière diplomatique proprement dite, ayant compris que son administration d’origine lui en voudrait irrémissiblement d’avoir joui de la vie et de fonctions sans lui en dire merci à chaque instant, et d’avoir ainsi vécu sans souci d’une dette et d’une jalousie qui semblait maintenant s’être propagée dans les couloirs des grands bâtiments d’entre la Seine et la gare de Lyon à tel point que même des inconnus assuraient le connaître et avoir à le virer, il arrivait au bout d’une errance d’un an qu’il ne savait pas n’en être qu’à des débuts. Il avait donc écrit au ministre pour faire courir les délais du refus implicite de décision, au sens du Conseil d’Etat, puis à toutes les entreprises, à leur tête respective, dont il avait gardé la trace d’une représentation au long de ses pérégrinations sur nos marchés extérieurs. Cela va, hier comme aujourd’hui, de la restauration en grand à l’avionnique et aux fabrications d’armes sophistiquées, de la publicité aux vieux noms et aux méthodes nouvelles d’images jusqu’à quantité de pétroliers, gaziers, avocats d’affaires, faiseurs de mariages entre entreprises et autres grands groupes de banque, d’assurance, de finances et de services. Il n’en connaît au moment où il passe le premier sas en début de soirée, rue d’Astorg, que des représentants qu’il a beaucoup, et parfois avec agrément, pratiqués, mais il avait, es fonction, l’avantage de parler à des salariés ou à des commissionnés tandis que lui paraissait indépendant puisque chargé des prérogatives de l’Etat et de distrubuer ou de recommander la distribution de quelques subsides ou perspectives de subsides qui vont avec la puissance publique, selon presque tous les Français. Position dont il ne réalisait pas encore, tant le changement était rude, complet, combien elle avait révocable à proportion justement de son agrément et des apparences de son inexpugnabilité. Il avait fréquenté des raisons sociales sans en connaître le visage dirigeant quoique des noms lui soient devenus familiers, presque des sigles appelant des vies et des biographies de roman, Pineau-Valenciennes, Suard, Gandois, des industriels auxquels venaient s’ajouter la génération montante qui agilement – privatisations ou natiuonalisations, et l’inverse – avait fait des échaufaudages et se hissait sans rien montrer d’antécédents ou de savoir-faire appris sur le tas, jusqu’aux étages nobles. Lagayette et Peyrelvade, Haberer succédaient, à raison seulement d’une appartenance brève au cabinet d’un des successifs ministres des Finances, aux rejetons bichonnés de la banque protestante, de l’industrie de famille, du groupe centenaire ayant fait du canal, du chemin de fer, du fret et toujours beaucoup d’argent qu’à tort on plaçait soudain dans l’immobilier et l’assurance. C’était assurément du concret mais qu’il ne connaissait pas. En Asie centrale, il avait tâté sinon du pétrole, du moins des foreuses gigantesques et filiformes et visité, sans précaution, Loïc Le Floch-Prigent, battant froid un parterre de diplomates, tous nommés dans des territoires dont les frontières ne dépendent pas des traités mais des intérêts. Il avait su, au haut de ce qui n’était pas un hôtel particulier, mais une tour de verre à la Défense, se faire admettre au tête-à-tête avec cet homme, qui avait en commun avec François Mitterrand, l’effet de cour et l’aura impérial quand il était en spectacle. L’entretien avait été particulier et confiant. Ils étaient d’âges analogues, de rang moralement égal, mais l’un était une puissance économique et l’autre, certes nommé en Conseil des Ministres, se savait appelé à la prudence. Il avait été cet autre avec habileté, pouvait-il croire. La confidence avait été en deux parties. Le pédégé ne savait qui commençait de gouverner et aurait à décider dans l’ancienne République soviétique, indépendante presque de mauvais gré. Si l’Ambassadeur pouvait lui dessiner une carte du tendre, bien des commissions seraient épargnées et les Français, dans l’art de corrompre, ont le don de se tromper de destinataires et de laisser troip d’intermédiaires à leur trace au présent et pour le futur, le premier décisif et éliminatoire et  le second, par construction, incertain. L’autre partie de l’entretien avait porté, sans qu’on puisse croire à de la prémonition, sur la précarité de tout dirigeant d’un groupe pétrolier qui n’est pas anglo-saxon mais parvient à se faire reconnaître parmi les dix premiers, peut-être même parmi les cinq. La barbe de belle taille et couleur Renaissance, qui appelait une bouche et des lèvres appliquées à un verre de cristal taillé accueillant le meilleur vin couleur carmin, dissimulait en réalité les tics et la vieillesse installée d’une angoisse que confirmait les ongles rongés à des mains potelées. Approché de part et d’autre d’une table étroite et nue, l’empereur avait peur et avouait ne tenir la suite de sa carrière, comme sa nomination et à plusieurs reprises sa protection personnelle, de François Mitterrand. Ils avaient pu, se souvenait-il, échanger leur expérience personnelle du souverain, son attention aux personnes, la douceur pénétrante de sa voix, de son ton, de ses observations, sa grandeur en somme mais son secret surtout. Un pétrolier et un diplomate, surtout s’il leur faut s’appliquer à comprendre l’Asie centrale, les idiomes dérivés du turc et les races dérivant et s’accrochant aux buissons et aux troupeaux des steppes qui tous déambulent comme des mers et du vent sans contour ni orientation assurés, doivent apprécier de tels maîtres au regard qu’on ne perçoit pas mais à la fascination courtoise qu’on subit et qu’on accepte, non sans gloire ni plaisir.

Le pédégé du petit immeuble noyé dans une nuit américaine, avec qui il a rendez-vous marqué à la fin des heures diurnes de bureau, est donc pour lui le second du genre. Il ne s’imagine ni ne se pose en solliciteur. En littéraire impénitent parce qu’inédité, il se réjouit davantage de connaître, de voir de près un personnage dont il ne sait encore rien, pas même l’apparence physique. De ses collègues en diplomatie ou au ministère du quai Branly puis de la rue de Bercy, il n’a jamais eu la curiosité, il les regarde comme des compagnons de chaîne – car l’humilité contraint chacun et que dans l’administration on est tour à tour gérés et gestionnaires, lui-même ayant fait exception et qui n’aurait souhaité en centrale qu’un emploi itinérant d’inspecteur ou d’arrangeur des ressources justement qualifiées humaines – ou des co-initiés jouissant d’une existence et révérant quelques rites comme il doit y en avoir derrière la clôture monastique. Le sort et le poids de chacun, quand on est du même monde, se lisent dans les annuaires, se modifient, se décalent, se rattrapent par une nomination dont la rumeur a couru longtemps avant qu’elle n’intervienne ou se manque in extrêmis, ainsi manqua son débouché depuis le cabinet de Pierre Bérégovoy, un André Gauron certain d’être commissaire au Plan, et qui l’avait constamment aidé dans sa brigue à lui d’un poste qui n’étant pas à la décision du ministre des Finances et de l’Economie, serait plus facilement obtenu par témoignage indirect d’une valeur que personne ne vérifierait en confectionnant, sur ordre, le décret aux trois signatures constitutionnellement qualifiées. Du proche collaborateur de ce ministre qu’il aimait, il avait ainsi entendu le récit des motifs derniers pour lesquels la France avait finalement accepté de participer à la première des guerres d’après la chute du mur de Berlin, ces guerres télévisées à tous contre un que commentent des experts nationaux ivres d’une servitude intellectuelle et logistique envers une hégémonie méprisant la faiblesse de ses alliés et leur rouerie de serviteurs contraints mais exonérant, par son excès même de puissance, toutes les vilenies du consentement à la dépendance. Ce n’est pas l’Ambassade de France au Koweit qui avait été saccagée par les gens de Sadam Hussein, mais la video. et les chaines stéréo. de l’Ambassadeur à sa résidence dont il était d’ailleurs absent au moment des faits et où l’on pouvait entrer rien qu’en écartant les battants simples de porte-fenêtres de plain pied sur le sable. La dépêche d’agence avait été passée au Président de la République, conférençant à Prague pour tenter d’opposer à l’annexion d’une petite Allemagne par une plus grande et mieux située, la logique d’un autre agencement de la vieille Europe, des cardinaux de l’ancienne Autriche-Hongrie, des gens de théâtre devenus chefs d’Etat, des représentants de forces vives mais peu de parties réellement prenantes avaient accepté l’invitation, écoutaient le discours mais desservirait le dessein qui venait décalé et tardivement par rapport à une Histoire qui, une nouvelle fois du côté de la Bohême et de l’Oder avait forcé les choix. L’ambiance n’avait pas été à la réflexion, ce fut la dépêche d’Ems d’autant que nous ne serions pas en première ligne. Le point intéressant était que Pierre Bérégovoy et ses collaborateurs suivaient donc la grande politique, celle dite étrangère, et qu’une nomination d’Ambassadeur pouvait transiter par eux. Fermer notre représentation à Pankow lui avait été proposé, il l’avait décliné puisque de Vienne où il était affecté depuis qu’il avait été sorti de sa première disgrâce, il savait trop que Berlin-Est ne pouvait survivre à l’air libre, ou alors il eût fallu faire adhérer cet Etat qui avait failli devenir un pays parce que l’Allemagne est aussi multiple qu’elle aime son unité et être forte, directement et en tant que tel aux Communautés Européennes. Le concert intime eût garanti une certaine différenciation et ce n’eût pas été un second Anschluss ; les mots et les réminiscences étaient forts et périlleux. Il en avait appris les distinguos, avec une dilection de plus en plus grande, en même temps qu’il acquérait quelques rudiments d’allemand tel qu’il est parlé à Vienne et censément au Burgtheater. A l’époque Jacques Chirac, voulant faire plus fort que François Mitterrand et n’être pas en reste d’une unification, avait évoqué l’Autriche au programme du chancelier Kohl, tandis que circulaient des journaux d’une autre inspiration où la République démocratique lâchée par Mikhaïl Gorbatchev n’était à la une qu’en tant qu’Allemagne centrale. C’était aussi le moment où Moscou et Bonn échangeaient des signatures au bas d’un traité de bon voisinage. Où était la Pologne ? Grandiloquence discrète des évocations en privé de diplomates en déshérence de postes. Dernière à Berlin-Est, une épouse Timsit était donc devenue conseiller diplomatique d’Edith Cresson, promue à Matignon. Le jeu des chaises musiciennes, puisqu’à la prise de ces mêmes fonctions par Pierre Bérégovoy, il avait voulu succéder à celle à laquelle il lui avait été proposé de succéder à Berlin. Dans une vie humaine, surtout si elle est faite de migrations dans les organigrammes publiques ou des grands agrégats économiques et financiers, on ne rencontre que quelques mêmes gens, une petite centaine dont seuls une grande vingtaine ou une petite cinquantaine restent familiers, qu’ils soient vos riveaux, vos tortionnaires ou vos commanditaires et parfois bienfaiteurs. Mais l’âge fait vieillir et il n’est pas faste d’être géré par plus jeune que soi, les vitesses ascensionnelles ne s’accélèrent que pour la génération montante. Quand un Ambassadeur de France dignitaire dont il avait passionnément, décisivement désirer pouvoir aimer la fille, quelques secondes pour l’avoir regardée rejoindre son père chez Ledoyen où celui-ci le traitait brièvement, vous pince au sang à travers votre veston de cérémonie parce que vous êtes plus familie que lui d’un Premier Ministre officiant, vous percevez que la lutte dure jusqu’aux obsèques et au niveau protocolaire de celles-ci entre ceux qui sont arrivés avant et ceux qui, sans rien vouloir ôter aux aîéns, au contraire, veulent simplement avoir un tour, certes bien moindre, mais quand même un petit tour. Il avait eu la gloire brève mais enviée, ce pincement par un Ambassadeur qui avait trois ans durant, et quelles années ! celles du soir d’un très grand homme, été chargé de la presse à l’Elysée, et qui n’avait donc rien à jalouser en rien, signifiait qu’on ne tolérait pas qu’il puisse parler et même interpeller un Premier Ministre, simplement parce que celui-ci lui en avait mieux que la permission, la coûtume, la liberté. Natives.

On lui donne ici son titre honoraire d’Ambassadeur, on est venu le chercher au bas d’un escalier faisant immeuble de maître, on passe par des entresols, puis ce devient vaste et prestigieux, on passe un palier, les parquets y sont croisés, personne mais cela ne semble pas désert et sans préavis ni temps d’arrêt ni lieu de transition, il est face au maître des lieux qui raccompagnant deux quidams semble s’excuser de ne l’avoir pas fait attendre. Rien n’est feint, au contraire. L’homme se présente, ce qui est intelligent puisqu’ils ne se connaissent pas et que sa qualité de chef n’est pas surimprimée à son visage. Sensation de solitude que produit cet homme, mais sans manifester ce qui va avec, une souffrance ou des failles. C’est donc lui en costume orange-brun, chandail à pointe orange et très ordinaire sous la veste. Les mêmes chaussures à boucle que son visiteur de fin extrême de la journée, le cheveu presque gras, abondant sur une tête un peu plate, un bouton au milieu du front, mais le visage est attentif et souriant. La personne parle sans hésiter, mais se laisse conduire et reprend les mots de l’interlocuteur, quand ils ne sont pas les siens ou paraissent plus précis ou originaux : est-ce une suprême politesse ? n’engageant pas. Ce ne semble ni affecté ni calculé. Le pédégé met à l’aise, de but précis que bien recevoir celui qui vient à lui et qu’il reçoit. Vous buvez quelque chose ? La table qui fait plateau entre eux, avec une vitre, le plafond disproportionné par sa hauteur, une toile moderne, de très grandes dimensions que lui peut contempler tandis que son hôte se présentant de trois quarts d’heure ne voit qu’autre chose. Pas d’appels téléphoniques, pas d’intermèdes d’une secrétaire, d’un collaborateur.

Il répond qu’il a écrire encore ce soir, embraye sur Lesseps, assimile des images qu’il suppose être demeurées gravées dans la mémoire conjugale de ses parents, relayée par celle moins solaire, plus anxieuse de son frère aîné mais à un tel degré de redondances et de couleurs et d’odeurs que l’Egypte en était devenue un mythe familial, alors que les huit enfants nés en France n’y avaient jamais les pieds, surtout aux époques où les photographies se tiraient comme des gravures et sur papier bistre, où les trottoirs au Caire avaient des arbres, tous, et où les voitures étairent rares, toutes différentes les unes des autres de couleur et de carrosserie, il y avait de la toile, du cuir, du bois, des chromes et le soleil était différent et les indigènes s’écartaient du champ quand l’image était de famille et qu’ils étaient domestiques. Mais cela ne fait qu’une phrase et de la légende au regard d’une légende. Ne pas songer à des points communs, se montrer professionnel, virtuellement utile, adaptable aussi. Au Portugal, quand il y était, Indosuez introduisait Creusot-Loire, selon une exclusivité définie mais que comme tout dogme il n’avait pas eu à approfondir ni à se justifier. Les choses sont ainsi mises qu’on peut regarder et ajuster dans les deux sens, la banque et l’industrie. C’est donner la main à celui dont il veut s’instruire, de plain-pied. Commence un récit, dans une langue dont il ne saisit pas tout, les noms propres, les échevaux de carrière qui se croisent, les décisions pendantes, les risques pris au passé mais à ne pas accepter au futur proche. Le pédégé continue sur le groupe et le présente longuement. Mi- du dehors, mi- de l’intérieur à la façon dont on se tiendrait à un inventaire qui doit être efficace, effectif et dont on va sortir quelque chose. Lui-même, sans toute la culture pour apprécier ce qui est l'information du grand public, ou ce qui est de la stragégie ou des données vraiment internes, écoute. Il ne prévoyait pas que cela l’intéressât vraiment ce moment avec un homme pas loin de son âge, simple et lui faisant la grâce d’être perplexe sans que cela tombe dans la dubitation ou l’hésitation. Ne sachant rien de Suez, alors que d’Alcatel, de Thomson, de Dassault, de Sodhexo, de Carrefour, de Schlumberger ou de Schneider, de Michelin assurément il connaît bien des passes, des traverses, des anecdotes qu’on ne raconte qu’à la chute d’un dirigeant ou qu’à la fin d’une génération. Le canal certes et un ami de ses parents chargé de ce dont il ne se souvenait plus quoi, mais qui était important avant guerre et servit de passeport au retour sur site après les événements de 1956 ; un inspecteur des Finances de la promotion de Couve de Murville, quelques mois préfet dans son pays, nommé par Pierre Laval lequel donnait pour instruction orale à ses représentants de ne pas suivre les écrites. Ces traits n’ajouteraient pas à l’exposé qu’il entend et où il n’a rien à apporter, d’autant que c’est du passé et que le dirigeant actuel porte en horreur le régalien et se veut au mieux ex æquo d’un autre, confrère, rival ou d’un métier différent mais exercé sur le même territoire, afin de n’être jamais à la proue mais plutôt du côté de l’hélice. La voix n’est pas fatiguée des conversations de la journée, le ton est d’un bref résumé, non celui d’un cours. Lui-même ne sait donc rien de Suez, il a la vague idée qu'on y fit trop dans l'industrie lourde, à l’époque où l’on continuait de porter un nom quoique in partibus infidelis, et, plus flou et incertain encore, le souvenir des querelles d'une succession difficile de Gérard Worms, juste l'été précédent. C'est tout. Il ne sait pas même le statut actuel, et rien de la biographie de celui qui le reçoit, sinon qu'en face de lui parlant à voix pas haute, les jambes non croisées, les mains pas volubiles, le visage rajeuni par de la lumière qui n’est pas celle d’une lampe sourde et proche, mais tombe du plafond et rappelle qu’on ne parle pas dans un salon et pour peu dire, on a quatre ou cinq ans de moins que lui. Procéder par tâtons et bon sens, dès que pour lui s’estompera un peu l’effet de s’instruire inopinément de la cogitation d’un souverain nouvellement intronisé.

Au début, il flotte complètement. Le Kazakhtsan, un contrat électricité, Tetrabel ? Tractobel ? Il n’en a plus souvenir, pourtant ce soir est exactement à une seule année calendaire, jour pour jour, de la dernière fin de journée, du dernier début de nuit, où insouciant et imprécautionneux il s’attardait à des adieux de protocole, à des baisers de fiançailles et négligeait la vérité, l’amour de celle avec qui il passerait quelques heures au lit, sans plus la toucher et qu’il ne comptait pas revoir, une fois envolés, elle vers l’Inde du nord en voyage à tarif réduit, pour tromper son chagrin et ce qu’elle croyait devoir n’être qu’une attente, et lui pour Paris où l’élection présidentielle de 1995 se jouant, il tenait pour assuré qu’il ne saurait pas moins bien que si souvent par le passé parcourir les couloirs et faire s’ouvrir les portes et les agendas ramenant à un emploi convenable, ou à convenir. Puis commence l'exposé, c’est le dirigeant qui parle. Le groupe très alourdi par l'immobilier, des pertes en quelques années, équivalentes : 26 milliards, à tout le bénéfice des cent ans de canal et à la capitalisation au moment de la privatisation de 1987. Heureusement, la banque est riche et a pu absorber ce qui a été bien plus qu’un ressac. Surtout se débarrasser de l'immobilier, significativement dès cette année. En faire autant de l'industrie lourde. S'appuyer sur deux métiers et les développer : la banque, en crédit surtout à la consommation, métier d'avenir mais sur lequel tout le monde sèche, témoin la récente copie. C’est lui qui place une banderille au hasard, la lecture récente du « grand quotidien du soir ». La réponse lui donne à penser que l'homme est plutôt réservé vis-à-vis des actuels gouvernants, ce qui lui plaît. La banque donc, et ce semble le métier de son vis-à-vis, ainsi placé pour avoir vite procédé à un audit personnel de tout ce dans quoi, nouvel arrivant, il a, à ce niveau désormais le sien, à se mouvoir et à en animer d’autres, mais pas seulement la banque. Tout autant, les services aux collectivités locales : l'eau, l'électricité. C’est la participation à la Lyonnaise – au passage, il entend la confirmation de l'emprise et du delphinat d’un de ses propres camarades de promotion, orageusement marié à la fille de François Missoffe, celle dont « Rudie le rouge » s’était targué d’en avoir fait sa maîtresse quand, en pleine discussion sur le règlement intérieur des bâtiments ou des dortoirs en campus de Nanterre, le ministre de la Jeunesse et des Sports, de Gaulle régnant, était venu inaugurer, croyait-il, une piscine mais en fait ce qui s’appela vite «  le mouvement du 22 Mars ». Du moins, c’est ainsi qu’il aime à raconter l’histoire, à la fois intime puisqu’il s’agit d’un condisciple chez les Jésuites dans les beaux quartiers et d’un camarade envié et admiré à l’Ecole Nationale d’Administration, qui l’avait encouragé à redoubler la dernière année de scolarité pour avoir une meilleure chance de sortir où il voulait entrer. Vocabulaire et raccourcis des concours et des des « amphi-corps ». Le couple a ensuite fait du chemin, il y aura chez l’épouse du passage au gouvernement, de la candidature à la mairie de Paris et chez l’inspecteur des Finances, fils d’un pétrolier gaulliste et diplomate, longtemps puissant et assez notoire pour ne pas se placer au premier rang, des ambitions de même rapport et de même habile sagesse. Guy de Panafieu au charme certain ne parviendra pas cependant à diriger les Relations économiques extérieures aux Finances, ni à succéder vraiment à Jérôme Monod, ni à viabiliser une informatique française il est vrai foireuse bien avant qu’elle lui soit confiée. C’est une de ces relations dans une vie, qu’on croise souvent, que très peu suffirait à s’annexer ce qui aux heures grises est utile, surtout à charge d’une revanche qu’il n’y aura pas à honorer, car aux uns les places de compensation et aux autres le couloir et l’anti-portrait. Très curieusement, il lui fait penser physiquement au cadet de ses frères, même découpe sportive et même incompatbilité mentale car celui qui a de naissance ou pa mariage, ne peut comprendre les aléas de celui qui n’obtient qu’à titre périlleux, révocable et sans vcie de retraite. S’il avait à dessiner les profils, les plats et les saillies d’une course réussie, il choisirait celle de ce garçon chanceux qui ne l’a jamais impressionné, dont il pense qu’il n’a pas de secret mais pas non plus d’excès et qu’en tout il a sans doute, très probablement une certaine âme. Car le patronat français, issu de la haute fonction publique depuis la fin des années 1920, que les fortunes soient familiales ou que les biens à administrer soit ceux de l’Etat, a un fond catholique, prise la morale et a peut-être peur du péché qu conduit à l’enfer. Il y a de la foi chez le riche qui interpelle Abraham et à défaut Lazare, le pauvre. C’est le Français quand il est doté et parfois jusqu’au paroxysme de placer le chiffre 6 entre ses initiales patronymiques. Mais les Présidents de la République laïque, fière d’avoir expulsé les congrégations au même moment que les princes et d’avoir rompu le concordat de chacun des régimes qu’elle a abolis, vont bien à la messe, pas seulement pour les enterrements, François Mitterrand dans la cathédrale de Reims, aux côtés du comte de Paris pour le millénaire capétien, et Jacques Chirac à Bormes les Mimozas en personne ou sa femme par procuration. La Lyonnaise des Eaux, ce qui situe et fait sérieux, car à Lyon naissent et résident les Fabre, les Chaix, les Cabot, les soyeux, les armateurs, les indicateurs de chemin de fer. Et du même genre, surtout la Belgique. Faire de la colonisation une bonne affaire qu’un roi revend à l’Etat qu’il préside, et tout autour de ce qui devient le noyau dur et le seul ciment dont dispose un royaume tripartite mais monocéphale avec arcs de triomphe, monuments de la dynastie et mariages princiers sur fond des toiles impressionnistes qu’on pouvait peindre en empruntant à la cathédrale de Rouen par brouillard puis coucher de soleil mais qu’on brossait bien mieux le long d’une côte, courte pour les stratèges, on n’y débarqua jamais significativement et l’on n’y rembarqua pas non plus, mais rectiligne et étonnament bout du monde parce qu’on y arrive de Bruges et de Gand, de siècles en dentelle, en rouge étonnant, en bleus et en visages inimités.

Gérard Mestrallet poursuit… aucune image ne transparaît, et il se garde, quant à lui, de placer aucun nom. Au moment du raid de la Société générale et de Pébereau, nous avons répondu à l'appel de la Société Générale de Banque et y avons pris 10 %. Cela nous a couté très cher. C'est la troisième capitalisation en Belgique. Je dînai avec Alphandéry, et lui ai demandé : savez-vous que je suis le premier producteur d'électricité dans le secteur privatisé à l'Est. En fait, il ne s’agit que de la Hongrie, depuis trois mois, seule à avoir privatisé ce secteur, et que rapporté à vous en France, je produis presque le tiers de vous (l'Irlande, un peu les Etats-Unis, et surtout la Belgique). Tandis qu’arrivent les chiffres, les territoires, les annexions, qu’apparaissent évidents et bien menés des choix profonds et que se constitue quelque chose qui a tant de cohérence qu’il faut s’étonner que ce ne soit que nouveau, le voici avec d’autres associations, car il connaît la tapisserie par son envers. Un autre camarade, autant de chez les Pères Jésuites, rue Franklin, pavillon Clemenceau, que rue des Saints-Pères, fils adultérin d’un très grand du monde scientifique, demi-frère d’un préfet à la carrière parfois laborieuse parfois parvenant à un niveau où il y a à décider, frère à part entière de la demoiselle de Monsoreau que leur mère tenait pour prodigieusement belle, au sens littéral puisqu’elle ne la lâchait pas du bras quand elle la présenta à ses parents, du côté de la rue de la Pompe, quelques années après les avoir adjuré de voter pour Habib-Deloncle au lieu du défenseur du Maréchal, en Novembre 1958. Camarade à l’étonnante palette, du cœur, plusieurs mariages et de la pruderie, une fortune inattendue mais méthodique, le don des langues (l’anglais et le russe) qui sut éviter le délit d’initiés et repasser de la commission des opérations de bourse, d’abord sous l’insoupçonnable Bernard Tricot, à l’inspection générale des Finances, son corps d’origine après l’E.N.A. elle-même intégrée par la « botte » de l’Ecole polytechnique. Ennuyeux et poseur par son art de mettre mal à l’aise en s’étonnant sans cesse que son interlocuteur pour une tasse de café, place du Palais-Bourbon, ignorât ce que lui savait. De la fidélité devant le cercueil de Michel Jobert, un mercredi de Mai 2002 où beaucoup de monde se cotoyait sans accepter de se reconnaître ni de se parler, et lui-même qui s’était donné ainsi qu’à son éminent mentor une grande matinée de méditation, l’enfant de Meknès allongé en bout de course, la tempe et l’œil gauche tuméfié par la chute du samedi précédent, celle déjà de la mort, et lui assis avec un écritoire informatique pour saisir devant témoin ce qu’ils avaient vécu ensemble. Jean-Luc Lépine, comme Jean-Pierre Chevènement, comme quelques-uns du parterre quand le Mouvement des démocrates avait ses rassemblements et aussi du succès dans les médias, allèrent jusqu’à la chapelle dite du Réveillon. Par Jean-Luc, il avait une idée des frères Pébereau au début de leur ascension respective. Mais du raid qui inaugurait ce chemin cahoteux où Pierre Bérégovoy petit à petit serait emporté par des attachés de cabinet faisant de l’ingénieurie et du monopoly, il ne savait rien. Naoury ne tomberait pas,   --- retrouver le nom du chargé des questions industrielles à l’Elysée en 1985-1988 et s’esquiverait dans une estime demeurée générale, au contraire paraderait et hâblerait jusqu’au rendu d’arrêt en Cassation.

Le récit continue, c’est du Benelux qu’il s’agit, un nom manque, celui de Frère, mais Mestrallet est économe de noms propres, celui de ses patrons quand il était homme de cabinet et les conseillait ne viennent à aucune rescousse, simplement parce que ce n’est pas nécessaire et que c’est d’inventaire de raisons sociales, de métiers, de chalandises qu’il doit seulement s’agir, et de ce qui est tombé dans son escarcelle par la Société Générale de Banque, contrôlée maintenant avec 30 % de particpaton, tant la gestion et la réinjection de bénéfices a été profitable. Couplet ensemble sur les moeurs belges, leur dureté en affaires, la nécessité d'êre belge chez les Belges et non des colonisateurs, à quoi ils sont réfractaires absolument. Le terrain redevient familier : la Vieille Montagne a fait partie de l'empire, et ainsi de suite. Lui-même qui continue de se taire et de visiter le stand où il est introduit complaisamment, appelle du lointain ces épisodes de tourisme industriel que les scolarités de grandes écoles, de commerce ou pas, aiment se donner en prospectus et à leurs élèves. Il avait ainsi crâné une journée entière du côté de Metez ou de Pont-à-Mousson, en se faisant passer pour le futur gendre dont il savait pourtant qu’il ne le serait jamais, d’une grande famille, riche de portefeuilles, de participations et de cousinage par la branche maternelle autant que par la branche paternelle depuis trois générations, et dont il avait été prestement débarqué dès les faire-parts imprimés, mais surtout connue la déconfiture de son père à lui. Après son bref passage dans la chambre de jeune fille de l’aînée des J., l’amie très intime de l’aînée de ses soeurs – un semestre, celui commençant sa scolarité à l’école de sélection des principaux serviteurs généralistes de la chose publique en France – il y avait eu la déconfiture du pater familias, faisant dans les composants électroniques et de télévision, subventionnant L’homme nouveau de Marcel Clément, et ne pouvant donc percevoir que le Japon à la fin des années 1970 ne donnait le choix qu’à l’alliance ou à la faillite, le renforcement de la puissance Michelin se défaisant de Citroën et se concentrant, première du genre à pratiquer cette sagesse stratégique, sur son « métier d’origine » et quantité d’histoires et de péripéties industrielles auxquelles il ne s’était intéressé que selon la conversation de représentants de banques ou d’ensembliers venant lui désigner leur cible ou détailler leur dossier d’assurance-crédit, conversation quotidienne de l’officine économique et commerciale des Ambassades. On y apprend à synthétiser un exposé, une journée entière d’auto-proclamations ou de doléances autant qu’à crocheter, pas toujours au figuré seulement, les portes par où passer pour obtenir la décision. Ainsi, pour le groupe qu’on lui décrit, un point fort, et latin – a-t-il résumé - en Europe occidentale. Oui, à savoir-faire élevé, mais à faible croissance comparé à l'Asie du Sud-Est. La Générale de banque est à guichets au coin de rue à Hong-Kong, nous sommes en banque d'affaires partout ailleurs : le savoir-faire, la structuration à leur apporter. Ce devient simple, on est le 7 Février 1996. Vous voulez être prêt pour les échéances de 1997 à Hong-Kong. Oui, et si nous créons un poste, auquel nous n’avons pas encore vraiment songé, ce serait sans doute pour lier les deux zones géographiques et superviser l'Asie. Il est en Novembre 1970, en avion, la France et le monde viennent d’enterrer de Gaulle, ce qui va être courant ensuite a été exceptionnel, la nef entière de Notre Dame à Paris où sont à garde-à-vous devant les chaises de tous les dimanches des souverains, des présidents, des ambassadeurs, les collines surplombant la petite départementale sur laquelle ouvre le portail métallique plein de la Boisserie, du monde, beaucoup mais sans plus, quelqu’un fait remarquer qu’il fait toujours beau quand le Général préside une cérémonie, le véhicule blindé, Malraux et son visage ravagé, quelqu’un, un autre fait remarquer, comme il souffre, le pauvre vieux… Lui-même se verra à la télévision agitant la main, à un angle de l’écran quand passe le convoi. Il a appris la mort en déjeunant le mardi à Téhéran avec le conseiller culturel, Michel, le crâne rasé, l’opinion personnelle peu gaulliste. C’est parce qu’il est repris alors qu’il évoque au mode du présent l’ancien Président de la République, comment, vous ne savez pas ? Il est en voyage d’études, c’est l’Iran, la dictature dont on ne voit pas les coutures, du groupe s’est absenté le temps de cette étape suivant la Suède et la Roumanie avant d’aller jusqu’en Extrême-Orient cet autre camarade encore, d’origine locale, parti avec son père à l’orée des années 1950 quand échoue Mossadegh et qui sait que revenant au pays, il sera retenu prisonnier. Garçon au teint mat, à l’intelligence méticuleuse, ingénieuse, méritant les promotions qu’offre le Conseil d’Etat et dont l’existence parfois presque aussi aventureuse que la sienne l’a souvent croisé, jusques – imprévisiblement – dans la familiarité de Michel Jobert, deuxième période, celle du ministère d’Etat, chargé du Commerce extérieur. Noël Chahid-Nouraï finit par se marier parce qu’un enfant qui le rend heureux, l’y invite ; il en quitte un cabinet d’avocaterie d’affaires, réforme le marché de l’art, s’élargit de plus en plus physiquement et ne change pas de sourire et d’une certaine chaleur au second degré. Maintenant que lui-même est déchu et à mesure que cela se prolongera, il a plaisir à se savoir assez seul dans ce défaut d’emploi et de considération. Que l’échec soit statistiquement rare dans la génération de ses études secondaires et supérieures, que la spectaculaire et solide avancée au tout premier rang n’ait eu lieu pour aucun d’entre eux, alors que secrètement, mais peut-être cela s’aperçut-il ? il crut longtemps que ce serait son lot à lui, l’ensemble de ces notices biographiques que la radio, les nouvelles, l’information, la conversation en cours lui rappellent ou mettent à jour, lui est au fond indifférent. Le rapport avec le bonheur, il ne le perçoit pas, c’est si relatif, c’est tellement sur mesure, on n’est pas habité par tous ceux qu’on a cotoyés ou qu’on connaît, l’époque, l’âge, du hasard font choisir. Dans l’instant, on est toujours monogame. Quand ferment les banques, les magasins et qu’ont été données les dernières informations télévisées pour le plus grand public par des vedettes installées pour un quart de siècle et qui ne peuvent donc faire acte de personnalité que par leur vie privée ou l’écriture publiée de quelques fictions, il y a cet instant d’avant le sommeil où l’on sait n’avoir plus rien à craindre ou à espérer dans les heures à venir. C’est demain le temps du défi, de la concurrence, du papier bleu, de l’échéance, de la réponse enfin à une demande d’audience. Il a toujours eu un bon sommeil et se souvient de ses rêves la plupart du temps à pouvoir les écrire avant d’écouter l’horoscope puis de se lever. Dans cette existence, depuis toujours, il y a eu de la succession et de la diversité sur l’autre oreiller. Mystérieusement, le côté du lit s’impose et il ne l’a jamais choisi lui-même, que deux possibilités, mais jamais deux d’affilée surtout si à défaut de changer de partenaire, il y a changement d’appartement. Diversité, successivité et donc pas d’enfants. Ses frères et sœurs, ses contemporains en cette seconde moitié du XXème siècle de l’ère chrétienne et il en sera de même au début du IIIème millénaire qu’ils ont aussi en commun, reçurent tous, et sauf exception à une période ni tardive ni précoce, de la progéniture, des attachements naturels à avouer et afficher, des compagnonnages et de l’occupation de locaux intimes, donc de la vie privée qui soit biologique, diversifiée, logarithmique et non pas auto-centrée par défaut et narcissique faute de mieux. Dire cette vraie lacune, il n’en est pas encore au point où cela forme besoin et noue quelque chose quelque part d’une certaine manière. Une femme ne suffit pas à tout s’il n’y a, du fait de vivre à deux, quelque troisième qui réclame sa liberté, qui cause du souci et qu’on a, naguère, presque lointainement, fait naître et qui atteint vingt-cinq ou trente ans quand on va vers ses cinquante ou soixante. Le pédgé de Suez est-il marié, a-t-il des enfants ? Certainement, parce qu’à beaucoup de points de vue, il est comme tout le monde. Il l’est tellement, qu’il donne à son visiteur, ce soir, l’impression de le considérer du même matériau et de la même cuvée que lui. Raison de plus d’exposer le point actuel de la méditation qu’un dirigeant doit avoir, une fois disposées cartes et schémas, titres de propriété et échéances de bourse sur une seule table. Celle-ci est ronde, avec deux verres, des glaçons dans chaque, de l’ambre au fond de l’un et inachevée, à peine effleurée par celui parle, la rasade encore à sa moitié du whisky versé quand ils se sont assis.

Faire rebondir la balle dans deux directions. Le faire d'abord parler de lui, d’intuition afin de mieux le connaître, de lui donner envie de travailler avec ce visiteur, accepté à l’essai et selon une lettre et quelques passages du lebenslauf. Gérard Mestrallet est d’origine Trésor, Jean-Yves Haberer lui demande s’il veut faire sa mobilité. On est dans la perspective des nationalisations : 1981, des institutions financières inédites. Il dut être tenté. Haberer arrive à Paribas, y amène trop de monde, les choses prennent peu et Michel Camdessus, successeur du premier à la direction du Trésor, renouvelle sa demande. Il est alors question d'Indosuez, mais c'est finalement le cabinet de Jacques Delors. Nouvelle confirmation qui peut avoir son utilité. Le seul à être passé du premier au second cabinet, rue de Rivoli, aux débuts de la gauche au pouvoir, est Jacques Desponts, détaché de la Banque Nationale de Paris et connaissant les sujets de la zone franc ; il reste avec Pierre Bérégovoy qui le nommera en Septembre 1989 directeur des Relations économiques extérieures, moment précis où se joue – pour lui – sa nomination d’Ambassadeur ; ne pouvant avoir la D.R.E.E., ce qu’il comprend, c’est l’époque où lui-même est presque habile dans sa gestion de carrière, quoique ce soit si facile quand on a accès au ministre qui vous estime et est votre autorité hiérarchique suprême, il pousse celui qu’il sait déjà putativement choisi. C’est toujours à la Banque Nationale de Paris, qu’il a des prises, un autre de ses camarades, du Budget, en devient l’un des principaux dirigeants et l’ancien secrétaire général de l’Elysée en fin de règne de Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Wahl est l’un de ceux qui le reçoivent pour parler avec lui de politique, le croyant très introduit à gauche, un peu traitre à une droite dont on ne peut concevoir qu’avec son genre, sinon des alliances familiales qu’on ne lui connaît pas et pour cause, il ne soit pas à ses époques de naissance. Ce semble une banque où l’on ne gagne de l’argent qu’avec discrétion ce qui fait croire à de la modicité, et à une disponibilité dévouée à qui vient se confier Jacques Desponts y revient, après avoir quatre ans gouverné une des grandes directions rue de Bercy d’une manière qui a fait contraste. Sans technicité, avec une affabilité constante, un homme apparemment quelconque a tout simplement informatisé un réseau à qui, par le fait, il a conféré une efficacité hors de pair dont vont, en la sous-traitant, bénéficier ses successeurs et aussi les divers pans du financement de nos exportations dans leur course au statut privé. L’époque n’est pas que de transition entre la génération Mitterrand, entendue comme celle des enfants nés pendant les quatorze ans de sa présidence, et celle qui  va donner au pays une habitude vite invétérée du mine politique et des révélations scandaleuses, d’une portée bien plus qualifiante pour le présent que les enquêtes de Pierre Péan sur Vichy, l’Afrique et autres. Elle est la fin de tout, d’une histoire où il y avait continuité de l’Etat, la puissance va ailleurs, l’embauche aussi, d’ailleurs il le sait tellement qu’il est là et se trouve, à proportion que la soirée avance et que le propos qu’il entend est plus personnel, des raisons excellentes pour souhaiter être pris ici et dont aucune ne contredit son passé peu engagé politiquement mais féru d’idées, d’amitiés et d’espérances. Celui qui peut en décider lui fait précisément face, et pourquoi ne va-t-il pas s’y rendre puisque le ton et le contenu sont à la confidence maintenant. Le cabinet de Jacques Delors mène donc à sortir plus tardivement que prévu du service public, et à rejoindre Peyrelevade qui lui donne le choix d'être ad latus de Ponsol ou de Worms, les noms sont connus, pas les visages, il n’y a donc qu’à écoûter sans plus d’assaociations d’idées. Gérard Mestralet choisit le second, bien lui en prend, et finalement est propulsé à la tête de la Société Générale de Banque, toutes les semaines à Paris mais la résidence en Belgique, il y append le groupe, quoiqu'un peu de l'extérieur. Et quand en Juillet 1995, Worms qui n'était passé que d'une voix contre son adversaire (nom qui passe au-dessus du visiteur et qui n’est donc pas retenu - lacune génénale de l'historiographie en France en matière d'histoire interne des présidences, structurations, échanges de métier et traditions de nos groupes et associations d’industries et de banques - un dictionnaire historique manque à cet égard) se démet, l’homme de ce soir gagne une course qu'il n'a pas menée, puisque les "sages" de la commission de désignation (Beffa, Friedmann, Monod, Jaffré) sont chacun virtuellement candidat et adversaires les uns des autres... Il y met une condition : être élu à l'unanimité, ce qui est fait. Lui-même roulait au pas, boulevard Haussmann, les Grands Magasins dépassés, on était à la hauteur de la Chapelle expiatoire, France-Infos. développait, il n’y avait encore ni les appartements d’Alain Juppé et même de Jacques Chirac, ou en était-on déjà aux arguties permettant de ne pas retenir le recel d’intérêts ? et l’analyse de cette lutte finale, sur fond de décrépitude d’un empire encore très beau la veille ou presque, faisait l’essentiel du commentaire, exactement comme le lâchage de Jean-Marie Messier par ses administrateurs français occupa bien plus au début de Juillet 2002 que le discours-programme à l’Assemblée Nationale d’un autre out-sider : Jean-Pierre Raffarin, plus souvent caricaturé en commis voyageur des cafés Jacques Vabre que cité dans sa page bivalente et prophétique de la place dont il ne pouvait savoir ni espérer à l’automne de 2001 en achevant son écrit qu’il l’aurait dès avant l’été suivant. Tout le monde n’a pas à égalité pour maîtres à vivre et à penser les deux ennemis de la vie publique française. Mène donc à tout un propos sur la bonne gouvernance – l’expression de Senghor le Sénégalais, hasardée mais avec assurance aux frontons publics de son pays, a donc depuis couru le monde entier et intitule des discours de l’ancien président soviétique autant que des rapports et vœux à l’intention de chefs d’entreprises voulant bien penser. Le piquant était qu’aux origines de cette inimitié, quand parut, du Président de la République en Octobre 1976, un essai, déjà, sur le gouvernement à l’expérience et en projet, Démocratie française, lui-même avait commis une réplique et de celle-ci, il avait débattu sur les ondes publiques avec le président des « jeunes giscardiens » d’alors, le futur sénateur des Charentes. Retrouver l’enregistrement et comprendre une fois de plus que les coincidences sont plus fréquentes que fécondes, mais qu’à n’en négliger aucune, on finit forcément par ramasser au moins sa mise, surtout si on la fait longtemps et régulièrement.

Ce soir, à écoûter Gérard Mestrallet, il parfait sa première mise sur Suez, et en arrive maintenant à la seconde grille. Puisque lui sont racontées une carrière et une prise de pouvoir, dans une ambiance consensuelle mais à un moment difficile qui hausse tout au niveau d’un défi, que cela semble passer par une intelligence différente de ce que peut faire le groupe, en quittant sans doute son être financier, il propose de prendre le relais ; c’est formellement le rebond de son offre de service : plutôt que d'attendre l'hypothétique création du poste qui lui serait donné, pourquoi, ce qui ne coûte rien et fera gagner du temps, ne pas l'introduire déjà par une appréciation du groupe : des papiers, fait le pédégé. Oui, mais aussi des entretiens comme celui de ce soir avec les trois ou quatre de vos collaborateurs avec qui forcément vous vérifierez vos intuitions sur moi. Il acquiesce, manifestement content. Ou bien est-ce parce qu’il peut se défausser ? Ajouter alors.  J'aurais peut-être quelques idées chemin faisant, et surtout je dessinerai mieux les postes ou lacunes qui se dégageront de cette première réflexion. Il me faut trouver dans ce travail éventuel et dans le groupe le goût du service général que j'avais dans mes fonctions récentes. Comment, soudainement, a-t-il retrouvé sa voix d’antan ? Il se pose pour la première fois depuis des mois à la première personne, si singulière qu’il faut déjà être quelqu’un pour parler en ce nom-là. Moi… l’ego n’est admis qu’à haut niveau, quitte à ravager. Terminer sur le social, pour lequel le pédégé est félicité par son visiteur, lequel songe plus aux filiales qu'au siège. C'est là-dessus qu'il répond, un peu honteux : Meissonnier quittant La Hénin a présidé son dernier conseil, tout en étant déjà aux manettes du Crédit foncier, sur des licenciements pouvant affecter quelques 1.000 personnes, et lui-même préside à la contraction des effectifs de la cellule centrale, de 180 à quelques 70. Quant aux sociétés contrôlées, la holding ne doit pas se substituer aux directions d'entreprises et aux métiers précis. On ne peut faire les deux : à nous, la nomination des hommes, la fixation des stratégies, le financement et ses suivis, un bon "reporting" pour la marche quotidienne, mais pas davantage. Et pourquoi ne pas dire reportage, même et surtout si cela doit rappeler Tintin dans l’exposé.

Aux murs nus, taille de la pièce, presque rétrécie et par la hauteur de plafond, faisant respirer comme dans un vaste cube hors du temps, deux grandes peintures noir-et-blanc japonaises ou sinisantes, l'une de calligraphie, l'autre figurant un visage. Ces murs, cette maison sont vénérables, poursuit le dirigeant de plus en plus confident. Quand le Canal a été nationalisé, Georges-Picot a déclaré : eh bien, nous ferons le tunnel sous la Manche, et c'est ce que nous avons fait, premier actionnaire, et auteur du projet qui a été finalement choisi. Auparavant, nous avions fait les deux traités, je m'y suis moi-même beaucoup impliqué, convainquant Mauroy, puis Mitterrand, enfin Thatcher. Heureusement les commissions et ingénieurie financière ont été tellement lucratifs, que les pertes et retards actuels sont négligeables. Nous avons retrouvé pratiquement toutes nos billes. Il ne réplique pas, il y a eu deux Georges-Picot, et Couve de Murville, ambassadeur au Caire de Farouk à Nasser, avait dû se convaincre que les gens du Canal ne concèderaient rien, même à l’imagination d’un lendemain dont on était à la veille, ce qui lui avait fait prédire toute la suite à Foster Dulles. Le secrétaire d’Etat n’avait pu supporter que les Français et surtout les Anglais lui cachassent quelque chose et qu’en sus un ambassadeur ait des vues personnelles sur un sujet de gouvernement, pas de son gouvernement, mais du gouvernement des Etats-Unis, car tout y était, c’est-à-dire la prévisible substsitution des Soviets aux Américains dans le financement du barrage d’Assouan. La vérité est que le ministre des Affaires Etrangères du général de Gaulle ne rencontra Benoist-Méchin ni dans les années 1960 ni dans les années 1940 qui étaient tout autre, mais où le sosie de Jerry Cotton, l’un des acteurs préférés d’Hitchcock et d’Orson Welles, était déjà plus qu’un figurant , l’homme décisif simplement parce que – distraction, détachement, hauteur ? – il avait le sang froid. Le voir dans les actualités de l’époque entrer, isolé et amateur, dans l’hôtel de ville de Montréal où tout à l’heure il va être crié : Vive le Québec… vive le Québec librrre ! donne la vraie dimension de la politique étrangère française quand il en existe une. Ne dire que l’évidence mais la dire, l’enfant et le roi qui est nu. Donc, un Georges-Picot s’accrocha à la fiction que la compagnie avait gardé et garderait le Canal à raison de l’irremplaçabilité de ses pilotes, et l’autre représentait la France, c’est-à-dire Guy Mollet qui, professeur d’anglais, pouvait converser sdans interprête avec Anthony Eden, parfaitement francophone. L’ensemlble aboutissait à une humiliation nationale, redoublant – cette fois aussi gratuitement que bêtement – la capitulation à Dien Bien Phu. Ministre en titre depuis peu de semaines, en 1958, Couve de Murville, costume sombre rayé et chapeau beige d’époque, roulotté main et pochette, parce qu’il entendait ne pas manquer son huit-jours à Crans-sur-Sierre avec André Meyer, Français qui fut le premier banquier conseilleur de tous les décideurs pendant les trente ans du second après-guerre, c’est-à-dire jusqu’à sa mort, laissa l’intérim du Département – guillemets et majuscule – à Guy Mollet devenu ministre d’Etat dans le dernier gouvernement de la Quatrième République (comme Mendès France l’avait été dans le sien, c’est-à-dire en Janvier-Février1956 à contre-emploi). Et c’est l’intérimaire qui dût signer pour la France l’accord avec l’Egypte devenue République Arabe Unie avec la Syrie, qui ravaudait, collait et machinait la porcelaine brisé à hauteur du Canal, deux ans plus tôt.

L’histoire n’est pas le fait de Gérard Mestrallet au stade d’alors de la relation. D’ailleurs, Couve de Murville, encore en vie, n’a pas de biographe en Février 1996. L’entretien doit se conclure. Parler en ancien ambassadeur au Kazakhstan dutrans-chinois et du projet japonais ; polémiste et analyste politique des années 1970 que semble ne pas reconnaître le pédégé, conclure sur un papier déduisant pour les gouvernants qu’on subit ce qu’il faut de la maldonne de Novembre et Décembre 1995 et le faire passer pour une mystérieuse commande. On se quitte donc sur une appréciation de ce qu’il sait faire des moments comparés des deux septennats, les débuts de François Mitterrand à l’Elysée, heureux que soit reconnue la part assumée par Pierre Mauroy dans le tournant de la "rigueur", car dix ans après le réalisme est devenu science et critère, et les débuts de Jacques Chirac. On a placardé, sur toutes les avenues menant à l’Etoile, un extrait des notations quotidiennes d’Attali au premier mois du nouveau règne quand y fut choisie la date anniversaire d’Hiroshima pour que reprennent les essais nucléaires français dont l’utilité était contesté par la moitié au moins des experts nationaux. Il pourra bien être élu mais en pas six mois, il sera la risée de l’univers, François Mitterrand dixit. La difficulté actuelle pour Chirac, c'est qu'il doit revenir à ses promesses électorales, alors que pour Mitterrand, c'était le contraire. Approuvant qu'il y ait forcément à changer les hommes, le pédégé de Suez, son patron désormais d’élection, admettait sa fraternité politique avec lui : point décisif ! Ils se quittèrent chaleureusement, la secrétaire, en place depuis vingt-cinq ans avait été mise de son côté, à qui il confierait un exemplaire de sa fameuse note. Redescendre l’escalier dans une lumière qui avait une épaisseur sourde de tamis, fut un bonheur. Il était tard, gage d’avoir creusé profond les fondements de son chantier.





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