II
Il l’avait vécu un soir, en
Février, dans un Paris dont il ne se souvenait pas qu’il ait été bruyant, ni
qu’il y eut fait froid. On était non loin de la rue du Faubourg Saint Honoré,
mais cette croisée-ci de rues où se trouvait un hôtel particulier sans âge,
époque ni nom d’hérédité ou d’architecte créateur, était grise, crépusculaire,
un décor où ne passait personne et qu’il quitta pour entrer dans un autre. Vécu
quoi ? une rencontre intime sur un ton et à des propos auxquels il ne
s’était pas attendu. Il avait écrit son offre de services, sinon de compétence,
à un homme dont il ne savait rien, sinon qu’un camarade, faisant dans le
conseil en recrutement à titre bénévole, pour l’association dont ils étaient
tous deux anciens élèves et qu’il était allé voir à tout hasard, lui avait dit
qu’il était en recherche de quelqu’un, ou d’idées, ou d’un interlocuteur, ou
d’une stratégie. C’était vague, cela sentait la place à prendre, mais pas la
place toute faite ayant son cérémonial de prise de possession. Il devait se
présenter lui-même. A sa précédente disgrâce dont il ne s’était sorti que par
l’amitié de quelques aînés dans son administration nourricière et d’origine, il
avait tenté d’approcher un autre très grand patron, confirmé déjà par les
médias, qui avait l’hôtel particulier de son groupe rue de Tilsitt, autour de
la place de l’Etoile. L’empire, car c’en était un, était du genre faisant alors
florès, on achetait des métiers plutôt que des marchés et on révolutionnait par
une ou deux techniques nouvelles donnant à croire au chaland qu’il était promu
et trouverait honneur à acheter. Cela, en final. Mais l’outil brillait aussi
bien dans l’édition, la communication que dans l’industrie de pointe. Le
dirigeant était encore jeune, il avait femme et surtout enfants, il pensait à
l’antique au mariage de ceux-ci et à la Balzac à cet enoblissement que la durée
dans la richesse confère en sus de la puissance. Il s’était attaché un quatuor
de cadets qui faisaient ses partenaires au tennis le dimanche matin et dont il
appréciait la familiarité. Ainsi, était-il inatteignable sauf pour les
chroniqueurs sociaux et les photographes, la bourse pesait si peu qu’on croyait
à l’époque pouvoir l’ignorer et de fait les secousses étaient monétaires ou
arrivaient de l’étranger. La boucle n’apparaissait pas qui enserre le pouvoir
politique et l’entreprise à grand rayon d’ambition ; on n’avait pas encore
la sensation de réseaux internationaux où se débattait le pays et où le
politique serait peu. L’Histoire semblait encore s’écrire en alcove et du fait
de la jalousie du second pour le premier, il y avait donc beaucoup de politique
intérieure et des haines de théâtre, les seules véritables. Pour qui était
régulièrement par un secrétaire général de la Présidence de la République,
suremployé puisqu’avec une dizaine de collaborateurs seulement, le Président
sans majorité devait tout seul tenir bon et desserrer une strangulation lente
par tout l’appareil d’Etat, par toute la coincidence des dossiers que
maîtrisait désormais jusqu’à la prochaine élection un très probable vainqueur.
Prenant des notes sous les yeux du dégingandé de charme et de simplicité
qu’était et que demeure Jean-Louis Bianco, dans le bureau d’angle que Valéry
Giscard d’Estaing avait choisi pour sien de manière à faire dans la différence
d’avec de Gaulle et plus encore d’avec l’ancien Premier Ministre et tombeur de
celui-ci, le conseiller commercial rappelé du Brésil, coupé des indemnités de
résidence et des colonnes de ce « grand quotidien du soir »,
regardait l’Histoire s’écrire et hésiter, après avoir s’être cru proche de
l’ordonner chaque soir dans le bel emploi de qui donne à signer au roi ce qu’en
serviteur avisé et méritoire il a mis en forme. D’un garçon au visage flou et à
la silhouette replète, petit et marchant de long en large dans un bureau peu vaste,
exactement à la manière dont Jean Sérisé l’avait souvent reçu, il y avait déjà
une dizaine d’années, il s’était entendu demander s’il avait des références et
qui pouvait répondre de lui … Lors d’une tentative électorale, la succession de
l’inusable Edgar Faure dans le Haut-Doubs quand celui-ci passa, par
appréciation juste de sa vulnérabilité aux législatives, du statut de député à
celui de sénateur qu’il obtint de justesse – ce fut un spectacle exceptionnel
que de voir et entendre, presque sentir olfactivement au cours d’un repas dit
de la majorité et qui à Besançon rassemblait un millier de votants, ces élus locaux, maires et conseillers
généraux inentamables quand ils ont décidé le secret d’un opinion ou d’un choix
de personne, l’ancien Président du Conseil dont les aboyeurs disaient qu’on ne
présente pas une personnalité de stature internationale, telle que… suer et
exprimer sa crainte que les communistes ne se maintenant pas au second tour de
l’élection, la liste socialiste l’emporta de tous ses trois candidats – il
avait entendu un lauréat de comice agricole, maire du plus jeune âge et de
fragile quoique effrontée prestance, lui dxemander tout bonnement qui
l’envoyait ainsi à lui, gérant de Saint-Point et du lac du même nom, entre
vaches, sapins, château de Joux et frontière suisse. Il avait également entendu
un conseiller général dans un bureau de vote puisque la campagne avait sa fin,
on était en Novembre 1980, se plaindre de ce qu’il y avait trop de candidats et
qu’on ne savait plus pour qui il fallait voter. La démocratie par les oreilles
et l’embauche ou l’élection par recommandation, en fait par cooptation. Et la
victoire par la passagère défaillance de l’une des deux masses qui à égalité
avec l’autre avait d’abord poussé celle-ci, puis résisté à une contre-poussée
et soudainement le terrain avait glissé, n’avait plus offert de quoi se caler.
Depuis plus de vingt ans, la France politique n’a que cette stricte observance,
aucune majorité à l’Assemblée Nationale n’est reconduite, ce qui comme antan,
mais à intervalle de cinq ans sauf dissolution, donne un coup pour toi, puis un
coup pour moi et pose donc le métier politique en profession où n’être pas
ministre n’empêche pas d’être député-maire-conseiller général pour le moins, et
inversement ou réciproquement un peu plus tard, ce qui comme il est naturel
engendre des pratiques de services à rendre pour n’avoir pas trop à les
solliciter quand s’inversent les rôles.
Une chronique trop brillante et
trop tôt obtenue dans un organe trop autorisé et écrivant presque chaque jour
quelques lignes des tables de la loi, une profession de généraliste quoiqu’elle
eût sa précision et sa rigueur d’expérience et de situation à créer ou à
dénouer avec les mêmes sanctions que celles du monde des affaires, c’est-à-dire
l’exécution d’un contrat ne donnaient ni passé ni alliés au candidat à l’entrée
dans un grand groupe. Il n’avait su que bredouiller le nom de l’Ambassadeur qui
n’avait pas su empêcher qu’il fut rappelé, extirpé hors d’un pays de rêve qu’il
commençait à peine de savourer, et celui du secrétaire général de l’Elysée.
Insuffisant. L’idée qu’il avait à proposer était artisanale, pas plus dérisoire
ou puérile que le fonds de commerce des plus industrieux et enrichis de nos
contemporains, du pneumatique, de l’huile, de la console informatique, du
décodeur. Soit une matière première ou un produit dont personne, consommateur
ou fabricant ne peut se passer, soit un procédé virtuel ou très mécanique
permettant de dériver automatiquement et sans tierce déperdition un flux
financier ou quelque flux que ce soit pourvu qu’il soit convertible facilement
et sans frais annexes en flux financier. On proposerait aux sorties des salles
de cinéma, dont l’empire sis rue de Tilsitt, avec stationnement serré des
voitures toutes de même marque, gabarit, couleur et brillant, entre grille
style années 1930, chaussée embouteillée et façade sans recul, contrôlait et
avitaillait un nombre exponentiel, le texte, ou les images, voire la réplique
qu’allait bientôt permettre la technique, le spectateur serait aussitôt
consommé le spectacle possesseur des rééditions à se donner privément. D’autres
idées pourraient survenir si une meilleure connaissance des productions ou des
emprises du groupe était loiisible. Se faire fort de saisir puis développer une
novation par jour, il en était capable mais n’avait pas convaincu et après deux
ou trois entretiens verbeux de ce genre où assis sur un canapé, les genoux
serrés il laissait aller ses yeux d’une commode surchargée de photographies
dédicacées par Lagardère à la gestuelle de son stratège, se nommant Gergorin et
enseignant la vision planétaire dans quelques universités et autres colloques,
comme la manie en commençait de poindre au milieu des années 1980.
En Février 1996, on était au
premier hiver d’un règne si longtemps brigué que le prétendant et les électeurs
l’avaient commencé fourbus, après que deux surprises aient failli faire tout
capoter d’un parcours de trente ans. Nommé Premier Ministre sans que son avis
ait été requis, mais son accord était prévisible, Edouard Balladur faillit
doubler Jacques Chirac. Ce devenait une manière plausible d’analyser tout des
comportements qu’ont les grandes gens à la tête de beaucoup de choses et en
puissance de beaucoup d’autres, à partir d’une unique intuition, constamment
transposable. Chacun craint de se faire piquer son rang dans la queue, la place
qu’il a mis tant de soin et de fatigue à conquérir et se relâcher, perdre une
seconde ce que l’on a, y admettre en proche quelqu’un d’un gabarit voisin du
sien est mortel. On ne remonte pas dans un train dont on est tombé en marche.
La règle est plus impérieuse que la fidélité au programme ou au clan grâce
auxquels on a ôté un peu d’égotisme à une candidature toute personnelle. On
habille de mérite, de dévouement, d’une sagesse hors du commun celui et celle
qui l’emporte, mais le si peu qui a fait la différence à l’instant unique où se
fait la décision avait certainement un socle immense et depuis longtemps
présageant rétrospectivement l’immanquable succès du nouveau propriétaire. De
celui-ci, il avait d’abord pensé n’avoir pas perdu la relation. Précisément,
l’élection partielle dans le Haut-Doubs lui avait fait rencontrer le maire de
Paris. La campagne les passionnait tous deux, Jacques Chirac, en connaisseur
voyait le candidat quoique sans répondant, sans appui, puisque sans
investiture, faire des progrès, remuer quelques esprits, gagner certainement
des voix et ne pas démériter. Ils en avaient débattu et le pontissalien
d’adoption avait même obtenu, en espèces que l’ancien Premier Ministre et futur
Président de la République était allé chercher dans une armoire forte au recoin
d’un des plus vastes et plus imposants bureau de tout Paris sinon de la
planète. Quoi que vous fassiez plus tard, et même si vous me traitez d’un
va-de-la-g… sachez que ce je fais pour vous aujourd’hui, je l’oublie du même
coup et que cela ne vous lie à aucune reconnaissance, ils s’étaient quittés une
première fois sur ces mots tandis que Joan Baez, parce que Georges Pompidou en
avait été féru, entrait chez le maire et recevait sa main. Une autre fois, de
l’argent encore lui avait été donné. Ses dépenses de campagne n’étaient pas
couvertes, loin de là, il allait en supporter les dettes une bonne dizaine
d’années jusqu’à ce qu’enfin libre il contracte des emprunts pour se donner
racine mais à l’opposé du Jura, en plate Bretagne du sud. La nuit du premier
tour, il avait mis, entre lui et le ring dont il avait été débarqué faute du
minimum qui était élevé en pourcentage des inscrits, quelques centaines de
kilomètres et un communiqué donnant à ses électeurs toute indépendance de
jugement pour le second. A quatre heures du matin suivant, à la nuit noire, en
baie de Saint-Tropez, une marina que lui prêtait quelques jours un très
proche du président régnant, qui faisait dans le champagne à travers toute
l’Allemagne avec tant de succès que ce serait l’un des fleurons les mieux
sertis du futur L.V.M.H., Jacques Chirac était « au bout du fil »,
lui demandait ses voix, lui décrivait la lutte au couteau entre son mouvement,
nos idées et nos convictions, insistat-il, et Valéry Giscard d’Estaing, grand
favori pour une réélection à venir dans un semestre. Ainsi, chacune des six
élections législatives partielles du prochain dimanche était décisive et les
presque trois points que lui-même pesait dans le Haut-Doubs feraient la
différence. Il le refusa, le maire de Paris ne lui en voulut pas et l’entretien
d’embauche, qu’il eût fallu ne pas manquer et dont il ne savait pas sur le
moment qu’il ne se reproduirait jamais, eu lieu en forme. Au début de 1981,
François Mitterrand appréhendait qu’au second tour il ne fût pas présent, tant
la verve et l’activisme de Jacques Chirac emplissait l’arène et restait forte
la possession d’état de celui qu’on attaquait à propos de diamants pour ruiner
plus efficacement une image publique perdue de contrôle. Mais Jacques Chirac
voyait la déconfiture de Valéry Giscard d’Estaing et son propre passage en tête
de toutes les droites, il y avait donc des circonscriptions à gagner, Thionville
fut mis à plat sur la grande table de travail du maire, Jacques Toubon et lui
se tutoyaient, le cadet était au milieu, voyait les chiffres, imaginait une rue
principale en descente, des pavés pour chaussée, des briques pour encadrement
des fenêtres et ce n’était pas la tristesse probable et l’anonymat obligé de
marches frontalières ni vraiment à l’est ni vraiment au nord du pays qui le
firent refuser, mais d’avoir à évincer un communiste, des communistes et toute
une dialectique de générosité et de tradition militante, au nom de quoi ?
et pour qui ? La chance ne passait pas encore, il fut sollicité de donner
son avis, le maire avait-il à se présenter lui-même à l’élection
présidentielle ? Non, répondit-il, le tour viendrait et Michel Debré était
à honorer, quoique lui-même ne le soutint pas, toutes les tentatives de copies
conformes à de Gaulle depuis Avril 1969 et jusqu’en Avril 2002 ont sonné faux,
et tout autre que l’homme du 18 Juin est grandiloquent, usurpe quelque chose
quand le texte appelle la France à la rescousse et renvoie dos à dos les
grandes divisions de la gauche et de la droite. Et quand un peuple a la mémoire
défaillante, c’est diminuer le héros que d’en présenter un mime. Le dernier
épisode se joua en costume et sur la véritable scène, au premier étage du
palais de l’Elysée, quand parvenu au haut de l’escalier qui n’est pas vraiment
majestueux et qu’on peut contempler aussitôt les portraits peints en pied, pas
mauvais, de Charles de Gaulle en sombre et en manteau et de Georges Pompidou en embrasure de
fenêtre, tous dos immobiles et paraissant réconciliés, il se trouva là, à
attendre d’entrer chez le secrétaire général et que le nouveau Premier
Ministre, Jacques Chirac une seconde fois mais en maître sous un Président
diminué, l’aperçut, sans un mot, le regarda photographiquement. Ce jour-là, il
était un traître puisqu’il visitait le dernier bastion que le prétendant allait
enlever. Ils se revirent à la portière du président du Kazakhstan, l’amnbiance
était fonctionnelle et un Ambassadeur n’a pas à solliciter un maire, même si
celui-ci l’est de la capitale, tandis que va une visite très officielle.
Ni du sérail politique donc, ni
de la carrière diplomatique proprement dite, ayant compris que son
administration d’origine lui en voudrait irrémissiblement d’avoir joui de la
vie et de fonctions sans lui en dire merci à chaque instant, et d’avoir ainsi
vécu sans souci d’une dette et d’une jalousie qui semblait maintenant s’être
propagée dans les couloirs des grands bâtiments d’entre la Seine et la gare de
Lyon à tel point que même des inconnus assuraient le connaître et avoir à le
virer, il arrivait au bout d’une errance d’un an qu’il ne savait pas n’en être
qu’à des débuts. Il avait donc écrit au ministre pour faire courir les délais
du refus implicite de décision, au sens du Conseil d’Etat, puis à toutes les
entreprises, à leur tête respective, dont il avait gardé la trace d’une
représentation au long de ses pérégrinations sur nos marchés extérieurs. Cela
va, hier comme aujourd’hui, de la restauration en grand à l’avionnique et aux
fabrications d’armes sophistiquées, de la publicité aux vieux noms et aux
méthodes nouvelles d’images jusqu’à quantité de pétroliers, gaziers, avocats
d’affaires, faiseurs de mariages entre entreprises et autres grands groupes de
banque, d’assurance, de finances et de services. Il n’en connaît au moment où
il passe le premier sas en début de soirée, rue d’Astorg, que des représentants
qu’il a beaucoup, et parfois avec agrément, pratiqués, mais il avait, es
fonction, l’avantage de parler à des salariés ou à des commissionnés tandis que
lui paraissait indépendant puisque chargé des prérogatives de l’Etat et de
distrubuer ou de recommander la distribution de quelques subsides ou
perspectives de subsides qui vont avec la puissance publique, selon presque
tous les Français. Position dont il ne réalisait pas encore, tant le changement
était rude, complet, combien elle avait révocable à proportion justement de son
agrément et des apparences de son inexpugnabilité. Il avait fréquenté des
raisons sociales sans en connaître le visage dirigeant quoique des noms lui
soient devenus familiers, presque des sigles appelant des vies et des
biographies de roman, Pineau-Valenciennes, Suard, Gandois, des industriels
auxquels venaient s’ajouter la génération montante qui agilement –
privatisations ou natiuonalisations, et l’inverse – avait fait des
échaufaudages et se hissait sans rien montrer d’antécédents ou de savoir-faire
appris sur le tas, jusqu’aux étages nobles. Lagayette et Peyrelvade, Haberer
succédaient, à raison seulement d’une appartenance brève au cabinet d’un des
successifs ministres des Finances, aux rejetons bichonnés de la banque
protestante, de l’industrie de famille, du groupe centenaire ayant fait du
canal, du chemin de fer, du fret et toujours beaucoup d’argent qu’à tort on
plaçait soudain dans l’immobilier et l’assurance. C’était assurément du concret
mais qu’il ne connaissait pas. En Asie centrale, il avait tâté sinon du
pétrole, du moins des foreuses gigantesques et filiformes et visité, sans
précaution, Loïc Le Floch-Prigent, battant froid un parterre de diplomates,
tous nommés dans des territoires dont les frontières ne dépendent pas des
traités mais des intérêts. Il avait su, au haut de ce qui n’était pas un hôtel
particulier, mais une tour de verre à la Défense, se faire admettre au
tête-à-tête avec cet homme, qui avait en commun avec François Mitterrand,
l’effet de cour et l’aura impérial quand il était en spectacle. L’entretien
avait été particulier et confiant. Ils étaient d’âges analogues, de rang
moralement égal, mais l’un était une puissance économique et l’autre, certes
nommé en Conseil des Ministres, se savait appelé à la prudence. Il avait été
cet autre avec habileté, pouvait-il croire. La confidence avait été en deux parties.
Le pédégé ne savait qui commençait de gouverner et aurait à décider dans
l’ancienne République soviétique, indépendante presque de mauvais gré. Si
l’Ambassadeur pouvait lui dessiner une carte du tendre, bien des commissions
seraient épargnées et les Français, dans l’art de corrompre, ont le don de se
tromper de destinataires et de laisser troip d’intermédiaires à leur trace au
présent et pour le futur, le premier décisif et éliminatoire et le second, par construction, incertain.
L’autre partie de l’entretien avait porté, sans qu’on puisse croire à de la
prémonition, sur la précarité de tout dirigeant d’un groupe pétrolier qui n’est
pas anglo-saxon mais parvient à se faire reconnaître parmi les dix premiers,
peut-être même parmi les cinq. La barbe de belle taille et couleur Renaissance,
qui appelait une bouche et des lèvres appliquées à un verre de cristal taillé
accueillant le meilleur vin couleur carmin, dissimulait en réalité les tics et
la vieillesse installée d’une angoisse que confirmait les ongles rongés à des
mains potelées. Approché de part et d’autre d’une table étroite et nue,
l’empereur avait peur et avouait ne tenir la suite de sa carrière, comme sa
nomination et à plusieurs reprises sa protection personnelle, de François
Mitterrand. Ils avaient pu, se souvenait-il, échanger leur expérience
personnelle du souverain, son attention aux personnes, la douceur pénétrante de
sa voix, de son ton, de ses observations, sa grandeur en somme mais son secret
surtout. Un pétrolier et un diplomate, surtout s’il leur faut s’appliquer à
comprendre l’Asie centrale, les idiomes dérivés du turc et les races dérivant
et s’accrochant aux buissons et aux troupeaux des steppes qui tous déambulent
comme des mers et du vent sans contour ni orientation assurés, doivent
apprécier de tels maîtres au regard qu’on ne perçoit pas mais à la fascination
courtoise qu’on subit et qu’on accepte, non sans gloire ni plaisir.
Le pédégé du petit immeuble noyé
dans une nuit américaine, avec qui il a rendez-vous marqué à la fin des heures
diurnes de bureau, est donc pour lui le second du genre. Il ne s’imagine ni ne
se pose en solliciteur. En littéraire impénitent parce qu’inédité, il se
réjouit davantage de connaître, de voir de près un personnage dont il ne sait
encore rien, pas même l’apparence physique. De ses collègues en diplomatie ou
au ministère du quai Branly puis de la rue de Bercy, il n’a jamais eu la
curiosité, il les regarde comme des compagnons de chaîne – car l’humilité
contraint chacun et que dans l’administration on est tour à tour gérés et
gestionnaires, lui-même ayant fait exception et qui n’aurait souhaité en
centrale qu’un emploi itinérant d’inspecteur ou d’arrangeur des ressources
justement qualifiées humaines – ou des co-initiés jouissant d’une existence et
révérant quelques rites comme il doit y en avoir derrière la clôture
monastique. Le sort et le poids de chacun, quand on est du même monde, se
lisent dans les annuaires, se modifient, se décalent, se rattrapent par une
nomination dont la rumeur a couru longtemps avant qu’elle n’intervienne ou se
manque in extrêmis, ainsi manqua son débouché depuis le cabinet de Pierre
Bérégovoy, un André Gauron certain d’être commissaire au Plan, et qui l’avait
constamment aidé dans sa brigue à lui d’un poste qui n’étant pas à la décision
du ministre des Finances et de l’Economie, serait plus facilement obtenu par
témoignage indirect d’une valeur que personne ne vérifierait en confectionnant,
sur ordre, le décret aux trois signatures constitutionnellement qualifiées. Du
proche collaborateur de ce ministre qu’il aimait, il avait ainsi entendu le
récit des motifs derniers pour lesquels la France avait finalement accepté de
participer à la première des guerres d’après la chute du mur de Berlin, ces
guerres télévisées à tous contre un que commentent des experts nationaux ivres
d’une servitude intellectuelle et logistique envers une hégémonie méprisant la
faiblesse de ses alliés et leur rouerie de serviteurs contraints mais
exonérant, par son excès même de puissance, toutes les vilenies du consentement
à la dépendance. Ce n’est pas l’Ambassade de France au Koweit qui avait été
saccagée par les gens de Sadam Hussein, mais la video. et les chaines stéréo.
de l’Ambassadeur à sa résidence dont il était d’ailleurs absent au moment des
faits et où l’on pouvait entrer rien qu’en écartant les battants simples de
porte-fenêtres de plain pied sur le sable. La dépêche d’agence avait été passée
au Président de la République, conférençant à Prague pour tenter d’opposer à
l’annexion d’une petite Allemagne par une plus grande et mieux située, la
logique d’un autre agencement de la vieille Europe, des cardinaux de l’ancienne
Autriche-Hongrie, des gens de théâtre devenus chefs d’Etat, des représentants
de forces vives mais peu de parties réellement prenantes avaient accepté
l’invitation, écoutaient le discours mais desservirait le dessein qui venait
décalé et tardivement par rapport à une Histoire qui, une nouvelle fois du côté
de la Bohême et de l’Oder avait forcé les choix. L’ambiance n’avait pas été à la
réflexion, ce fut la dépêche d’Ems d’autant que nous ne serions pas en première
ligne. Le point intéressant était que Pierre Bérégovoy et ses collaborateurs
suivaient donc la grande politique, celle dite étrangère, et qu’une nomination
d’Ambassadeur pouvait transiter par eux. Fermer notre représentation à Pankow
lui avait été proposé, il l’avait décliné puisque de Vienne où il était affecté
depuis qu’il avait été sorti de sa première disgrâce, il savait trop que
Berlin-Est ne pouvait survivre à l’air libre, ou alors il eût fallu faire
adhérer cet Etat qui avait failli devenir un pays parce que l’Allemagne est
aussi multiple qu’elle aime son unité et être forte, directement et en tant que
tel aux Communautés Européennes. Le concert intime eût garanti une certaine
différenciation et ce n’eût pas été un second Anschluss ; les mots
et les réminiscences étaient forts et périlleux. Il en avait appris les distinguos,
avec une dilection de plus en plus grande, en même temps qu’il acquérait
quelques rudiments d’allemand tel qu’il est parlé à Vienne et censément au
Burgtheater. A l’époque Jacques Chirac, voulant faire plus fort que François
Mitterrand et n’être pas en reste d’une unification, avait évoqué l’Autriche au
programme du chancelier Kohl, tandis que circulaient des journaux d’une autre
inspiration où la République démocratique lâchée par Mikhaïl Gorbatchev n’était
à la une qu’en tant qu’Allemagne centrale. C’était aussi le moment où Moscou et
Bonn échangeaient des signatures au bas d’un traité de bon voisinage. Où était
la Pologne ? Grandiloquence discrète des évocations en privé de diplomates
en déshérence de postes. Dernière à Berlin-Est, une épouse Timsit était donc
devenue conseiller diplomatique d’Edith Cresson, promue à Matignon. Le jeu des
chaises musiciennes, puisqu’à la prise de ces mêmes fonctions par Pierre
Bérégovoy, il avait voulu succéder à celle à laquelle il lui avait été proposé
de succéder à Berlin. Dans une vie humaine, surtout si elle est faite de
migrations dans les organigrammes publiques ou des grands agrégats économiques
et financiers, on ne rencontre que quelques mêmes gens, une petite centaine
dont seuls une grande vingtaine ou une petite cinquantaine restent familiers,
qu’ils soient vos riveaux, vos tortionnaires ou vos commanditaires et parfois
bienfaiteurs. Mais l’âge fait vieillir et il n’est pas faste d’être géré par
plus jeune que soi, les vitesses ascensionnelles ne s’accélèrent que pour la
génération montante. Quand un Ambassadeur de France dignitaire dont il avait
passionnément, décisivement désirer pouvoir aimer la fille, quelques secondes
pour l’avoir regardée rejoindre son père chez Ledoyen où celui-ci le traitait
brièvement, vous pince au sang à travers votre veston de cérémonie parce que
vous êtes plus familie que lui d’un Premier Ministre officiant, vous percevez
que la lutte dure jusqu’aux obsèques et au niveau protocolaire de celles-ci
entre ceux qui sont arrivés avant et ceux qui, sans rien vouloir ôter aux
aîéns, au contraire, veulent simplement avoir un tour, certes bien moindre,
mais quand même un petit tour. Il avait eu la gloire brève mais enviée, ce
pincement par un Ambassadeur qui avait trois ans durant, et quelles
années ! celles du soir d’un très grand homme, été chargé de la presse à
l’Elysée, et qui n’avait donc rien à jalouser en rien, signifiait qu’on ne
tolérait pas qu’il puisse parler et même interpeller un Premier Ministre,
simplement parce que celui-ci lui en avait mieux que la permission, la coûtume,
la liberté. Natives.
On lui donne ici son titre
honoraire d’Ambassadeur, on est venu le chercher au bas d’un escalier faisant
immeuble de maître, on passe par des entresols, puis ce devient vaste et
prestigieux, on passe un palier, les parquets y sont croisés, personne mais
cela ne semble pas désert et sans préavis ni temps d’arrêt ni lieu de
transition, il est face au maître des lieux qui raccompagnant deux quidams
semble s’excuser de ne l’avoir pas fait attendre. Rien n’est feint, au
contraire. L’homme se présente, ce qui est intelligent puisqu’ils ne se connaissent
pas et que sa qualité de chef n’est pas surimprimée à son visage. Sensation de
solitude que produit cet homme, mais sans manifester ce qui va avec, une
souffrance ou des failles. C’est donc lui en costume orange-brun, chandail à
pointe orange et très ordinaire sous la veste. Les mêmes chaussures à boucle
que son visiteur de fin extrême de la journée, le cheveu presque gras, abondant
sur une tête un peu plate, un bouton au milieu du front, mais le visage est
attentif et souriant. La personne parle sans hésiter, mais se laisse conduire
et reprend les mots de l’interlocuteur, quand ils ne sont pas les siens ou
paraissent plus précis ou originaux : est-ce une suprême politesse ?
n’engageant pas. Ce ne semble ni affecté ni calculé. Le pédégé met à l’aise, de
but précis que bien recevoir celui qui vient à lui et qu’il reçoit. Vous buvez
quelque chose ? La table qui fait plateau entre eux, avec une vitre, le
plafond disproportionné par sa hauteur, une toile moderne, de très grandes
dimensions que lui peut contempler tandis que son hôte se présentant de trois
quarts d’heure ne voit qu’autre chose. Pas d’appels téléphoniques, pas
d’intermèdes d’une secrétaire, d’un collaborateur.
Il répond qu’il a écrire encore
ce soir, embraye sur Lesseps, assimile des images qu’il suppose être demeurées
gravées dans la mémoire conjugale de ses parents, relayée par celle moins
solaire, plus anxieuse de son frère aîné mais à un tel degré de redondances et
de couleurs et d’odeurs que l’Egypte en était devenue un mythe familial, alors
que les huit enfants nés en France n’y avaient jamais les pieds, surtout aux
époques où les photographies se tiraient comme des gravures et sur papier
bistre, où les trottoirs au Caire avaient des arbres, tous, et où les voitures
étairent rares, toutes différentes les unes des autres de couleur et de
carrosserie, il y avait de la toile, du cuir, du bois, des chromes et le soleil
était différent et les indigènes s’écartaient du champ quand l’image était de
famille et qu’ils étaient domestiques. Mais cela ne fait qu’une phrase et de la
légende au regard d’une légende. Ne pas songer à des points communs, se montrer
professionnel, virtuellement utile, adaptable aussi. Au Portugal, quand il y
était, Indosuez introduisait Creusot-Loire, selon une exclusivité définie mais
que comme tout dogme il n’avait pas eu à approfondir ni à se justifier. Les
choses sont ainsi mises qu’on peut regarder et ajuster dans les deux sens, la
banque et l’industrie. C’est donner la main à celui dont il veut s’instruire,
de plain-pied. Commence un récit, dans une langue dont il ne saisit pas tout,
les noms propres, les échevaux de carrière qui se croisent, les décisions
pendantes, les risques pris au passé mais à ne pas accepter au futur proche. Le
pédégé continue sur le groupe et le
présente longuement. Mi- du dehors, mi- de l’intérieur à la façon dont on se
tiendrait à un inventaire qui doit être efficace, effectif et dont on va sortir
quelque chose. Lui-même, sans toute la culture pour apprécier ce qui est
l'information du grand public, ou ce qui est de la stragégie ou des données
vraiment internes, écoute. Il ne prévoyait pas que cela l’intéressât vraiment
ce moment avec un homme pas loin de son âge, simple et lui faisant la grâce
d’être perplexe sans que cela tombe dans la dubitation ou l’hésitation. Ne
sachant rien de Suez, alors que d’Alcatel, de Thomson, de Dassault, de Sodhexo,
de Carrefour, de Schlumberger ou de Schneider, de Michelin assurément il
connaît bien des passes, des traverses, des anecdotes qu’on ne raconte qu’à la
chute d’un dirigeant ou qu’à la fin d’une génération. Le canal certes et un ami
de ses parents chargé de ce dont il ne se souvenait plus quoi, mais qui était
important avant guerre et servit de passeport au retour sur site après les
événements de 1956 ; un inspecteur des Finances de la promotion de Couve
de Murville, quelques mois préfet dans son pays, nommé par Pierre Laval lequel
donnait pour instruction orale à ses représentants de ne pas suivre les
écrites. Ces traits n’ajouteraient pas à l’exposé qu’il entend et où il n’a
rien à apporter, d’autant que c’est du passé et que le dirigeant actuel porte
en horreur le régalien et se veut au mieux ex æquo d’un autre, confrère, rival
ou d’un métier différent mais exercé sur le même territoire, afin de n’être jamais
à la proue mais plutôt du côté de l’hélice. La voix n’est pas fatiguée des
conversations de la journée, le ton est d’un bref résumé, non celui d’un cours.
Lui-même ne sait donc rien de Suez, il a la vague idée qu'on y fit trop dans
l'industrie lourde, à l’époque où l’on continuait de porter un nom quoique in
partibus infidelis, et, plus flou et incertain encore, le souvenir des
querelles d'une succession difficile de Gérard Worms, juste l'été précédent.
C'est tout. Il ne sait pas même le statut actuel, et rien de la biographie de
celui qui le reçoit, sinon qu'en face de lui parlant à voix pas haute, les
jambes non croisées, les mains pas volubiles, le visage rajeuni par de la
lumière qui n’est pas celle d’une lampe sourde et proche, mais tombe du plafond
et rappelle qu’on ne parle pas dans un salon et pour peu dire, on a quatre ou
cinq ans de moins que lui. Procéder par tâtons et bon sens, dès que pour lui
s’estompera un peu l’effet de s’instruire inopinément de la cogitation d’un
souverain nouvellement intronisé.
Au début,
il flotte complètement. Le Kazakhtsan, un contrat électricité, Tetrabel ?
Tractobel ? Il n’en a plus souvenir, pourtant ce soir est exactement à une
seule année calendaire, jour pour jour, de la dernière fin de journée, du
dernier début de nuit, où insouciant et imprécautionneux il s’attardait à des
adieux de protocole, à des baisers de fiançailles et négligeait la vérité,
l’amour de celle avec qui il passerait quelques heures au lit, sans plus la
toucher et qu’il ne comptait pas revoir, une fois envolés, elle vers l’Inde du
nord en voyage à tarif réduit, pour tromper son chagrin et ce qu’elle croyait
devoir n’être qu’une attente, et lui pour Paris où l’élection présidentielle de
1995 se jouant, il tenait pour assuré qu’il ne saurait pas moins bien que si
souvent par le passé parcourir les couloirs et faire s’ouvrir les portes et les
agendas ramenant à un emploi convenable, ou à convenir. Puis commence l'exposé,
c’est le dirigeant qui parle. Le groupe très alourdi par l'immobilier, des
pertes en quelques années, équivalentes : 26 milliards, à tout le bénéfice des
cent ans de canal et à la capitalisation au moment de la privatisation de 1987.
Heureusement, la banque est riche et a pu absorber ce qui a été bien plus qu’un
ressac. Surtout se débarrasser de l'immobilier, significativement dès cette
année. En faire autant de l'industrie lourde. S'appuyer sur deux métiers et les
développer : la banque, en crédit surtout à la consommation, métier d'avenir
mais sur lequel tout le monde sèche, témoin la récente copie. C’est lui qui
place une banderille au hasard, la lecture récente du « grand quotidien du
soir ». La réponse lui donne à penser que l'homme est plutôt réservé
vis-à-vis des actuels gouvernants, ce qui lui plaît. La banque donc, et ce semble
le métier de son vis-à-vis, ainsi placé pour avoir vite procédé à un audit
personnel de tout ce dans quoi, nouvel arrivant, il a, à ce niveau désormais le
sien, à se mouvoir et à en animer d’autres, mais pas seulement la banque. Tout
autant, les services aux collectivités locales : l'eau, l'électricité. C’est la
participation à la Lyonnaise – au passage, il entend la confirmation de
l'emprise et du delphinat d’un de ses propres camarades de promotion,
orageusement marié à la fille de François Missoffe, celle dont « Rudie le
rouge » s’était targué d’en avoir fait sa maîtresse quand, en pleine
discussion sur le règlement intérieur des bâtiments ou des dortoirs en campus
de Nanterre, le ministre de la Jeunesse et des Sports, de Gaulle régnant, était
venu inaugurer, croyait-il, une piscine mais en fait ce qui s’appela vite
« le mouvement du 22 Mars ». Du moins, c’est ainsi qu’il aime à
raconter l’histoire, à la fois intime puisqu’il s’agit d’un condisciple chez
les Jésuites dans les beaux quartiers et d’un camarade envié et admiré à
l’Ecole Nationale d’Administration, qui l’avait encouragé à redoubler la
dernière année de scolarité pour avoir une meilleure chance de sortir où il
voulait entrer. Vocabulaire et raccourcis des concours et des des « amphi-corps ».
Le couple a ensuite fait du chemin, il y aura chez l’épouse du passage au
gouvernement, de la candidature à la mairie de Paris et chez l’inspecteur des
Finances, fils d’un pétrolier gaulliste et diplomate, longtemps puissant et
assez notoire pour ne pas se placer au premier rang, des ambitions de même
rapport et de même habile sagesse. Guy de Panafieu au charme certain ne
parviendra pas cependant à diriger les Relations économiques extérieures aux
Finances, ni à succéder vraiment à Jérôme Monod, ni à viabiliser une
informatique française il est vrai foireuse bien avant qu’elle lui soit
confiée. C’est une de ces relations dans une vie, qu’on croise souvent, que
très peu suffirait à s’annexer ce qui aux heures grises est utile, surtout à
charge d’une revanche qu’il n’y aura pas à honorer, car aux uns les places de
compensation et aux autres le couloir et l’anti-portrait. Très curieusement, il
lui fait penser physiquement au cadet de ses frères, même découpe sportive et
même incompatbilité mentale car celui qui a de naissance ou pa mariage, ne peut
comprendre les aléas de celui qui n’obtient qu’à titre périlleux, révocable et
sans vcie de retraite. S’il avait à dessiner les profils, les plats et les
saillies d’une course réussie, il choisirait celle de ce garçon chanceux qui ne
l’a jamais impressionné, dont il pense qu’il n’a pas de secret mais pas non
plus d’excès et qu’en tout il a sans doute, très probablement une certaine âme.
Car le patronat français, issu de la haute fonction publique depuis la fin des années
1920, que les fortunes soient familiales ou que les biens à administrer soit
ceux de l’Etat, a un fond catholique, prise la morale et a peut-être peur du
péché qu conduit à l’enfer. Il y a de la foi chez le riche qui interpelle
Abraham et à défaut Lazare, le pauvre. C’est le Français quand il est doté et
parfois jusqu’au paroxysme de placer le chiffre 6 entre ses initiales
patronymiques. Mais les Présidents de la République laïque, fière d’avoir
expulsé les congrégations au même moment que les princes et d’avoir rompu le
concordat de chacun des régimes qu’elle a abolis, vont bien à la messe, pas
seulement pour les enterrements, François Mitterrand dans la cathédrale de
Reims, aux côtés du comte de Paris pour le millénaire capétien, et Jacques
Chirac à Bormes les Mimozas en personne ou sa femme par procuration. La
Lyonnaise des Eaux, ce qui situe et fait sérieux, car à Lyon naissent et
résident les Fabre, les Chaix, les Cabot, les soyeux, les armateurs, les
indicateurs de chemin de fer. Et du même genre, surtout la Belgique. Faire de
la colonisation une bonne affaire qu’un roi revend à l’Etat qu’il préside, et
tout autour de ce qui devient le noyau dur et le seul ciment dont dispose un
royaume tripartite mais monocéphale avec arcs de triomphe, monuments de la
dynastie et mariages princiers sur fond des toiles impressionnistes qu’on
pouvait peindre en empruntant à la cathédrale de Rouen par brouillard puis
coucher de soleil mais qu’on brossait bien mieux le long d’une côte, courte
pour les stratèges, on n’y débarqua jamais significativement et l’on n’y
rembarqua pas non plus, mais rectiligne et étonnament bout du monde parce qu’on
y arrive de Bruges et de Gand, de siècles en dentelle, en rouge étonnant, en
bleus et en visages inimités.
Gérard
Mestrallet poursuit… aucune image ne transparaît, et il se garde, quant à lui,
de placer aucun nom. Au moment du raid de la Société générale et de Pébereau,
nous avons répondu à l'appel de la Société Générale de Banque et y avons pris
10 %. Cela nous a couté très cher. C'est la troisième capitalisation en
Belgique. Je dînai avec Alphandéry, et lui ai demandé : savez-vous que je suis
le premier producteur d'électricité dans le secteur privatisé à l'Est. En fait,
il ne s’agit que de la Hongrie, depuis trois mois, seule à avoir privatisé ce
secteur, et que rapporté à vous en France, je produis presque le tiers de vous
(l'Irlande, un peu les Etats-Unis, et surtout la Belgique). Tandis qu’arrivent
les chiffres, les territoires, les annexions, qu’apparaissent évidents et bien menés
des choix profonds et que se constitue quelque chose qui a tant de cohérence
qu’il faut s’étonner que ce ne soit que nouveau, le voici avec d’autres
associations, car il connaît la tapisserie par son envers. Un autre camarade,
autant de chez les Pères Jésuites, rue Franklin, pavillon Clemenceau, que rue
des Saints-Pères, fils adultérin d’un très grand du monde scientifique,
demi-frère d’un préfet à la carrière parfois laborieuse parfois parvenant à un
niveau où il y a à décider, frère à part entière de la demoiselle de Monsoreau
que leur mère tenait pour prodigieusement belle, au sens littéral puisqu’elle
ne la lâchait pas du bras quand elle la présenta à ses parents, du côté de la
rue de la Pompe, quelques années après les avoir adjuré de voter pour Habib-Deloncle
au lieu du défenseur du Maréchal, en Novembre 1958. Camarade à l’étonnante
palette, du cœur, plusieurs mariages et de la pruderie, une fortune inattendue
mais méthodique, le don des langues (l’anglais et le russe) qui sut éviter le
délit d’initiés et repasser de la commission des opérations de bourse, d’abord
sous l’insoupçonnable Bernard Tricot, à l’inspection générale des Finances, son
corps d’origine après l’E.N.A. elle-même intégrée par la « botte » de
l’Ecole polytechnique. Ennuyeux et poseur par son art de mettre mal à l’aise en
s’étonnant sans cesse que son interlocuteur pour une tasse de café, place du
Palais-Bourbon, ignorât ce que lui savait. De la fidélité devant le cercueil de
Michel Jobert, un mercredi de Mai 2002 où beaucoup de monde se cotoyait sans
accepter de se reconnaître ni de se parler, et lui-même qui s’était donné ainsi
qu’à son éminent mentor une grande matinée de méditation, l’enfant de
Meknès allongé en bout de course, la tempe et l’œil gauche tuméfié par la chute
du samedi précédent, celle déjà de la mort, et lui assis avec un écritoire
informatique pour saisir devant témoin ce qu’ils avaient vécu ensemble.
Jean-Luc Lépine, comme Jean-Pierre Chevènement, comme quelques-uns du parterre
quand le Mouvement des démocrates avait ses rassemblements et aussi du succès
dans les médias, allèrent jusqu’à la chapelle dite du Réveillon. Par Jean-Luc,
il avait une idée des frères Pébereau au début de leur ascension respective.
Mais du raid qui inaugurait ce chemin cahoteux où Pierre Bérégovoy petit à
petit serait emporté par des attachés de cabinet faisant de l’ingénieurie et du
monopoly, il ne savait rien. Naoury ne tomberait pas, --- retrouver le nom du chargé des questions industrielles à l’Elysée en
1985-1988 et
s’esquiverait dans une estime demeurée générale, au contraire paraderait et
hâblerait jusqu’au rendu d’arrêt en Cassation.
Le récit
continue, c’est du Benelux qu’il s’agit, un nom manque, celui de Frère, mais
Mestrallet est économe de noms propres, celui de ses patrons quand il était
homme de cabinet et les conseillait ne viennent à aucune rescousse, simplement
parce que ce n’est pas nécessaire et que c’est d’inventaire de raisons
sociales, de métiers, de chalandises qu’il doit seulement s’agir, et de ce qui
est tombé dans son escarcelle par la Société Générale de Banque, contrôlée
maintenant avec 30 % de particpaton, tant la gestion et la réinjection de
bénéfices a été profitable. Couplet ensemble sur les moeurs belges, leur dureté
en affaires, la nécessité d'êre belge chez les Belges et non des colonisateurs,
à quoi ils sont réfractaires absolument. Le terrain redevient familier :
la Vieille Montagne a fait partie de l'empire, et ainsi de suite. Lui-même qui
continue de se taire et de visiter le stand où il est introduit complaisamment,
appelle du lointain ces épisodes de tourisme industriel que les scolarités de
grandes écoles, de commerce ou pas, aiment se donner en prospectus et à leurs
élèves. Il avait ainsi crâné une journée entière du côté de Metez ou de
Pont-à-Mousson, en se faisant passer pour le futur gendre dont il savait
pourtant qu’il ne le serait jamais, d’une grande famille, riche de
portefeuilles, de participations et de cousinage par la branche maternelle
autant que par la branche paternelle depuis trois générations, et dont il avait
été prestement débarqué dès les faire-parts imprimés, mais surtout connue la
déconfiture de son père à lui. Après son bref passage dans la chambre de jeune
fille de l’aînée des J., l’amie très intime de l’aînée de ses soeurs – un
semestre, celui commençant sa scolarité à l’école de sélection des principaux
serviteurs généralistes de la chose publique en France – il y avait eu la
déconfiture du pater familias, faisant dans les composants électroniques
et de télévision, subventionnant L’homme nouveau de Marcel Clément, et
ne pouvant donc percevoir que le Japon à la fin des années 1970 ne donnait le
choix qu’à l’alliance ou à la faillite, le renforcement de la puissance
Michelin se défaisant de Citroën et se concentrant, première du genre à
pratiquer cette sagesse stratégique, sur son « métier d’origine » et
quantité d’histoires et de péripéties industrielles auxquelles il ne s’était
intéressé que selon la conversation de représentants de banques ou
d’ensembliers venant lui désigner leur cible ou détailler leur dossier
d’assurance-crédit, conversation quotidienne de l’officine économique et
commerciale des Ambassades. On y apprend à synthétiser un exposé, une journée
entière d’auto-proclamations ou de doléances autant qu’à crocheter, pas
toujours au figuré seulement, les portes par où passer pour obtenir la
décision. Ainsi, pour le groupe qu’on lui décrit, un point fort, et latin –
a-t-il résumé - en Europe occidentale. Oui, à savoir-faire élevé, mais à faible
croissance comparé à l'Asie du Sud-Est. La Générale de banque est à guichets au
coin de rue à Hong-Kong, nous sommes en banque d'affaires partout ailleurs : le
savoir-faire, la structuration à leur apporter. Ce devient simple, on est le 7
Février 1996. Vous voulez être prêt pour les échéances de 1997 à Hong-Kong.
Oui, et si nous créons un poste, auquel nous n’avons pas encore vraiment songé,
ce serait sans doute pour lier les deux zones géographiques et superviser
l'Asie. Il est en Novembre 1970, en avion, la France et le monde viennent
d’enterrer de Gaulle, ce qui va être courant ensuite a été exceptionnel, la nef
entière de Notre Dame à Paris où sont à garde-à-vous devant les chaises de tous
les dimanches des souverains, des présidents, des ambassadeurs, les collines
surplombant la petite départementale sur laquelle ouvre le portail métallique
plein de la Boisserie, du monde, beaucoup mais sans plus, quelqu’un fait
remarquer qu’il fait toujours beau quand le Général préside une cérémonie, le
véhicule blindé, Malraux et son visage ravagé, quelqu’un, un autre fait
remarquer, comme il souffre, le pauvre vieux… Lui-même se verra à la télévision
agitant la main, à un angle de l’écran quand passe le convoi. Il a appris la
mort en déjeunant le mardi à Téhéran avec le conseiller culturel, Michel, le
crâne rasé, l’opinion personnelle peu gaulliste. C’est parce qu’il est repris
alors qu’il évoque au mode du présent l’ancien Président de la République,
comment, vous ne savez pas ? Il est en voyage d’études, c’est l’Iran, la
dictature dont on ne voit pas les coutures, du groupe s’est absenté le temps de
cette étape suivant la Suède et la Roumanie avant d’aller jusqu’en
Extrême-Orient cet autre camarade encore, d’origine locale, parti avec son père
à l’orée des années 1950 quand échoue Mossadegh et qui sait que revenant au
pays, il sera retenu prisonnier. Garçon au teint mat, à l’intelligence
méticuleuse, ingénieuse, méritant les promotions qu’offre le Conseil d’Etat et
dont l’existence parfois presque aussi aventureuse que la sienne l’a souvent croisé,
jusques – imprévisiblement – dans la familiarité de Michel Jobert, deuxième
période, celle du ministère d’Etat, chargé du Commerce extérieur. Noël
Chahid-Nouraï finit par se marier parce qu’un enfant qui le rend heureux, l’y
invite ; il en quitte un cabinet d’avocaterie d’affaires, réforme le
marché de l’art, s’élargit de plus en plus physiquement et ne change pas de
sourire et d’une certaine chaleur au second degré. Maintenant que lui-même est
déchu et à mesure que cela se prolongera, il a plaisir à se savoir assez seul
dans ce défaut d’emploi et de considération. Que l’échec soit statistiquement
rare dans la génération de ses études secondaires et supérieures, que la
spectaculaire et solide avancée au tout premier rang n’ait eu lieu pour aucun
d’entre eux, alors que secrètement, mais peut-être cela s’aperçut-il ? il
crut longtemps que ce serait son lot à lui, l’ensemble de ces notices
biographiques que la radio, les nouvelles, l’information, la conversation en
cours lui rappellent ou mettent à jour, lui est au fond indifférent. Le rapport
avec le bonheur, il ne le perçoit pas, c’est si relatif, c’est tellement sur
mesure, on n’est pas habité par tous ceux qu’on a cotoyés ou qu’on connaît,
l’époque, l’âge, du hasard font choisir. Dans l’instant, on est toujours
monogame. Quand ferment les banques, les magasins et qu’ont été données les
dernières informations télévisées pour le plus grand public par des vedettes
installées pour un quart de siècle et qui ne peuvent donc faire acte de
personnalité que par leur vie privée ou l’écriture publiée de quelques
fictions, il y a cet instant d’avant le sommeil où l’on sait n’avoir plus rien
à craindre ou à espérer dans les heures à venir. C’est demain le temps du défi,
de la concurrence, du papier bleu, de l’échéance, de la réponse enfin à une
demande d’audience. Il a toujours eu un bon sommeil et se souvient de ses rêves
la plupart du temps à pouvoir les écrire avant d’écouter l’horoscope puis de se
lever. Dans cette existence, depuis toujours, il y a eu de la succession et de
la diversité sur l’autre oreiller. Mystérieusement, le côté du lit s’impose et
il ne l’a jamais choisi lui-même, que deux possibilités, mais jamais deux
d’affilée surtout si à défaut de changer de partenaire, il y a changement
d’appartement. Diversité, successivité et donc pas d’enfants. Ses frères et
sœurs, ses contemporains en cette seconde moitié du XXème siècle de l’ère
chrétienne et il en sera de même au début du IIIème millénaire qu’ils ont aussi
en commun, reçurent tous, et sauf exception à une période ni tardive ni
précoce, de la progéniture, des attachements naturels à avouer et afficher, des
compagnonnages et de l’occupation de locaux intimes, donc de la vie privée qui
soit biologique, diversifiée, logarithmique et non pas auto-centrée par défaut
et narcissique faute de mieux. Dire cette vraie lacune, il n’en est pas encore
au point où cela forme besoin et noue quelque chose quelque part d’une certaine
manière. Une femme ne suffit pas à tout s’il n’y a, du fait de vivre à deux,
quelque troisième qui réclame sa liberté, qui cause du souci et qu’on a,
naguère, presque lointainement, fait naître et qui atteint vingt-cinq ou trente
ans quand on va vers ses cinquante ou soixante. Le pédgé de Suez est-il marié,
a-t-il des enfants ? Certainement, parce qu’à beaucoup de points de vue,
il est comme tout le monde. Il l’est tellement, qu’il donne à son visiteur, ce
soir, l’impression de le considérer du même matériau et de la même cuvée que
lui. Raison de plus d’exposer le point actuel de la méditation qu’un dirigeant
doit avoir, une fois disposées cartes et schémas, titres de propriété et
échéances de bourse sur une seule table. Celle-ci est ronde, avec deux verres,
des glaçons dans chaque, de l’ambre au fond de l’un et inachevée, à peine
effleurée par celui parle, la rasade encore à sa moitié du whisky versé quand
ils se sont assis.
Faire rebondir la
balle dans deux directions. Le faire d'abord parler de lui, d’intuition afin de
mieux le connaître, de lui donner envie de travailler avec ce visiteur, accepté
à l’essai et selon une lettre et quelques passages du lebenslauf. Gérard
Mestrallet est d’origine Trésor, Jean-Yves Haberer lui demande s’il veut faire
sa mobilité. On est dans la perspective des nationalisations : 1981, des
institutions financières inédites. Il dut être tenté. Haberer arrive à Paribas,
y amène trop de monde, les choses prennent peu et Michel Camdessus, successeur
du premier à la direction du Trésor, renouvelle sa demande. Il est alors
question d'Indosuez, mais c'est finalement le cabinet de Jacques Delors.
Nouvelle confirmation qui peut avoir son utilité. Le seul à être passé du
premier au second cabinet, rue de Rivoli, aux débuts de la gauche au pouvoir,
est Jacques Desponts, détaché de la Banque Nationale de Paris et connaissant les
sujets de la zone franc ; il reste avec Pierre Bérégovoy qui le nommera en
Septembre 1989 directeur des Relations économiques extérieures, moment précis
où se joue – pour lui – sa nomination d’Ambassadeur ; ne pouvant avoir la
D.R.E.E., ce qu’il comprend, c’est l’époque où lui-même est presque habile dans
sa gestion de carrière, quoique ce soit si facile quand on a accès au ministre
qui vous estime et est votre autorité hiérarchique suprême, il pousse celui
qu’il sait déjà putativement choisi. C’est toujours à la Banque Nationale de
Paris, qu’il a des prises, un autre de ses camarades, du Budget, en devient
l’un des principaux dirigeants et l’ancien secrétaire général de l’Elysée en
fin de règne de Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Wahl est l’un de ceux qui le
reçoivent pour parler avec lui de politique, le croyant très introduit à
gauche, un peu traitre à une droite dont on ne peut concevoir qu’avec son
genre, sinon des alliances familiales qu’on ne lui connaît pas et pour cause,
il ne soit pas à ses époques de naissance. Ce semble une banque où l’on ne
gagne de l’argent qu’avec discrétion ce qui fait croire à de la modicité, et à
une disponibilité dévouée à qui vient se confier Jacques Desponts y revient,
après avoir quatre ans gouverné une des grandes directions rue de Bercy d’une
manière qui a fait contraste. Sans technicité, avec une affabilité constante,
un homme apparemment quelconque a tout simplement informatisé un réseau à qui,
par le fait, il a conféré une efficacité hors de pair dont vont, en la sous-traitant,
bénéficier ses successeurs et aussi les divers pans du financement de nos
exportations dans leur course au statut privé. L’époque n’est pas que de
transition entre la génération Mitterrand, entendue comme celle des enfants nés
pendant les quatorze ans de sa présidence, et celle qui va donner au pays une habitude vite invétérée
du mine politique et des révélations scandaleuses, d’une portée bien plus
qualifiante pour le présent que les enquêtes de Pierre Péan sur Vichy,
l’Afrique et autres. Elle est la fin de tout, d’une histoire où il y avait
continuité de l’Etat, la puissance va ailleurs, l’embauche aussi, d’ailleurs il
le sait tellement qu’il est là et se trouve, à proportion que la soirée avance
et que le propos qu’il entend est plus personnel, des raisons excellentes pour
souhaiter être pris ici et dont aucune ne contredit son passé peu engagé
politiquement mais féru d’idées, d’amitiés et d’espérances. Celui qui peut en
décider lui fait précisément face, et pourquoi ne va-t-il pas s’y rendre
puisque le ton et le contenu sont à la confidence maintenant. Le cabinet de
Jacques Delors mène donc à sortir plus tardivement que prévu du service public,
et à rejoindre Peyrelevade qui lui donne le choix d'être ad latus de
Ponsol ou de Worms, les noms sont connus, pas les visages, il n’y a donc qu’à
écoûter sans plus d’assaociations d’idées. Gérard Mestralet choisit le second,
bien lui en prend, et finalement est propulsé à la tête de la Société Générale
de Banque, toutes les semaines à Paris mais la résidence en Belgique, il y
append le groupe, quoiqu'un peu de l'extérieur. Et quand en Juillet 1995, Worms
qui n'était passé que d'une voix contre son adversaire (nom qui passe au-dessus
du visiteur et qui n’est donc pas retenu - lacune génénale de l'historiographie
en France en matière d'histoire interne des présidences, structurations,
échanges de métier et traditions de nos groupes et associations d’industries et
de banques - un dictionnaire historique manque à cet égard) se démet, l’homme
de ce soir gagne une course qu'il n'a pas menée, puisque les "sages"
de la commission de désignation (Beffa, Friedmann, Monod, Jaffré) sont chacun
virtuellement candidat et adversaires les uns des autres... Il y met une
condition : être élu à l'unanimité, ce qui est fait. Lui-même roulait au pas,
boulevard Haussmann, les Grands Magasins dépassés, on était à la hauteur de la
Chapelle expiatoire, France-Infos. développait, il n’y avait encore ni
les appartements d’Alain Juppé et même de Jacques Chirac, ou en était-on déjà aux
arguties permettant de ne pas retenir le recel d’intérêts ? et l’analyse
de cette lutte finale, sur fond de décrépitude d’un empire encore très beau la
veille ou presque, faisait l’essentiel du commentaire, exactement comme le
lâchage de Jean-Marie Messier par ses administrateurs français occupa bien plus
au début de Juillet 2002 que le discours-programme à l’Assemblée Nationale d’un
autre out-sider : Jean-Pierre Raffarin, plus souvent caricaturé en
commis voyageur des cafés Jacques Vabre que cité dans sa page bivalente et
prophétique de la place dont il ne pouvait savoir ni espérer à l’automne de
2001 en achevant son écrit qu’il l’aurait dès avant l’été suivant. Tout le
monde n’a pas à égalité pour maîtres à vivre et à penser les deux ennemis de la
vie publique française. Mène donc à tout un propos sur la bonne gouvernance –
l’expression de Senghor le Sénégalais, hasardée mais avec assurance aux
frontons publics de son pays, a donc depuis couru le monde entier et intitule
des discours de l’ancien président soviétique autant que des rapports et vœux à
l’intention de chefs d’entreprises voulant bien penser. Le piquant était qu’aux
origines de cette inimitié, quand parut, du Président de la République en
Octobre 1976, un essai, déjà, sur le gouvernement à l’expérience et en projet, Démocratie
française, lui-même avait commis une réplique et de celle-ci, il avait
débattu sur les ondes publiques avec le président des « jeunes
giscardiens » d’alors, le futur sénateur des Charentes. Retrouver
l’enregistrement et comprendre une fois de plus que les coincidences sont plus
fréquentes que fécondes, mais qu’à n’en négliger aucune, on finit forcément par
ramasser au moins sa mise, surtout si on la fait longtemps et régulièrement.
Ce soir, à écoûter
Gérard Mestrallet, il parfait sa première mise sur Suez, et en arrive
maintenant à la seconde grille. Puisque lui sont racontées une carrière et une
prise de pouvoir, dans une ambiance consensuelle mais à un moment difficile qui
hausse tout au niveau d’un défi, que cela semble passer par une intelligence
différente de ce que peut faire le groupe, en quittant sans doute son être
financier, il propose de prendre le relais ; c’est formellement le rebond
de son offre de service : plutôt que d'attendre l'hypothétique création du poste
qui lui serait donné, pourquoi, ce qui ne coûte rien et fera gagner du temps,
ne pas l'introduire déjà par une appréciation du groupe : des papiers, fait le
pédégé. Oui, mais aussi des entretiens comme celui de ce soir avec les trois ou
quatre de vos collaborateurs avec qui forcément vous vérifierez vos intuitions
sur moi. Il acquiesce, manifestement content. Ou bien est-ce parce qu’il peut
se défausser ? Ajouter alors.
J'aurais peut-être quelques idées chemin faisant, et surtout je
dessinerai mieux les postes ou lacunes qui se dégageront de cette première
réflexion. Il me faut trouver dans ce travail éventuel et dans le groupe le
goût du service général que j'avais dans mes fonctions récentes. Comment,
soudainement, a-t-il retrouvé sa voix d’antan ? Il se pose pour la
première fois depuis des mois à la première personne, si singulière qu’il faut
déjà être quelqu’un pour parler en ce nom-là. Moi… l’ego n’est admis
qu’à haut niveau, quitte à ravager. Terminer sur le social, pour lequel le
pédégé est félicité par son visiteur, lequel songe plus aux filiales qu'au
siège. C'est là-dessus qu'il répond, un peu honteux : Meissonnier quittant La
Hénin a présidé son dernier conseil, tout en étant déjà aux manettes du Crédit
foncier, sur des licenciements pouvant affecter quelques 1.000 personnes, et
lui-même préside à la contraction des effectifs de la cellule centrale, de 180
à quelques 70. Quant aux sociétés contrôlées, la holding ne doit pas se
substituer aux directions d'entreprises et aux métiers précis. On ne peut faire
les deux : à nous, la nomination des hommes, la fixation des stratégies, le
financement et ses suivis, un bon "reporting" pour la marche
quotidienne, mais pas davantage. Et pourquoi ne pas dire reportage, même et
surtout si cela doit rappeler Tintin dans l’exposé.
Aux murs nus,
taille de la pièce, presque rétrécie et par la hauteur de plafond, faisant
respirer comme dans un vaste cube hors du temps, deux grandes peintures
noir-et-blanc japonaises ou sinisantes, l'une de calligraphie, l'autre figurant
un visage. Ces murs, cette maison sont vénérables, poursuit le dirigeant de
plus en plus confident. Quand le Canal a été nationalisé, Georges-Picot a
déclaré : eh bien, nous ferons le tunnel sous la Manche, et c'est ce que nous
avons fait, premier actionnaire, et auteur du projet qui a été finalement
choisi. Auparavant, nous avions fait les deux traités, je m'y suis moi-même
beaucoup impliqué, convainquant Mauroy, puis Mitterrand, enfin Thatcher.
Heureusement les commissions et ingénieurie financière ont été tellement
lucratifs, que les pertes et retards actuels sont négligeables. Nous avons
retrouvé pratiquement toutes nos billes. Il ne réplique pas, il y a eu deux
Georges-Picot, et Couve de Murville, ambassadeur au Caire de Farouk à Nasser,
avait dû se convaincre que les gens du Canal ne concèderaient rien, même à
l’imagination d’un lendemain dont on était à la veille, ce qui lui avait fait
prédire toute la suite à Foster Dulles. Le secrétaire d’Etat n’avait pu
supporter que les Français et surtout les Anglais lui cachassent quelque chose
et qu’en sus un ambassadeur ait des vues personnelles sur un sujet de
gouvernement, pas de son gouvernement, mais du gouvernement des Etats-Unis, car
tout y était, c’est-à-dire la prévisible substsitution des Soviets aux
Américains dans le financement du barrage d’Assouan. La vérité est que le
ministre des Affaires Etrangères du général de Gaulle ne rencontra
Benoist-Méchin ni dans les années 1960 ni dans les années 1940 qui étaient tout
autre, mais où le sosie de Jerry Cotton, l’un des acteurs préférés d’Hitchcock
et d’Orson Welles, était déjà plus qu’un figurant , l’homme décisif
simplement parce que – distraction, détachement, hauteur ? – il avait le
sang froid. Le voir dans les actualités de l’époque entrer, isolé et amateur,
dans l’hôtel de ville de Montréal où tout à l’heure il va être crié : Vive
le Québec… vive le Québec librrre ! donne la vraie dimension de la
politique étrangère française quand il en existe une. Ne dire que l’évidence
mais la dire, l’enfant et le roi qui est nu. Donc, un Georges-Picot s’accrocha
à la fiction que la compagnie avait gardé et garderait le Canal à raison de
l’irremplaçabilité de ses pilotes, et l’autre représentait la France,
c’est-à-dire Guy Mollet qui, professeur d’anglais, pouvait converser sdans
interprête avec Anthony Eden, parfaitement francophone. L’ensemlble aboutissait
à une humiliation nationale, redoublant – cette fois aussi gratuitement que
bêtement – la capitulation à Dien Bien Phu. Ministre en titre depuis peu de semaines,
en 1958, Couve de Murville, costume sombre rayé et chapeau beige d’époque,
roulotté main et pochette, parce qu’il entendait ne pas manquer son huit-jours
à Crans-sur-Sierre avec André Meyer, Français qui fut le premier banquier
conseilleur de tous les décideurs pendant les trente ans du second
après-guerre, c’est-à-dire jusqu’à sa mort, laissa l’intérim du Département –
guillemets et majuscule – à Guy Mollet devenu ministre d’Etat dans le dernier
gouvernement de la Quatrième République (comme Mendès France l’avait été dans
le sien, c’est-à-dire en Janvier-Février1956 à contre-emploi). Et c’est
l’intérimaire qui dût signer pour la France l’accord avec l’Egypte devenue
République Arabe Unie avec la Syrie, qui ravaudait, collait et machinait la
porcelaine brisé à hauteur du Canal, deux ans plus tôt.
L’histoire n’est
pas le fait de Gérard Mestrallet au stade d’alors de la relation. D’ailleurs,
Couve de Murville, encore en vie, n’a pas de biographe en Février 1996.
L’entretien doit se conclure. Parler en ancien ambassadeur au Kazakhstan
dutrans-chinois et du projet japonais ; polémiste et analyste politique
des années 1970 que semble ne pas reconnaître le pédégé, conclure sur un papier
déduisant pour les gouvernants qu’on subit ce qu’il faut de la maldonne de
Novembre et Décembre 1995 et le faire passer pour une mystérieuse commande. On
se quitte donc sur une appréciation de ce qu’il sait faire des moments comparés
des deux septennats, les débuts de François Mitterrand à l’Elysée, heureux que
soit reconnue la part assumée par Pierre Mauroy dans le tournant de la
"rigueur", car dix ans après le réalisme est devenu science et
critère, et les débuts de Jacques Chirac. On a placardé, sur toutes les avenues
menant à l’Etoile, un extrait des notations quotidiennes d’Attali au premier
mois du nouveau règne quand y fut choisie la date anniversaire d’Hiroshima pour
que reprennent les essais nucléaires français dont l’utilité était contesté par
la moitié au moins des experts nationaux. Il pourra bien être élu mais en pas six
mois, il sera la risée de l’univers, François Mitterrand dixit. La
difficulté actuelle pour Chirac, c'est qu'il doit revenir à ses promesses
électorales, alors que pour Mitterrand, c'était le contraire. Approuvant qu'il
y ait forcément à changer les hommes, le pédégé de Suez, son patron désormais
d’élection, admettait sa fraternité politique avec lui : point décisif ! Ils se
quittèrent chaleureusement, la secrétaire, en place depuis vingt-cinq ans avait
été mise de son côté, à qui il confierait un exemplaire de sa fameuse note.
Redescendre l’escalier dans une lumière qui avait une épaisseur sourde de
tamis, fut un bonheur. Il était tard, gage d’avoir creusé profond les
fondements de son chantier.
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