IV
DE
EO
J'ai ainsi commencé d'écrire.
Des fantasmes et des souvenirs. Ecrivant un fantasme, tel que je me souvenais
me l'être formulé, l'avoir fait se dérouler à cette vue intérieure qui n'est
celle ni du rêve éveillé, ni du rêve mobilisé au réveil, qui est docile,
logique, qui accompagne notre plaisir et y supplée, la vue de notre première
personne quand elle est est pluriel, mais que nous sommes seuls à la vivre, ces
instants-là. L'écriture trouve alors - d'elle-même - plus aisé d'en rapprocher
deux l'un de l'autre, déjà un des personnages est mort ou jeté en réserve.
Ainsi Maëlla - féminin de prince en bon, quand sa mère m'expliqua à la sortie
de la messe ce prénom, elle ne voulut pas dire : princesse, sa fillette ne
l'était plus, ne l'avait été, femme, que fugitivement, à ma première surprise
de son regard d'enfant qui me dévisageait - Maëlla s'est prêtée pour que
s'achève une première présentation de ... je ne retiens toujours pas le prénom
de la petite... Des souvenirs, ce sera une manière, la plus heureuse et
peut-être la plus vraie de rédiger mes Mémoires, ces mémoires-là qui furent
vêcus à deux et simplement, ceux qu'aucun revers, aucune disgrâce, la chute
d'un piedestal ou la venue de l'âge, ne peuvent pousser à réécrire. Ce sont des
faits, indépendants de tous les autres, dans une existence humaine. Ce qui nous
laisse entendre qu'ils sont sans doute le plus fort de nous-mêmes. J'ai écrit
donc ad hoc.
Mais voilà que je reviens à
des textes antérieurs, lettres ad eas que je collationnais ce dernier
printemps. Il pourrait y en avoir d'autres. A les comparer, il saute aux yeux
qu'ils ne viennent pas de la même façon, pourtant ils tendent à représenter des
scènes analogues. Pourquoi cette différence, la liberté d'écriture est la même,
que le lecteur soit dévisagé ou anonyme, je ne crois pas que cela change la
posture de l'écrivain. Il est ainsi posté que son écriture est un dialogue,
celui du peintre et du modèle. Il peint le couple qu'ils furent ou qu'il
imagine qu'ils seraient, seront. C'est une écriture adressée non au lecteur sur
papier, mais à une chair et à une âme précises, personnalisées, nommées le plus
intimement.
Faut-il admettre que la
différence est seulement d'époque ? ce que d'autres textes, encore plus
antérieurs puisque cette thèse : L'âme du sexe, m'occupe depuis
vingt ans, confirmeraient si je les convoque ?
Ce qui reviendrait à
comprendre qu'il n'y aurait d'unicité dans le tissu, de tenue d'une même saveur
que par le sujet vivant, faisant, respirant l'amour, mais que ce sujet n'est
identique à lui-même qu'à un moment donné, dont il importe de ne pas interrompre
la continuité ?
Pourtant nous expérimentons
que nous nous y "prenons" toujours de la même manière. Oui ! pour
rencontrer, convoiter, reconnaître cette eau singulière qui nous vient à la
bouche quand nous avons appréhendé quelqu'un et que nous commençons de désirer.
Oui, pour cette chamade ou cette dubitation : se rendra-t-elle ? Comment
sera-t-elle, comment serait-il ? Que serons-nous, juste avant ? Juste après ?
Guillemets pour ces prépositions de temps. Mais non ! pour l'entre-deux, car
nous recommençons à zéro dans l'épreuve d'être deux. Je crois que nous arrivons
sans mémoire au moment de constituer ce couple qui dansera autour d'un axe
invisible longtemps, ne se trouvant précisément qu'à l'envoûtement mutuel des
sexes ; qu'il n'y a alors de mémoire que celle qui commence à servir,
anticipation de la prochaine danse, sagesse acquise de la précédente, sécurité
permettant l'imagination, sécurité de se savoir désiré et attendu, sécurité de
pouvoir être suscité, ressuscité, remembré -, sécurité de pouvoir se perdre
sans mourir, de pouvoir mourir sans se perdre -, sécurité de pouvoir crier,
pleurer, grimacer, balbutier, de pouvoir n'être rien, de flotter sans plus
aucune dimension ni respiration dans un cosmos qui n'a ni nom ni géographie.
L'analphabétisme, le silence de la science la plus exacte, la plus prolixe et
qui ne s'acquiert que par le partage, ne s'augmente que par le partage, ne se
perd jamais car ce qui fut, en ce que peut-être il faudrait appeler un pays, le
pays particulier à chaque amour, à chaque couple faisant, refaisant, convoquant
l'amour des corps, à fleur d'âme, à pleurs d'âme, ce qui fut - ainsi et là - ne
pourra jamais être effacé.
L'écriture peut-elle en rendre
compte ? Est-elle, par elle-même, un retour solitaire ? Continue-t-elle le
partage ? Elle date. [i]
Ecrivant cela, c'est à un lit,
à une femme - précis, précise - que je pense, auxquels je me réfère. J'y arrive
à plus de cinquante ans, libre. Est-ce elle qui me libère de souvenirs et de
nostalgies, qui abolit, plus qu'elle ne périme mes comparaisons ou mes
références ? L'homme, le sexe masculin n'ont de présence dans la joute et
l'installations sensuelles qu'à la condition absolue d'être assurés du
consentement féminin. Ce n'est pas un consentement de paroles, ni même de
coeur, c'est vraiment un consentement phsyiologique qui ne se convoque ni ne se
décrète, ne s'excite pas davantage que l'érection virile. Une part de l'âme,
certainement, constitue ce consentement - sinon l'âme entière laquelle
impliquerait la revue d'une biographie, d'une vie, d'une échelle de valeurs et
pas seulement l'entrainement de l'instant que celui-ci conclut ou inaugure une
méditation, une supputation amoureuses. Là, avant même l'étreinte, naît le
couple. Il y a le rut, certes, mais durera-t-il, aura-t-il habileté,
efficaciuté et patience si le refus est patent. Les maladresses, tous les
débuts se rattrapent si le consentement et l'attente féminins sont au
rendez-vous. La femme se rend parce qu'elle a permis. Ouverte... Plus encore,
appelant... de ses mains, de son sourire, de sa voix... car cette porte-là,
délicieuse quand l'arme est au poing, redoutable et infernale quand il n'y a
plus rien, ou encore rien, une nouvelle fois, toujours rien à y introduire,
cette porte-là est unique qu'on ne franchit que totalement. Ne le pouvoir est
indolore pour le corps assoupi ou impuissant, mais corrosif pour l'âme. Aucune
intelligence, aucune ardeur spirituelle, aucun baiser n'en pourrait guérir.
L'union blanche serait horrible.
Le viol brusque-t-il,
force-t-il à naître un couple étrange ? On le dit douloureux pour le corps
féminin -, traumatisant pour l'esprit, l'âme, l'identité de la femme. Comment
le membre viril surmonte-t-il les obstacles, vainc-t-il les débats, sans mollir
? Le sang ne bat-il que par l'odeur du sang et du sperme anticipée, effluves
fortes et acérées par le combat ? Je ne sais. L'impuissance me paraissant une
calamité, engendrant une telle obsession masculine, une telle supputation de la
pitié et donc du désamour féminins, que je n'en ai l'expérience que par sa
guérison - toujours miraculeuse, en sorte que chaque érection est un cadeau des
dieux, chaque étreinte une aventure en soi qui combine l'histoire, la
géographie, tous les aléas et toutes les victoires de l'exploration, la plus
haute spiritualité, la finesse gustative la plus aigue. Longtemps enfant en ce
pays-là, j'éprouvais - en suite - le regret, l'abattement souvent décrit en
médecine ou par les livres. Ils ne me viennent plus ; " après" est
encore une forme de bonheur, autant qu'"avant" était déjà la
félicité, quand la bouteille se débouche, qu'on ne sait encore rien du vin,
sinon que c'est une étiquette et un moment prometteurs. Quand je reste allongé,
en suite - c'est d'accomplissement qu'il s'agit, un accomplissement que je vis
; y a sa part la certitude d'un prompt retour dans ce pays, j'en garde la
mémoire heureuse et ainsi se prolonge autrement ce qui m'avait comblé, il y a
peu quoique ce soit déjà si lointain, et tandis que j'apprécie de plus en plus
qu'à mes côtés, celle-ci qui ne fut qu'un avec moi, et moi avec elle - le corps
de l'homme se relove au ventre féminin à l'instant du spasme - demeure, elle
aussi, inerte, les yeux aveugles mais ouvert. Car c'est surtout le ciel, qui
ainsi demeure. Il n'y a donc que couple. Mais il est vrai que la femme jalouse,
la femme qui crie sa détestation ou son mépris, sa malédiction à l'amant, cette
femme-là qui se refuserait et ne serait que forcée, enseigne aussi qu'il y a
toujours un certain craquement, une certaine rupture d'hymen ou d'antique
verrouillement - quand elle sera d'elle-même vaincue et en pleurs,
reconnaissant la réconciliation à ce retour d'envie. Ainsi, y a-t-il la
première fois ; y a-t-il aussi les retours fréquents et fraternels les
promenades quotidiennes ou mutliquotidiennes, des siestes, du soir, du matin ;
y a-t-il enfin ces redditions. Je raconte avec des images, des souvenirs ou en
fantasme ce qui se vit, se donne, mais ne peut s'écrire. Le plus précis reste
approximatif, et ce que je veux élucider n'est pas une image figée : d'autres
formes de l'art sont adéquates, que l'écriture plagiera seulement, ce que je
veux décider, c'est que le sexe et le pleur, la peur, l'angoisse que le
rendez-vous soit manqué, la joie d'être exaucé, d'être au point où sûrement l'on
sera exaucé, où plus aucune impasse n'est à redouter - que le sexe, la joie et
l'appétit, la disposition au désir et à la communion sont d'abord dans l'âme,
en proviennent et y retournent. Alors, résonne le corps ; alors, battent le
coeur et le sang au masculin ; alors, frémissent et se gonflent les seuils et
les demeures de la femme.
Mais - tandis que j'écris - il
m'apparaît bien que je n'écris pas ce que je voulais écrire, que j'ai peine à
transcrire ce que je veux saisir, qu'en fait je ne sais toujours pas le
secret, ce lien entre la chair de l'un et la chair de l'autre, ce lien de
connivence et de distinction sublimes entre deux sexes, et la conscience que
deux personnes en ont ou en éprouvent, et je ne puis qu'écrire - pour
l'instant - qu'il y a ainsi entre l'étreinte physique de deux personnes et le
combat de celui qui compose des suites de mots pour dire, une analogie totale.
Faire n'est pas savoir, mais seulement éprouver que l'on vit en cherchant, que
l'on aboutit par hasard, ce que - conventionnellement - on appelle
l'inspiration, et qu'en amour, on appelle l'amour. Entre la vérité que je
veux comprendre, en tant que mode d'emploi de nos corps, en tant qu'une prise
sur notre âme, un amadouement de notre identité, de notre résistance à la mort
et au désespoir, et l'érotisme, il y a autant de distance qu'entre l'étreinte
absolument unique, personnelle de deux amants et la banalité du sexe, de son
exploitation. Elément de langage, sujet polluant ou faisant les rencontres,
simplification de toute communication et voie définitive de communion, ensemble
de gestes si quotidiens qu'ils en paraissent d'hygiène un peu neutre ou
paroxysme analogue au martyre parce qu'on ne peut prouver autrement ou plus
fortement ? [ii]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire