dimanche 8 juin 2014

compilation - l'âme du sexe (3)



IV


                                                                                DE EO






















                  J'ai ainsi commencé d'écrire. Des fantasmes et des souvenirs. Ecrivant un fantasme, tel que je me souvenais me l'être formulé, l'avoir fait se dérouler à cette vue intérieure qui n'est celle ni du rêve éveillé, ni du rêve mobilisé au réveil, qui est docile, logique, qui accompagne notre plaisir et y supplée, la vue de notre première personne quand elle est est pluriel, mais que nous sommes seuls à la vivre, ces instants-là. L'écriture trouve alors - d'elle-même - plus aisé d'en rapprocher deux l'un de l'autre, déjà un des personnages est mort ou jeté en réserve. Ainsi Maëlla - féminin de prince en bon, quand sa mère m'expliqua à la sortie de la messe ce prénom, elle ne voulut pas dire : princesse, sa fillette ne l'était plus, ne l'avait été, femme, que fugitivement, à ma première surprise de son regard d'enfant qui me dévisageait - Maëlla s'est prêtée pour que s'achève une première présentation de ... je ne retiens toujours pas le prénom de la petite... Des souvenirs, ce sera une manière, la plus heureuse et peut-être la plus vraie de rédiger mes Mémoires, ces mémoires-là qui furent vêcus à deux et simplement, ceux qu'aucun revers, aucune disgrâce, la chute d'un piedestal ou la venue de l'âge, ne peuvent pousser à réécrire. Ce sont des faits, indépendants de tous les autres, dans une existence humaine. Ce qui nous laisse entendre qu'ils sont sans doute le plus fort de nous-mêmes. J'ai écrit donc ad hoc.

                  Mais voilà que je reviens à des textes antérieurs, lettres ad eas que je collationnais ce dernier printemps. Il pourrait y en avoir d'autres. A les comparer, il saute aux yeux qu'ils ne viennent pas de la même façon, pourtant ils tendent à représenter des scènes analogues. Pourquoi cette différence, la liberté d'écriture est la même, que le lecteur soit dévisagé ou anonyme, je ne crois pas que cela change la posture de l'écrivain. Il est ainsi posté que son écriture est un dialogue, celui du peintre et du modèle. Il peint le couple qu'ils furent ou qu'il imagine qu'ils seraient, seront. C'est une écriture adressée non au lecteur sur papier, mais à une chair et à une âme précises, personnalisées, nommées le plus intimement.

                  Faut-il admettre que la différence est seulement d'époque ? ce que d'autres textes, encore plus antérieurs puisque cette thèse : L'âme du sexe, m'occupe depuis vingt ans, confirmeraient si je les convoque ?

                  Ce qui reviendrait à comprendre qu'il n'y aurait d'unicité dans le tissu, de tenue d'une même saveur que par le sujet vivant, faisant, respirant l'amour, mais que ce sujet n'est identique à lui-même qu'à un moment donné, dont il importe de ne pas interrompre la continuité ?

                  Pourtant nous expérimentons que nous nous y "prenons" toujours de la même manière. Oui ! pour rencontrer, convoiter, reconnaître cette eau singulière qui nous vient à la bouche quand nous avons appréhendé quelqu'un et que nous commençons de désirer. Oui, pour cette chamade ou cette dubitation : se rendra-t-elle ? Comment sera-t-elle, comment serait-il ? Que serons-nous, juste avant ? Juste après ? Guillemets pour ces prépositions de temps. Mais non ! pour l'entre-deux, car nous recommençons à zéro dans l'épreuve d'être deux. Je crois que nous arrivons sans mémoire au moment de constituer ce couple qui dansera autour d'un axe invisible longtemps, ne se trouvant précisément qu'à l'envoûtement mutuel des sexes ; qu'il n'y a alors de mémoire que celle qui commence à servir, anticipation de la prochaine danse, sagesse acquise de la précédente, sécurité permettant l'imagination, sécurité de se savoir désiré et attendu, sécurité de pouvoir être suscité, ressuscité, remembré -, sécurité de pouvoir se perdre sans mourir, de pouvoir mourir sans se perdre -, sécurité de pouvoir crier, pleurer, grimacer, balbutier, de pouvoir n'être rien, de flotter sans plus aucune dimension ni respiration dans un cosmos qui n'a ni nom ni géographie. L'analphabétisme, le silence de la science la plus exacte, la plus prolixe et qui ne s'acquiert que par le partage, ne s'augmente que par le partage, ne se perd jamais car ce qui fut, en ce que peut-être il faudrait appeler un pays, le pays particulier à chaque amour, à chaque couple faisant, refaisant, convoquant l'amour des corps, à fleur d'âme, à pleurs d'âme, ce qui fut - ainsi et là - ne pourra jamais être effacé.
                  L'écriture peut-elle en rendre compte ? Est-elle, par elle-même, un retour solitaire ? Continue-t-elle le partage ? Elle date. [i] 

                  Ecrivant cela, c'est à un lit, à une femme - précis, précise - que je pense, auxquels je me réfère. J'y arrive à plus de cinquante ans, libre. Est-ce elle qui me libère de souvenirs et de nostalgies, qui abolit, plus qu'elle ne périme mes comparaisons ou mes références ? L'homme, le sexe masculin n'ont de présence dans la joute et l'installations sensuelles qu'à la condition absolue d'être assurés du consentement féminin. Ce n'est pas un consentement de paroles, ni même de coeur, c'est vraiment un consentement phsyiologique qui ne se convoque ni ne se décrète, ne s'excite pas davantage que l'érection virile. Une part de l'âme, certainement, constitue ce consentement - sinon l'âme entière laquelle impliquerait la revue d'une biographie, d'une vie, d'une échelle de valeurs et pas seulement l'entrainement de l'instant que celui-ci conclut ou inaugure une méditation, une supputation amoureuses. Là, avant même l'étreinte, naît le couple. Il y a le rut, certes, mais durera-t-il, aura-t-il habileté, efficaciuté et patience si le refus est patent. Les maladresses, tous les débuts se rattrapent si le consentement et l'attente féminins sont au rendez-vous. La femme se rend parce qu'elle a permis. Ouverte... Plus encore, appelant... de ses mains, de son sourire, de sa voix... car cette porte-là, délicieuse quand l'arme est au poing, redoutable et infernale quand il n'y a plus rien, ou encore rien, une nouvelle fois, toujours rien à y introduire, cette porte-là est unique qu'on ne franchit que totalement. Ne le pouvoir est indolore pour le corps assoupi ou impuissant, mais corrosif pour l'âme. Aucune intelligence, aucune ardeur spirituelle, aucun baiser n'en pourrait guérir. L'union blanche serait horrible.

                        Le viol brusque-t-il, force-t-il à naître un couple étrange ? On le dit douloureux pour le corps féminin -, traumatisant pour l'esprit, l'âme, l'identité de la femme. Comment le membre viril surmonte-t-il les obstacles, vainc-t-il les débats, sans mollir ? Le sang ne bat-il que par l'odeur du sang et du sperme anticipée, effluves fortes et acérées par le combat ? Je ne sais. L'impuissance me paraissant une calamité, engendrant une telle obsession masculine, une telle supputation de la pitié et donc du désamour féminins, que je n'en ai l'expérience que par sa guérison - toujours miraculeuse, en sorte que chaque érection est un cadeau des dieux, chaque étreinte une aventure en soi qui combine l'histoire, la géographie, tous les aléas et toutes les victoires de l'exploration, la plus haute spiritualité, la finesse gustative la plus aigue. Longtemps enfant en ce pays-là, j'éprouvais - en suite - le regret, l'abattement souvent décrit en médecine ou par les livres. Ils ne me viennent plus ; " après" est encore une forme de bonheur, autant qu'"avant" était déjà la félicité, quand la bouteille se débouche, qu'on ne sait encore rien du vin, sinon que c'est une étiquette et un moment prometteurs. Quand je reste allongé, en suite - c'est d'accomplissement qu'il s'agit, un accomplissement que je vis ; y a sa part la certitude d'un prompt retour dans ce pays, j'en garde la mémoire heureuse et ainsi se prolonge autrement ce qui m'avait comblé, il y a peu quoique ce soit déjà si lointain, et tandis que j'apprécie de plus en plus qu'à mes côtés, celle-ci qui ne fut qu'un avec moi, et moi avec elle - le corps de l'homme se relove au ventre féminin à l'instant du spasme - demeure, elle aussi, inerte, les yeux aveugles mais ouvert. Car c'est surtout le ciel, qui ainsi demeure. Il n'y a donc que couple. Mais il est vrai que la femme jalouse, la femme qui crie sa détestation ou son mépris, sa malédiction à l'amant, cette femme-là qui se refuserait et ne serait que forcée, enseigne aussi qu'il y a toujours un certain craquement, une certaine rupture d'hymen ou d'antique verrouillement - quand elle sera d'elle-même vaincue et en pleurs, reconnaissant la réconciliation à ce retour d'envie. Ainsi, y a-t-il la première fois ; y a-t-il aussi les retours fréquents et fraternels les promenades quotidiennes ou mutliquotidiennes, des siestes, du soir, du matin ; y a-t-il enfin ces redditions. Je raconte avec des images, des souvenirs ou en fantasme ce qui se vit, se donne, mais ne peut s'écrire. Le plus précis reste approximatif, et ce que je veux élucider n'est pas une image figée : d'autres formes de l'art sont adéquates, que l'écriture plagiera seulement, ce que je veux décider, c'est que le sexe et le pleur, la peur, l'angoisse que le rendez-vous soit manqué, la joie d'être exaucé, d'être au point où sûrement l'on sera exaucé, où plus aucune impasse n'est à redouter - que le sexe, la joie et l'appétit, la disposition au désir et à la communion sont d'abord dans l'âme, en proviennent et y retournent. Alors, résonne le corps ; alors, battent le coeur et le sang au masculin ; alors, frémissent et se gonflent les seuils et les demeures de la femme.

                  Mais - tandis que j'écris - il m'apparaît bien que je n'écris pas ce que je voulais écrire, que j'ai peine à transcrire ce que je veux saisir, qu'en fait je ne sais toujours pas le secret, ce lien entre la chair de l'un et la chair de l'autre, ce lien de connivence et de distinction sublimes entre deux sexes, et la conscience que deux personnes en ont ou en éprouvent, et je ne puis qu'écrire - pour l'instant - qu'il y a ainsi entre l'étreinte physique de deux personnes et le combat de celui qui compose des suites de mots pour dire, une analogie totale. Faire n'est pas savoir, mais seulement éprouver que l'on vit en cherchant, que l'on aboutit par hasard, ce que - conventionnellement - on appelle l'inspiration, et qu'en amour, on appelle l'amour. Entre la vérité que je veux comprendre, en tant que mode d'emploi de nos corps, en tant qu'une prise sur notre âme, un amadouement de notre identité, de notre résistance à la mort et au désespoir, et l'érotisme, il y a autant de distance qu'entre l'étreinte absolument unique, personnelle de deux amants et la banalité du sexe, de son exploitation. Elément de langage, sujet polluant ou faisant les rencontres, simplification de toute communication et voie définitive de communion, ensemble de gestes si quotidiens qu'ils en paraissent d'hygiène un peu neutre ou paroxysme analogue au martyre parce qu'on ne peut prouver autrement ou plus fortement ? [ii]




[i]. - Ad hoc, Reniac le mercredi 18 Septembre 1996
[ii]. - Ibidem, 15 heures 30

Aucun commentaire: