L' A M E D U
S E X E
Récits & Essais
I
DE EO
Ecrire sur le sexe n'est pas
plus écrire sexuellement ou sensuellement qu'écrire sur d'autres sujets. Mais
on peut écrire dans deux ambiances et donc selon deux dialectiques et
inspirations différentes. Ecrire pour se faire plaisir et en fait espérer faire
partager ce plaisir. Images et respiration ne dépendent pas vraiment de
nous ; nous en sommes les instruments, engagés dans cette course, vivant cette
évocation par une sorte d'abandon qui a fait le début de ce moment d'écriture,
qui est - en l'espèce - plus encore de vie que d'écriture. Ou alors écrire la
réflexion, la philosophie, l'expérience que nous donne - cardinalement - le
sexe ; que celui-ci nous manque, nous ait comblé, que nous attendions le retour
d'une personne aimée, désirée, que nous imaginions ou nous souvenions, nous
cherchons à élucider la base de cette relation particulière et son essence ;
manifestement, nous réfléchissons et écrivons alors sur les deux infinis, le
plus intime et le plus cosmique, et nous vivons que c'est, en termes
d'existence humaine, le seul moment ou le seul lieu de totale unité. Unité
personnelle, mais tout autant - et ainsi apparaît la condition de cette unité -
unité avec l'autre, dans l'autre, grâce à l'autre, et par cette unité-là,
l'union au cosmos qui est conscience d'être le cosmos.
Réflexion ou expérience,
décalage entre la conscience, la vie d'une part et leur relation d'autre part
qui ont des analogies avec la relation à Dieu et l'expérience spirituelle. D'où
le titre générique de ces pages. Une des interrogations qui les sous-tendra
reste cependant le rapport entre ces deux expériences et en quoi la seconde
n'est pas réductible à la première. [i]
II
D'IMAGINATION
L'AUTRE
PAYS
Est-ce être adulte ? il s'éveille à
peine. S'endormant, il ne le tolèrerait pas, s'il n'en avait eu d'abord
envie. Parfois, quand il y est - au creux de cette situation qui est le
commencement, dans la tête, avant que ce soit dans le sexe, que sa bouche ait
déjà ce goût de... - il se demande pourquoi pas plus souvent, pourquoi pas tout
le temps, il n'en a envie. Il se promet, il dit qu'on recommencera cent fois
aujourd'hui, cent fois dès maintenanté. Il s'éveille à peine, les prolégomènes,
la peine de se retourner, d'ouvrir les yeux, de regarder, non, il n'en a pas
envie. Les cheveux blonds, la peau, le corps, toutes les dimensions,
l'existence de l'autre, de celle qui dort encore, qui smeble encore dormir, qui
a dormi à ses côtés, avec qui il a dormi, avec qui - ce lit - il le partage, il
connaît tout cela. Il ne veut que le plaisir, il ne veut que l'aboutissement,
être déjà en elle. non pas jouir, non pas avoir joui, non pas être sur le point
de jouir. Mais être déjà sur le plateau de l'amour, déjà dans ce pays où l'on
marche autrement, où l'on regarde autrement. Il ne fait rien qui suscite le
corps, qui appelle un geste venant d'à côté de lui. Il attend, cela n'arrivera
peut-être pas, il a envie, c'est impossible à dire, à se dire, il est
entièrement une envie, d'être dans un autre pays, de vivre et de respirer
autrement. La chair, le corps, la sensation d'être soi, dans cet autre pays,
auquel il ne peut accéder par lui-même, à volonté, seul, par quelque grimpée,
c'est cela qu'il veut, cela qui n'a pas d'anatomie, pas de prénom, pas d'odeur.
On devient autre, une immortalité est conférée dont on ne peut se souvenir
qu'on ne l'avait pas, l'instant d'avant, dont on ne peut conjecturer qu'on en
sera bientôt privée, un pays qu'on aura quitté. Qui l'aura quitté. Il sera les
yeux ouverts, étendu, à plat sur le dos, comme maintenant, assouvi ou pas, ce
n'est pas prévisible, mais il aura la même sensation d'avoir perdu beraucoup
sinon tout en n'étant plus où il était, où il fut. Il n'imagine pas la compagne
de ce monde, il ne voit pas - en souvenir, en nostalgie, en maintes expériences
- les corps qui s'installent, qui se tendent, se déploient, se travaillent et
de posture en posture, souvent sans regard, parviennent peu à peu à se sourire
et à se trouver. Il n'anticipe quelque découverte, quelque aisance à se mouvoir
dans ces autres dimensions, infiniment précises, infinement fugaces,
étonnamment matérielles et spirituelles tout autant, parce que c'est de chair
qu'il s'agit, et d'un accord de chair, que permettent seules, à quoi poussent
seules une envie, une amitié d'âme, une certaine attention à soi qui est
attention à l'autre. Il ne sait rien, sinon qu'il voudrait déjà être
dans ce pays.
Elle a bougé, à peine. Elle a
une peau si lisse, avec une sorte d'épaisseur propre empêchant de discerner -
comme parfois certaines femmes ont une chair, une peau qui le permet, et cela
émeut, ce n'est ni vieillesse ni imperfection, c'est une sorte de diaphanité
qu'on ressent de la main - de discerner ce qui est en dessous, ce qui est
vraiment la chair, sous la peau, l'existence vivante qui a des volumes, ses
volumes, les volumes de celle-ci qu'il connaît et qu'il voit, côtoie, embrasse
et aime chaque jour, la nuit aussi. Elle a bougé, elle a remué, il garde les
yeux fermés, il attend, il est fragile, il ne sait pas, il ne saurait même
décider, considérer s'il désire ou pas, désirer dans le vide, désirer le désir,
leur désir. Peut-être son sexe est-il déjà tendu, déjà indépendant de ses
cuisses et de son ventre ; peut-être repose-t-il encore entre ventre et
cuisses, doux et enfantin. Elle a posé une main sur son ventre d'homme, elle a
dû entendre ce frémissement de tout le corps d'homme simplement parce qu'elle a
posé la main, elle doit bien savoir qu'il attend sa main ailleurs, qu'il attend
sa main. Elle ne bouge plus, la main est au ventre, au centre de l'univers, la
main décide de tout entre eux deux, elle est posée, tranquille, omnisciente.
C'est une main qui prestement va au-dessus des cuisses, salue les jambes de
l'homme, se fait attendre - elle ne peut pas ne pas le savoir - il attend, il
espère, il se retient de crier et de demander. Même sion frémissement, un
mouvement de ses jambes, l'ouverture de ses yeux seraient ce cri, il ne faut
pas qu'il le pousse, il doit rester immobile, souple, distrait, disponible
peut-être mais désintéressé. La main joue de cela, c'estbune main qui promène
une sorte de frémissiement, une onde qu'elle crée et propage au ventre de
l'homme.
Elle a bougé à ses côtés, elle
s'applique, elle a avancé davantage la main, elle l'a passée comme par
inadvertance, comme pour un simple survol qui n'aura pas de retour, un survol
du sexe masculin. Sourit-elle qu'il ait aussi jailli du ventre, des cuisses à
la rencontre de la main, qu'il ait si fort avoué l'attente, mendié davantage.
Elle a lissé du revers de son bras le bas du ventre, et puis très
tranquillement, d'un ongle court, doux comme la pulpe du doigt, elle a flatté
l'ouverture minuscule, en a voulu l'exagération, le gonflement et comme si elle
était chez elle, dans toute l'anatomie de cet homme-là, elle a déshabillé le
sexe, retroussé la jupe courte, défait la coque du gland, puis elle a lissé, tiré
vers le bas, vers le ventre la peau, l'habit, la coque, et lentement elle s'est
éveillée à ce qu'elle faisait, à ce qu'elle lui fait, elle a préparé leur
instrument, leur outil, elle lisse encore, elle exagère la pression, elle tire
vers la racine, elle remonte jusqu'à la petite bouche, si minuscule, qui
ressemble au bégaiement d'un poissonnet. Peut-être veut-elle y appliquer ses
lèvres, achever leur préparation en humectant, en s'enfonçant en pleine bouche
ce qui à présent existe si fort. Il est parvenu à ne pas bouger, à ne pas
ouvrir les yeux, mais ses cuisses tendues, aux muscles raidis, le ventre durci
le lui montre à l'unisson du sexe qu'elle a pris, qu'elle crée, et qu'ils
veulent.
Alors, d'un saut, ils sont
partis dans l'autre pays. Le saut quand elle s'est mis, d'un coup, à pleine
main, sans exploration ni mimique, ce sexe dans le sien - quand elle l'a
projeté en elle, par le bas de son ventre de femme, quand il y a fait une
entrée tout entier. Alors, lui - il a ouvert les yeux, parce qu'il y avait le
ciel. Du ciel, qui avait poussé de lui, du ciel qu'elle lui permettait de
revoir et ce n'était pas le même que celui de la veille, mais c'était la même
femme et le même homme qui savaient, une nouvelle fois, ce matin avoir retrouvé
la clé du paradis. Ils n'étaient plus nulle part. Etaient-ils encore un homme,
encore une femme, encore de la chair et des sexes ? Ils ont quitté leur temps,
notre temps [ii].
SON
ETUDIANTE
Elle est de ces femmes qui
intimident. On ne sait pourquoi, on le ressent, je le ressentais si fort que je
lui demandais si ses élèves sont à l'aise avec elle, si elle n'est pas sévère,
abrupte, si l'ordre n'est pas son règne. Elle a un oeil plus fixe que l'autre,
même quand elle ne dévisage plus et songe, mobile ou n'est oas regardée, ni
songeuse. Des cheveux tirés en arrière, une jupe plutôt courte ce dont on ne
s'aperçoit que quand debout, à contre-jour, entre un fauteuil de confesseuse et
un échafaudage fruste, peu digne de sa fonction universitaire, qu'elle a tiré de
l'encoignure vers sa table à écrire pour y poser à sa portée dossiers et
livres, elle donnne congé. Elle acquiesce sans accorder, on sent la réflexion
comme on entendrait tomber des pierres dans un puits, la voix est nette comme
le front, la lumièrevest d'intelligence mais il y a quelque chose d'opauqe. Que
vous l'interrogiez, elle dira qu'elle est célibataire, sa thèse sera soutenue
d'ici peu, c'est un vieil Anglais lequel se veut encore dans le coup,
existentialiste mais pas démodé, elle l'a lu, il est romancier, son
existentialisme n'est qu'implicite, des articles et des critiqyues sur lui, en
anglais, mais en français, elle sera la première et elle dit autre chose. Ici,
elle est directrice d'institut, sur dossier elle a été recrutée, elle n'écrit
que chez elle, si elle écrit ensuite, après sa soutenance de thèse et du repos,
elle rédigera des articles. Oui, ce ciel, ces arbres, la mer - une mer en golfe
qui se retire, qui laisse des marées interminablement vaseuses et sans eau puis
redonne des vagues éclaboussant les jardins, les hortensias, les barrièeres
blanches et les bâtisses à séminaires, colloques ou retraites spirituelles -
oui, cette rumeur de végétation et cette océan éventuel, elle les prise pour un
calme qu'elle sait exceptionnel. de quoi vit-elle, de quelles émotions.
Vous l'imagineriez debout, les
jambes sont bronzées, musclées peut-être, le ventre est plat, elle l'a mise nu,
comme s'il n'était pas elle, son ventre à elle, donc elle, son ventre plat, le
sexe, une tâche sombre, encore moins à elle que son ventre, la culotte blanche,
ou pas de culotte, elle est debout, les jambes légères et souples, ni écartées
ni serrées, elle tient de ses mains l'ourlet du chandail léger de l'automne qui
va venir, peut-être dans le pli ainsi fait, du linge bleu marine, un chemisier.
est-elle chez elle, avant un dîner sans rendez-vous, solitaire avec un livre à
sa droite, une bougie ar coquetterie, qui éclaire le journal qu'elle lira, une
bouteille ouverte avec une bonne étiquette, elle n'a plus les fonctions de
corriger les copies, elle a bouclé sa thèse, les nouvelles elle les a entendues
en roulant, le studio ne coûte pas cher, il est plus sobre encore que son
bureau à l'Université. Les plantes sont bien ordonnées, la cuisine, on y vient
du séjour, dirait une agence immobilière, le séjour donne sur un balcon, la rue
est calme, la chambre ne se laisse pas deviner, une radio, un réveil, deux
photographies, des planches lisses, luisantes et planches prolongeant le rebord
des fenêtres, des fenêtres faisant trois pans, avec des carreaux à l'anglaise.
Elle enseigne l'anglais. Elle n'a pas trente ans, elle est brillante par écrit,
précise à l'oral, elle est debout, elle se laisserait aller des épaules que ses
homoplates reposerait contre le mur porteur qu'on a percé pour le passage du
séjour à la cuisine très petite. Tout est blanc dans ce logement fonctionnel,
tout est silencieux, la rue n'est pas passante.
Elle est debout, elle
soupire, ses yeux sont fermés, son ventre est mat, le mat d'une brune qui n'est
châtain qu'au plus fort de l'été et a le regard d'une mer moqueuse et
dangereuse, elle soupire, elle laisse tomber ses mains du chandail, du
chemisier, à la tête blonde aux cheveux coulés, et elle aspire, avec des
hoquets qui montent de ses jambes à ses seins, l'originelle sensation d'une
langue mélangeant la salive étrangère mais - à force - devenue fraternelle à
ses propres odeurs, muquosités et sueurs d'une journée qu'elle ne vêcût qu'en
attente. Marie-Pierre n'a eu d'étudiante à son prénom qu'une fois en quinze
ans, celle-ci est blonde, de près de quinze ans - hasard - sa cadette, et
agenouillée devant la maîtresse ne se met jamais nue, que d'âme, les mains aux
reins glacés, la bouche tendre, la langue patiente et heureuse. Sur le parquet
flottant, quelques gouttes qu'on n'essuie jamais ajoutent aux traces
d'avant-hier. C'est ici le seul désordre, à peine un laisser-aller. L'étudiante
ne passe guère qu'un quart d'heure, un jour sur deux, et seulement en semaine ;
sortant plus tôt que la directrice, elle a une clé. Toutes deux sont précises,
économes de leurs paroles [iii].
UNE FEMME A
L'EGLISE
Entré dans l'église, derrière
les deux prêtres qui remontaient la nef : c'était la succession d'un desservant
à l'autre, la paroisse était rurale, le retable datait de 1751, il y avait des
statues de paysans en chapeau rond avec gerbe et faucille, deux anges baroques
à l'ancien maître-autel, derrière les suivant marchaient quelques-uns des
conseillers municipaux - il n'alla pas jusqu'au choeur, choisit un banc d'où la
vue vers la célébration était limitée par une des colonnes à section carrée, de
beau granite qui donne sa force à l'édifice. Il s'assit, on parlait à l'ambon,
il regardait dans le vague, mentalement essoufflé, physiquement seul. Pour venir
jusqu'au bourg, il roulait trois kilomètres en campagne, des virages, des
alignements de chênes nus sur leur talus, l'époque était à l'ancillage, l'air
était sec, les chaumes très jaunes, puis il roulait trois autres kilomètres sur
la départementale. Le bourg se donnait en haut de côte avec une ligne de
maisons blanches aux volets de couleurs, chaque famille ayant adopte et
conservé la sienne du mauve au bleu, en premier plan, descendant jusqu'à la
route et au carrefour où se faisait la voie d'entrée dans l'agglomération, un
grand champ, d'un seul tenant, le plus souvent semé pour le maïs.
De sa salle-de-bains, de la
baignoire-même, il voyait d'autres chênes, ceux de son domaine, et plus loin le
rentrant de la mer parfois à lécher les prés, parfois laissant presqu'un gué
entre les deux rives plates. Des oiseaux, dont tous les noms ne lui étaient pas
encore familiers, ne passaient qu'aux heures où la lumière est intermédiaire,
les levers et fins de jours. C'était une année où les crapeaux et grenouilles n'avaient
pas fait grand vacarme. Encore une enfant, qui n'appelait aucune attention,
jusqu'au jour où - au moment de prendre sur la gauche la départementale - il
dût attendre que devant lui une voiture fasse d'abord de même. Il reconnut une
des familles issues de ses voisins. La vieille avait rajeuni depuis qu'elle
était veuve, quelques mois déjà. On voyait bien plus souvent les enfants, deux
femmes et un homme, et cela faisait peut-être une vingtaine de petits-enfants.
Une adolescente, aux cheveux sans doute encore plus noirs que de nature,
presque rasés car elle devait savoir la perfection de son crâne, et des yeux
clairs, un teint qui allait avec. D'autres, plus désordre et d'une apparence ou
d'une chevelure qui n'était pas - pour lui - de son goût. Et il y avait
l'enfant, douze ans sans doute, peut-être un peu plus. Il salua en allant aux
portières, on sortit, il proposa une photo des parents et des deux enfants, des
filles, une autre des adolescentes et la fillette. Il prit deux clichés, le
groupe, le portrait. Elle rougissait, elle s'était vue, regardée. Le visage
était ovoïde, doux mais c'était cette soudaine rougeur qui l'avait ému. Le
plaisir d'être regardée n'aurait pas gêné une enfant. Or, elle - elle était
manifestement gênée. Elle croyait son plaisir trop explicite, elle se jugeait
trahie, exposée, nue devant les siens, alors que - ce fut pour lui évident,
quand la photo lui revint, développée - c'était d'être nue devant lui dont la
fillette avait envie et honte à la fois. Elle n'en avait encore ni la pnsée, ni
les mots, surtout pas les gestes, elle n'en avait que la marque, celle du
désir, adulte dès qu'on l'éprouve.
Il avait pensé, ce matin-là
dans son bain, en homme seul et mûr qu'il était - un premier plan de carrelages
et un listel Jugendstil qu'il avait choisi avec soin, et encadré par la
fenêtre du " chien assis " - qu'un émoi plus intense que bien de ses
expériences serait : où et quand ? dans quelle imagination, dans quel lieu sans
volume, ni couleur, ni limite ? d'être nu, homme seul et mûr, debout devant la
fillette dont on ne distinguerait pas - ni lui ni elle - si elle aussi serait
nue. Il n'y aurait que le visage, ovoïde et doux, intense, les yeux et la
rougeur qu'il lui avait vus en la photographiant au carrefour de la
départementale. Elle le regarderait, peut-être en se mordant un peu les lèvres,
elle le regarderait mettre une main d'homme à ce sexe d'homme, elle le
regarderait et comprendrait - par un atavisme qu'il n'y a pas à expliquer -
elle reconnaîtrait ce qu'il serait en train de faire et commettre. Elle le
regarderait se masturber, elle demeurerait silencieuse, il la contemplerait, ne
la quitterait plus du regard et la main d'homme, sa main d'homme manierait
l'instrument solitaire, elle ne détournerait pas le regard, elle verrait ce que
lui ne pourrait voir, puisque ce serait lui - à l'instant de jouir, visage
crispé et aigu, méconnaissable après le long temps du plaisir appliqué qui
avait été le sien devant l'enfant regardant - elle verrait le visage, les yeux
horrifiés qui se renversent, le ventre qui a tremblé, elle ne baisserait pas
les yeux et, à l'épaule, sentirait soudain chaud, poisseux, mystérieux et déjà
familier, la semence qui rend les femmes différentes. Lui montrerait-il,
doucement, avec infiniment de précautions, des précautions fraternelles,
totalement silencieuses qu'alanguiraient encore leurs souffles - alors devenus
courts et jumeaux - lui montrerait-il comment à elle-même, en attendant une
autre époque encore si lointaine de la vie, comment se donner cela, ce plaisir-là
? Peut-être et seulement, mimerait-il, sans approcher la main ni rien de lui,
homme mûr et seul, les mouvements des doigts passant sur le ventre encore
imberbe, le dos de la main sous l'élastique de la culotte, et une sorte de
mollesse tendre qui vient à la pulpe des doigts arrivés à bon port et qui ouvre
quelque chose qu'elle ne savait pas bien être en elle. Il n'irait sans doute
pas même à cette esquisse et l'enfant, encore muette, retiendrait le mouvement
qu'elle avait commencé - une main de fillette, vive et spontanée,
compaatissante tout simplement, qui, vers le sexe retombé mais bombé encore,
dénudé et violet, gluant du dernier spasme d'avant mourir, s'était tendue,
portant secours à ce qu'elle croyait souffrant.
On avait appelé les fidèles à
se relever, on chantait. Aux bancs du transept, comme il s'était penché un peu,
la colonne le découvrant, il vit, le fixant, impudiquement détournée de la
liturgie qui commençait, l'enfant entre père et mère [iv].
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