samedi 24 août 2013

2003 - depuis soixante ans - III - avant d'en écrire la suite (2013 depuis soixante-dix ans)





III









Quel argument légal pour le condamner, et y aurait-il eu rétablir la République en Août 1944 à l’arrivée du Général de Gaulle dans Paris, si le Maréchal Pétain avait simplement gouverné par décrets-lois comme, dans des circonstances bien moins difficiles, tout président du Conseil de la Troisième République dans les années 1930, ou si mettant certes en congé le Parlement, il avait honoré le bureau de chacune des deux Chambres, et fait débattre là et publié en Conseil d’Etat le projet de Constitution à mettre en vigueur lors de la paix ?  Au lieu de cela, le texte fut tout bonnement jeté des voitures en forme de tract tandis qu'il était emmené prisonnier des Allemands, outre-Rhin. Condamné à mort pour erreur de sémantique ?

En composant, hors les dispositions des lois de 1875 fondant la Troisième République, une Haute Cour ad hoc pour juger notamment le Chef de l’Etat français, le Général de Gaulle n’a-t-il pas proprement ratifié cette abolition de fait de la République par les premiers actes constitutionnels, pris par le Maréchal en vertu de la loi constitutiuonnelle du 10 Juillet 1940 ?

De Gaulle voulait un procès de l’armistice du 26 Juin 1940 et non du régime de Vichy, dans sa durée de fait de Juillet 1940 à Juillet 1944. Il eût souhaité que le Maréchal Pétain restât sur les rives du lac Léman, et – condamné- qu’il fut, pas longtemps après sa condamnation dûment communée, simplement assigné à résidence dans sa propriété de Villeneuve-Loubet (sur la Côte dite d’Azur).

8 square Latour-Maubourg, pas très loin ni de l’Ecole militaire et du Champ de Mars ni des Invalides, le Maréchal occupait deux appartements sur un même palier, communiquant mais avec une clé fermant le sien vis-à-vis de sa tardive épouse. L’un de ces appartements, confisqués à la Libération, revint à René Capitant, ministre de l’Education nationale, et à la vente de ce genre de patrimoine par la mairie de Paris en 1996-1997, cet appartement a échu à Alain Juppé, ancien Premier Ministre.

C’est au début de l’avenue Latour-Maubourg, que Georges Pompidou installa ses bureaux pour sa traversée du désert, l’été de 1968. Il voulait n’avoir pas soixante ans quand s’ouvrirait la succession à de Gaulle. L’affaire Markovic a eu deux résultats, qui lui furent également favorables. Le fait que le Premier Ministre régnant, Maurice Couve de Murville, ne l’ait pas averti ni protégé personnellement et que le Général ait dit : «  il faut voir » quand il en fut informé, a dispensé l’ancien Premier Ministre d’expliciter un différend politique entre lui et l’homme du 18 Juin, champion des réformes dès que le régime fut affermi, notamment en matière sociale, pour lesquelles il ne le suivait pas, ne le prenait pas au sérieux et l’aurait même desservi. La brouille manifeste entre de Gaulle et Pompidou légitima la candidature de celui-ci à la succession et le fait qu'il contribuât à en accélérer l'ouverture, et fût attendue dans l’opinion publique, et jusques dans les rangs du parti censément gaulliste.

Si le candidat communiste se maintenant en "triangulaire" aux élections de Mars 1967, s’était au contraire désisté pour le candidat de gauche le mieux placé – en l’occurrence, Robert Mitterrand, frère de quelqu’un [1] – Jacques Chirac n’eût pas été élu, ne serait pas devenu le chef de file des « jeunes loups », ne serait pas passé du cabinet du Premier Ministre à la table du Conseil des ministres, et ainsi de suite.

A l’échec de Lionel Jospin le 21 Avril 2002, qui donc a contribué, le vote pour Arlette Laguiller, le vote pour Jean-Pierre Chevènement ? Le fait - acquis - qu’il y ait au moins deux réponses, renvoie à la personne et à la politique même du Premier ministre d’alors. La gauche, triomphant des candidats de Jacques Chirac et d’Alain Juppé le 1er Juin 1997, a gouverné en direction de la droite et non de ses électeurs.

Stéphane Hessel, chargé par Alain Juppé, d’une conciliation à propos des sans-papiers occupant l’église Saint-Bernard à Paris en Avril 1996, se porte fort de l’extrême discrétion du Premier secrétaire du Parti socialiste de l’époque.

Si Lionel Jospin ne fit pas partie des gouvernements d’Edith Cresson et de Pierre Bérégovoy, ce n’est pas par purisme, mais parce qu’il souhaitait – lui – être Premier ministre.

Est-ce parce qu’il ne « faisait » pas sensiblement plus jeune que son compétiteur, ou bien parce qu’il a manqué de révérence envers le Président régnant, que Lionel Jospin a perdu l’électorat dit centriste quand il a évoqué l’âge du capitaine ?
Peut-on gouverner si l’on avoue ne pas se reconnaître dans un propos qu’on a pourtant publiquement tenu ?

François Mitterrand et Jacques Chirac, parmi ceux qui se sont succédés à l’Elysée depuis 1959, ont ceci de commun qu’ils ont maintenu et même amélioré leur image publique tout au long de l’exercice de leur mandat ; ils ont aussi en commun d’avoir accepté ce qui est devenu la « cohabitation », c’est-à-dire un équilibre des pouvoirs constitutionnels très différent de l’esprit dans lequel fut conçue et se fonda la Cinquième République avec de Gaulle.

Contingent, vulnérable, travailleur, et plus encore : honnête de ses deniers et des deniers de l’Etat, Lionel Jospin ne parvint pas à rester sympathique, tandis que convaincu pour le moins d’inexactitude dans sa défense publique à propos de gestions antérieures à son élection présidentielle, Jacques Chirac est demeuré chaleureux, attractif, jamais tendu ni lointain. Le premier n’a que rarement su contrôler sa physionomie, le second depuis plus de trente-cinq n’a jamais perdu son image.

Protestants tous deux, Michel Rocard et Lionel Jospin ont été Premiers ministres, l’un a divorcé après Matignon, l’autre avant. Maurice Couve de Murville, protestant lui aussi, n’habita pas l’hôtel de Matignon. Son domicile, où il emménagea dès son mariage en 1932, était à égale distance de la rue de Rivoli, du Quai d’Orsay et de la rue de Varenne, où il exerça successivement les plus hautes fonctions ; il pouvait aller à pied à chacun de ces bureaux.

A sa nomination comme Premier ministre, un mardi, Edith Cresson incarnait le meilleur choix et la meilleure idée du Président d’une gauche essoufflée ; dès le surlendemain, elle avait à son passif d’avoir rédigé sans le moindre éclat sa déclaration gouvernementale et promis des charters pour les immigrés en situation irrégulière. Ni huit jours ni un an ne purent la réhabiliter.

Pierre Bérégovoy, qu’elle surnommait « l’enflure » dût subir de travailler dans le bureau qu’elle avait décoré de tentures blanches en manière de tente tropicale et de glaces en pied, pour ne pas paraître en déménageant aussitôt table et meubles du Premier ministre, être trop infatué encore…

Michel Jobert rompit mentalement avec François Mitterrand quand il le vit, dès le « sommet » du G 7 tenu à Versailles, en début de son mandat, lire les journaux en séance, et quand il apprit que l’appartement de fonctions que lui-même ne voulait pas occuper permettait au Président de rencontrer – discrètement – une de ses ministres.

François Mitterrand, l’adversaire le plus fidèle du Général de Gaulle. Le mot – juste – est d’un conseiller juridique du Gouvernement [2].

Danielle Mitterrand, racontant [3] comment nommément des amis et relations proches d’eux, se détournèrent de François Mitterrand après « l’attentat de l’Observatoire » par dévotion à afficher envers les nouveaux puissants, qu’étaient le Général de Gaulle et Michel Debré en 1959-1960. La déclaration de candidature [4] de François Mitterrand à Château-Chinon – il fut battu – pour les élections de Novembre 1958 inaugurant la Cinquième République, n’était pas littéralement hostile à celui contre lequel il écrirait ensuite Le coup d’Etat permanent. De Gaulle pourtant retint les siens en 1965, par prescience de ce que son adversaire – précisément – serait peut-être de ses successeurs [5]

Pierre Mendès France, quoique n’ayant gouverné en nom propre qu’à peine plus de sept mois, est aussi bien l’émule, dans la mémoire nationale de nos grands gouvernants français du XXème siècle, de Georges Clemenceau au pouvoir vingt-huit mois, et de Charles de Gaulle qui règna onze ans et dix mois. Pourquoi ? Comment ? Il ne sut pas décider personnellement à propos de la Communauté Européenne de Défense, sujet d’avenir, mais il sut régler le passé, le cessez-le-feu en Indochine et son discours de Carthage, prélude des décolonisations africaines. Est oublié son «  mais messieurs, l’Algérie, c’est la France ». Il trancha en personne et en manière.

Jacques Fauvet et Bernard Lefort entrèrent chez François Mitterrand, ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Pierre Mendès France, convaincus qu’il n’était pour rien dans « l’affaire des fuites » ; ils en ressortirent bien moins assurés. François Mitterrand, profession : avocat.

Le parti radical, aujourd’hui ? Léon Gambetta et Jules Ferry, qui se tutoient, en sont les têtes en 1870-1880 et c’est la majorité parlementaire. La victoire du Cartel des gauches en 1924 est celle des radicaux emmenés par Edouard Herriot. Les élections anticipées de Décembre 1955, seul cas de dissolution sous la Quatrième République, opposent deux radicaux qui se sont succédés à la présidence du Conseil, Pierre Mendès France et Edgar Faure.

En 1911, le parti radical, axe de toute majorité à la Chambre des députés, a deux têtes, Berteaux ministre de la Guerre et Joseph Caillaux ministre des Finances, l’un est tué dans un accident de parade aérienne à Issy les Moulineaux, l’autre s’impose donc comme président du Conseil. Il se remarie étant à la tête du gouvernement, et tandis qu’il négocie secrètement avec l’Allemagne le désintéressement de celle-ci au Maroc où nous n’avons pas encore définitivement pris pied ; la Grande Guerre eût pu éclater trois ans plus tôt et sans que Joffre ait été nommé, dès le temps de paix, généralissime ; Raymond Poincaré est son témoin, lui-même a été ministre des Finances pendant les trois ans du premier gouvernement de Georges Clemenceau. Ce sont ces deux-là, pourtant qui le traînent en Haute Cour alors qu’Aristide Briand a, pendant les hostilités et ancien président du Conseil de bien plus fraîche date, rencontré des représentants de Guillaume II ; on n’a à reprocher à Joseph Caillaux que des dires en Italie et un manuscrit sur les responsabilités de la déclaration de guerre en Août 1914. Raymond Poincaré aurait dit en conseil des ministres, la France ne se fait pas déclarer la guerre. Joseph Caillaux est condamné au titre d’un article 78 du Code pénal, qui – au contraire des 77 et 79 au titre desquels on ne lui trouve aucune culpabilité – n’a pas été invoqué ni par l’acte d’accusation ni par le réquisitoire, en sorte qu’il n’a pu se défendre du chef retenu contre lui. Dans les mois précédant les hostilités, alors qu’il est redevenu ministre des Finances à défaut de revenir à la présidence du Conseil, le Figaro fait campagne contre lui et publie des lettres d’amour de sa future seconde femme ; celle-ci se fait recevoir par le directeur du grand quotidien, rond-point des Champs-Elysées, elle le tue, se fait acquitter en assises et curiste à Vichy, aussitôt après, pour décompresser, manque se faire lyncher, d’où son installation en Italie, plus au calme. L’y avoir rejointe est imputé à crime à son époux. Celui-ci, au déclenchement des hostilités, se fait donner une mission commerciale en Amérique latine, crainte de se faire assassiner comme Jean Jaurès. Parce qu’un ministre du Kaiser aurait dit en commission au Reichstag : "Caillaux est notre homme", celui-ci est poursuivi.

François Mitterrand, ministre de l’Intérieur en 1954, accusé de renseigner le Viet-Minh sur les plans stratégiques français avant Dien Bien Phu ; Louis Malvy, ministre de l’Intérieur de Juin 1914 à Mars 1917, accusé de fomenter des mouvements sociaux pacifistes et d’avoir renseigné l’ennemi sur l’offensive devenue tristement célèbre du Chemin des Dames.

Si Aristide Briand – prix Nobel et  pèlerin de la paix –  avait été vivant, et encore en âge d’exercer le pouvoir en juin 1940, n’aurait-il pas fait la politique de Pierre Laval ? Son biographe (sept volumes [6]) et confident, héritier de ses papiers, Georges Suarez est fusillé à la Libération.
A Thoiry [7], Gustav Stresemann n’entend pas tant réconcilier l’Allemagne avec la France qu’obtenir pour son pays « l’égalité des droits » et surtout l’évacuation anticipée de la Ruhr, moyennant des engagements financiers nouveaux ; il ne ressort pas des archives françaises que Aristide Briand, ministre des Affaires Etrangères presque continuellement toute la décennie, y ait consenti. On est juste au lendemain du discours fameux : Arrière les fusils, les mitrailleuses, les canons ! Place à la conciliation, à l'arbitrage, à la paix ! Pourtant la "liquidation" ne sera que le fait de Raymond Poincaré. Redevenu président du Conseil, lui qui avait vainement fait réoccuper la Rhénanie cinq ans plus tôt, il accepte le principe de cette évacuation en Septembre 1928.

Pierre Laval est le seul chef du gouvernement français dans l’entre-deux-guerres qui reçoive un Chancelier allemand à Paris et qui aille à Berlin [8]; c’est le seul qui fasse le déplacement à Moscou et s’entretienne avec Staline ; c’est le seul qui aille à Rome se concerter avec Mussolini, pas encore allié à Hitler. Dans une serviette que firent fouiller le Maréchal Pétain en Décembre 1940 et le Général de Gaulle en Juillet 1945, Pierre Laval conservait deux documents – absolutoires de tout à ses yeux, semble-t-il – la sténographie de la séance secrète de l’Assemblée Nationale, tenue au casino de Vichy le 10 Juillet 1940, non publiée à ce jour, et les lettres échangées en 1934-1935 avec le Duce.

De Gaulle date de l’arrivée du Général Catroux à Londres sa propre mise hors de toutes norme et hiérarchie. C’est ce dernier qui à Alger est censé faire l’intermédiation entre lui et le Général Giraud pour une unification de tous les Français combattants ; a-t-il pensé qu’il serait le troisième homme ? La correspondance qu’échangent Giraud  et de Gaulle, commentées et introduites chaque fois par Catroux a fondé la légitimité politique de l’homme du 18 Juin, autant que sa référence, fournie exprès par Jean Moulin, au soutien exclusif de la Résistance en France-même. Cette correspondance n’est que partiellement publiée dans les mémoires respectifs des trois protagonistes. Le gouvernement Couve de Murville fit voter une loi, sur ordre, pour maintenir en position d’activité le Général Catroux, qui avait alors dépassé les quatre-vingt ans, mais son remariage à cet âge et sans être tombé veuf le fit interdire de réceptions à l’Elysée, jusqu’à ce que de Gaulle se retirât.

Le fond de la pensée constitutionnelle du Général de Gaulle tient à la distinction des pouvoirs civils et militaires, d’ailleurs inscrite dans la Constitution républicaine française de 1848, et la subordination des seconds aux premiers. Son premier livre La discorde chez l’ennemi, documenté sur la presse allemande reçu dans la citadelle de Ingolstadt, où il était retenu prisonnier pendant la Grande Guerre, analyse l’échec militaire allemand selon la méconnaissance de cette hiérarchie, et même son inversion [9]. C’est le sens de sa réplique à Maxime Weygand, généralissime quinze jours en Juin 1940, à la suite du Général Gamelin. Le Président du Conseil, bien qu'il fut talonné par l'obligation de prononcer dans un très bref délai l'allocution qui était annoncée, entreprit d discuter l'opinion du Généralissime. Celui-ci n'en démordait pas. La bataille dans la Métropole était perdue. Il fallait capituler. "Mais il y a d'autres perspectives", dis-je à un certain moment. Alors, Weygand, d'un ton railleur : "Avez-vous quelque chose à proposer ? - Le gouvernement, répondis-je, n'a pas de propositions à faire, mais des ordres à donner. Je compte qu'il les donnera." [10] De Gaulle est alors sous-secrétaire d’Etat à la Guerre dans le cabinet de Paul Reynaud .

A un jour près, Paul Reynaud obtenait d'Edouard Daladier, le remplacement du Général Gamelin à la tête de nos armées, si le 10 Mai 1940 tout juste n’avait éclaté l’offensive allemande.

Le Maréchal Pétain, se rendant au front accompagné de Raoul Dautry, commente très défavorablement la conduite des opérations par Weygand. Weygand est l’homme de Foch. Ferdinand Foch a été fait maréchal avant l’armistice du 11 Novembre, Philippe Pétain après ; le Maréchal Foch a été élu à l’Académie française avant le Maréchal Pétain qui lui succéda à son fauteuil et dût faire son éloge, tout en entendant Paul Valéry censé faire le sien continuer celui de l’autre. Philippe Pétain, généralissime des armées françaises en 1917, a passé dans les années 1940 pour défaitiste dès cette époque. Les comptes-rendus verbatim des entretiens qui firent la paix de 1919 – ceux du Président Woodrow Wilson, de Georges Clemenceau et de Lloyd George, ainsi que de Sonnino quand celui-ci ne faisait pas la chaise vide pour obtenir ce lui avait été promis en mer Adriatique – montrent qu’à chaque interrogation des chefs de gouvernement alliés sur la possibilité ou pas de forcer la signature allemande, le générallisme objectait l’impossibilité pratique, sauf re-mobilisation intégrale, de pénétrer vraiment en Allemagne, donc de traverser le Rhin et d’aller à Berlin. Gamelin objecta de la même manière à la question d’Albert Sarraut de savoir comment répondre à la réoccupation par Hitler de la rive gauche de ce Rhin. C’est parce que la Russie tzariste ne pouvait distinguer une mobilisation partielle de la mobilisation générale qu’en Août 1914, cette mobilisation-là provoqua celle, également générale, de l’Autriche-Hongrie et donc la mise en jeu de toutes les alliances.

En Février 1945, tenu à l’écart des entretiens de Yalta entre Staline, Roosevelt et Churchill, de Gaulle fut invité à rencontrer le Président des Etats-Unis pour en conférer avec lui sur le croiseur le ramenant outre-Atlantique ; il refusa une invitation qu’un étranger ne peut, du territoire français, lancer à un chef du gouvernement français. En Octobre 1962, lors de la crise dite de Cuba déclenchée par la tentative soviétique d’installer des rampes de lancement d’engins nucléaires dans l’île jouxtant le territoire américain, de Gaulle et la France, bien avant les dirigeants britannique et allemand se rangea du côté des Etats-Unis : ce fut le seul cas où le bi-polarisme nucléaire à l’échelle de la planète avait failli dégénérer en cette guerre du futur.

L’argument français à l’automne et à l’hiver de 2002 contre l’intervention américaine en Irak était que celle-ci créerait un précédent. En fait, aucun précédent n’était à redouter, que celui d’une reculade universelle devant une volonté américaine d’y aller, fut-ce sans mandat, fut-ce sans les Britanniques, ce qui rétrospectivement montre le cas vrai qui est fait d’eux dans la stratégie américaine.

Les Etats-Unis, quand il s’agit de matières premières, se conduisent comme s’ils anticipaient une coalition mondiale contre eux, et en contrôlant comme ils sont en passe d’y parvenir totalement, les ressources pétrolières du Moyen-Orient, ils anticipent plus encore l’émergence d’une Europe au vouloir indépendant du leur – en quoi ils prêtent aux Européens une imagination et une énergie que ceux-ci après cinquante d’intégration économique et juridique n’ont pas encore… - et un conflit frontal avec la Chine, tel qu’en inauguration de son premier mandat présidentiel Bush junior faillit faire éclater.

Ne figure pas dans les Lettres, Notes et Carnets publiés du Général de Gaulle, un message adressé à Yasser Arafat en Octobre 1969. "Votre combat me rappelle celui que je menais à Londres". Le chef de l’autorité palestinienne n’est parvenu à reprendre pied chez lui qu’au printemps de 1996. La fortune et l’autorité politiques de Michel Jobert a tenu à un simple mot, lors de la guerre du Kippour commentant – sur instruction de Georges Pompidou, président de la République – ce que Pierre Messmer avait qualifié d’agression arabe en Octobre 1973. "Est-ce être agressif que de vouloir rentrer chez soi ?"

Georges Pompidou formalisa «  au centre » sa candidature présidentielle, le lendemain de la démission du Général : dévaluation monétaire, entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, notamment. Il donna, lors du dernier Conseil des ministres qu’il devait présider pas une semaine avant sa mort, un tout autre testament, celui d’une exhortation à la fermeté dont il n’avait fait su faire preuve que précisément diminué physiquement par la maladie. Robert Galley, contrairement à l’usage, le prit en note et le donna à Michel Jobert, absent et aux Etats-Unis ce jour-là  [11].

La France n’a qu’une attitude possible : c’est de tenir. Ne pas tenir bon, ce serait pour notre pays disparaître en tant que nation – en tant qu’entité libre de ses décisions. Mais aussi ce serait disparaître en tant qu’acteur de la construction européenne.Si nous tenons – et ce sera long et difficile – nous aurons… beaucoup de difficultés et beaucoup d’ennuis car des choses essentielles sont en cause : nous sommes des gêneurs en les révélant et nous serons susceptibles, ce faisant, de rencontrer un grand courant d’hostilité ; mais ily a des choses que la France ne peut admettre. En ce qui vous concerne, messieurs les ministres, je vous demande dans tous les débats de hausser e ton et de remonter sur les hauteurs de l’intérêt national sans fioritures.  Le langage que vous devez tenir aux Français doit s’apparenter à celui de Clemenceau et, dans les circonstances actuelles, ne laisser aucune place à la facilité, encore moins à la démagogie.

La première évocation par un gouvernant français de « transferts de souveraineté » est le fait  - à Copenhague en Août 1974 – de Jacques Chirac, nouvellement promu Premier ministre par Valéry Giscard d’Estaing qui venait de l’emporter dans la course à l’Elysée. Ayant démissionné de Matignon, Jacques Chirac un temps alité à la suite d’un grave accident d’automobile, à l’hôpital Cochin, lança [12] un appel contre «  le parti de l’étranger » censé soutenir le jeune président de la République.

Le grand schisme : pourquoi la France est-elle devenue la voix des opposants à l'Amérique ? [13]

De Gaulle. Les preneurs de notes [14] enregistrent des propos, jamais  le génie d’une personne, et encore moins s’il est en phase créatrice, en sorte que l’homme d’Etat reste mystérieux, intact.  L’homme est montré contingent, quoique brillant et définitif d’expression, mais le politique reste voilé, l’épousaille avec l’action ne s’écrit que du vivant et à propos de cette action-là.

Il manque à Jacques Chirac la langue, le timbre et le dire parce qu’il n’y a pas, dans sa communication, les effets de perspective et de reliefs hiérarchisant les sujets, mais il y a chez lui, poussé à fond face à ses devanciers et aux modèles qui peuvent lui être prêtés, un orgueil d’être lui-même. Orgueil presque tardif, puis que l’ambition ne rend pas compte d’une ténacité et d’un tel souffle de coureur de fond. A propos de l’Irak et des Etats-Unis, son rebond a été aussi surprenant que sa première expression, et plus encore sa décision de s’enfoncer dans une réaction – devenue la seule à rester continue d’expression – face à tout ce qu’ont de belligène et de désorganisant l’attitude et les intérêts américains. A la manière dont Charles Maurras avait constaté que La France se sauve toute seule, donc en dépit des faiblesses de son régime, l’été et l’automne de 1914, il est possible d’avancer que la France, étant ce qu’elle est aujourd’hui et notre histoire depuis de Gaulle ce dont on se souvient, a littéralement mis au moule des circonstances le Président du moment. Jacques Chirac peut devenir grand par un effet de matrice, se découvrant lui-même, enfin et contre l’attente générale, ou ayant la finesse, toute d’opportunité politique, de comprendre ce qu’ont de propices les circonstances. Dans les deux cas, c’est une naissance surtout si le défi américain dure. La France et son chef puiserait dans l’hégémonie de l’autre la force et le prestige d’être devenu l’opposant par une nécessité devenue excellence. 

Avoir coupé la subvention de fonctionnement du paquebot France [15], lancer un message au monde le soir de son élection et s’entretenir notoirement avec le Chancelier Schmidt en anglais, a contribué à défaire la popularité de Valéry Giscard d’Estaing, dès le début de son règne. En 1981, présentant les résultats du premier tour où menait encore le Président sortant, le ministre de l’Intérieur Christian Bonnet prononça à la manière répandue à droite, le nom du compétiteur qui allait l’emporter : François Mit’ràn. Celui-ci, le soir de son élection, renvoya la monnaie de la pièce en s’adressant à « Monsieur Val’ry Giscard d’Estaing ».

François Mitterrand m’a assuré qu’en 1974 – comptes personnellement refaits avec Georges Marchais – il l’avait emporté de quelques milliers de voix, mais on ne change pas les choses avec si peu de marge, nous n’avons donc pas saisi le Conseil constitutionnel. Ce fut l’erreur du vainqueur que d’oublier cette marge ? ou bien ne nommant pas le Premier ministre de son choix et de son parti (c’eût été Michel Poniatowski), ne s’est-il pas mis, dès le début de son mandat à la main des revanchards du gaullisme. Ceux-ci étaient prêts à se donner à qui leur promettrait ce retour à un pouvoir dont depuis la fondation du R.P.R. ils ont toujours considéré qu’il était illégitimement détenu et exercé dès lors qu’il le serait par tout autre que l’un des leurs. En sous-main, Jean-Pierre Raffarin le sait.

Pourquoi l’ancien chef des jeunes giscardiens Jean-Pierre Raffarin, se coupe-t-il de son chef éponyme en refusant, comme Premier ministre, les disciplines bruxelloisses pour la matière budgétaire. C’est contredire tout l’argument traditionnel qu’eut le R.P.R. en 1986-1988 et en 1995-1997 : nous sommes les seuls à concevoir et à faire appliquer la rigueur en politique et en finances. C’est placer en position de « présidentiable européen »– mais peut-être était-ce finement cela ? – le président de la Convention européenne, davantage nommé à la présidence de la Convention, en Conseil européen de Laeken par Lionel Jospin que par Jacques Chirac : un Français parce que la France… mais un Français sommant ses autorités nationales d’agir en Européens.

J’ai admiré, comme une véritable entrée en scène et en chef, comment le Premier ministre, le soir du referendum du 6 Juillet 2003 en Corse, avait annexé le résultat négatif à son propre « grand dessein » d’une décentralisation à la carte et pour l’expérimentation : le taux de participation montrant l’intérêt des consultés. En revanche, la propagande gouvernementale n’a pas fait contre-feu à la rumeur très répandue que l’échec de la consultation tenait à un article signé du président de la République, dans la presse insulaire. Peut-être est-ce politiquement – ou inconsciemment – se venger d’une sorte de vis-à-vis physiquement peu flatteur auquel a pu se complaire Jacques Chirac en nommant à Matignon le sénateur-maire de Chasseneuil.

Il y a les noms de lieux dans les carrières politiques. François Mitterrand, natif de Jarnac, la botte mortelle. Alain Poher, Gaston Doumergue, Lionel Jospin, Jean-Pierre Raffarin respectivement maires d’Ablon, de Tournefeuille, de Cinte-Gabelle, de Chasseneuil, tandis que maire de Paris ou de Bordeaux… le meilleur comble étant d’être député d’Ussel et maire de la capitale.

La querelle sur la féminisation du terme désignant des fonctions au genre masculin, méconnaît évidemment que la langue française emploie ce genre faute de disposer du neutre, et que c’est en fait – là – un neutre. Elle est également constitutionnelle, la femme du président de la République peut-elle briguer un mandat local ? faire explicitement la campagne de son mari ? est-elle présidente et de quoi ? la fille du Président peut-elle diriger sa communication politique ? Il y avait eu sous Vincent Auriol les Egloff, et Jules Grévy dût démissionner parce qu’il avait eu le « malheur d’avoir un gendre ».

La première Constitution française, celle de 1791, disposait que «  la personne du roi est inviolable et sacrée ». Le peuple, en émeute, peut-être fomentée avec l’argent du duc d’Orléans, transgressa en Juin puis en Août 1792 la loi fondamentale, en sorte qe Louis Capet, parce qu’il avait perdu, ne pouvait qu’être coupable, et demeuré populaire, ne pouvait qu'être exécuté. En revanche, tout le premier mandat présidentiel de Jacques Chirac a été occupé par la construction jurisprudentielle d’une immunité personnelle, ce dont aucun de ses prédécesseurs en cent-vingt ans de République n’avait eu nécessité.

Jacques Chirac n’a jamais recueilli plus de 20% des suffrages exprimés au premier tour d’une élection présidentielle, même quand il l’emporte au second tour. La composition de l’électorat du Général de Gaulle de 1958 à 1969 et des suffrages produisant la majorité le soutenant à l’Assemblée Nationale est – de tous les partis et présidents de la Cinquième République - la plus proche de la sociologie d’ensemble du corps électoral français, notamment pour ce qui est de l’électorat dit ouvrier. François Mitterrand redouta, en Février-Mars 1981, que le second tour de l’élection présidentielle n’ait lieu qu’à droite. Deux mots ont caractérisé les deux duels que se livrèrent en 1974 et en 1981 François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing : "vous n’avez pas le monopole du cœur, Mr. Mitterrand" – "c’est de l’affèterie, Mr. Giscard d’Estaing". En 1981, challenger, François Mitterrand soutenait qu’il n’y avait plus de président-candidat, il a pratiqué le contraire devant Jacques Chirac en 1988 : "comme vous voudrez, Mr. le Premier ministre". De retour d’un long et difficile voyage dans le Pacifique, Laurent Fabius, très jeune pour être Premier Ministre et l’étant déjà, non sans brio, depuis quinze mois, croit aisé de cadrer péjorativement en duel télévisé son compétiteur pour Matignon en 1986, Jacques Chirac, l’agité. Calmez-vous, Mr. Chirac, lui a-t-on recommandé de répéter de manière à ce que les téléspectateurs arbitres du match, soient – de cela – bien convaincus. Mais Jacques Chirac met le Premier ministre à bout d’argument : "vous oubliez que vous parlez au Premier Ministre de la France, Mr. Chirac", et c’est lui qui finit dans une relative fébrilité : non programmée ni conseillée. Les arrivées de Lionel Jospin, la sueur au front et au cou, sur les plateaux de la télévision parce qu’il sait avoir à démontrer qu’il est resté de gauche, qu’il est né à gauche, qu’il gouverne et présidera à gauche. Inaugurant une émission concédée par « le pouvoir », A armes égales, à la suite de la première élection présidentielle au suffrage universel direct, celle de Décembre 1965, où de Gaulle fut en ballottage – on ne met pas un dictateur en ballottage… - François Mitterrand avait su conclure : si je n’ai pas pu vous faire sentir que la gauche, c’est… et de le scander en litanie, comme à la veille du second tour, faisant du même coup la notoriété soudaine d’Anne Sinclair l’interrogeant en petite fille innocente qui cherche à comprendre un enjeu immense : mais votre adversaire dit que… mensonge, avait-il prévenu qu’il répondrait et scanda-t-il …

Le gaullisme a dégénéré en un culte du chef tel que les défaites électorales sont indifférentes, dans ce qui est appelé le Mouvement, pour la cote de Jacques Chirac survivant au désaveu de 1997 là où de Gaulle mourut en 1969. Il est vrai que Jacques Chirac a toujours été et demeure le meilleur champion électoral des siens. Tentant de se faire applaudir en ses lieu et place, Philippe Séguin alors que l’échec de la dissolution était de la veille, en fit l’expérience dont il manifesta trop qu’elle le surprenait. Cet amour a un pendant, la haine, la haine pour qui occupe indûment l’Elysée : Valéry Giscard d’Estaing, narcisse et pusillanime, François Mitterrand, démodé et malhonnête.

Pourquoi ne s’est-on pas demandé dans l’affaire de la « cassette Méry » comment il avait pu se faire rétrospectivement que Jérôme Monod, alors à la tête de la Lyonnaise des Eaux, ait eu la nécessité d’assortir une demande d’audience du Premier ministre, d’une valise de billets ? alors qu’ils sont camarades de promotion à l’Ecole nationale d’administration, et qu’aujourd’hui le premier est le principal conseiller politique du second ? sans être d’ailleurs capable de se faire jamais élire lui-même à des mandats même locaux.

Si l’on admet qu’il n’y a aucune relation que chronologique entre le gaullisme et le chiraquisme, alors on peut avoir quelque révérence pour le parcours et pour l’action de Jacques Chirac. Mais conçoit-on de Gaulle sans postérité ?

La meilleure réplique que donne Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre inattendu au printemps de 2002 et déjà en ambiance de remplacement à l'automne de 2003, est d'exister par lui-même. Il y va fort puisque de l'étranger [16]- ce qui n'est pas la meilleure manière, mais émancipe du climat parisien et même de la révérence dûe au président régnant - il met Jacques Chirac en demeure de risquer le referendum pour notre adoption du prochain traité constitutionnel européen.

Jacques Chirac, le Rassemblement pour la République une fois fondé en 1976 contre les atermoiements et les impuissances des "barons" en 1976, ne fait plus confiance qu'aux militants, ceux-ci ne le quitteront jamais, convaincus qu'il peut l'emporter dès 1981 et aujourd'hui qu'il est l'unique et seul champion possible pour une troisième victoire en 2007. En cela, l'homme n'a pas changé. Ses égards pour l'ancienne équipe du Général de Gaulle, Jacques Foccart et Jean-Marc Boegner, pris comme conseils, quand il revient à Matignon en 1986-1988, ses fidélités tant à l'Hôtel de Ville de Paris qu'à l'Elysée, et hormis Dominique de Villepin, un entourement ayant vieilli en même temps que lui. L'homme, au contraire de ses prédécesseurs, n'attire ni par la parole ni par l'écrit ni même par sa présence en scène, mais il fascine par un comportement à longueur de vie. Je ne lui ai pas vu de vulnérabilité ni physiologique ni affective. Or, cette force mentale qui lui a permis de tenir dans l'étreinte qui se nouait autour de lui à raison d'un passé juridictionnellement exposé, le rend sans finesse et même souvent hors sujet, la démocratie sociale comme exposé des motifs de son ralliement au quinquennat, mais apte jusqu'au chef d'œuvre dans l'entreprise actuelle de prendre date contre les Américains à propos de l'Irak. En l'occurrence, la grandeur n'est pas loin, car la fonction n'y est pour rien. Lionel Jospin, François Mitterrand, Valéry Giscard d'Estaing auraient probablement trop développé notre attitude. S'il est certain que l'opinion publique universelle attend en général des grilles de lecture, à quoi excellait de Gaulle, l'actualité - cas exceptionnel - dispense de tout exposé et raisonnement : la posture prise par la France se passe de commentaire et en laisse le soin au parterre et à l'adversaire. En ce sens, le président français n'a pas tort en ne se reconnaissant aucun précédent : il a surtout trompé l'Amérique qui ne s'attendait pas de lui à ce qu'il soit solide. Jacques Chirac selon les circonstances, seul de tous ceux qui ont succédé à de Gaulle à ne rien devoir à sa fonction, sinon l’immunité pénale. L’histoire ne jugera pas si l’immunité était nécessaire, elle est en train de retenir les circonstances, et la naissance d’une autorité morale selon celle-ci, est typiquement française. Avoir fait ou avoir dit, dans un monde sans repères, résonne davantage que faire ou dire.

A la veille du désastre électoral annoncé de Mars 1993, Pierre Bérégovoy me dédicace à nouveau sa photographie, et assume les intérims de tous les portefeuilles qu’abandonnent les « éléphants » du Parti socialiste s’assurant sénatoreries ou présidence de la Cour des comptes, places stables de survie. L’ancien Premier ministre choisit la fête du travail – fête de gauche – pour partir… Au Val-de-Grâce, la foule, rose à la main, qui vient saluer son corps mort, peut-être quinze mille personnes, opère un troisième tour de l’élection législative malheureuse. A la télévision, Pierre Méhaignerie, Garde des Sceaux, assure que la sensiblerie n’est pas de mise en politique, ni la vulnérabilité psychologique. Raymond Barre quant à lui, témoigne du choc et du très débilitant changement de rythme que produit l’abandon des fonctions de Premier ministre. Ambassadeur dans une des anciennes Républiques soviétiques, je fais mettre notre drapeau en berne. Détaché de la rue de Bercy pour cet emploi, je n’ai pu malgré l’engagement verbal du Premier Ministre, encore Pierre Bérégovoy, être « intégré » : une seule place, cette année-là, la dernière pour la gauche de l’époque, qu’obtient un encarté du Parti socialiste, de valeur d’ailleurs. En poste dans un pays balte, il demande instruction au Département, mettre en berne ou pas. La réponse n’ayant jamais circulé, si même elle eut lieu, ce n’est qu’à Almaty, au pied des monts Staline qu’on s’inclina officiellement, et tristement.

Les deux années où j’exerçais mes fonctions et où s’inaugura la très utile « conférence des Ambassadeurs », la participation à celle-ci était facultative car les frais de voyage restaient à la charge des intéressés sans qu’ils fussent convoqués «  par ordre ». En sorte que les représentants de la France à l’étranger payaient pour venir à Paris applaudir leur ministre, des fonctionnaires applaudissant leur hiérarchie ! pas un ne manquant. Idée ou mise en musique d’Alain Juppé et de Dominique de Villepin, son directeur de cabinet. Il m’a semblé que le premier hésita plusieurs semaines entre son patron de toujours, Jacques Chirac, et son Premier ministre, Edouard Balladur, très favorisé des sondages au début de 1995, et je n’ai jamais su si Dominique de Villepin avait été initialement placé au Quai pour y être l’homme de Jacques Chirac, ou à l’Elysée ensuite pour y être l’homme d’Alain Juppé ; on a sans doute la réponse à présent. Il est remarquable que, sept ans secrétaire général de la Présidence de la République, il n’ait eu le temps que d’écrire seulement deux livres, dont l’un d’ailleurs déflorait un titre bien moins connu que publiait, chez un petit éditeur Jean-Pierre Raffarin, en même temps que lui, en Janvier 2002. Il est encore plus significatif qu’en pleines et laborieuses tractations pour remettre l’Organisation des Nations Unies dans le champ irakien, le ministre en place publie et fasse commenter son ouvrage sur la poésie, nos poètes et leurs rôles respectifs dans la vie quotidienne d’un gouvernant [17]. Saint-John Perse n’était que secrétaire général du ministère des Affaires Etrangères [18].

Attaché commercial, partant pour le Brésil, je suis reçu – fait d’exception – par le ministre de l’Economie et des Finances, Pierre Bérégovoy ; il est inquiet du montant des crédits fournisseurs dont bénéficie là-bas un seul de nos opérateurs, et me demande de veiller à la régularité de ces choses ; dès l’entrée en vigueur des contrats, cette procédure fait se substituer le Trésor français au débiteur étranger à hauteur de 20% de la créance née, un bilan d’entreprise peut s’en trouver changé. Au-dessus de la cheminée Napoléon III, on est encore rue de Rivoli, une seule et très grande photographie, en noir et blanc, le portrait de Pierre Mendès France. Est-ce pourquoi le ministre qui réconcilia la gauche avec l’entreprise, et les gestions gouvernementales avec une certaine déréglementation, initialement pas davantage dans les mœurs de la droite, n’accèda finalement à la première place dans le gouvernement que par raccroc et trop tard ? Quant aux crédits à l’exportation, je découvris la fraude et fus, après sa chute, naturellement et dûment rappelé.


[1] - Robert Mitterrand, Frère de quelqu'un (Robert Laffont . Février 1988 . 490 pages)


[2] - appellation donnée honorifiquement à une personnalité disgrâciée, dans sa spécialité de haut fonctionnaire de la Justice, de même qu'un ambassadeur, sans plus de fonctions ni d’emploi, devient parfois conseiller diplomatique du Gouvernement.


[3] - En toute liberté éd. Ramsay, 1996


[4] - en donner l'extrait topique


[5] - Le Général de Gaulle - Vous ne m'apprenez rien. Mitterrand et Bousquet, ce sont les fantômes qui reviennent : le fantôme de l'antigaullisme issu du plus profond de la collaboration. Que Mitterrand soit un arriviste et un impudent, je ne vous ai pas attendu pour le penser. Mitterrand est une arsouille.
(…)
Roger Frey - C'est tout de même étonnant que des pans entiers de la vie d'un homme public soient cachés, qu'il ait pu subir cette condamnation morale, rarissime au Sé,at, qu'est la levé de l'immunité, et qu'il puisse parader ! En démocratie, les campagnes électorales, c'est fait pour faire tinter les casseroles, quand il y en a !
Alain Peyrefitte - Pourquoi prendre des gants ? il vous a injurié en vous comparant à Hiytler, Mussolini et Franco.
Le Général de Gaulle -  Non, n'insistez pas ! Il ne faut pas porter atteinte à la fonction, pour le cas où il viendrait à l'occuper  - Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle ** p. 602 & 603


[6] - parus de 1938 à 1941, sauf le dernier publié posthume en Juin 1952 - il avait également donné des biographies, mais plus succinctes, de Foch, de Clemenceau et de Poincaré


[7] - le 17 Septembre 1926, à proximité de Genève, après que l'Allemagne soit entrée à la Société des Nations, une année depuis son acceptation, selon le pacte de Locarno, des frontières que lui avait imposées le traité de Versailles


[8] - Heinrich Brüning - Mémoires (1918.1934) éd. allemande 1970 (trad. française éd. Gallimard  Septembre 1974 . 501 pages préf. Alfred Grosser)


[9] - La puissante volonté de Ludendorff avait su faire naître, exploiter et terminer cette crise, de façon qu'elle servît ses desseins. Maintenant, le tournant franchi,les obstacles écartés, le quartier-aître avait reculé encore les bornes de son pouvoir et de son prestige. Il avait appesanti et précusé sa dictature, gagné le temps qui menaçait de lui manquer pour poursuivre sa grandiose entreprise. Mais il avait, du même coup, abaissé l'autorité nécessaire du gouvernement de l'Elmpire, et son succès faussait l'instrument dont il prétendait tirer un rendement meilleur. Charles de Gaulle, La discorde chez l'ennemi  (Berger-Levrault . 1ère éd. 1924 . rééd. Janvier 1983 . 276 pages) p. 214



[10] - 10 Juin 1940, rue Saint Dominique, in Charles de Gaulle, Mémoires de guerre * L'appel (éd. Plon tricolore . 1954 . 680 pages) p. 51


[11] - notes qu me confa à son tour l’ancien ministre de Georges Pompidou, et que je publiai intégralement dans Le Monde du 3 Avril 1975


[12]  - 6 Décembre 1978


[13] - Newsweek 6 Octobre 2003 fait sa couverture sur un face à face Chirac-Bush légendé : The great divide, why France has become the voice of opposition to America


[14] - Jacques Foccart, Journal de l’Elysée : cinq tomes posthumes parus d’Août 1997 à Février 2001 et couvrant la période 1965-1974 & Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle : trois volumes publiés respectivement en Octobre 1994,  Septembre 1997 et Février 2000


[15] - du coup, la Compagnie générale transatlantique décide, le 8 Juilet 1974, de désarmer e paquebot et de s’e séparer


[16] - à Moscou, 8 Octobre 2003


[17] - Financial times selon Courrier international des 6-12 Février 2003 & Le Monde du 23 Mai 2003



[18] - 1887 + 1975, prix Nobel de littérature en 1960, Alexis Léger fut secrétaire général du Quai d'Orsay de Janvier 1933 à Mai 1940

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