III
Quel argument légal pour
le condamner, et y aurait-il eu rétablir la République en Août 1944 à l’arrivée
du Général de Gaulle dans Paris, si le Maréchal Pétain avait simplement
gouverné par décrets-lois comme, dans des circonstances bien moins difficiles,
tout président du Conseil de la Troisième République dans les années 1930, ou
si mettant certes en congé le Parlement, il avait honoré le bureau de chacune
des deux Chambres, et fait débattre là et publié en Conseil d’Etat le projet de
Constitution à mettre en vigueur lors de la paix ? Au lieu de cela, le texte fut tout bonnement
jeté des voitures en forme de tract tandis qu'il était emmené prisonnier des Allemands,
outre-Rhin. Condamné à mort pour erreur de sémantique ?
En composant, hors les
dispositions des lois de 1875 fondant la Troisième République, une Haute Cour ad hoc pour juger notamment le Chef de
l’Etat français, le Général de Gaulle n’a-t-il pas proprement ratifié cette
abolition de fait de la République par les premiers actes constitutionnels,
pris par le Maréchal en vertu de la loi constitutiuonnelle du 10 Juillet 1940 ?
De Gaulle voulait un
procès de l’armistice du 26 Juin 1940 et non du régime de Vichy, dans sa durée
de fait de Juillet 1940 à Juillet 1944. Il eût souhaité que le Maréchal Pétain
restât sur les rives du lac Léman, et – condamné- qu’il fut, pas longtemps
après sa condamnation dûment communée, simplement assigné à résidence dans sa
propriété de Villeneuve-Loubet (sur la Côte dite d’Azur).
8 square Latour-Maubourg,
pas très loin ni de l’Ecole militaire et du Champ de Mars ni des Invalides, le
Maréchal occupait deux appartements sur un même palier, communiquant mais avec
une clé fermant le sien vis-à-vis de sa tardive épouse. L’un de ces
appartements, confisqués à la Libération, revint à René Capitant, ministre de
l’Education nationale, et à la vente de ce genre de patrimoine par la mairie de
Paris en 1996-1997, cet appartement a échu à Alain Juppé, ancien Premier
Ministre.
C’est au début de
l’avenue Latour-Maubourg, que Georges Pompidou installa ses bureaux pour sa
traversée du désert, l’été de 1968. Il voulait n’avoir pas soixante ans quand
s’ouvrirait la succession à de Gaulle. L’affaire Markovic a eu deux résultats,
qui lui furent également favorables. Le fait que le Premier Ministre régnant,
Maurice Couve de Murville, ne l’ait pas averti ni protégé personnellement et
que le Général ait dit : « il faut voir » quand il en fut
informé, a dispensé l’ancien Premier Ministre d’expliciter un différend
politique entre lui et l’homme du 18 Juin, champion des réformes dès que le
régime fut affermi, notamment en matière sociale, pour lesquelles il ne le
suivait pas, ne le prenait pas au sérieux et l’aurait même desservi. La brouille
manifeste entre de Gaulle et Pompidou légitima la candidature de celui-ci à la
succession et le fait qu'il contribuât à en accélérer l'ouverture, et fût
attendue dans l’opinion publique, et jusques dans les rangs du parti censément
gaulliste.
Si le candidat communiste
se maintenant en "triangulaire" aux élections de Mars 1967, s’était
au contraire désisté pour le candidat de gauche le mieux placé – en
l’occurrence, Robert Mitterrand, frère de
quelqu’un [1] – Jacques Chirac n’eût pas
été élu, ne serait pas devenu le chef de file des « jeunes loups »,
ne serait pas passé du cabinet du Premier Ministre à la table du Conseil des
ministres, et ainsi de suite.
A l’échec de Lionel
Jospin le 21 Avril 2002, qui donc a contribué, le vote pour Arlette Laguiller,
le vote pour Jean-Pierre Chevènement ? Le fait - acquis - qu’il y ait au
moins deux réponses, renvoie à la personne et à la politique même du Premier
ministre d’alors. La gauche, triomphant des candidats de Jacques Chirac et
d’Alain Juppé le 1er Juin 1997, a gouverné en direction de la droite et
non de ses électeurs.
Stéphane Hessel, chargé
par Alain Juppé, d’une conciliation à propos des sans-papiers occupant l’église Saint-Bernard à Paris en Avril 1996,
se porte fort de l’extrême discrétion du Premier secrétaire du Parti socialiste
de l’époque.
Si Lionel Jospin ne fit
pas partie des gouvernements d’Edith Cresson et de Pierre Bérégovoy, ce n’est
pas par purisme, mais parce qu’il souhaitait – lui – être Premier ministre.
Est-ce parce qu’il ne
« faisait » pas sensiblement plus jeune que son compétiteur, ou bien
parce qu’il a manqué de révérence envers le Président régnant, que Lionel
Jospin a perdu l’électorat dit centriste quand il a évoqué l’âge du
capitaine ?
Peut-on gouverner si l’on
avoue ne pas se reconnaître dans un propos qu’on a pourtant publiquement
tenu ?
François Mitterrand et
Jacques Chirac, parmi ceux qui se sont succédés à l’Elysée depuis 1959, ont
ceci de commun qu’ils ont maintenu et même amélioré leur image publique tout au
long de l’exercice de leur mandat ; ils ont aussi en commun d’avoir
accepté ce qui est devenu la « cohabitation », c’est-à-dire un
équilibre des pouvoirs constitutionnels très différent de l’esprit dans lequel
fut conçue et se fonda la Cinquième République avec de Gaulle.
Contingent, vulnérable,
travailleur, et plus encore : honnête de ses deniers et des deniers de l’Etat,
Lionel Jospin ne parvint pas à rester sympathique, tandis que convaincu pour le
moins d’inexactitude dans sa défense publique à propos de gestions antérieures
à son élection présidentielle, Jacques Chirac est demeuré chaleureux,
attractif, jamais tendu ni lointain. Le premier n’a que rarement su contrôler
sa physionomie, le second depuis plus de trente-cinq n’a jamais perdu son
image.
Protestants tous deux,
Michel Rocard et Lionel Jospin ont été Premiers ministres, l’un a divorcé après
Matignon, l’autre avant. Maurice Couve de Murville, protestant lui aussi,
n’habita pas l’hôtel de Matignon. Son domicile, où il emménagea dès son mariage
en 1932, était à égale distance de la rue de Rivoli, du Quai d’Orsay et de la
rue de Varenne, où il exerça successivement les plus hautes fonctions ; il
pouvait aller à pied à chacun de ces bureaux.
A sa nomination comme
Premier ministre, un mardi, Edith Cresson incarnait le meilleur choix et la
meilleure idée du Président d’une gauche essoufflée ; dès le surlendemain,
elle avait à son passif d’avoir rédigé sans le moindre éclat sa déclaration
gouvernementale et promis des charters
pour les immigrés en situation irrégulière. Ni huit jours ni un an ne purent la
réhabiliter.
Pierre Bérégovoy, qu’elle
surnommait « l’enflure » dût subir de travailler dans le bureau
qu’elle avait décoré de tentures blanches en manière de tente tropicale et de
glaces en pied, pour ne pas paraître en déménageant aussitôt table et meubles
du Premier ministre, être trop infatué encore…
Michel Jobert rompit
mentalement avec François Mitterrand quand il le vit, dès le
« sommet » du G 7 tenu à Versailles, en début de son mandat, lire les
journaux en séance, et quand il apprit que l’appartement de fonctions que
lui-même ne voulait pas occuper permettait au Président de rencontrer –
discrètement – une de ses ministres.
François Mitterrand,
l’adversaire le plus fidèle du Général de Gaulle. Le mot – juste – est d’un
conseiller juridique du Gouvernement [2].
Danielle Mitterrand,
racontant [3]
comment nommément des amis et relations proches d’eux, se détournèrent de
François Mitterrand après « l’attentat de l’Observatoire » par
dévotion à afficher envers les nouveaux puissants, qu’étaient le Général de
Gaulle et Michel Debré en 1959-1960. La déclaration de candidature [4] de
François Mitterrand à Château-Chinon – il fut battu – pour les élections de
Novembre 1958 inaugurant la Cinquième République, n’était pas littéralement
hostile à celui contre lequel il écrirait ensuite Le coup d’Etat permanent. De
Gaulle pourtant retint les siens en 1965, par prescience de ce que son
adversaire – précisément – serait peut-être de ses successeurs [5]
Pierre Mendès France,
quoique n’ayant gouverné en nom propre qu’à peine plus de sept mois, est aussi
bien l’émule, dans la mémoire nationale de nos grands gouvernants français du
XXème siècle, de Georges Clemenceau au pouvoir vingt-huit mois, et de Charles
de Gaulle qui règna onze ans et dix mois. Pourquoi ? Comment ? Il ne
sut pas décider personnellement à propos de la Communauté Européenne de
Défense, sujet d’avenir, mais il sut régler le passé, le cessez-le-feu en
Indochine et son discours de Carthage, prélude des décolonisations africaines.
Est oublié son « mais messieurs, l’Algérie, c’est la France ». Il
trancha en personne et en manière.
Jacques Fauvet et Bernard
Lefort entrèrent chez François Mitterrand, ministre de l’Intérieur dans le
gouvernement de Pierre Mendès France, convaincus qu’il n’était pour rien dans
« l’affaire des fuites » ; ils en ressortirent bien moins
assurés. François Mitterrand, profession : avocat.
Le parti radical,
aujourd’hui ? Léon Gambetta et Jules Ferry, qui se tutoient, en sont les
têtes en 1870-1880 et c’est la majorité parlementaire. La victoire du Cartel des gauches en 1924 est celle des
radicaux emmenés par Edouard Herriot. Les élections anticipées de Décembre
1955, seul cas de dissolution sous la Quatrième République, opposent deux
radicaux qui se sont succédés à la présidence du Conseil, Pierre Mendès France
et Edgar Faure.
En 1911, le parti
radical, axe de toute majorité à la Chambre des députés, a deux têtes, Berteaux
ministre de la Guerre et Joseph Caillaux ministre des Finances, l’un est tué dans
un accident de parade aérienne à Issy les Moulineaux, l’autre s’impose donc
comme président du Conseil. Il se remarie étant à la tête du gouvernement, et
tandis qu’il négocie secrètement avec l’Allemagne le désintéressement de
celle-ci au Maroc où nous n’avons pas encore définitivement pris pied ; la
Grande Guerre eût pu éclater trois ans plus tôt et sans que Joffre ait été
nommé, dès le temps de paix, généralissime ; Raymond Poincaré est son
témoin, lui-même a été ministre des Finances pendant les trois ans du premier
gouvernement de Georges Clemenceau. Ce sont ces deux-là, pourtant qui le
traînent en Haute Cour alors qu’Aristide Briand a, pendant les hostilités et
ancien président du Conseil de bien plus fraîche date, rencontré des
représentants de Guillaume II ; on n’a à reprocher à Joseph Caillaux que
des dires en Italie et un manuscrit sur les responsabilités de la déclaration
de guerre en Août 1914. Raymond Poincaré aurait dit en conseil des ministres,
la France ne se fait pas déclarer la guerre. Joseph Caillaux est condamné au
titre d’un article 78 du Code pénal, qui – au contraire des 77 et 79 au titre
desquels on ne lui trouve aucune culpabilité – n’a pas été invoqué ni par
l’acte d’accusation ni par le réquisitoire, en sorte qu’il n’a pu se défendre
du chef retenu contre lui. Dans les mois précédant les hostilités, alors qu’il
est redevenu ministre des Finances à défaut de revenir à la présidence du
Conseil, le Figaro fait campagne
contre lui et publie des lettres d’amour de sa future seconde femme ;
celle-ci se fait recevoir par le directeur du grand quotidien, rond-point des
Champs-Elysées, elle le tue, se fait acquitter en assises et curiste à Vichy,
aussitôt après, pour décompresser, manque se faire lyncher, d’où son
installation en Italie, plus au calme. L’y avoir rejointe est imputé à crime à
son époux. Celui-ci, au déclenchement des hostilités, se fait donner une
mission commerciale en Amérique latine, crainte de se faire assassiner comme
Jean Jaurès. Parce qu’un ministre du Kaiser aurait dit en commission au
Reichstag : "Caillaux est notre homme", celui-ci est poursuivi.
François Mitterrand,
ministre de l’Intérieur en 1954, accusé de renseigner le Viet-Minh sur les
plans stratégiques français avant Dien Bien Phu ; Louis Malvy, ministre de
l’Intérieur de Juin 1914 à Mars 1917, accusé de fomenter des mouvements sociaux
pacifistes et d’avoir renseigné l’ennemi sur l’offensive devenue tristement
célèbre du Chemin des Dames.
Si Aristide Briand – prix
Nobel et pèlerin de la paix – avait
été vivant, et encore en âge d’exercer le pouvoir en juin 1940, n’aurait-il pas
fait la politique de Pierre Laval ? Son biographe (sept volumes [6]) et
confident, héritier de ses papiers, Georges Suarez est fusillé à la Libération.
A Thoiry [7],
Gustav Stresemann n’entend pas tant réconcilier l’Allemagne avec la France
qu’obtenir pour son pays « l’égalité des droits » et surtout
l’évacuation anticipée de la Ruhr, moyennant des engagements financiers
nouveaux ; il ne ressort pas des archives françaises que Aristide Briand,
ministre des Affaires Etrangères presque continuellement toute la décennie, y
ait consenti. On est juste au lendemain du discours fameux : Arrière les fusils, les mitrailleuses, les
canons ! Place à la conciliation, à l'arbitrage, à la paix ! Pourtant la
"liquidation" ne sera que le fait de Raymond Poincaré. Redevenu
président du Conseil, lui qui avait vainement fait réoccuper la Rhénanie cinq
ans plus tôt, il accepte le principe de cette évacuation en Septembre 1928.
Pierre Laval est le seul
chef du gouvernement français dans l’entre-deux-guerres
qui reçoive un Chancelier allemand à Paris et qui aille à Berlin [8];
c’est le seul qui fasse le déplacement à Moscou et s’entretienne avec
Staline ; c’est le seul qui aille à Rome se concerter avec Mussolini, pas
encore allié à Hitler. Dans une serviette que firent fouiller le Maréchal
Pétain en Décembre 1940 et le Général de Gaulle en Juillet 1945, Pierre Laval
conservait deux documents – absolutoires de tout à ses yeux, semble-t-il – la
sténographie de la séance secrète de l’Assemblée Nationale, tenue au casino de
Vichy le 10 Juillet 1940, non publiée à ce jour, et les lettres échangées en
1934-1935 avec le Duce.
De Gaulle date de
l’arrivée du Général Catroux à Londres sa propre mise hors de toutes norme et hiérarchie.
C’est ce dernier qui à Alger est censé faire l’intermédiation entre lui et le
Général Giraud pour une unification de tous les Français combattants ;
a-t-il pensé qu’il serait le troisième homme ? La correspondance
qu’échangent Giraud et de Gaulle,
commentées et introduites chaque fois par Catroux a fondé la légitimité
politique de l’homme du 18 Juin, autant que sa référence, fournie exprès par
Jean Moulin, au soutien exclusif de la Résistance en France-même. Cette
correspondance n’est que partiellement publiée dans les mémoires respectifs des
trois protagonistes. Le gouvernement Couve de Murville fit voter une loi, sur
ordre, pour maintenir en position d’activité le Général Catroux, qui avait
alors dépassé les quatre-vingt ans, mais son remariage à cet âge et sans être
tombé veuf le fit interdire de réceptions à l’Elysée, jusqu’à ce que de Gaulle
se retirât.
Le fond de la pensée constitutionnelle du Général de Gaulle tient à la
distinction des pouvoirs civils et militaires, d’ailleurs inscrite dans la
Constitution républicaine française de 1848, et la subordination des seconds
aux premiers. Son premier livre La
discorde chez l’ennemi, documenté sur la presse allemande reçu dans la
citadelle de Ingolstadt, où il était retenu prisonnier pendant la Grande
Guerre, analyse l’échec militaire allemand selon la méconnaissance de cette
hiérarchie, et même son inversion [9].
C’est le sens de sa réplique à Maxime Weygand, généralissime quinze jours en
Juin 1940, à la suite du Général Gamelin.
Le Président du Conseil, bien qu'il fut talonné par l'obligation de prononcer
dans un très bref délai l'allocution qui était annoncée, entreprit d discuter
l'opinion du Généralissime. Celui-ci n'en démordait pas. La bataille dans la
Métropole était perdue. Il fallait capituler. "Mais il y a d'autres
perspectives", dis-je à un certain moment. Alors, Weygand, d'un ton
railleur : "Avez-vous quelque chose à proposer ? - Le gouvernement,
répondis-je, n'a pas de propositions à faire, mais des ordres à donner. Je
compte qu'il les donnera." [10] De Gaulle est alors sous-secrétaire
d’Etat à la Guerre dans le cabinet de Paul Reynaud .
A un jour près, Paul
Reynaud obtenait d'Edouard Daladier, le remplacement du Général Gamelin à la
tête de nos armées, si le 10 Mai 1940 tout juste n’avait éclaté l’offensive
allemande.
Le Maréchal Pétain, se
rendant au front accompagné de Raoul Dautry, commente très défavorablement la
conduite des opérations par Weygand. Weygand est l’homme de Foch. Ferdinand
Foch a été fait maréchal avant l’armistice du 11 Novembre, Philippe Pétain
après ; le Maréchal Foch a été élu à l’Académie française avant le
Maréchal Pétain qui lui succéda à son fauteuil et dût faire son éloge, tout en
entendant Paul Valéry censé faire le sien continuer celui de l’autre. Philippe
Pétain, généralissime des armées françaises en 1917, a passé dans les
années 1940 pour défaitiste dès cette époque. Les comptes-rendus verbatim des entretiens qui firent la
paix de 1919 – ceux du Président Woodrow Wilson, de Georges Clemenceau et de
Lloyd George, ainsi que de Sonnino quand celui-ci ne faisait pas la chaise vide
pour obtenir ce lui avait été promis en mer Adriatique – montrent qu’à chaque
interrogation des chefs de gouvernement alliés sur la possibilité ou pas de
forcer la signature allemande, le générallisme objectait l’impossibilité
pratique, sauf re-mobilisation intégrale, de pénétrer vraiment en Allemagne,
donc de traverser le Rhin et d’aller à Berlin. Gamelin objecta de la même
manière à la question d’Albert Sarraut de savoir comment répondre à la
réoccupation par Hitler de la rive gauche de ce Rhin. C’est parce que la Russie
tzariste ne pouvait distinguer une mobilisation partielle de la mobilisation
générale qu’en Août 1914, cette mobilisation-là provoqua celle, également
générale, de l’Autriche-Hongrie et donc la mise en jeu de toutes les alliances.
En Février 1945, tenu à
l’écart des entretiens de Yalta entre Staline, Roosevelt et Churchill, de
Gaulle fut invité à rencontrer le Président des Etats-Unis pour en conférer
avec lui sur le croiseur le ramenant outre-Atlantique ; il refusa une
invitation qu’un étranger ne peut, du territoire français, lancer à un chef du
gouvernement français. En Octobre 1962, lors de la crise dite de Cuba
déclenchée par la tentative soviétique d’installer des rampes de lancement
d’engins nucléaires dans l’île jouxtant le territoire américain, de Gaulle et
la France, bien avant les dirigeants britannique et allemand se rangea du côté
des Etats-Unis : ce fut le seul cas où le bi-polarisme nucléaire à l’échelle
de la planète avait failli dégénérer en cette guerre du futur.
L’argument français à
l’automne et à l’hiver de 2002 contre l’intervention américaine en Irak était
que celle-ci créerait un précédent. En fait, aucun précédent n’était à
redouter, que celui d’une reculade universelle devant une volonté américaine
d’y aller, fut-ce sans mandat, fut-ce sans les Britanniques, ce qui
rétrospectivement montre le cas vrai qui est fait d’eux dans la stratégie
américaine.
Les Etats-Unis, quand il
s’agit de matières premières, se conduisent comme s’ils anticipaient une
coalition mondiale contre eux, et en contrôlant comme ils sont en passe d’y
parvenir totalement, les ressources pétrolières du Moyen-Orient, ils anticipent
plus encore l’émergence d’une Europe au vouloir indépendant du leur – en quoi
ils prêtent aux Européens une imagination et une énergie que ceux-ci après
cinquante d’intégration économique et juridique n’ont pas encore… - et un
conflit frontal avec la Chine, tel qu’en inauguration de son premier mandat
présidentiel Bush junior faillit faire éclater.
Ne figure pas dans les Lettres, Notes et Carnets publiés du
Général de Gaulle, un message adressé à Yasser Arafat en Octobre 1969.
"Votre combat me rappelle celui que je menais à Londres". Le chef de
l’autorité palestinienne n’est parvenu à reprendre pied chez lui qu’au
printemps de 1996. La fortune et l’autorité politiques de Michel Jobert a tenu
à un simple mot, lors de la guerre du
Kippour commentant – sur instruction de Georges Pompidou, président de la République
– ce que Pierre Messmer avait qualifié d’agression arabe en Octobre 1973.
"Est-ce être agressif que de vouloir rentrer chez soi ?"
Georges Pompidou
formalisa « au centre » sa candidature présidentielle, le lendemain
de la démission du Général : dévaluation monétaire, entrée de la
Grande-Bretagne dans le Marché commun, notamment. Il donna, lors du dernier
Conseil des ministres qu’il devait présider pas une semaine avant sa mort, un
tout autre testament, celui d’une exhortation à la fermeté dont il n’avait fait
su faire preuve que précisément diminué physiquement par la maladie. Robert
Galley, contrairement à l’usage, le prit en note et le donna à Michel Jobert,
absent et aux Etats-Unis ce jour-là [11].
La France n’a qu’une attitude possible : c’est de tenir. Ne pas
tenir bon, ce serait pour notre pays disparaître en tant que nation – en tant
qu’entité libre de ses décisions. Mais aussi ce serait disparaître en tant
qu’acteur de la construction européenne.Si nous tenons – et ce sera long et
difficile – nous aurons… beaucoup de difficultés et beaucoup d’ennuis car des
choses essentielles sont en cause : nous sommes des gêneurs en les
révélant et nous serons susceptibles, ce faisant, de rencontrer un grand
courant d’hostilité ; mais ily a des choses que la France ne peut
admettre. En ce qui vous concerne, messieurs les ministres, je vous demande
dans tous les débats de hausser e ton et de remonter sur les hauteurs de
l’intérêt national sans fioritures. Le
langage que vous devez tenir aux Français doit s’apparenter à celui de
Clemenceau et, dans les circonstances actuelles, ne laisser aucune place à la
facilité, encore moins à la démagogie.
La première évocation par
un gouvernant français de « transferts de souveraineté » est le
fait - à Copenhague en Août 1974 – de
Jacques Chirac, nouvellement promu Premier ministre par Valéry Giscard
d’Estaing qui venait de l’emporter dans la course à l’Elysée. Ayant démissionné
de Matignon, Jacques Chirac un temps alité à la suite d’un grave accident
d’automobile, à l’hôpital Cochin, lança [12] un
appel contre « le parti de l’étranger » censé soutenir le jeune
président de la République.
Le grand schisme : pourquoi la France est-elle devenue la voix des
opposants à l'Amérique ? [13]
De Gaulle. Les preneurs de
notes [14]
enregistrent des propos, jamais le génie
d’une personne, et encore moins s’il est en phase créatrice, en sorte que
l’homme d’Etat reste mystérieux, intact. L’homme est montré contingent,
quoique brillant et définitif d’expression, mais le politique reste voilé,
l’épousaille avec l’action ne s’écrit que du vivant et à propos de cette
action-là.
Il manque à Jacques Chirac la langue, le timbre et le dire parce qu’il
n’y a pas, dans sa communication, les effets de perspective et de reliefs
hiérarchisant les sujets, mais il y a chez lui, poussé à fond face à ses
devanciers et aux modèles qui peuvent lui être prêtés, un orgueil d’être
lui-même. Orgueil presque tardif, puis que l’ambition ne rend pas compte d’une
ténacité et d’un tel souffle de coureur de fond. A propos de l’Irak et des
Etats-Unis, son rebond a été aussi surprenant que sa première expression, et
plus encore sa décision de s’enfoncer dans une réaction – devenue la seule à
rester continue d’expression – face à tout ce qu’ont de belligène et de désorganisant
l’attitude et les intérêts américains. A la manière dont Charles Maurras avait
constaté que La France se sauve
toute seule, donc en dépit des
faiblesses de son régime, l’été et l’automne de 1914, il est possible d’avancer
que la France, étant ce qu’elle est aujourd’hui et notre histoire depuis de
Gaulle ce dont on se souvient, a littéralement mis au moule des circonstances
le Président du moment. Jacques Chirac peut devenir grand par un effet de
matrice, se découvrant lui-même, enfin et contre l’attente générale, ou ayant
la finesse, toute d’opportunité politique, de comprendre ce qu’ont de propices
les circonstances. Dans les deux cas, c’est une naissance surtout si le défi
américain dure. La France et son chef puiserait dans l’hégémonie de l’autre la
force et le prestige d’être devenu l’opposant par une nécessité devenue
excellence.
Avoir coupé la subvention
de fonctionnement du paquebot France [15],
lancer un message au monde le soir de son élection et s’entretenir notoirement
avec le Chancelier Schmidt en anglais, a contribué à défaire la popularité de
Valéry Giscard d’Estaing, dès le début de son règne. En 1981, présentant les
résultats du premier tour où menait encore le Président sortant, le ministre de
l’Intérieur Christian Bonnet prononça à la manière répandue à droite, le nom du
compétiteur qui allait l’emporter : François Mit’ràn. Celui-ci, le soir de
son élection, renvoya la monnaie de la pièce en s’adressant à « Monsieur
Val’ry Giscard d’Estaing ».
François Mitterrand m’a
assuré qu’en 1974 – comptes personnellement refaits avec Georges Marchais – il
l’avait emporté de quelques milliers de voix, mais on ne change pas les choses
avec si peu de marge, nous n’avons donc pas saisi le Conseil constitutionnel.
Ce fut l’erreur du vainqueur que d’oublier cette marge ? ou bien ne
nommant pas le Premier ministre de son choix et de son parti (c’eût été Michel
Poniatowski), ne s’est-il pas mis, dès le début de son mandat à la main des
revanchards du gaullisme. Ceux-ci étaient prêts à se donner à qui leur
promettrait ce retour à un pouvoir dont depuis la fondation du R.P.R. ils ont
toujours considéré qu’il était illégitimement détenu et exercé dès lors qu’il
le serait par tout autre que l’un des leurs. En sous-main, Jean-Pierre Raffarin
le sait.
Pourquoi l’ancien chef
des jeunes giscardiens Jean-Pierre
Raffarin, se coupe-t-il de son chef éponyme en refusant, comme Premier
ministre, les disciplines bruxelloisses pour la matière budgétaire. C’est
contredire tout l’argument traditionnel qu’eut le R.P.R. en 1986-1988 et en
1995-1997 : nous sommes les seuls à concevoir et à faire appliquer la
rigueur en politique et en finances. C’est placer en position de
« présidentiable européen »– mais peut-être était-ce finement
cela ? – le président de la Convention européenne, davantage nommé à la
présidence de la Convention, en Conseil européen de Laeken par Lionel Jospin
que par Jacques Chirac : un Français parce que la France… mais un Français
sommant ses autorités nationales d’agir en Européens.
J’ai admiré, comme une
véritable entrée en scène et en chef, comment le Premier ministre, le soir du
referendum du 6 Juillet 2003 en Corse, avait annexé le résultat négatif à son
propre « grand dessein » d’une décentralisation à la carte et pour
l’expérimentation : le taux de participation montrant l’intérêt des
consultés. En revanche, la propagande gouvernementale n’a pas fait contre-feu à
la rumeur très répandue que l’échec de la consultation tenait à un article
signé du président de la République, dans la presse insulaire. Peut-être est-ce
politiquement – ou inconsciemment – se venger d’une sorte de vis-à-vis
physiquement peu flatteur auquel a pu se complaire Jacques Chirac en nommant à
Matignon le sénateur-maire de Chasseneuil.
Il y a les noms de lieux
dans les carrières politiques. François Mitterrand, natif de Jarnac, la botte
mortelle. Alain Poher, Gaston Doumergue, Lionel Jospin, Jean-Pierre Raffarin
respectivement maires d’Ablon, de Tournefeuille, de Cinte-Gabelle, de
Chasseneuil, tandis que maire de Paris ou de Bordeaux… le meilleur comble étant
d’être député d’Ussel et maire de la capitale.
La querelle sur la
féminisation du terme désignant des fonctions au genre masculin, méconnaît
évidemment que la langue française emploie ce genre faute de disposer du
neutre, et que c’est en fait – là – un neutre. Elle est également
constitutionnelle, la femme du président de la République peut-elle briguer un
mandat local ? faire explicitement la campagne de son mari ? est-elle
présidente et de quoi ? la fille du Président peut-elle diriger sa
communication politique ? Il y avait eu sous Vincent Auriol les Egloff, et
Jules Grévy dût démissionner parce qu’il avait eu le « malheur d’avoir un
gendre ».
La première Constitution
française, celle de 1791, disposait que « la personne du roi est
inviolable et sacrée ». Le peuple, en émeute, peut-être fomentée avec
l’argent du duc d’Orléans, transgressa en Juin puis en Août 1792 la loi
fondamentale, en sorte qe Louis Capet, parce qu’il avait perdu, ne pouvait
qu’être coupable, et demeuré populaire, ne pouvait qu'être exécuté. En
revanche, tout le premier mandat présidentiel de Jacques Chirac a été occupé
par la construction jurisprudentielle d’une immunité personnelle, ce dont aucun
de ses prédécesseurs en cent-vingt ans de République n’avait eu nécessité.
Jacques Chirac n’a jamais
recueilli plus de 20% des suffrages exprimés au premier tour d’une élection
présidentielle, même quand il l’emporte au second tour. La composition de
l’électorat du Général de Gaulle de 1958 à 1969 et des suffrages produisant la
majorité le soutenant à l’Assemblée Nationale est – de tous les partis et
présidents de la Cinquième République - la plus proche de la sociologie
d’ensemble du corps électoral français, notamment pour ce qui est de
l’électorat dit ouvrier. François Mitterrand redouta, en Février-Mars 1981, que
le second tour de l’élection présidentielle n’ait lieu qu’à droite. Deux mots
ont caractérisé les deux duels que se livrèrent en 1974 et en 1981 François
Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing : "vous n’avez pas le monopole
du cœur, Mr. Mitterrand" – "c’est de l’affèterie, Mr. Giscard
d’Estaing". En 1981, challenger,
François Mitterrand soutenait qu’il n’y avait plus de président-candidat, il a
pratiqué le contraire devant Jacques Chirac en 1988 : "comme vous
voudrez, Mr. le Premier ministre". De retour d’un long et difficile voyage
dans le Pacifique, Laurent Fabius, très jeune pour être Premier Ministre et
l’étant déjà, non sans brio, depuis quinze mois, croit aisé de cadrer
péjorativement en duel télévisé son compétiteur pour Matignon en 1986, Jacques
Chirac, l’agité. Calmez-vous, Mr. Chirac, lui a-t-on recommandé de répéter de
manière à ce que les téléspectateurs arbitres du match, soient – de cela – bien
convaincus. Mais Jacques Chirac met le Premier ministre à bout
d’argument : "vous oubliez que vous parlez au Premier Ministre de la
France, Mr. Chirac", et c’est lui qui finit dans une relative fébrilité :
non programmée ni conseillée. Les arrivées de Lionel Jospin, la sueur au front et
au cou, sur les plateaux de la télévision parce qu’il sait avoir à démontrer
qu’il est resté de gauche, qu’il est né à gauche, qu’il gouverne et présidera à
gauche. Inaugurant une émission concédée par « le pouvoir », A armes égales, à la suite de la
première élection présidentielle au suffrage universel direct, celle de
Décembre 1965, où de Gaulle fut en ballottage – on ne met pas un dictateur en
ballottage… - François Mitterrand avait su conclure : si je n’ai pas pu
vous faire sentir que la gauche, c’est… et de le scander en litanie, comme à la
veille du second tour, faisant du même coup la notoriété soudaine d’Anne
Sinclair l’interrogeant en petite fille innocente qui cherche à comprendre un
enjeu immense : mais votre adversaire dit que… mensonge, avait-il prévenu
qu’il répondrait et scanda-t-il …
Le gaullisme a dégénéré
en un culte du chef tel que les défaites électorales sont indifférentes, dans
ce qui est appelé le Mouvement, pour la cote de Jacques Chirac survivant au
désaveu de 1997 là où de Gaulle mourut en 1969. Il est vrai que Jacques Chirac
a toujours été et demeure le meilleur champion électoral des siens. Tentant de
se faire applaudir en ses lieu et place, Philippe Séguin alors que l’échec de
la dissolution était de la veille, en fit l’expérience dont il manifesta trop
qu’elle le surprenait. Cet amour a un pendant, la haine, la haine pour qui
occupe indûment l’Elysée : Valéry Giscard d’Estaing, narcisse et
pusillanime, François Mitterrand, démodé et malhonnête.
Pourquoi ne s’est-on pas
demandé dans l’affaire de la « cassette Méry » comment il avait pu se
faire rétrospectivement que Jérôme Monod, alors à la tête de la Lyonnaise des
Eaux, ait eu la nécessité d’assortir une demande d’audience du Premier
ministre, d’une valise de billets ? alors qu’ils sont camarades de
promotion à l’Ecole nationale d’administration, et qu’aujourd’hui le premier
est le principal conseiller politique du second ? sans être d’ailleurs
capable de se faire jamais élire lui-même à des mandats même locaux.
Si l’on admet qu’il n’y a
aucune relation que chronologique entre le gaullisme et le chiraquisme, alors
on peut avoir quelque révérence pour le parcours et pour l’action de Jacques
Chirac. Mais conçoit-on de Gaulle sans postérité ?
La meilleure réplique que donne Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre
inattendu au printemps de 2002 et déjà en ambiance de remplacement à l'automne
de 2003, est d'exister par lui-même. Il y va fort puisque de l'étranger [16]- ce
qui n'est pas la meilleure manière, mais émancipe du climat parisien et même de
la révérence dûe au président régnant - il met Jacques Chirac en demeure de
risquer le referendum pour notre adoption du prochain traité constitutionnel
européen.
Jacques Chirac, le Rassemblement pour la République
une fois fondé en 1976 contre les atermoiements et les impuissances des
"barons" en 1976, ne fait plus confiance qu'aux militants, ceux-ci ne
le quitteront jamais, convaincus qu'il peut l'emporter dès 1981 et aujourd'hui
qu'il est l'unique et seul champion possible pour une troisième victoire en
2007. En cela, l'homme n'a pas changé. Ses égards pour l'ancienne équipe du
Général de Gaulle, Jacques Foccart et Jean-Marc Boegner, pris comme conseils,
quand il revient à Matignon en 1986-1988, ses fidélités tant à l'Hôtel de Ville
de Paris qu'à l'Elysée, et hormis Dominique de Villepin, un entourement ayant
vieilli en même temps que lui. L'homme, au contraire de ses prédécesseurs,
n'attire ni par la parole ni par l'écrit ni même par sa présence en scène, mais
il fascine par un comportement à longueur de vie. Je ne lui ai pas vu de
vulnérabilité ni physiologique ni affective. Or, cette force mentale qui lui a
permis de tenir dans l'étreinte qui se nouait autour de lui à raison d'un passé
juridictionnellement exposé, le rend sans finesse et même souvent hors sujet,
la démocratie sociale comme exposé des motifs de son ralliement au quinquennat,
mais apte jusqu'au chef d'œuvre dans l'entreprise actuelle de prendre date
contre les Américains à propos de l'Irak. En l'occurrence, la grandeur n'est
pas loin, car la fonction n'y est pour rien. Lionel Jospin, François
Mitterrand, Valéry Giscard d'Estaing auraient probablement trop développé notre
attitude. S'il est certain que l'opinion publique universelle attend en général
des grilles de lecture, à quoi excellait de Gaulle, l'actualité - cas
exceptionnel - dispense de tout exposé et raisonnement : la posture prise par
la France se passe de commentaire et en laisse le soin au parterre et à
l'adversaire. En ce sens, le président français n'a pas tort en ne se reconnaissant
aucun précédent : il a surtout trompé l'Amérique qui ne s'attendait pas de lui
à ce qu'il soit solide. Jacques Chirac selon les circonstances, seul de tous
ceux qui ont succédé à de Gaulle à ne rien devoir à sa fonction, sinon
l’immunité pénale. L’histoire ne jugera pas si l’immunité était nécessaire,
elle est en train de retenir les circonstances, et la naissance d’une autorité
morale selon celle-ci, est typiquement française. Avoir fait ou avoir dit, dans
un monde sans repères, résonne davantage que faire ou dire.
A la veille du désastre
électoral annoncé de Mars 1993, Pierre Bérégovoy me dédicace à nouveau sa
photographie, et assume les intérims de tous les portefeuilles qu’abandonnent
les « éléphants » du Parti socialiste s’assurant sénatoreries ou
présidence de la Cour des comptes, places stables de survie. L’ancien Premier
ministre choisit la fête du travail – fête de gauche – pour partir… Au
Val-de-Grâce, la foule, rose à la main, qui vient saluer son corps mort,
peut-être quinze mille personnes, opère un troisième tour de l’élection
législative malheureuse. A la télévision, Pierre Méhaignerie, Garde des Sceaux,
assure que la sensiblerie n’est pas de mise en politique, ni la vulnérabilité
psychologique. Raymond Barre quant à lui, témoigne du choc et du très
débilitant changement de rythme que produit l’abandon des fonctions de Premier
ministre. Ambassadeur dans une des anciennes Républiques soviétiques, je fais
mettre notre drapeau en berne. Détaché de la rue de Bercy pour cet emploi, je
n’ai pu malgré l’engagement verbal du Premier Ministre, encore Pierre
Bérégovoy, être « intégré » : une seule place, cette année-là,
la dernière pour la gauche de l’époque, qu’obtient un encarté du Parti
socialiste, de valeur d’ailleurs. En poste dans un pays balte, il demande
instruction au Département, mettre en berne ou pas. La réponse n’ayant jamais
circulé, si même elle eut lieu, ce n’est qu’à Almaty, au pied des monts Staline
qu’on s’inclina officiellement, et tristement.
Les deux années où
j’exerçais mes fonctions et où s’inaugura la très utile « conférence des
Ambassadeurs », la participation à celle-ci était facultative car les
frais de voyage restaient à la charge des intéressés sans qu’ils fussent
convoqués « par ordre ». En sorte que les représentants de la France
à l’étranger payaient pour venir à Paris applaudir leur ministre, des
fonctionnaires applaudissant leur hiérarchie ! pas un ne manquant. Idée ou
mise en musique d’Alain Juppé et de Dominique de Villepin, son directeur de
cabinet. Il m’a semblé que le premier hésita plusieurs semaines entre son
patron de toujours, Jacques Chirac, et son Premier ministre, Edouard Balladur,
très favorisé des sondages au début de 1995, et je n’ai jamais su si Dominique
de Villepin avait été initialement placé au Quai pour y être l’homme de Jacques
Chirac, ou à l’Elysée ensuite pour y être l’homme d’Alain Juppé ; on a
sans doute la réponse à présent. Il est remarquable que, sept ans secrétaire
général de la Présidence de la République, il n’ait eu le temps que d’écrire
seulement deux livres, dont l’un d’ailleurs déflorait un titre bien moins connu
que publiait, chez un petit éditeur Jean-Pierre Raffarin, en même temps que
lui, en Janvier 2002. Il est encore plus significatif qu’en pleines et
laborieuses tractations pour remettre l’Organisation des Nations Unies dans le
champ irakien, le ministre en place publie et fasse commenter son ouvrage sur
la poésie, nos poètes et leurs rôles respectifs dans la vie quotidienne d’un
gouvernant [17]. Saint-John Perse n’était
que secrétaire général du ministère des Affaires Etrangères [18].
Attaché commercial,
partant pour le Brésil, je suis reçu – fait d’exception – par le ministre de
l’Economie et des Finances, Pierre Bérégovoy ; il est inquiet du montant
des crédits fournisseurs dont bénéficie là-bas un seul de nos opérateurs, et me
demande de veiller à la régularité de ces choses ; dès l’entrée en vigueur
des contrats, cette procédure fait se substituer le Trésor français au débiteur
étranger à hauteur de 20% de la créance née, un bilan d’entreprise peut s’en
trouver changé. Au-dessus de la cheminée Napoléon III, on est encore rue de
Rivoli, une seule et très grande photographie, en noir et blanc, le portrait de
Pierre Mendès France. Est-ce pourquoi le ministre qui réconcilia la gauche avec
l’entreprise, et les gestions gouvernementales avec une certaine
déréglementation, initialement pas davantage dans les mœurs de la droite,
n’accèda finalement à la première place dans le gouvernement que par raccroc et
trop tard ? Quant aux crédits à l’exportation, je découvris la fraude et
fus, après sa chute, naturellement et dûment rappelé.
[2] - appellation donnée
honorifiquement à une personnalité disgrâciée, dans sa spécialité de haut
fonctionnaire de la Justice,
de même qu'un ambassadeur, sans plus de fonctions ni d’emploi, devient parfois
conseiller diplomatique du Gouvernement.
[3] - En toute liberté
éd. Ramsay, 1996
[4] - en donner l'extrait
topique
[5] - Le Général de Gaulle -
Vous ne m'apprenez rien. Mitterrand et Bousquet, ce sont les fantômes qui
reviennent : le fantôme de l'antigaullisme issu du plus profond de la collaboration. Que
Mitterrand soit un arriviste et un impudent, je ne vous ai
pas attendu pour le penser. Mitterrand est une arsouille.
(…)
Roger Frey - C'est tout de même étonnant que des pans entiers de la vie d'un
homme public soient cachés, qu'il ait pu subir cette condamnation morale,
rarissime au Sé,at, qu'est la levé de l'immunité, et qu'il puisse parader ! En
démocratie, les campagnes électorales, c'est fait pour faire tinter les
casseroles, quand il y en a !
Alain Peyrefitte - Pourquoi prendre des gants ? il vous a injurié en vous comparant à
Hiytler, Mussolini et Franco.
Le Général de Gaulle
- Non, n'insistez pas ! Il ne faut pas
porter atteinte à la fonction, pour le cas où il viendrait à l'occuper - Alain
Peyrefitte, C'était de Gaulle ** p. 602 & 603
[6] - parus de 1938 à 1941,
sauf le dernier publié posthume en Juin 1952 - il avait également donné des biographies,
mais plus succinctes, de Foch, de Clemenceau et de Poincaré
[7] - le 17 Septembre 1926, à
proximité de Genève, après que l'Allemagne soit entrée à la Société des Nations, une
année depuis son acceptation, selon le pacte de Locarno, des frontières que lui
avait imposées le traité de Versailles
[8] - Heinrich Brüning - Mémoires (1918.1934) éd. allemande 1970
(trad. française éd. Gallimard Septembre
1974 . 501 pages préf. Alfred Grosser)
[9] - La puissante
volonté de Ludendorff avait su faire naître, exploiter et terminer cette crise,
de façon qu'elle servît ses desseins. Maintenant, le tournant franchi,les
obstacles écartés, le quartier-aître avait reculé encore les bornes de son
pouvoir et de son prestige. Il avait appesanti et précusé sa dictature, gagné
le temps qui menaçait de lui manquer pour poursuivre sa grandiose entreprise.
Mais il avait, du même coup, abaissé l'autorité nécessaire du gouvernement de
l'Elmpire, et son succès faussait l'instrument dont il prétendait tirer un
rendement meilleur. Charles de Gaulle, La
discorde chez l'ennemi (Berger-Levrault . 1ère éd. 1924 .
rééd. Janvier 1983 . 276 pages) p. 214
[10] - 10 Juin 1940, rue Saint
Dominique, in Charles de Gaulle, Mémoires
de guerre * L'appel (éd. Plon tricolore . 1954 . 680 pages) p. 51
[11] - notes qu me confa à son
tour l’ancien ministre de Georges Pompidou, et que je publiai intégralement
dans Le Monde du 3 Avril 1975
[12] - 6 Décembre 1978
[13] - Newsweek 6 Octobre 2003 fait sa couverture sur un face à face
Chirac-Bush légendé : The great divide,
why France has become the voice of opposition to America
[14]
- Jacques Foccart, Journal
de l’Elysée : cinq tomes posthumes parus d’Août 1997 à Février 2001 et
couvrant la période 1965-1974 & Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle :
trois volumes publiés respectivement en Octobre 1994, Septembre 1997 et Février 2000
[15] - du coup, la Compagnie générale
transatlantique décide, le 8 Juilet 1974, de désarmer e paquebot et de s’e
séparer
[17] - Financial
times selon
Courrier international des 6-12
Février 2003 & Le Monde du 23 Mai
2003
[18] - 1887 + 1975, prix Nobel
de littérature en 1960, Alexis Léger fut secrétaire général du Quai d'Orsay de
Janvier 1933 à Mai 1940
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