E L L E S S A N S M O I
L A F O R M E E T
L E F O N D
Observation sur la création du mythe,
sur la mode esthétique,
sur la parité femme/homme,
sur l’équilibre individuel et la connaissance de soi
et d’autrui
par les temps qui courent (peu)
C’est parti de là, le jour
importe peu, mais le moment, le moment est un lieu, on croit que le mot a
rapport avec le temps, qu’il en est une partie, la moins définie, ce peut durer
des siècles ou bien moins qu’une seconde. Le mot a aussi sa définition en
physique. C’est donc un mot commode, il fait réaliser – c’est-à-dire à chaque
fois qu’on s’arrête, il fait vivre que le temps est rempli de moments et que le
temps n’est humain que quand on trouve où s’y arrêter : c’est alors un
moment.
Le moment est un lieu.
J’étais sur un escalier roulant, en fait : dans un escalier roulant,
puisque les marches sur lesquelles ceux qui s’étaient livrés à la machine,
comme moi, n’étaient que du sol se déplaçant artificiellement, les rampes avec
leur façon d’être un panneau de chaque côté de ceux qui montaient comme moi,
par cet escalier, et aussi deux longs rails de caoutchouc. Y posais-je une
main ?
La chose m’est venue
ainsi. On dit qu’écrire, c’est bien davantage que penser, en tout cas que ce
communément on entend par penser, c’est-à-dire être consciemment spectateur de
quelque flux dont on sait qu’il ne vient d’on ne sait où, mais qu’il vient bien
de quelque part, ou par quelque moyen le faisant surgir en nous, en nous :
où, car les lieux d’un corps humain sont-ils tributaires de la topographie ou
d’un schéma idéal censé expliquer comment fonctionne une machine, comment
fonctionne une prise de conscience que l’on est soi-même en train de penser.
Donc, debout sur une machine me montant d’un niveau à l’autre du grand magasin,
et moi-même machine à beaucoup de choses, beaucoup d’expressions, beaucoups
d’ingestions, beaucoup de signaux, machine à me fatiguer moi-même
biologiquement et mentalement, je me rendis compte que je tenais le sujet. Je
me gardais de l’écrire sur le carnet que je porte toujours sur moi ; je
dois en avoir maintenant quelques trois cent, toujours le même format, toujours
le stylo agraffé à la page libre, toujours la date en haut de page, et puis des
giffons ou beaucoup de lignes très posées. C’est la tentative, pas vraiment
d’écrire, mais de retenir, j’ai retenu toute ma vie, c’est peut-être ma vie que
j’ai retenue,mon envie ou mon savoir de vivre que j’ai retenus. Le sujet est simple,
c’est la rencontre de deux conseils généraux, deux « on-dit », mais
qui m’ont été particulièrement et souvent dits, qui opère soudain, dans ce
lieu. Je monte d’un rez-de-chaussée où sont les caisses et aussi tout ce qui va
avec la photographie, en plus quelques consommables pour l’enregistrement du
son ou de la lumière, des lumières et des mouvements, vers deux étages, dont
l’un est la vidéo-thèque et la discothèque, et le second, la bibliothèque, la librairie. Chacun
des étages, y compris un sous-sol,
(Pensé samedi
après-midi 20 Janvier 2001 à la FNAC, puis rue d’Alésia, et commencé de
l’écrire au 96, dès notre retour – avant dîner)
est envahi par l’informatique et les
productions de la nouvelle économie ; maladie, nécrose de tout ce qui a
caractérisé les supports d’intelligence et de rédaction d’une civilisation, ou
stade nouveau que celle-ci atteindrait ? Deux de mes problèmes les moins
dissociables de mon existence, le stockage d’archives, leur classement d’une
part et la correction, la réécriture de ce que continuellement je compose sont
réglés : virtuellement. De limite que les mémoires des écritoires, qui
augmentent de capacité à chaque achat d’une nouvelle version de la machine et
du logiciel qu’on y a mis, et que mon attention à ne pas commettre une erreur
de manœuvre. On voit d’ici peu d’années le nouveau métier qui aura été engendré
et que nourriront des besoins exponentiels : la science, ressortissant de
l’archéologie, pour aller rechercher des textes ou des calculs, des données selon
les appellations actuelles, qui seront à gésir virtuellement et que peuvent
seules continuer d’évoquer des manœuvres oubliées sur des modèles dont aura
disparu le mode d’emploi, jusqu’à la logique-même qui régissait tout l’usage de
machines aussi répandues à chaque époque – des époques ne durant que deux ou
trois ans – que la pointe bic, le frigidaire ou l’automobile. Mais, tandis que
la plupart des progrès technologiques vont du simple au complexe, l’invention en informatique va du
compliqué et de l’incommode au plus rapide d’accès et de manipulation, en sorte
qu’il faudra remettre des abits de jungle, s’entrainer aux patiences des ères
sauvages pour retrouver ce qui n’avait pas édité sur du papier, et le papier
relié, numéroté, alphabétisé et archivé sur des rayonnages. Les solutions
apportant des problèmes, si d’aventure on veut sortir du présent et surtout
prendre la direction du passé.
Les deux conseils avaient
trait à l’écriture. Il ne m’était pas dit qu’à tellement écrire sans me donner,
m’imaginer de lecteur ou de
destinataire, et sans garder la conscience d’en avoir un quand
professionnellement j’avais à écrire pour demander ou rendre compte, je
n’écrivais que pour écrire, sans but, sans visée. Réduire le temps, occuper mon
énergie rien qu’en écrivant. Le produit illisible, par construction. De lecture
par personne, de re-lecture à ma discrétion, pas davantage. Le produit
autonome, s’écoulant comme le verbiage d’un fou, se trouvait indépendamment de
tout bon sens et d’un souci de clarté, une grammaire et des ponctuations
propres. Un logiciel d’orthographe, mis en œuvre, bloquait mon écriture en pas
deux pages, puisque je n’obtempérais et continuais selon mon usage de toujours.
On ne me faisait pas querelle de ces phrases latines, m’interloquant moi-même, quand
j’en étais à chercher le sujet et le verbe qui conclurait une accumulation
d’ablatifs absolus et d’infinitifs employés comme noms. Curieusement, cela
devait passer, pour bien moindre obstacle que le contenu, que ce que j’écris à
proprement le considérer. Or, ce que jécris, mieux vaut dire : ce qui est
écrit, censément, par moi ne présente aucun arrêt, ne fidélise absolument pas
d’une ligne à l’autre, encore moins d’une page à l’autre, le lecteur. C’est
bien ma faute, suis-je souvent à admettre, même à écrire à celle que j’aime,
ainsi que naguère à des amis qui m’étaient intimes et chers, je m’épanche et ne
me met nullement face à celle, à celui à qui je m’adresse. Je n’adresse donc
rien qu’une énorme éjection, dont l’origine selon un lieu et un temps, selon
des sentiments à reconstituer, échappe totalement à mon vis-à-vis. La distance,
je l'y mets, et ce que j'écris m’est régulièrement à charge. J'ai été ainsi
écarté d'une des professions les plus écrivantes qui soit, je ne veux pas faire
allusion, ici, au métier d'écrivain, car je ne crois pas que ce soit un métier,
ni un état non plus, c’est un art, dont je ne sais encore s’il s’apprend ou
s’il est de nature, cadeau divin. Jamais encore, je ne me suis organisé pour le
pratiquer et les quelques conseils que je reçois – quand ce n’est pas la
sanction d’un renvoi d’une profession agréable et donnant beaucoup de sujets à
exposer ou élucider sous l’angle d’une perspicacité comptant pourtant moins que
le style et le degré d’épousaille du point de vue a priori du destinataire
qu’est l’administration centrale d’un ministère, surtout quand les
communications sont avec lui protégées. Dépêches diplomatiques, note de
couverture d’un budget annuel réclamant descrédits pour le fonctionnement d’un
poste ou le logement d’un Ambassadeur, alors que je me savais à peine toléré et
conséquemment guetté pour donner prise au prétexte de mon débarquement,
j’écrivais à la longue, exactement comme des lettres d’amour, m’adressant à des
personnes idéales, bienveillantes, douées de patience et adonnées à la
satisfaction de mes plus fortes intuitions, que, comme tout le monde, je suis
fait pour le bonheur, pour attendre la
beauté comme une ultime manifestation et pour goûter la joie aigue et
énorgueillissante d’aimer, car cela dépasse celle d’être aimé, et être aimé ne
comble qu’en tant que c’est la permission chronique, permanente, absolue,
d’aimer. Arrive donc l’autre.
C’est bien ce qui m’est
dit. Vous n’intéressez même si le « moi » est universel. N’écrivez
pas en forme de journal intime, ne
répliquez pas que du journal intime vous en auriez des milliers de pages à
fournir si elles vous étaient demandées, on ne vous les demandera pas, vous ne
vous les demandez pas à vous-mêmes, elles sont comme ces troius de mémoire
qu’une association d’idées vient combler, que vous soyez bien aise de
retrouvailles davantage avec des époques où vous fûtes tout autre qu’à présent,
parce qu’antan vous aviez de l’avenir et qu’aujourd’hui, vous êtes expulsé même
et surtout de votre passé. Détachez-vous de vous-même, conseil de confesseur ou
d’évangile. Oui, mais tant d’autres qui écrivent et ne se vendent que par leur
image, leur histoire et questionnement personnels… ils ont une manière que vous
n’avez pas. Ils écrivent simple : sujet, verbe, complément. Oui, mais cet
auteur-ci, cinq livres en devanture, une critique posant l’artiste en exigence
du mot juste, au travail rapetassé et tenace pour tenir des modèles banaux
s’ils n’étaient contenus dans quelques lignes. Vous achetez le dernier paru des
livres dudit auteur, l’objet est blanc, les pages imprimées attirent plus par
leur blancheur que par les motifs innombrables mais facultatifs que forment les
lettres. Vous lisez un récit dont les trente premières pages laissent attendre,
pour un thème banal, un dénouement tellement prévisible, une histoire d’amour.
Plaqué par la dernière de ses maîtresses, un homme indéfini de physique et de
métier, de lieu de vie sauf qu’il dispose d’un bureau en semaine aux heures
précisément dites de bureau, et en dehors de ces heures d’un appartement
comprenant les pièces les plus usuelles que tous les appartements, pour être
appartement, les ont, et cet homme avoue un âge, avoue un manque et à cet âge
et pour combler ce manque sans trop s’avouer ce que l’un et l’autre produisent
en lui, prend une femme de ménage. Le mot est juste, il prend, et du coup une
phrase, de quelques longues lignes, arrive et tombe bien. Je retrouve cette
matière que je cherche mnémotechniquement dans tout livre censé de fiction,
c’est-à-dire dans tout roman, une certaine perfection d’une phrase donnant
énoncé inhabituellement juste à une idée, une assertion, voire à quelque image.
Peu importe que celle-ci soit rare ou difficile, vécu sans cesse de tous ou
qu’elle témoigne d’une expérience ou d’une acuité, chez l’auteur peu répandues
chez d’autres et surtout chez moi, ou qu’au contraire ce soit une rencontre
parce que ce que je ressens ou ce que j’ai naguère ou il y a quelques secondes
particulièrement éprouvé, reçoit là une expression accomplie. Accomplissante.
Une citation, bref. A retenir, à noter. Un livre idéal et d’une intimité
inatteignable autrement, serait fait de ces citations parce qu’elles sont,
chacune, la matière d’une rencontre, d’une expression reçue et trouvée, reçue
d’un autre, trouvée par moi, préparée par le destin et en des moments,
eux-mêmes enchassés dans le mouvement d’une journée, d’une année, d’un amour,
de mon vieillissement ou de la résurrection de l’espérance. Cette traque, qu’un
livre, qu’un auteur m’en donne la matière, je m’en aperçois soudain avec
bonheur, et les pages suivant ma première prise me rendent dépendants de celui
qui a écrit ce que je lis, ce devient un frfère, une sœur, ce sont des
nourrissiers, des compagnons d’âme. Je note et je vis, ce qui m’est aussi
gratifiant et habituel qu’écrire, qu’écrire de la façon dont j’ai assez dit
qu’elle ne produisait que de l’illisible pour un tiers, un tiers par
construction oublié avec toute la constance de ce que les tiers, tous les tiers
que la vie, la mienne et celle des autres, m’impose.
Non que je veuille devenir
tiers acceptable par d’autres tiers, ou écrivain plutôt que lecteur, d’ailleurs
les deux situations s’interchangent. Je ne veux rien, j’écris sans effort, cela
me calme, me resitue, me réinsère, je ne sais où, le temps ne court plus durant
que j’écris. Alors les conseils sont gratuits, écrivez sur autre chose que
vous. Ce n’est jamais dit comme cela, mais je le comprends ainsi. J’ai
conscience d’avoir de l’entrainement et un instrument. Voilà le conseil des
professionnels de l’écriture, c’est-à-dire de ceux qui vendent de l’écrit. Telle que j’aimais jusqu’à ce que je
comprisse qu’elle ne fut que par accident et peu, très peu de temps, celle que
je croyais, me dit attendre mes lettres, mais elle n’en dépend pas, ce que je
lui écris ne la convertit pas, ne l’atteint pas, du moins ne les sent-elle pas
répétitives, alors même qu’elles le sont. Telle qui m’aime conjecture que trois
lignes chaque deux ou six pages sont exceptionnelles, que la collation vaudrait
la peine. Je
lui propose la saisie informatisée de dix-huit mois de journal intime, celui où
elle ne figure pas, ni une autre qu’elle exècre puisque venue postérieurement à
elle dans le cours chronologique de mon existence, j’ai donné toutes les
marques et preuves d’apparence que je la lui avais préférée. Elle aurait
matière inoffensive pour son exercice de discernement. L’idée m’avait plu et me
glorifia en moi-même seulement, car ce ne fut accepté que
distraitement. Il est vrai qu’elle a autre chose à faire et que me
supporter par correspondance télécopiée ou téléphonée ou in vivo est proprement expropriant et exténuant, seule une femme
peut s’y résigner, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui aient d’aussi grands
défauts et d’aussi grandes qualités. Nous y voilà, presque.
Ecrire autrement sur autre
chose. Oui, mais comment ? La pure imagination me ramène à ce que je vis
ou à ce que j’ai vécu, comme nos rêves apparemement étranges ne sont qu’une
formulation, à peine différente, de nos constantes. J’ai, j’avais de l’imagination,
j’étais doué pour le dessin, mais je fus écarté de ces dons par les cahiers
intimes où je racontais, écrivais, mesurais mon attachement à ce qui étaient
des objets inaccessibles, les jeunes filles pour un jeune homme, car –
littéralement – elles sont d’abord pour elles-mêmes et pas pour lui. Il est
accompli et déjà mûr le peintre qui s’attache à son auto-portrait, des mémoires
auto-biographiques s’entreprennent en fin seulement de parcours, une
photographe a fait sa notoriété en ne présentant que des photographies
d’ells-mêmes à tous âges et dans toute posture, tout dénuement ou toute
extravagance d’une existence qui sembla n’avoir de sens que par cette
redondance, de consistance qu’ainsi. Il faut encore plus de talent et de
distance d’avoir soi dans une œuvre qui aurait soi pour objet, que pour
seulement rédiger ce qui passe par la tête et sous les yeux. Vous n’êtes jamais
devant la réalité, celui qui diagnostique ainsi ma lacune fondatrice et de ma
personnalité et de tous mes échecs, prend la comparaison de la voiture qui
orécède la nôtre sur « l’autoroute du soleil ». C’est un moine
bénédictin, ermite, ou plutôt solitaire depuis vingt-cinq dans un pays
sahélien. Il est venu faire examiner une mauvaise hanche et, selon un souhait
qui se formula parce que je lui en donnais en mesure un débouché, consulta un
confrère dans la conduite des âmes, pour peser avec lui si en solitude il ne
prenait pas des vessies pour des lanternes. Ils parlèrent si tôt métier que son
inquiétude sur lui-même s’évanouit et qu’il pu se consacrer à d’autres plus
nombreuses et bien moindres, celle d’un septuagénaire dépendant de ses
supérieurs au nord et au sud. Si je parviens à bien écrire, j’aurai le savoir
vivre qui m’a jusqu’à présent fait défaut.
Ecrire d’imagination me
fait me répéter, je répète des imaginations, leurs fruits, de mémoire. Ce n’est
pas cela, je copie encore quelque chose. Entreprendre l’exposé des intuitions
que j’ai de l’univers dans toutes ses dimensions, dont celles des
conditionnements du sentiment et de la pensée d’un être humain, faire de la
philosophie, éprouver sans jamais aller à l’anecdote autrement qu’en exemple de
fonctionnement de la machine qui est analogue en tout homme, en tout vivant,
quelle que soit l’époque, oui, ce serait écrire autrement que je ne l’ai fait,
ce serait travailler et ce serait consigner, avancer. Ce serait changer de vie,
quitter mes auto-gestions, ne plus chercher un équilibre à la folie et au
désespoir, tous deux intenables, insupportables, invivables, dans des écritures
qui ne sont pas chiffres mais délassement de mental. Pas pour rien puisqu’ainsi
j’échappe au gouffre, j’oublie ce seuil où culmine l’existence, donc le
mal-être, et qu’il semble plus désirable de franchir pour n’être plus, que ne
serait possible le retour en arrière s’il n’est une réconciliation avec soi et
des retrouvailles joyeuses avec les appétits de la vie et le goût de l’immédiat
menant souvent au goût de l’avenir.
Et je me suis alors
demandé – car, notez-le, tout ce que je viens de considérer et de vous dire
pour vous introduire à ce qui va suivre, maintenant et quelque temps, vint
travailler dans mon esprit et réclamer ma considération réfléchie, dans le seul
moment de passer d’un étage à un autre d’un grand magasin par le moyen de son
escalier roulant – demandé si je ne ferai pas coup double, je n’ai jamais su
choisir, car choisir m’a toujours paru exclure, en examinant par écrit, par
l’écrit des mondes où, par hypothèses, je ne suis pas. Et quel monde dont je
sois plus absent que celui en forme de vie quotidienne, de pensées diverses, de
rencontres ou de solitude, d'une femme qui ne m’a pas encore rencontré, ou qui
m’a déjà quitté. J’ai tant raconté, à moi-même ou en forme de récits encore
plus illisibles qu’un ressassement matinal puis vespéral, ce que produisait une
absence, et ses signes, et jamais cela ne m’a fait accéder à quelque
connaissance supplémentaire d’un autrui nommé et caractérisé et dont je me
rendais compte que je l’avais encore moins atteint quand il y avait présence
mutuelle – qu’est-ce qu’être présent l’un à l’autre, présent en son temps ou à
son temps ? – que je ne l’atteindrai peut-être par supplication
épistolaire ou par méditation des caues
et conséquences de mes naïvetés et autres illusions ou erreurs. L’amour science
aussi exacte que pour les marxistes la gestion d’une société. Des erreurs
produisant des comportements, car des axiomes bien énoncés et correctement
appliqués, que produisent-ils qui soit supérieur au hasard, ou aux
déterminismes dont ke nombre d’entrants et de paramètres est tel que c’est bien
du hasard qu’il s’agit toujours, du moins pratiquement. Différence – à ce que
j’ai cru comprendre – entre la physique et les mathématiques, entre la poésie
et la beauté.
J’écrirai donc sur elles,
quand elles sont sans moi. Avant ou après, ou ne me rencontrant jamais parce
que née des siècles avant moi ou vivant à mes antipodes même si c’est sur le
même palier. Une fillette ravissante rentrait chez elle, c’est-à-dire chez ses
parents, je lui dis la formule de notre civilisation : bonjour ! elle
m’y répondit par le même mot. Nous nous sommes assez rencontrés pour que je
puisse tout imaginer d’elle sans que j’existe autrement qu’en tiers pour elle,
donc sans qu’elle ait d’autres connaissances, si elle en a, qu’une imagination
et peut-être des déductions dont la consignation par écrit, ne peut, de ma
part, être en rien narcissique. Du moins les garde-fous sont multiples, car une
enfant de cet âge, même future femme, ne peut tomber juste sur ce que je crois
de moi et n’arrive pas à rapporter sauf de façon lourde et monotone, partielle
et sans doute fausse, faussante, surtout elle n’a pas la constance de
s’appliquer à un tel exercice. Je ne donne cet exemple que parce qu’un accident
physiologiques aux conséquences peut-être irréversibles, c’est-àç-dire, pour
moi permanentes, et aussi pour celles qui voudraient user de moi selon ce que
toute l’éducation des jeunes filles vise à regarder, et selon ce que toute la
nature des filles jeunes, puis moins jeunes, puis femmes, puis vieilles porte à
désirer, expérimenter, renouveler, perfectionner, puis de l’un à l’autre des
hommes dans une vie féminine à comparer, et peut-être – mais qu’en
sais-je ? – à préférer. Je ne regarde donc plus depuis quelques mois les
femmes de la manière dont elles entraient aupoaravant dans mon champ visuel et
dans celui de ma conscience sexuée : en objet à conquérir. Conquerrai-je
maintenant que je ne pourrai honorer ma victoire. C’est donc bien d’un premier
détachement qu’il s’agit et il va m’aider à entrer dans cet autre univers,
l’univers de l’autre. J’ai tous les choix, généraliser l’univers féminin, ou
raconter la vie des femmes, de toutes les femmes sans moi, y compris de celle
qui me tolère dans sa vie, dans son lit et dans ses finances, et dont l’essentiel
m’échappe, parce que m’échappe le pourquoi de sa persévérance alors que je suis
si peu gratifiant. Et imaginer davantage ce que je n’occupais pas dans la
pensée pensante ou dans la rêverie sexuelle de femmes qui apparemment
cheminaient avec moi, que me remémorer ou reconstituer ce qu’elles pouvaient
bien me trouver qui les attirât, peut-être me donnera une clé et un savoir. Du
savoir formuler et écrire, puisque je serai hors question, et une clé m’étant
soudain remise parce que le point de vue d’autrui, leur point de vue à ces
femmes, dont rétrospectivement autant que dans le moment où nous fûmes, par
proximité, par mélange mutuels, ensemble, me fera peut-être enfin voir
autrement, c’est-à-dire comprendre. Le romanesque aura davantage sa
consistance, au conditionnel passé ou au futur idéal.
Ce ne sera pas pour autant
quitter le mode qui a manqué à mon travail jusqu’à présent. A écrire d’amour, à
pénétrer des esprits et des fonctionnements corporels dont je pensais n’avoir
pas à me soucier puisqu’ils m’étaient acquis d’amour ou parce qu’ils ne
m’intéressaient qu’en truchement d’attendre une autre que celle du moment, je
constate aussitôt que presque tout me manque, aucun des mots n’est adéquat, ou
plutôt tous demandent l’éclaircissement de leur acception. Ces mots – tous –
sont ceux des apparences d’une relation, ceux que dictent une civilisation, une
époque : être ensemble, sortir avec,
tandis que d’autres plus anciens ont perdu, par leur précision, un sens qui
soit contemporain : s’éprendre
ne signifie pas seulement commencer d’aimer, ce verbe introduit la notion de
permission qu’accorde autrui, il suppose bien d’autres épisodes antérieurement.
J’aurai à me débattre avec les mots, après que j’ai échoué – c’est certain –
dans le débat avec les idées, les raisonnements. Peut-être trouverai-je le
moyen terme qui ressortit aux arts plastiques, je partirai de ce qu’une femme
montre d’elle-même, l’image qu’elle donne d’elle-même, à dessein ou malgré
elle, je pourrai longer ces limites et ces rives qui contiennent une identité,
la conscience qu’on en a, que ce soit la conscience qu’elles avaient
d’elles-mêmes quand je les ai regardées et entreprises, ou la conscience
qu’elles me donnaient d’elles à mon insu, en sorte que je m’éveillerai à leur
initiative, convaincu que c’était par une grâce d’un certain au-delà dont nous
ne savons comment il se fait qu’il soit en nous. J’accepte l’aventure sans la
dédier d’avance. Je veux y entrer avec rigueur, je sais que les longitudes et
les latitudes détermineront moins qu’un approfondissement, apparemment sur
place, un parcours qui se resserrera à mesure que je m’enfoncerai et serai
entré. Je crois qu’ainsi j’arriverai et aimerai mieux, c’est-à-dire vraiment,
même s’il n’en est plus temps, le lieu
commun aura fui, et j’aurai garde d’examiner si ce fut ma faute, car cet
exercice-là mené quotidiennement depuis plus de trente ans, a été stérile et ne
m’a pas modifié. Comme si la mort seule faisait le détachement et donc la
lucidité, comme si la physiologie maintenant, accentuait notre cécité jusqu’à
ce que – changée ou abîmée – elle nous émancipe. L’amour et la vie, on y entre
sans savoir, par effraction ; on en est expulsé, on s’en expulse par
erreur ou pour erreur. Ces savoirs sont trop élémentaires pour être vrai, je
n’ai expérimenté que des fausses durées, elles étaient d’apparence, parce que
leur réalité la réalité qui les permettait, je ne me donnais pas la peine, ni
pour objectif, de la rechercher, de la trouver ; elle ne m’importait pas.
Je ne suis nullement à rédiger un testament, je veux profiter de ce que mon
regard change par force – pour quelque temps ? Et voir ce que je n’ai pas
encore vu. Il y faut sans doute quelques images pour que vienne l’ensemble, par
des déductions qui sont le fonctionnement spontané de notre machine intime. Je
poserai ces images premières, je ne copierai qu’elles seules, j’imaginerai la
suite, ou je me rendrai intérieurement assez disponible pour accueillir
suggestions, alternatives et peut-être une réalité : j’attendrai donc,
écrire me fera guetter, je ferai le tour de places immenses, je serai seul et
solitaire, mais pas unique en des lieux jamais vus, mais y étant je pourrai
chercher ce qui n’apparaît pas comme une issue, une ouverture, je laisserai
bruire le vide et commencer ce vibrato
qui précède une arrivée, ou une invite. Au premier plan s’en ajouteront
d’autres, je serai mort ou à rêver, j’écrirai jusqu’à me demander si la
rencontre d’autrui, certes possible, a un sens. Pays inconnu parce que m’étant
laissé au début du voyage et de mon invasion des terres imaginaires, je serai à
espérer qu’en surgissent celles ou ceux que je n’ai pas su connaître,
indépendamment de moi, quand ils s’offraient à échanger et à convoiter avec moi
ce qu’il est heureux de faire, de voir, de croire, de désirer. Je découvrirai
peut-être que rien ni personne n’existe, le cogito
sum est un argument de grammaire. L’existence se prouve par son
irréductibilité, comme Dieu par la résistance à nos souhaits en substituant
l’incommensurable au désiré et en nous enseignant que le plus lointain est le
plus assuré, pourtant rien ne se trouve et ne se développe qu’au présent. Saint
Augustin consacre des dizaines de pages à ce préalable que sont les moments du
temps qu’il n’élucide que d’une manière, ce qui est en manquer beaucoup d’autres.
Je cherche de l’éventuel pour trouver ce qui fut réel et qui m’échappa.
(Paris, au 96,
dimanche 21 Janvier 2001 de 11 heures 30 à 14 heures)
Il est possible que je
sois repris selon ma pente si usée, que je découvre plus aisément autrui que je
ne m’explique moi-même à moi-même et que l’indicible de mon étrangeté à
moi-même, se confirmant ainsi, je fasse de l’analogie de l’étrangeté de
l’autre, moindre que la mienne, puisque je la suggère ou la regarde de son
dehors, la seule voie d’accéder à lui, lui-même me rendant à moi-même juste
assez pour me connaître et me faisant tout ausitôt la grâce – l’amour serait
cela, donc – de m’en extraire pour me faire revenir à ce dehors qui n’est ni
lui ni moi, mais nous. Accessoirement, la langue dans laquelle, selon laquelle
j’écris, a cette perniciosité de n’avoir pas le neutre en genre, en sorte que
l’autre, surtout féminin, sera dit en forme masculine, quand on en veut parler
d’une manière non nominative, mais cette lacune, exceptionnelle dans les
langues européennes fait comprendre en quoi le locuteur féminin, encore moins
que le masculin dans cette espèce-ci, est en manque de mots, de grammaoire,
donc de concepts s’agissant de presque tout ce qu’il a à dire. L’objet de la
recherche ou de la contemplation se dissout moins que l’instrument mental. En
tâtonnant, peut-être pressent-on que le spirituel, situation et mode qui se
passent de mots, est seul apte à prendre le relais, et qu’il donne aussi à
comprendre, au moment il se présente comme seul recours permettant d’aller plus
loin, de continuer dans la connaissance, si peu distincte de l’imagination, au
point où l’on est parvenu, comment fonctionne et ce qu’est la pensée. Il est un
raccourci, objectif, existentiel, mais dont l’emprunt confine au miracle, celui
de l’extase amoureuse dans laquelle le corps et l’âme se transcendant
mutuellement en même temps qu’est procurée une totale, intense et intime union
à l’autre, deviennent, au moins dans la conscience qui est donnée de cette
transcendance, l’univers entier en tous sens et en toute puissance de vie et de
développement. Probablement, à cet endroit, si l’on peut dire, commence la
connaissance.
(Ibidem, 14 heures 40)
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