vendredi 9 août 2013

début de quelque chose - Janvier 2001




















E L L E S          S A N S         M O I



L A      F O R M E      E T      L E      F O N D











Observation sur la création du mythe,
sur la mode esthétique,
sur la parité femme/homme,
sur l’équilibre individuel et la connaissance de soi et d’autrui
par les temps qui courent (peu)
























C’est parti de là, le jour importe peu, mais le moment, le moment est un lieu, on croit que le mot a rapport avec le temps, qu’il en est une partie, la moins définie, ce peut durer des siècles ou bien moins qu’une seconde. Le mot a aussi sa définition en physique. C’est donc un mot commode, il fait réaliser – c’est-à-dire à chaque fois qu’on s’arrête, il fait vivre que le temps est rempli de moments et que le temps n’est humain que quand on trouve où s’y arrêter : c’est alors un moment.

Le moment est un lieu. J’étais sur un escalier roulant, en fait : dans un escalier roulant, puisque les marches sur lesquelles ceux qui s’étaient livrés à la machine, comme moi, n’étaient que du sol se déplaçant artificiellement, les rampes avec leur façon d’être un panneau de chaque côté de ceux qui montaient comme moi, par cet escalier, et aussi deux longs rails de caoutchouc. Y posais-je une main ?

La chose m’est venue ainsi. On dit qu’écrire, c’est bien davantage que penser, en tout cas que ce communément on entend par penser, c’est-à-dire être consciemment spectateur de quelque flux dont on sait qu’il ne vient d’on ne sait où, mais qu’il vient bien de quelque part, ou par quelque moyen le faisant surgir en nous, en nous : où, car les lieux d’un corps humain sont-ils tributaires de la topographie ou d’un schéma idéal censé expliquer comment fonctionne une machine, comment fonctionne une prise de conscience que l’on est soi-même en train de penser. Donc, debout sur une machine me montant d’un niveau à l’autre du grand magasin, et moi-même machine à beaucoup de choses, beaucoup d’expressions, beaucoups d’ingestions, beaucoup de signaux, machine à me fatiguer moi-même biologiquement et mentalement, je me rendis compte que je tenais le sujet. Je me gardais de l’écrire sur le carnet que je porte toujours sur moi ; je dois en avoir maintenant quelques trois cent, toujours le même format, toujours le stylo agraffé à la page libre, toujours la date en haut de page, et puis des giffons ou beaucoup de lignes très posées. C’est la tentative, pas vraiment d’écrire, mais de retenir, j’ai retenu toute ma vie, c’est peut-être ma vie que j’ai retenue,mon envie ou mon savoir de vivre que j’ai retenus. Le sujet est simple, c’est la rencontre de deux conseils généraux, deux «  on-dit », mais qui m’ont été particulièrement et souvent dits, qui opère soudain, dans ce lieu. Je monte d’un rez-de-chaussée où sont les caisses et aussi tout ce qui va avec la photographie, en plus quelques consommables pour l’enregistrement du son ou de la lumière, des lumières et des mouvements, vers deux étages, dont l’un est la vidéo-thèque et la discothèque, et le second, la bibliothèque, la librairie. Chacun des étages, y compris un sous-sol,

(Pensé samedi après-midi 20 Janvier 2001 à la FNAC, puis rue d’Alésia, et commencé de l’écrire au 96, dès notre retour – avant dîner)

est envahi par l’informatique et les productions de la nouvelle économie ; maladie, nécrose de tout ce qui a caractérisé les supports d’intelligence et de rédaction d’une civilisation, ou stade nouveau que celle-ci atteindrait ? Deux de mes problèmes les moins dissociables de mon existence, le stockage d’archives, leur classement d’une part et la correction, la réécriture de ce que continuellement je compose sont réglés : virtuellement. De limite que les mémoires des écritoires, qui augmentent de capacité à chaque achat d’une nouvelle version de la machine et du logiciel qu’on y a mis, et que mon attention à ne pas commettre une erreur de manœuvre. On voit d’ici peu d’années le nouveau métier qui aura été engendré et que nourriront des besoins exponentiels : la science, ressortissant de l’archéologie, pour aller rechercher des textes ou des calculs, des données selon les appellations actuelles, qui seront à gésir virtuellement et que peuvent seules continuer d’évoquer des manœuvres oubliées sur des modèles dont aura disparu le mode d’emploi, jusqu’à la logique-même qui régissait tout l’usage de machines aussi répandues à chaque époque – des époques ne durant que deux ou trois ans – que la pointe bic, le frigidaire ou l’automobile. Mais, tandis que la plupart des progrès technologiques vont du simple au complexe, l’invention en informatique va du compliqué et de l’incommode au plus rapide d’accès et de manipulation, en sorte qu’il faudra remettre des abits de jungle, s’entrainer aux patiences des ères sauvages pour retrouver ce qui n’avait pas édité sur du papier, et le papier relié, numéroté, alphabétisé et archivé sur des rayonnages. Les solutions apportant des problèmes, si d’aventure on veut sortir du présent et surtout prendre la direction du passé.

Les deux conseils avaient trait à l’écriture. Il ne m’était pas dit qu’à tellement écrire sans me donner, m’imaginer  de lecteur ou de destinataire, et sans garder la conscience d’en avoir un quand professionnellement j’avais à écrire pour demander ou rendre compte, je n’écrivais que pour écrire, sans but, sans visée. Réduire le temps, occuper mon énergie rien qu’en écrivant. Le produit illisible, par construction. De lecture par personne, de re-lecture à ma discrétion, pas davantage. Le produit autonome, s’écoulant comme le verbiage d’un fou, se trouvait indépendamment de tout bon sens et d’un souci de clarté, une grammaire et des ponctuations propres. Un logiciel d’orthographe, mis en œuvre, bloquait mon écriture en pas deux pages, puisque je n’obtempérais et continuais selon mon usage de toujours. On ne me faisait pas querelle de ces phrases latines, m’interloquant moi-même, quand j’en étais à chercher le sujet et le verbe qui conclurait une accumulation d’ablatifs absolus et d’infinitifs employés comme noms. Curieusement, cela devait passer, pour bien moindre obstacle que le contenu, que ce que j’écris à proprement le considérer. Or, ce que jécris, mieux vaut dire : ce qui est écrit, censément, par moi ne présente aucun arrêt, ne fidélise absolument pas d’une ligne à l’autre, encore moins d’une page à l’autre, le lecteur. C’est bien ma faute, suis-je souvent à admettre, même à écrire à celle que j’aime, ainsi que naguère à des amis qui m’étaient intimes et chers, je m’épanche et ne me met nullement face à celle, à celui à qui je m’adresse. Je n’adresse donc rien qu’une énorme éjection, dont l’origine selon un lieu et un temps, selon des sentiments à reconstituer, échappe totalement à mon vis-à-vis. La distance, je l'y mets, et ce que j'écris m’est régulièrement à charge. J'ai été ainsi écarté d'une des professions les plus écrivantes qui soit, je ne veux pas faire allusion, ici, au métier d'écrivain, car je ne crois pas que ce soit un métier, ni un état non plus, c’est un art, dont je ne sais encore s’il s’apprend ou s’il est de nature, cadeau divin. Jamais encore, je ne me suis organisé pour le pratiquer et les quelques conseils que je reçois – quand ce n’est pas la sanction d’un renvoi d’une profession agréable et donnant beaucoup de sujets à exposer ou élucider sous l’angle d’une perspicacité comptant pourtant moins que le style et le degré d’épousaille du point de vue a priori du destinataire qu’est l’administration centrale d’un ministère, surtout quand les communications sont avec lui protégées. Dépêches diplomatiques, note de couverture d’un budget annuel réclamant descrédits pour le fonctionnement d’un poste ou le logement d’un Ambassadeur, alors que je me savais à peine toléré et conséquemment guetté pour donner prise au prétexte de mon débarquement, j’écrivais à la longue, exactement comme des lettres d’amour, m’adressant à des personnes idéales, bienveillantes, douées de patience et adonnées à la satisfaction de mes plus fortes intuitions, que, comme tout le monde, je suis fait pour le bonheur, pour attendre la beauté comme une ultime manifestation et pour goûter la joie aigue et énorgueillissante d’aimer, car cela dépasse celle d’être aimé, et être aimé ne comble qu’en tant que c’est la permission chronique, permanente, absolue, d’aimer. Arrive donc l’autre.

C’est bien ce qui m’est dit. Vous n’intéressez même si le « moi » est universel. N’écrivez pas en forme de journal intime, ne répliquez pas que du journal intime vous en auriez des milliers de pages à fournir si elles vous étaient demandées, on ne vous les demandera pas, vous ne vous les demandez pas à vous-mêmes, elles sont comme ces troius de mémoire qu’une association d’idées vient combler, que vous soyez bien aise de retrouvailles davantage avec des époques où vous fûtes tout autre qu’à présent, parce qu’antan vous aviez de l’avenir et qu’aujourd’hui, vous êtes expulsé même et surtout de votre passé. Détachez-vous de vous-même, conseil de confesseur ou d’évangile. Oui, mais tant d’autres qui écrivent et ne se vendent que par leur image, leur histoire et questionnement personnels… ils ont une manière que vous n’avez pas. Ils écrivent simple : sujet, verbe, complément. Oui, mais cet auteur-ci, cinq livres en devanture, une critique posant l’artiste en exigence du mot juste, au travail rapetassé et tenace pour tenir des modèles banaux s’ils n’étaient contenus dans quelques lignes. Vous achetez le dernier paru des livres dudit auteur, l’objet est blanc, les pages imprimées attirent plus par leur blancheur que par les motifs innombrables mais facultatifs que forment les lettres. Vous lisez un récit dont les trente premières pages laissent attendre, pour un thème banal, un dénouement tellement prévisible, une histoire d’amour. Plaqué par la dernière de ses maîtresses, un homme indéfini de physique et de métier, de lieu de vie sauf qu’il dispose d’un bureau en semaine aux heures précisément dites de bureau, et en dehors de ces heures d’un appartement comprenant les pièces les plus usuelles que tous les appartements, pour être appartement, les ont, et cet homme avoue un âge, avoue un manque et à cet âge et pour combler ce manque sans trop s’avouer ce que l’un et l’autre produisent en lui, prend une femme de ménage. Le mot est juste, il prend, et du coup une phrase, de quelques longues lignes, arrive et tombe bien. Je retrouve cette matière que je cherche mnémotechniquement dans tout livre censé de fiction, c’est-à-dire dans tout roman, une certaine perfection d’une phrase donnant énoncé inhabituellement juste à une idée, une assertion, voire à quelque image. Peu importe que celle-ci soit rare ou difficile, vécu sans cesse de tous ou qu’elle témoigne d’une expérience ou d’une acuité, chez l’auteur peu répandues chez d’autres et surtout chez moi, ou qu’au contraire ce soit une rencontre parce que ce que je ressens ou ce que j’ai naguère ou il y a quelques secondes particulièrement éprouvé, reçoit là une expression accomplie. Accomplissante. Une citation, bref. A retenir, à noter. Un livre idéal et d’une intimité inatteignable autrement, serait fait de ces citations parce qu’elles sont, chacune, la matière d’une rencontre, d’une expression reçue et trouvée, reçue d’un autre, trouvée par moi, préparée par le destin et en des moments, eux-mêmes enchassés dans le mouvement d’une journée, d’une année, d’un amour, de mon vieillissement ou de la résurrection de l’espérance. Cette traque, qu’un livre, qu’un auteur m’en donne la matière, je m’en aperçois soudain avec bonheur, et les pages suivant ma première prise me rendent dépendants de celui qui a écrit ce que je lis, ce devient un frfère, une sœur, ce sont des nourrissiers, des compagnons d’âme. Je note et je vis, ce qui m’est aussi gratifiant et habituel qu’écrire, qu’écrire de la façon dont j’ai assez dit qu’elle ne produisait que de l’illisible pour un tiers, un tiers par construction oublié avec toute la constance de ce que les tiers, tous les tiers que la vie, la mienne et celle des autres, m’impose.

Non que je veuille devenir tiers acceptable par d’autres tiers, ou écrivain plutôt que lecteur, d’ailleurs les deux situations s’interchangent. Je ne veux rien, j’écris sans effort, cela me calme, me resitue, me réinsère, je ne sais où, le temps ne court plus durant que j’écris. Alors les conseils sont gratuits, écrivez sur autre chose que vous. Ce n’est jamais dit comme cela, mais je le comprends ainsi. J’ai conscience d’avoir de l’entrainement et un instrument. Voilà le conseil des professionnels de l’écriture, c’est-à-dire de ceux qui vendent de l’écrit.  Telle que j’aimais jusqu’à ce que je comprisse qu’elle ne fut que par accident et peu, très peu de temps, celle que je croyais, me dit attendre mes lettres, mais elle n’en dépend pas, ce que je lui écris ne la convertit pas, ne l’atteint pas, du moins ne les sent-elle pas répétitives, alors même qu’elles le sont. Telle qui m’aime conjecture que trois lignes chaque deux ou six pages sont exceptionnelles, que la collation vaudrait la peine. Je lui propose la saisie informatisée de dix-huit mois de journal intime, celui où elle ne figure pas, ni une autre qu’elle exècre puisque venue postérieurement à elle dans le cours chronologique de mon existence, j’ai donné toutes les marques et preuves d’apparence que je la lui avais préférée. Elle aurait matière inoffensive pour son exercice de discernement. L’idée m’avait plu et me glorifia en moi-même seulement, car ce ne fut accepté que distraitement. Il est vrai qu’elle a autre chose à faire et que me supporter par correspondance télécopiée ou téléphonée ou in vivo est proprement expropriant et exténuant, seule une femme peut s’y résigner, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui aient d’aussi grands défauts et d’aussi grandes qualités. Nous y voilà, presque.


Ecrire autrement sur autre chose. Oui, mais comment ? La pure imagination me ramène à ce que je vis ou à ce que j’ai vécu, comme nos rêves apparemement étranges ne sont qu’une formulation, à peine différente, de nos constantes. J’ai, j’avais de l’imagination, j’étais doué pour le dessin, mais je fus écarté de ces dons par les cahiers intimes où je racontais, écrivais, mesurais mon attachement à ce qui étaient des objets inaccessibles, les jeunes filles pour un jeune homme, car – littéralement – elles sont d’abord pour elles-mêmes et pas pour lui. Il est accompli et déjà mûr le peintre qui s’attache à son auto-portrait, des mémoires auto-biographiques s’entreprennent en fin seulement de parcours, une photographe a fait sa notoriété en ne présentant que des photographies d’ells-mêmes à tous âges et dans toute posture, tout dénuement ou toute extravagance d’une existence qui sembla n’avoir de sens que par cette redondance, de consistance qu’ainsi. Il faut encore plus de talent et de distance d’avoir soi dans une œuvre qui aurait soi pour objet, que pour seulement rédiger ce qui passe par la tête et sous les yeux. Vous n’êtes jamais devant la réalité, celui qui diagnostique ainsi ma lacune fondatrice et de ma personnalité et de tous mes échecs, prend la comparaison de la voiture qui orécède la nôtre sur « l’autoroute du soleil ». C’est un moine bénédictin, ermite, ou plutôt solitaire depuis vingt-cinq dans un pays sahélien. Il est venu faire examiner une mauvaise hanche et, selon un souhait qui se formula parce que je lui en donnais en mesure un débouché, consulta un confrère dans la conduite des âmes, pour peser avec lui si en solitude il ne prenait pas des vessies pour des lanternes. Ils parlèrent si tôt métier que son inquiétude sur lui-même s’évanouit et qu’il pu se consacrer à d’autres plus nombreuses et bien moindres, celle d’un septuagénaire dépendant de ses supérieurs au nord et au sud. Si je parviens à bien écrire, j’aurai le savoir vivre qui m’a jusqu’à présent fait défaut.

Ecrire d’imagination me fait me répéter, je répète des imaginations, leurs fruits, de mémoire. Ce n’est pas cela, je copie encore quelque chose. Entreprendre l’exposé des intuitions que j’ai de l’univers dans toutes ses dimensions, dont celles des conditionnements du sentiment et de la pensée d’un être humain, faire de la philosophie, éprouver sans jamais aller à l’anecdote autrement qu’en exemple de fonctionnement de la machine qui est analogue en tout homme, en tout vivant, quelle que soit l’époque, oui, ce serait écrire autrement que je ne l’ai fait, ce serait travailler et ce serait consigner, avancer. Ce serait changer de vie, quitter mes auto-gestions, ne plus chercher un équilibre à la folie et au désespoir, tous deux intenables, insupportables, invivables, dans des écritures qui ne sont pas chiffres mais délassement de mental. Pas pour rien puisqu’ainsi j’échappe au gouffre, j’oublie ce seuil où culmine l’existence, donc le mal-être, et qu’il semble plus désirable de franchir pour n’être plus, que ne serait possible le retour en arrière s’il n’est une réconciliation avec soi et des retrouvailles joyeuses avec les appétits de la vie et le goût de l’immédiat menant souvent au goût de l’avenir.

Et je me suis alors demandé – car, notez-le, tout ce que je viens de considérer et de vous dire pour vous introduire à ce qui va suivre, maintenant et quelque temps, vint travailler dans mon esprit et réclamer ma considération réfléchie, dans le seul moment de passer d’un étage à un autre d’un grand magasin par le moyen de son escalier roulant – demandé si je ne ferai pas coup double, je n’ai jamais su choisir, car choisir m’a toujours paru exclure, en examinant par écrit, par l’écrit des mondes où, par hypothèses, je ne suis pas. Et quel monde dont je sois plus absent que celui en forme de vie quotidienne, de pensées diverses, de rencontres ou de solitude, d'une femme qui ne m’a pas encore rencontré, ou qui m’a déjà quitté. J’ai tant raconté, à moi-même ou en forme de récits encore plus illisibles qu’un ressassement matinal puis vespéral, ce que produisait une absence, et ses signes, et jamais cela ne m’a fait accéder à quelque connaissance supplémentaire d’un autrui nommé et caractérisé et dont je me rendais compte que je l’avais encore moins atteint quand il y avait présence mutuelle – qu’est-ce qu’être présent l’un à l’autre, présent en son temps ou à son temps ? – que je ne l’atteindrai peut-être par supplication épistolaire ou par méditation  des caues et conséquences de mes naïvetés et autres illusions ou erreurs. L’amour science aussi exacte que pour les marxistes la gestion d’une société. Des erreurs produisant des comportements, car des axiomes bien énoncés et correctement appliqués, que produisent-ils qui soit supérieur au hasard, ou aux déterminismes dont ke nombre d’entrants et de paramètres est tel que c’est bien du hasard qu’il s’agit toujours, du moins pratiquement. Différence – à ce que j’ai cru comprendre – entre la physique et les mathématiques, entre la poésie et la beauté.

J’écrirai donc sur elles, quand elles sont sans moi. Avant ou après, ou ne me rencontrant jamais parce que née des siècles avant moi ou vivant à mes antipodes même si c’est sur le même palier. Une fillette ravissante rentrait chez elle, c’est-à-dire chez ses parents, je lui dis la formule de notre civilisation : bonjour ! elle m’y répondit par le même mot. Nous nous sommes assez rencontrés pour que je puisse tout imaginer d’elle sans que j’existe autrement qu’en tiers pour elle, donc sans qu’elle ait d’autres connaissances, si elle en a, qu’une imagination et peut-être des déductions dont la consignation par écrit, ne peut, de ma part, être en rien narcissique. Du moins les garde-fous sont multiples, car une enfant de cet âge, même future femme, ne peut tomber juste sur ce que je crois de moi et n’arrive pas à rapporter sauf de façon lourde et monotone, partielle et sans doute fausse, faussante, surtout elle n’a pas la constance de s’appliquer à un tel exercice. Je ne donne cet exemple que parce qu’un accident physiologiques aux conséquences peut-être irréversibles, c’est-àç-dire, pour moi permanentes, et aussi pour celles qui voudraient user de moi selon ce que toute l’éducation des jeunes filles vise à regarder, et selon ce que toute la nature des filles jeunes, puis moins jeunes, puis femmes, puis vieilles porte à désirer, expérimenter, renouveler, perfectionner, puis de l’un à l’autre des hommes dans une vie féminine à comparer, et peut-être – mais qu’en sais-je ? – à préférer. Je ne regarde donc plus depuis quelques mois les femmes de la manière dont elles entraient aupoaravant dans mon champ visuel et dans celui de ma conscience sexuée : en objet à conquérir. Conquerrai-je maintenant que je ne pourrai honorer ma victoire. C’est donc bien d’un premier détachement qu’il s’agit et il va m’aider à entrer dans cet autre univers, l’univers de l’autre. J’ai tous les choix, généraliser l’univers féminin, ou raconter la vie des femmes, de toutes les femmes sans moi, y compris de celle qui me tolère dans sa vie, dans son lit et dans ses finances, et dont l’essentiel m’échappe, parce que m’échappe le pourquoi de sa persévérance alors que je suis si peu gratifiant. Et imaginer davantage ce que je n’occupais pas dans la pensée pensante ou dans la rêverie sexuelle de femmes qui apparemment cheminaient avec moi, que me remémorer ou reconstituer ce qu’elles pouvaient bien me trouver qui les attirât, peut-être me donnera une clé et un savoir. Du savoir formuler et écrire, puisque je serai hors question, et une clé m’étant soudain remise parce que le point de vue d’autrui, leur point de vue à ces femmes, dont rétrospectivement autant que dans le moment où nous fûmes, par proximité, par mélange mutuels, ensemble, me fera peut-être enfin voir autrement, c’est-à-dire comprendre. Le romanesque aura davantage sa consistance, au conditionnel passé ou au futur idéal.

Ce ne sera pas pour autant quitter le mode qui a manqué à mon travail jusqu’à présent. A écrire d’amour, à pénétrer des esprits et des fonctionnements corporels dont je pensais n’avoir pas à me soucier puisqu’ils m’étaient acquis d’amour ou parce qu’ils ne m’intéressaient qu’en truchement d’attendre une autre que celle du moment, je constate aussitôt que presque tout me manque, aucun des mots n’est adéquat, ou plutôt tous demandent l’éclaircissement de leur acception. Ces mots – tous – sont ceux des apparences d’une relation, ceux que dictent une civilisation, une époque : être ensemble, sortir avec, tandis que d’autres plus anciens ont perdu, par leur précision, un sens qui soit contemporain : s’éprendre ne signifie pas seulement commencer d’aimer, ce verbe introduit la notion de permission qu’accorde autrui, il suppose bien d’autres épisodes antérieurement. J’aurai à me débattre avec les mots, après que j’ai échoué – c’est certain – dans le débat avec les idées, les raisonnements. Peut-être trouverai-je le moyen terme qui ressortit aux arts plastiques, je partirai de ce qu’une femme montre d’elle-même, l’image qu’elle donne d’elle-même, à dessein ou malgré elle, je pourrai longer ces limites et ces rives qui contiennent une identité, la conscience qu’on en a, que ce soit la conscience qu’elles avaient d’elles-mêmes quand je les ai regardées et entreprises, ou la conscience qu’elles me donnaient d’elles à mon insu, en sorte que je m’éveillerai à leur initiative, convaincu que c’était par une grâce d’un certain au-delà dont nous ne savons comment il se fait qu’il soit en nous. J’accepte l’aventure sans la dédier d’avance. Je veux y entrer avec rigueur, je sais que les longitudes et les latitudes détermineront moins qu’un approfondissement, apparemment sur place, un parcours qui se resserrera à mesure que je m’enfoncerai et serai entré. Je crois qu’ainsi j’arriverai et aimerai mieux, c’est-à-dire vraiment, même s’il n’en est plus temps, le lieu commun aura fui, et j’aurai garde d’examiner si ce fut ma faute, car cet exercice-là mené quotidiennement depuis plus de trente ans, a été stérile et ne m’a pas modifié. Comme si la mort seule faisait le détachement et donc la lucidité, comme si la physiologie maintenant, accentuait notre cécité jusqu’à ce que – changée ou abîmée – elle nous émancipe. L’amour et la vie, on y entre sans savoir, par effraction ; on en est expulsé, on s’en expulse par erreur ou pour erreur. Ces savoirs sont trop élémentaires pour être vrai, je n’ai expérimenté que des fausses durées, elles étaient d’apparence, parce que leur réalité la réalité qui les permettait, je ne me donnais pas la peine, ni pour objectif, de la rechercher, de la trouver ; elle ne m’importait pas. Je ne suis nullement à rédiger un testament, je veux profiter de ce que mon regard change par force – pour quelque temps ? Et voir ce que je n’ai pas encore vu. Il y faut sans doute quelques images pour que vienne l’ensemble, par des déductions qui sont le fonctionnement spontané de notre machine intime. Je poserai ces images premières, je ne copierai qu’elles seules, j’imaginerai la suite, ou je me rendrai intérieurement assez disponible pour accueillir suggestions, alternatives et peut-être une réalité : j’attendrai donc, écrire me fera guetter, je ferai le tour de places immenses, je serai seul et solitaire, mais pas unique en des lieux jamais vus, mais y étant je pourrai chercher ce qui n’apparaît pas comme une issue, une ouverture, je laisserai bruire le vide et commencer ce vibrato qui précède une arrivée, ou une invite. Au premier plan s’en ajouteront d’autres, je serai mort ou à rêver, j’écrirai jusqu’à me demander si la rencontre d’autrui, certes possible, a un sens. Pays inconnu parce que m’étant laissé au début du voyage et de mon invasion des terres imaginaires, je serai à espérer qu’en surgissent celles ou ceux que je n’ai pas su connaître, indépendamment de moi, quand ils s’offraient à échanger et à convoiter avec moi ce qu’il est heureux de faire, de voir, de croire, de désirer. Je découvrirai peut-être que rien ni personne n’existe, le cogito sum est un argument de grammaire. L’existence se prouve par son irréductibilité, comme Dieu par la résistance à nos souhaits en substituant l’incommensurable au désiré et en nous enseignant que le plus lointain est le plus assuré, pourtant rien ne se trouve et ne se développe qu’au présent. Saint Augustin consacre des dizaines de pages à ce préalable que sont les moments du temps qu’il n’élucide que d’une manière, ce qui est en manquer beaucoup d’autres. Je cherche de l’éventuel pour trouver ce qui fut réel et qui m’échappa.

(Paris, au 96, dimanche 21 Janvier 2001 de 11 heures 30 à 14 heures)

Il est possible que je sois repris selon ma pente si usée, que je découvre plus aisément autrui que je ne m’explique moi-même à moi-même et que l’indicible de mon étrangeté à moi-même, se confirmant ainsi, je fasse de l’analogie de l’étrangeté de l’autre, moindre que la mienne, puisque je la suggère ou la regarde de son dehors, la seule voie d’accéder à lui, lui-même me rendant à moi-même juste assez pour me connaître et me faisant tout ausitôt la grâce – l’amour serait cela, donc – de m’en extraire pour me faire revenir à ce dehors qui n’est ni lui ni moi, mais nous. Accessoirement, la langue dans laquelle, selon laquelle j’écris, a cette perniciosité de n’avoir pas le neutre en genre, en sorte que l’autre, surtout féminin, sera dit en forme masculine, quand on en veut parler d’une manière non nominative, mais cette lacune, exceptionnelle dans les langues européennes fait comprendre en quoi le locuteur féminin, encore moins que le masculin dans cette espèce-ci, est en manque de mots, de grammaoire, donc de concepts s’agissant de presque tout ce qu’il a à dire. L’objet de la recherche ou de la contemplation se dissout moins que l’instrument mental. En tâtonnant, peut-être pressent-on que le spirituel, situation et mode qui se passent de mots, est seul apte à prendre le relais, et qu’il donne aussi à comprendre, au moment il se présente comme seul recours permettant d’aller plus loin, de continuer dans la connaissance, si peu distincte de l’imagination, au point où l’on est parvenu, comment fonctionne et ce qu’est la pensée. Il est un raccourci, objectif, existentiel, mais dont l’emprunt confine au miracle, celui de l’extase amoureuse dans laquelle le corps et l’âme se transcendant mutuellement en même temps qu’est procurée une totale, intense et intime union à l’autre, deviennent, au moins dans la conscience qui est donnée de cette transcendance, l’univers entier en tous sens et en toute puissance de vie et de développement. Probablement, à cet endroit, si l’on peut dire, commence la connaissance.

(Ibidem, 14 heures 40)

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