vendredi 23 août 2013

2003 - depuis soixante ans - II



II







Mon grand-père maternel qui avait conduit, trois jours, le train de Pétain sous Verdun : pour lui, Napoléon, Austerlitz et Waterloo étaient à la distance où se trouve pour moi aujourd’hui la Grande Guerre.

Ma génération a connu par ouï-dire l’Occupation mais aussi l’amitié liant manifestement le Général de Gaulle au Chancelier Adenauer ; celle-ci se fit d’un bloc, d’homme à homme, le premier recevant chez lui le second. La génération qui m’a précédé, et celle qui lui avait donné naissance ont connu chacune guerre et occupation, charnellement, alimentairement, mortellement. Redevenant président du Conseil en Novembre 1917, Georges Clemenceau était l’un des seuls parlementaires à l’avoir été déjà à Bordeaux en Février 1871, membre de l’Assemblée Nationale qui ratifia le traité de Francfort et notre défaite.

La génération montante connaît ce monde étrange où l’on revient au mandat sur les Etats du Proche-Orient, tel que la France et la Grande-Bretagne en bénéficièrent au nom de la Société des Nations en 1919-1921. Ce monde où le contenant est ravalé à une partie du tout, puisque la « feuille de route » pour une paix israëlo-palestinienne est le fait – conjointement - des Etats-Unis, de la Russie, de l’Union européenne, et… des Nations Unies, marginalisées ainsi par rapport aux membres de son organisation.

La précédente guerre d’Irak s’est appelée guerre du Golfe ; la présente a été programmée pour se conclure par une prise de possession américaine de l’ensemble de la région n’aura que ce nom - guerre en Irak plutôt même que guerre d'Irak - pour ne pas avouer ce qu’elle fut et ce qu’elle a visé, alors qu’en 1990-1991, un vaste intitulé a couvert une modeste opération : il ne s’agissait censément que de faire rendre gorge à Bagdad du Koweït.

On disait le conflit israëlo-arabe, on dit maintenant – depuis quand ? depuis les accords de Camp David, depuis ceux d’Oslo ? – le conflit israëlo-palestinien. On parlait de processus, on parle à présent de feuille de route.

On a longtemps dit « conscience universelle », on dit maintenant « communauté internationale ». Droit des gens du XVIème au XIXème siècles – étymologie latine – signifiait droit international. A Rhodes, les différentes bâtisses et demeures occupées par les grands ordres militaires, étaient appelées selon les langues, autrement dit les nationalités de l’époque.

On reproche à Pie XII de n’avoir pas (assez) parlé du génocide des Juifs que perpétrait l’Allemagne nazie, ni assez condamné celle-ci [1]. Jean Paul II s’est évertué en 1991 à dénoncer le matérialisme égal, selon lui et l’Eglise catholique, du système soviétique et du dogme libéral américain, et en 2002-2003 à faire que soit évitée l’attaque anglo-américaine en Irak. A-t-il été le moins du monde écoûté ? Qui a fait référence à son attitude de précurseur ? Qui a salué son autorité morale ? Pas même, la fille aînée, etc…

L’arme nucléaire a créé deux souverains, et pas trois. La lutte anti-terroriste couvre l’hégémonie d’une seule puissance. L’extension du Pacte atlantique à un type d’agression de personne à personne, hors le truchement d’un Etat, s’est faite subrepticement, on n'en recherche a date que pour la rétrospection : 1998. Qui se souvient qu’en 1949, la Norvège ou le Portugal faillirent ne pas entrer dans l’Alliance ?

La lettre de huit gouvernants européens – publié par le Times en Février 2003 [2], en prélude à l’ultime tentative américaine que soit donné mandat à l’agression contre l’Irak – fait état, sous la signature espagnole, d’une libération de l’Espagne à la fin de la Seconde guerre mondiale, et sous la signature polonaise d’un refus des Français notamment de mourir pour Dantzig. C’est oublier que Franco est mort dans son lit, reconnu par toutes les puissances occidentales et orientales en Novembre 1974 et non en 1945, et que si Marcel Déat écrivit bien un tel conseil aux Français en Mars 1939, c’est bien l’invasion par Hitler de la Pologne qui fit à la Grande-Bretagne et à la France lui déclarer la guerre.

La génération montante d’aujourd’hui, qui connaît les Etats-Unis comme le pays où se pratique la peine de mort, où ne se ratifient ni le statut de la Cour pénale internationale, ni la convention pour la protection des enfants, ni la prohibition des mines anti-personnel, ni le protocole de Kyoto relatif à la couche d’ozone, est cependant sensible à l’argument selon lequel l’Europe – l’Allemagne ? – doit sa libération à la générosité américaine et aux « boys » débarqués en Juin 1944. Elle ne l’a pourtant pas elle-même vécu. La vie a moins de force que la logique ?

La génération au pouvoir – la mienne – récuse cet argument au motif que si cette intervention américaine avait été certaine à l’automne de 1938 et plus encore à celle de 1939, Hitler n’aurait peut-être pas attaqué. Interrogé par Roosevelt publiquement sur les engagements qu’il prenait ou pas à l’égard de ses voisins de l’époque, Hitler put répondre dans un discours au Reichstag d’une manière si convaincante… que personne ne remarqua que la Pologne ne figurait pas sur sa liste d’amis et protégés. Eluder une question ne force pas la mémoire, répondre de travers, si.

Les deux générations précédant la mienne avaient souvenir d’une précédente intervention américaine dans la guerre et au secours d’agressés, tout aussi tardive – celle de 1917, et bien moins spontanée que provoquée par l’ennemi – et plus encore du déni de ratification du traité de Versailles, laissant à la France notamment l’intégralité de son endettement de guerre envers les Etats-Unis tandis qu’aucune garantie n’était appelable contre un manquement allemand, qu’on réoccupât la Rhénanie fut un casus belli avec les Anglais.

Mais nos trois générations ne peuvent imaginer qu’on déplaise durablement aux Etats-Unis. A Vichy, le Maréchal Pétain se couvrait constamment de l’Amiral Leahy, et fit appel au témoignage de ce dernier, lors de son procès de Juillet-Août 1945. Aujourd’hui, que n’est-on tenté de reprendre place dans une force internationale en Irak, ce n’est affaire que d’habillage. Le 9 Avril 2003, le président de la République française télégraphia ses félicitations au président des Etats-Unis qui venait de prendre Bagdad, à la manière dont un Premier ministre français avait salué en Octobre 1973 le redressement militaire et la contre-attaque d’Israël initialement surpris par l’Egypte qui depuis la guerre des Six jours avait recouvré quelques capacités aériennes.

Tabous… on ne peut comparer le président des Etats-Unis à Hitler, pourquoi ? les rumeurs sur ses traitements en psychologie quand il avait la quarantaine peuvent autant donner à penser que ce qu'on a cru, sans certificats médicaux et bien tard d'Hitler. Mais aujourd'hui, quelle est la puissance la plus menaçante pour la paix du monde, et même la seule menaçante ? Avec dans tous ls pays sans aucune exception des sympathisants avérés, donnant tort à leurs propres gouvernants quand ils contestent ce qui tend à devenir une métropole. Menace pas seulement stratégique et militaire, mais économique, voire climatique. De même qu'on ne peut rapprocher les exactions israëliennes des traitements et massacres subis par les Juifs, durant la dernière guerre ; il est vrai que le compte fait ressortir une énorme différence, mais dans l'espèce américaine et le cas israëlien, il y a l'argument de la vertu. C'est précisément au plus fort de se retenir. La tolérance actuelle, dans le monde, envers les décisions américaines du printemps, n'est pas le fait de calculs sur la plus efficace manière de faire rentrer les Etats-Unis dans le rang international et dans la norme juridique ; elle est celui tout simplement de la peur. On s'est intimement persuadé que la coalition anglo-américaine n'étendra pas ses œuvres ni en Iran ni en Syrie, on s'était persuadé qu'ayant absorbé l'Autriche et les Sudètes, Memel à la rigueur, Hitler serait satisfait… A celui qui dénonce le tabou ou qui dirait officiellement ce genre de comparaison ou d'assimilation, un seul argument - péremptoire - est opposé : ce n'est pas pareil ! Soit…

C’est toujours sur les importations de vins français et de fromages français que tentent de se venger les Etats-Unis. L’intégration européenne a ceci de pratique que depuis plusieurs décennies toute guerre commerciale franco-américaine frapperait sans discernement des alliés indiscutables de l’Amérique, tels que la Grande-Bretagne.

La guerre du poulet entre les Etats-Unis et l’Europe, des langoustes entre la France et le Brésil, celles des fouasses au temps de Pichrocole. L’ « altermondialisme » est né dans les caves de roquefort.

Le sous-marin russe Koursk – 117 hommes à bord – est coulé par un navire compatriote. Pendant les quinze jours d’opérations vives en Irak, au printemps 2003, il meurt davantage d’Américains et de Britanniques par accident que du fait de l’ennemi.

L’objectif « zéro mort » fait que pour l’assaillant qui se donne une telle mesure pour mener sa guerre, chaque mort est une défaite politique et technique, tandis que des dizaines ou des milliers de morts chez l’ennemi ne donnent lieu à aucune numération précise. Dernière version du racisme.

Quelle est la communauté de valeurs entre une Union européenne ayant banni en son sein la peine de mort et son application, et qui fait de cette abolition une des conditions à remplir par tout candidat à l’adhésion, et les Etats-Unis qui la pratiquent, y compris pour les femmes et pour les mineurs au moment des faits ?

Ne serait-ce pas la récurrence d’une communauté blanche universellement colonialiste ?

Sans le communisme – en doctrine contagieuse, et en version soviétique – les puissances européennes auraient-elles décolonisé ? Aussi anti-colonialistes les uns que l’autre, les Etats-Unis et l’Union soviétique voulaient-ils la place des Européens dans le monde ? et cette place dépendait-elle des empires coloniaux constitués par ceux-ci ?

Mon interprète – kazakhe -  au Kazakhstan : n’oubliez pas que les Russes sont des Asiatiques blancs. Mario Soares, tandis qu’il manifestait pour faire pièce à l’alliance entre communistes et militaires au Porugal d’après la dictature, m’a dit que ses compatriotes sont comme lui des Arabes latins.

Bush senior, numéro deux de la C.I.A., avant d’accéder à la vice-présidence puis à la présidence des Etats-Unis. Vladimir Poutine, et avant lui Youri Andropov, patrons du K.G.B. avant de recueillir le pouvoir suprême à Moscou. Tel tyranneau militaire d’Afrique de l’ouest, sa réputation, son service de renseignements : il a été de tous les complots contre ses prédécesseurs tout en les avertissant à temps sauf le jour où il a réussi le sien, et le dernier en date contre lui, il n’est pas exclu qu’il l’ait monté lui-même pour se parer d’une image de garant de l’Occident contre l’instabilité et l’intégrisme dans la région [3].

Hoover – pas le président du moratoire des dettes à la fin des années 1920 et qui fit un triomphe à Pierre Laval en 1931 – mais le directeur du F.B.I. de ces années-là aux années 1970, cinquante ans de dossiers [4].







[1] - Après bien des alarmes et des prières, j’ai jugé qu’une protestation de ma part, non seulement n’aurait bénéficié à personne, mais aurait provoqué les réactions les plus féroces contre les juifs et multiplié les actes de cruauté. Peut-être une protestation solenlle m’aurait apporté les louanges du monde civilisé, mais elle aurait valu aux malheureux juifs une persécution encore plus implacable que celle dont ils souffrent. J’aime les Hébreux, c’est justement parmi eux, le Peuple élu, qu’est venu naître le Rédempteur. Pie XII à don Piero Scavezzi, cité par Robert Serrou, Pie XII (Perrin . 1992) & repris par Jean Sévillia, Historiquement correct (Perrin . 2003)

[2] - ce qui a eu plus de retentissement qu'une première parution dans le Wall Street journal Europe – traduit et publié dans Le Monde du 31 Janvier 2003
[3] - le colonel Maouya Ould Sid Ahmed Taya, en Mauritanie, arrivé par le coup du 17 Décembre 1984 et ayant eu raison avec des concours israëliens et américains, dit-on à Nouakchott, du récent coup des 8 et 9 Juin 2003

[4] - Robert Ludlum a fait de sa mort , presque ausitôt, un roman et la tentative d’un complot des noirs Américains se vengeant d’avoir été chair à canon dans les guerres d’Extrême-Orient : Le manuscrit  Chancellor

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