Yvette DERAY
17 Janvier 1917 + 10 Août 2013
esquisse d’une mémoire
dédiée avec la reconnaissance affectueuse d’Edith et Bertrand Fessard de Foucault,
ma femme et moi,
à « notre » admirable Thérèse,
en remerciements aussi à la présence précieuse d’Isabelle H. et
de Christiane M., chacune si amicale selon son registre
et en dire sommaire pour notre fille qui aima cette très vieille
dame
Ce fut singulier, sauf ce matin. « Bertrand !
la petite dame nous a quittés… »
Avec celle prise par un collègue de
second rang à notre ambassade au Brésil, c’est une photographie de sa fille que
je présente à François Mitterrand en visite officielle au Kazakhstan où
j’officie depuis quinze mois déjà, qui est la meilleure à me représenter aux
côtés du président de la
République. Toutes celles – comme d’ailleurs avec Michel
Jobert – qui ont été prises par des professionnels, l’Est républicain au fort de Joux, au-dessus de Pontarlier, les
officiels pendant les voyages où j’accompagne ou reçois le Président m’ont été,
sous des prétextes divers, refusées ou égarées. Ainsi celle qui devait être
magnifique où chaperonnant Christine Forsne à Dublin, je défile celle-ci à mon
bras devant les deux couples présidentiels, au seuil d’un immense cloître, à la
nuit noire.
Cela commença donc par Marie-Louise Le
Garrec.Ni belle ni laide, ni jeune ni déjà marquée, heureuse selon le regard et
à proportion d’un dévouement constant à son emploi – attachée linguistique dans
nos ambassades en Côte d’Ivoire, au Maroc, en Pologne et donc à l’ouverture de
notre mission à Almaty – quoiqu’à entendre le récit, sa vie était triste et
solitaire, elle était donc de mon équipe. Equipe restreinte. Femme de confiance
et attirante, nous avons dîné plusieurs fois ensemble dans ces débuts : je
ne le fis pas avec d’autres, alors. Chacun n’était qu’à l’hôtel avant d’être
plus ou moins logé. L’ambassadeur que j’étais ne le fut que peu avant son
rappel, j’avais ambitionné l’achat, au besoin en crédit-bail, d’une magnifique
villa à l’almoravide, séparée seulement des monts Staline, culminant à six
mille mètres au-dessus de la ville « père des pommiers », précisément
par un immense verger de pommiers. Cultivée, éclectique – Leyris notamment –
des amitiés masculines mais sans liaisons aux sens habituels quoique divers,
elle était exactement la commensale, la collaboratrice qu’il faut à un
quinquagénaire ayant dans le moment sa propre solitude à administrer et
protéger, et de grosses responsabilités administratives, sinon politiques –
j’avais été accrédité sans instructions que je ne reçus que six mois plus tard,
d’une banalité à faire peur si je m’en étais contenté à la lettre. Libre et
contestataire, mais connaissant l’administration, la nôtre et sachant comment
s’introduire chez un partenaire étranger.
Marie-Louise, exprès et avec sincérité,
ne me parla que peu de sa mère : manifestement, ni entente ni affinité,
orpheline de naissance ou presque. Une mère au caractère difficile qu’elle
accueillit cependant pour une ou deux de ses affectations, peut-être au Maroc
où à son départ fut confié à des autochtones un chat affectionné pour lequel
Yvette Deray payait pension mensuelle trente ans plus tard, ainsi qu’à un autre
couple dans le Berry avec interdiction de passer prendre des nouvelles.
Originale, vive, spectaculaire même dans le bazar de ses locaux au déballage
des arrivages de matériels pédagogiques et culturels par « la
valise », Marie-Louise savait organiser et nous lui avons dû notre premier
réseau à travers un pays grand comme sept fois la France. Elle nous quitta
avec tranquillité juste après le passage du président de la République et ne
revint plus. Cancer de la peau à partir – apparemment – d’un grain de beauté ou
assimilé dans le dos. Sa mère la visita avec une fidélité nouvelle dans sa
dernière clinique en Anjou. Je ne reconstituai que plus tard les débuts d’une
biographie que les dossiers ne donnent pas, en rencontrant une jeune psychiâtre
qui avait été sur le tard une de ses amies. Elle en avait reçu les confidences
d’une adolescence malheureuse : quinze ans quand se remarie sa mère
devenue directrice d’une école maternelle à Versailles, belle position pour la
Bretonne d’origine, grands parents cultivateurs autour de Quimper, parents
postiers, je crois, à Nantes. Elle n’a pas été consultée, et vit sans doute un
drame d’autant que le couple – formé par le
Chasseur français, avec premier rendez-vous sur un parking du côté d’un
camping à Bénodet – la dépayse pour être proche d’Orly, où M. Deray est
douanier. La direcrice d’école se fait mûter, peut-être à un moindre rang à
Savigny… De conversations plus tard avec sa mère, je comprendrai l’austérité
dans laquelle est « élevée » l’enfant puis l’adolescente. Aux
anniversaires, une orange à dessert et le café offert aux voisins…
C’est par une lettre manuscrite maladroitement
que je reçois l’invitation à visiter sa mère, à Chilly-Mazarin. Marie-Louise
m’aurait légué quelques meubles et je suis prié de venir les prendre. Deuxième
étage pour rencontrer en grande banlieue, groupe d’immeubles très modestes mais
pas désagréables, ambiance des avions faisant décor pas antipathique non plus,
une vieille dame très abîmée de hanches et de corps, se déplaçant
difficilement, dans un petit appartement sans décor ni véritables meubles que
quelques armoires et buffets dépareillés. Je commençais, quant à moi, une vie
toute nouvelle sans affectation après mon rappel d’ambassade mais en communauté
de vie et de tout avec celle qui sera ma femme quelques années plus tard et la
mère de notre fille. La relation qui s’établit vite va donc être vécue en
couple, de mon côté. Nous visitons souvent la vieille dame, la traitons au
restaurant chinois voisin et l’emmenons même dîner à Paris : la Coupole. Elle
descend ses deux paliers en crabe, elle a le menton à la poitrine et nous
tentons avant qu’elle ne vieillisse davantage de remédier à ce qui peut l’être
encore à l’époque : prothèse auditive, lunettes adaptées, consultations
pour une double remise en état des hanches. L’obstruction sera complète. Emmenée
aux diverses consultations, docile, elle bâcle les tests d’optique, met à la
poubelle prothèses et lunettes. La chirurgie hésite selon son état général. La
vie d’alors est – pour les visiteurs que nous sommes, qui prenons l’habitude
d’apporter le repas pour la soirée, y compris le vin dont elle prend volontiers
un verre ou deux même – simple, rigoureuse : classement constant,
interminable de papiers de banque et autres factures étalées sur la table de
salle-à-manger et compagnie de deux chats qui mourront successivement
d’enfermement et de tristesse. La vie animale sera quelque temps relayée par
une troupe de perruches venant percher sur le balcon et s’y nourrir, que le
voisinage vigilant forcera notre amie à ne plus accueillir. Ce n’est nullement
la misère, mais un dénuement que serait censé expliquer un déménagement
prédateur, pas d’argenterie, pas vraiment de meubles, le lit est de paille et
son piètement fait davantage étable que chambre à coucher. Pas plus de deux
assiettes ou verres semblables, tout est dépareillé et l’indispensable manque
quoique la « maîtresse de maison » assure que « il y a tout ce
qu’il faut », notamment dans une armoire alsacienne, sise à la
cuisine : ma femme est justement alsacienne, il nous faut un grand moment
et beaucoup d’insistance de la part de notre vieille dame pour assimiler au
meuble traditionnel une armoirette à un battant, du contreplaqué nu. Commande
nous est passée de pantoufles adaptées à des pieds qui semblent
« montés » à l’envers, les talons dans le sens de la marche, et aussi
d’une « boulaté » que nous mettons des semaines à identifier avec une
boule-à-thé, genre d’œuf métallique faisant passoire et où l’on serre du thé en
feuilles.
La conversation est encore possible, pas
inintéressante. Elle ne porte autant dire jamais sur Marie-Louise : mère
et fille ne se voyaient donc pas et ne se connaissaient plus. Honte de la fille
pour sa mère, vivant ainsi que celle-ci vivait ? question de
caractères ? Pourtant et singulièrement, la même indépendance d’esprit et
une tournure plutôt à gauche. Yvette Deray a vibré en 1968, cotisait pour des
pétitions contre la peine de mort et a milité pour sauver de leur exécution des
Africains, au Tchad notamment. Communiste encartée ? syndiquée ? elle
ne nous le précise pas. Pas de bibliothèque. Dans les garages où prendre
possession de ce que Marie-Louise m’aurait léguée, des cartons de livres, je
prends une partie des brochés, les Pléiade
réservés par notre vieille dame, disparus ensuite. Une Volkswagen – de collection par son âge et que, pour les menus
déplacements et des courses, conduisait sur demande un quidam portugais
quelques années encore avant notre fréquentation – aurait intéressé ma femme :
l’auto. partira avec l’amie psychiâtre et son compagnon. Des étagères de
boulanger, des tapis kazakhs que je connais, deux-trois choses encore font le
trajet vers nous. Inopinément des albums de photos. des années 1960, le
remariage, la dureté extrême du visage d’une quinquagénaire brune et sans
élégance ni expression. Une hantise apparaît, la famille, sinon les
ayant-droits. Une nièce institutrice comme son mari, probablement à Vertou en
Loire-Atlantique, mais les couriers reviennent, la mairie ne donne pas
d’adresse, une probable mutation dans les Bouches-du-Rhône, une volonté qu’on
nous dit de ne pas revoir, jamais, une tante détestée. A la suite de
quoi ? Yvette n’est pas avertie de la mort de son frère et n’apprend que
tardivement celle de sa belle-sœur. C’est près d’eux, avec leurs parents,
qu’elle souhaite être inhumée. Des recherches donc et de la nièce et de la tombe
tandis que passent les années. Un état-civil complexe, lacunaire, quand le
dialogue n’est déjà plus physiquement possible.
Il faut une présence et bientôt des
soins. Autre roman, qui ne m’appartient pas et qui continue. La fortune de
cette dame sans famille ni don de s’en faire une de voisinage ou d’amitié, est
la rencontre, par présentation d’une relation dont je ne sais plus bien
l’origine mais qui se retrouve d’une disponibilité précieuse (qu’elle en soit
ici vivement remerciée) pour les obsèques maintenant, d’une Africaine en
déshérence, venue se marier
en France avec un médecin compatriote mais naturalisé, qui ne
tient pas parole. Le vol d’un sac avec les papiers et les passeports ouvre un
autre dossier : celui d’une régularisation en préfecture de Bobigny, pour
laquelle Thérèse a tous les titres. Une nouvelle période s’ouvre qui voit se
constituer désormais une famille d’adoption dont la vieille dame devenue
grabataire en quelques mois et qu’il faut porter de son lit à une chaise, qui
mange encore quelque temps à une table, est le centre si paradoxal. Car sa
gouvernante tellement affectionnée, prend peur en début de cette semaine, quand
elle doit rentrer dans l’appartement et y dormir seule. C’est elle qui a le
secret d’une relation que nous ne pouvons vivre, celle d’une proximité jour et
nuit, où les repères diurnes sont perdus, la chambre éclairée en permanence a
giorno, et le chauffage au maximum en été comme en hiver. Il y a échange
pourtant même s’il faut crier et répéter, sans qu’étonnamment les voisins de
palier ne se plaignent du tonitruement. Il y a tendresse, autant que rebuffades
voire méchancetés. La liberté demeure d’acquiescer, d’ouvrir la bouche,
d’appeler non à l’aide, mais à la présence. « Maman » est souvent
invoquée dont nous ne pouvons savoir si c’est de la chère Thérèse qu’il
s’agit ou de l’ascendante dont nous ne savons rien. Nos passages se font avec
l’un ou l’autre de nos chiens, la vieille dame apprécie leur présence, elle
ressent positivement aussi la venue de notre fille. Le médecin traitant admire
la qualité des soins administrés par Thérèse, la vieille dame plus ingambe
frappait et congédiait tous les personnels dépêchés par de coûteuses
associations.
Deux épisodes ajoutent à cette aventure
singulière d’une totale immobilité physique et peut-être mentale, qui engendre
pourtant des événements. A défaut de la nièce qui dans quelques jours va avoir
confirmation qu’elle hérite d’une tire-lire et d’un appartement à la Nation,
sans avoir jamais voulu revoir une vieille dame dont nous ne savons pourquoi
elle a l’a délibérement ignorée, il y a une belle-fille, à l’existence
malheureuse mais à la raison de survivre très précise. Franc-comtoise, elle
estime que sa belle-mère a spolié son père, l’a fait mourir avant l’âge de
méchanceté et de mauvais traitements. Douanière de père en fille, elle a
également perdu son propre mari, puis leur fils. Pas désagréable mais haineuse,
et la vieille dame le lui rend, qui est surexcitée par sa présence. L’une est
usufruitière, l’autre nu-propriétaire qui a installé un réseau pour être
avertie de la mort tant souhaitée : vengeance et rapport. L’appartement
n’a pas été entretenu depuis son achat : quarante ans peut-être ;
seule – par nécessité vitale pour le maintien en vie de la grande frileuse
qu’est la vieille dame – la chaudière à gaz a été changée. La parente, malgré
elles deux, visite inopinément la grabataire, a les clés jusqu’au jour où, en
l’absence de la gouvernante, elle veut s’assurer que dans le lit ce n’est pas,
selon toutes apparences, un cadavre, elle secoue. Sans pouvoir en faire le
récit, Yvette est dans un état tel au retour de Thérèse que celle-ci comprend.
La menace du parquet fait rendre les clés, un verrou est posé, la vigilance
prend d’autres formes, pour ne pas cesser
Entretemps, à la leçon de choses sur les
régularisations de sans-papiers, même employés durablement et s’acquittant de
tous impôts, et à celle des soins permanents à administrer à une nonagénaire
totalement dépendante, s’en ajoute une troisième. Soudainement, faute de procuration
sur un compte donnée à temps, l’ensemble du système bancaire se bloque,
découverts puis interdits bancaires pour la gouvernante en coincidence avec une
panne de chaudière. La banque, malgré menace d’une
assignation pour non assistance à personne en danger, se refuse à toucher un
compte d’épargne ou d’assurance pour financer la réparation ou l’installation
d’une nouvel appareil : plus de quatre-vingt mille euros disponibles et
interdits. Une année entière entre les
premiers blocages de comptes et la désignation d’une mandataire de justice qui
ne pourra étudier les manquements de la banque principale, mais permettra un
retour à la vie courante. Enième expérience des banques, première d’une mise
sous « protection juridique » à la décision d’un juge des tutelles.
Notre vieille dame nous introduit donc à
tous les sujets. Celui de la mémoire, de la présence aux tiers et à soi-même,
n’est jamais une généralité. Je le sais avec des personnages éminents de notre
vie politique ou avec de mes aïeux, il n’y a que des extrêmes, la rampe lâchée
ou une longévité absolue d’esprit et de corps, et je le vis moi-même avec ces
noms qui ne reviennent qu’avec mon insistance intime déterminée ou ces dates
des années courantes que je ne mémorise plus.
Le temps de la singularité s’affirme
alors : progressivement. Comment s’établit et se nourrit de mille façons
la relation à une personne, fréquentée certes pendant plus de quinze ans, mais
avec laquelle le dialogue explicite a été pauvre puis est vite devenu impossible ?
comment d’un visage creusé par l’enfoncement des chairs, l’absence de
dentition, la quasi-calvitie ressentir cependant la colère ou le sourire,
l’apaisement ou l’anxiété ? comment de membres inférieurs déformés en
totalité, de bras décharnés, de mains et de doigts pour marionnettes de
sorcières ou d’ogresses, eux aussi déformés, tordus, n’exprimant que le
contraire de ce qu’ils furent inimaginablement autrefois, recevoir la douceur
d’une caresse, un toucher produit et qui sont rendus ? c’est un fait.
L’attachement est là, la lueur d’un bonheur presque se perçoit. Pour Thérèse,
ce sont des durées dans la joie et des échanges vrais. Pour nous, ce sont des
témoignages de vie, d’existence et – oui – de personnalité. Yvette, dans son
grand âge et peut-être par son délabrement et sa dépendance physique, est
rentrée dans l’univers le plus humain qui soit, celui des affections, celui de
la mutuelle présence l’un à l’autre.
Nous accompagnons désormais sa
gouvernante, nous répondons autant que possible des éventuels incidents et celle-ci
nous accueille, au nom de la vieille dame, qui a parfois la présence d’esprit
d’être prévenue et de nous attendre, de nous demander… à dormir et à faire
halte quand nous avons tous trois, ou plus souvent ma femme et notre fille en
étape vers Strasbourg, ou moi seul en travaux divers dans les institutions
parisiennes et franciliennes. Matelas dans la chambre d’amis, pomme de la
douche à changer, repas de
plus en plus chaleureux avec Thérèse. Un foyer est né.
Expérience aussi du voisinage, tantôt aux aguets derrière les volets
semi-fermés ou en guette de qui occuperait la place de stationnement marquée au
sol et financé en même temps que l’appartement, tantôt de gentillesse et de
goût pour un mutuel accueil, au minimum. Expérience des histoires d’immeubles,
les déménagements forcés, les séparations, les semi-squatts. Chronique de
l’Afrique subsaharienne par Thérèse et ses amies, celles-ci avec chacune leur
histoire qui ont en point commun la désinvolture du genre masculin, prenant ce
que la jeune fille a à donner puis allant ailleurs. Les emplois d’aide à la
personne, la crainte d’un contrôle quand les papiers ne sont pas encore
demandés ou établis. La piété chrétienne, la fidélité familière avec des rites
et des rapprochements généalogiques ou des adoptions de village, une autre
société que les nôtres, manifestement plus forte, mieux vécue, plus efficace
que les nôtres, mâtinée de l’irresponsabilité masculine très souvent et du
dévouement, de l’intelligence, de la ténacité féminine à un point incompréhensible
pour les tiers que nous sommes. J’apprends, j’ai tout à apprendre. L’Afrique
dite noire où la beauté est l’anthracite pas le bronzage anti-UV et où le bon
sens est la revanche universelle contre la prétention moquée à la dictature. La vieillesse
forçant les dévouements et les amours les plus admirables et inattendus, et en
l’espèce sans les déviations vers la haine que je sens parfois dans d’autres de
ces couples : l’impotent à manier et la névrotiques enchaînée au
grabataire plus par un présent sans alternative que par un passé de couple
révolu. Le relation duelle est ici totalement décapée de toute expression
accessoire. Même d’aveugle à épuisé, le regard le plus direct. On ne sait plus
qui est raison ou cause de vivre. J’ai peu à peu, ainsi, de l’Afrique centrale
à une rue dont je ne sais pourquoi elle est dite « de la Pointe »
admis, puis commencé de comprendre ce cheminement sans mot de « ma »
vieille dame s’étonnant, à une première époque, de ma présence quand je n’ai plus
de point de chute que son propre logement – « est-ce qu’il vous
paye ? » – à l’évidente reconnaissance qu’elle manifeste ensuite pour
la sécurisation que mes séjours, que nos passages lui procurent et d’abord à sa
gouvernante. Une construction se fait à qui il manque cependant
irrémédiablement la conversation de fond que j’eusse aimé avoir avec la
militante, avec l’enseignante, avec la Bretonne finistérienne, avec la
nonagénaire.
Une intelligence certaine de la vie, de
la société sans les compromissions d’une éducation et d’expérience qu’elle
n’eût sans doute jamais. Nudité française, vérité fossile à deux ou trois
générations des actuelles où il n’y avait pas de délibération, mais bon sens
inné et fatalisme pour la conduite de la vie et l’acquiescement à à peu près tout.
Vocation religieuse, montée sur Paris, amours clandestins ou mariage de raison,
rien n’était choisi dans ces vies qui ne se commentaient pas, ne se
cherchaient : tout était supporté, vécu, plutôt bien. Le cœur était caché,
imperceptible, impénétrable sauf accident, sauf vieillesse du genre de notre
vieille amie, mais précisément celle-ci la vécut en quasi-muette. Un peuple,
des gens, une race mentale sans confidence, mais forte et volontaire.
La cotoiement va se terminer, et débute
maintenant la compréhension post mortem,
la plus riche, la plus disponible à la liberté d’inventaire de soi et à
l’admiration de l’inconnu qui domina – pour les tiers et nous les survivants –
cette personnalité : quelques traces en quinze ans de ce qui se reconstituait en
fruste biographie. Nul n’est sa biographie ni son parcours. Nul non plus son
corps, son visage, sa voix. Alors qui sommes nous ? puisque qui
était-elle ? Dans la prière et l’accompagnement maintenant, je crois que
j’en apprendrai un peu. Enfin. Mais je peux m’en passer, au moins pour
l’explicite, puisque l’essentiel fut.
Et comment, à cet instant devenu proche
de la tombe qu’on a ouverte, ne pas penser à vous Marie-Louise ? à vos
cendres que vous avez voulu qu’on disperse et en mer.
c’est votre ami Bertrand –
ainsi que criait à son oreille la fidèle et affectionnée Thérèse
matin du samedi 10 Août 2013
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