mercredi 6 août 2014

poèmes au Brésil - 23 -




Messe

Tandis qu’hier s’avançaient mitrés des hommes déguisés,
qu’avaient applaudi les pauvres et les solennels
à la venue du chef soupçonneux, raide, étonné, entouré,
je te cherchais ange et tes frères,
et du plafond en gerbe de béton ne tombaient que des ailes
celles que tu portais désormais et qui t’enlevaient ailleurs.
La foule était sur pied, la foule murmurait, emplissait
de ses convenances et de ses spectacles la mémoire qui
lui faisait déjà défaut.
Tu étais déjà, pâle, encore rieur de la dernière partie,
Couché en ton dernier corps sur ton dernier lit,
Près des derniers tiens de cette terre-ci,
sans parole, sans regard que tes yeux si fermés,
qu’on pouvait sans doute croire que tu faisais effort
pour les tenir ainsi et que bientôt tu les rouvrirais
et reprendrais le jeu, l’escalade et les rires.

La cathédrale avait ses lumières et son glas,
les prélats et les présidents, les diplomates
ne pouvaient aucune prière, cette église-là
n’avait donc rien à dire
de ceux que nous couchons, de ceux dont nous défaisons
le costume qu’ils avaient passé eux-mêmes,
de ceux dont nous touchons le visage et les paupières
pour les figer au mieux de leur sommeil,
cette église-là, ces dignitaires du sacré
politique et religieux, les cités entremêlées
de ce temps où la vie ne se compte pas
tant qu’elle reste donnée,
n’avaient rien à dire à ma prière.

Un seul, nu et blanc, les bras étendus bien haut
au-dessus des autels et des éclairs des artifices
et des rites, semblait à sa place ignorer tous les autres,
un seul en croix allait dire la messe que je suivrais
de loin,
tandis que demain on va commencer de te porter
par cette campagne, vers cette église
où tu fis tous les gestes de ton enfance,
où tu riais tous les cris et les jeux encore
aujourd’hui si le temps t’avait été laissé.
Les vis et les cachets sont mis,
Toi – tu as su tomber à terre sans qu’on ait
plus tard à t’y descendre, tu as choisi le point de chute,
tu as préféré le dimanche et la pénombre peut-être,
tu avais commencé ce jour-là comme tant d’autres,
tu avais l’allégresse de ne rien préparer,
pas même un adieu, pas même un mot, pas un geste surtout
que ce seul-là qui lia tout.

Les aurores ont leur office,
dans la grisaille du sommeil qui nous quitte à peine,
à des seuils frais, dans des chambres dorées
où le prêtre se prépare et murmure,
on peut aller, tu allais sans doute certaines fois,
se prendre à genoux à regarder quelque chose en nous-mêmes
d’étrange et d’insaisissable,
un souffle frôle les épaules,
un esprit dit des mots écrits depuis longtemps
qui sentent le futur simple,
qui indiquent quelque part ce que nous serons
et ce que nous ferons.
La prière se récite peut-être, mais toi – comme tous les enfants
– que nous fîmes et que nous fûmes peut-être avais-tu
l’oraison distraite, ou bien la tête dans ton coude
comptais-tu les éclairs dans tes yeux
que produisaient la lassitude et l’attente.
La messe se disait, je ne sais si tu la suivais,
je sais que tu n’en avais pas besoin,
si peu de temps te restait que l’éternité
tu n’aurais pas à prendre l’inquiétude
ni la supplication d’ordinaire humaine.

Cette messe-là, demain, tandis qu’on te prendra
comme tu n’aurais jamais imaginé être pris, balancé, emmené
je vais la dire pour toi,
je vais t’y associer, tu viendras à mon bras,
tu auras ta place et ton livre, les genoux nus
et le regard clair que nous aimions tant, tous,
tu regarderas le sacré et les vases, tu écouterasles symboles,
tu verras celui seul qui a quelque chose à nous enseigner,
déjà à relever nos têtes et nos larmes,
toi tu seras déjà l’ange qui à notre épaule passe l’étole
et dans notre cœur souffle les braises de la présence.

Dans le cercle élevé clair du béton qu’on a façonné en gerbe,
je serai seul à la prière d’une messe dont l’heure sera autre,
entre les sièges désertés et habituels, sur les dalles blanches,
à la tombée exacte des trois esprits, je verrai ta vie entière
et j’entendrai tes pas, et la joie de ton rire quand tu m’auras
surpris, clos les yeux de ta main, arrêté ma méditation
et souri simplement d’être avec moi qui n’y pouvais plus croire.
Tu t’en iras mon enfant dans le lointain de l’édifice,
tu m’auras chuchoté quelque chose, comme un signe de te suivre,
tu t’en iras mon enfant et je n’y pourrai rien.          +




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