Messe
Tandis qu’hier
s’avançaient mitrés des hommes déguisés,
qu’avaient applaudi les
pauvres et les solennels
à la venue du chef
soupçonneux, raide, étonné, entouré,
je te cherchais ange et
tes frères,
et du plafond en gerbe de
béton ne tombaient que des ailes
celles que tu portais
désormais et qui t’enlevaient ailleurs.
La foule était sur pied,
la foule murmurait, emplissait
de ses convenances et de
ses spectacles la mémoire qui
lui faisait déjà défaut.
Tu étais déjà, pâle,
encore rieur de la dernière partie,
Couché en ton dernier
corps sur ton dernier lit,
Près des derniers tiens
de cette terre-ci,
sans parole, sans regard
que tes yeux si fermés,
qu’on pouvait sans doute
croire que tu faisais effort
pour les tenir ainsi et
que bientôt tu les rouvrirais
et reprendrais le jeu,
l’escalade et les rires.
La cathédrale avait ses
lumières et son glas,
les prélats et les
présidents, les diplomates
ne pouvaient aucune
prière, cette église-là
n’avait donc rien à dire
de ceux que nous
couchons, de ceux dont nous défaisons
le costume qu’ils avaient
passé eux-mêmes,
de ceux dont nous
touchons le visage et les paupières
pour les figer au mieux
de leur sommeil,
cette église-là, ces
dignitaires du sacré
politique et religieux,
les cités entremêlées
de ce temps où la vie ne
se compte pas
tant qu’elle reste
donnée,
n’avaient rien à dire à
ma prière.
Un seul, nu et blanc, les
bras étendus bien haut
au-dessus des autels et
des éclairs des artifices
et des rites, semblait à
sa place ignorer tous les autres,
un seul en croix allait
dire la messe que je suivrais
de loin,
tandis que demain on va
commencer de te porter
par cette campagne, vers
cette église
où tu fis tous les gestes
de ton enfance,
où tu riais tous les cris
et les jeux encore
aujourd’hui si le temps
t’avait été laissé.
Les vis et les cachets
sont mis,
Toi – tu as su tomber à
terre sans qu’on ait
plus tard à t’y
descendre, tu as choisi le point de chute,
tu as préféré le dimanche
et la pénombre peut-être,
tu avais commencé ce
jour-là comme tant d’autres,
tu avais l’allégresse de
ne rien préparer,
pas même un adieu, pas
même un mot, pas un geste surtout
que ce seul-là qui lia
tout.
Les aurores ont leur
office,
dans la grisaille du
sommeil qui nous quitte à peine,
à des seuils frais, dans
des chambres dorées
où le prêtre se prépare
et murmure,
on peut aller, tu allais
sans doute certaines fois,
se prendre à genoux à
regarder quelque chose en nous-mêmes
d’étrange et
d’insaisissable,
un souffle frôle les
épaules,
un esprit dit des mots
écrits depuis longtemps
qui sentent le futur
simple,
qui indiquent quelque
part ce que nous serons
et ce que nous ferons.
La prière se récite
peut-être, mais toi – comme tous les enfants
– que nous fîmes et que
nous fûmes peut-être avais-tu
l’oraison distraite, ou
bien la tête dans ton coude
comptais-tu les éclairs
dans tes yeux
que produisaient la
lassitude et l’attente.
La messe se disait, je ne
sais si tu la suivais,
je sais que tu n’en avais
pas besoin,
si peu de temps te
restait que l’éternité
tu n’aurais pas à prendre
l’inquiétude
ni la supplication
d’ordinaire humaine.
Cette messe-là, demain,
tandis qu’on te prendra
comme tu n’aurais jamais
imaginé être pris, balancé, emmené
je vais la dire pour toi,
je vais t’y associer, tu
viendras à mon bras,
tu auras ta place et ton
livre, les genoux nus
et le regard clair que
nous aimions tant, tous,
tu regarderas le sacré et
les vases, tu écouterasles symboles,
tu verras celui seul qui
a quelque chose à nous enseigner,
déjà à relever nos têtes
et nos larmes,
toi tu seras déjà l’ange
qui à notre épaule passe l’étole
et dans notre cœur
souffle les braises de la présence.
Dans le cercle élevé
clair du béton qu’on a façonné en gerbe,
je serai seul à la prière
d’une messe dont l’heure sera autre,
entre les sièges désertés
et habituels, sur les dalles blanches,
à la tombée exacte des
trois esprits, je verrai ta vie entière
et j’entendrai tes pas,
et la joie de ton rire quand tu m’auras
surpris, clos les yeux de
ta main, arrêté ma méditation
et souri simplement
d’être avec moi qui n’y pouvais plus croire.
Tu t’en iras mon enfant
dans le lointain de l’édifice,
tu m’auras chuchoté
quelque chose, comme un signe de te suivre,
tu t’en iras mon enfant
et je n’y pourrai rien. +
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