jeudi 31 juillet 2014

poèmes au Brésil - 16 -



                                Ma mort future






O ma mort future, dont je ne sais

ni le nom ni le temps ni la couleur ni la sensation

même de ton étreinte,

fais-toi joyeuse, provoque mon étonnement,

ne dis aucune larme, efface celles des absents

à ce voyage qui n’est – rapporte-t-on de quelle foi ?

– que jamais individuel.



O ma mort, arrange-toi pour n’être jamais celle

des miens, jamais la tuerie lente et étouffante

de l’oubli, débrouille-toi pour n’être que l’entrée

ailleurs et la porte de toutes les retrouvailles,

des conciliations de tout ce que la terre exclut

et fait choisir,

de l’unisson.



O ma mort future ! précipite-moi dans le présent.


                                                                     Brasilia, 1985

mercredi 30 juillet 2014

tenir... comment tient-on ? comment tiennent-elles ? comment tiennent-ils ? comment tient-on ?

poèmes au Brésil - 15 -



Ton habitation en moi


Le matin n’effaçait aucun contour,
le blanc de la nuit ne se défaisait pas,
l’absence avait toujours ses volumes
et le paysage restait celui de la faim,
le jour n’organisait aucun simulacre,
je gardais fermés les yeux
pour continuer ce rêve précis où
tu aurais pu habiter.


Dans les lumières sans origine qui donnent
aux aurores les plus franches couleurs
de l’imaginaire et de l’hésitation,
il me semblait que tous les passés,
tous les passages en moi,
comme les écharpes de la vie,
comme des larmes de l’existence,
les précisions de la présence et de la fusion
venaient s’enrouler  à mon esprit et à ma taille
pour m’assurer que tu continuais d’être.


Je calculais les pas intérieurs du futur,
les pas que nous ferions ensemble
et je meublais ce qu’il faudrait disposer
pour lutter à la naissance la déception,
à la mort les larmes de l’instant perdu,
je supputais tout ce qui ne serait pas idéal,
je savais la fête et ses annonces,
je avais la dislocation des retours,
je voulais l’éternité de la joie qui a
d’autres noms pour nous, l’étincelle
cueillie, le visage qui précède tout,
j’entendais les mots et les mains, les
sensations comme une palpitation lourde de
nos cœurs en désir, je tentais d’avance
que les murailles soient définitives
qui retiendraient l’eau du bonheur,
qui borderaient le fleuve initié par ta venue.

Je croyais ces matins qui n’effaçaient rien
à ton habitation en moi de corps et de volonté
car ta présence me bat plus vrai que le cœur.




vies d'autres

vies d'autres

mardi 29 juillet 2014

vies d'autres

poèmes au Brésil - 14 -




La ville que nous partageons


Dans ta ville d’aubes au soleil rapide,
par les pelouses et les avenues du matin
qui a rompu les présences, fermé les portes
entrouvertes la veille, laissé le lit
à ton seul corps qui pelotonné et mat
ne s’étire plus que pour soi,
dans ta ville étrangère où je ne sais
aucun des lieux où s’asseoir et penser encore
à toi,
j’ai dû fuir dès le lendemain,
comme convenu, sans la goutte du sourire,
sans la lumière de ta bouche,
sans la certitude de ton front,
avec à la pensée la seule répétition
que nous étions unis, et que nous ne le serions
plus dès maintenant.

Le petit matin d’un même mercredi était coupant
comme l’heure qui décidait mon lever, les vêtements
réunis en apparence de mon corps,
l’hésitation que j’eus,
songeant à toi te rendormant et le retour
à ton lit que tu m’avais ouvert,
le retour à un baiser que tu pris, visage soulevé,
et à ton corps sans un mot,
sans un avertissement qui s’ouvrit
comme jamais plus dans mon souvenir.

Il y avait eu les épis d’or de tes cuisses,
au dernier moment quand il ne faut plus que
répondre à la précision de cette joie savante
que nous avions alors à cet instant et
cet aveu que tu fis, je ne sais quand,  quand
en toi et immobile, tous deux formant l’étoile
primordiale à la plage du lit qui semblait
immense puisque nous le prenions de la tête aux pieds
et que faisait ton visage aux yeux clos et au front
de noire lumière, un soleil consentant et sombre
qui irradiait dans toute l’heure nocturne
une densité de bonheur et de certitude
de notre accord que je n’avais plus su
depuis bien loin : c’était la prévision réalsiée,
mais serait-ce la prophétie ?

La nuit avait été sans que j’en compte les minutes,
sans que je retourne de la main la preuve par ton corps
et le mien que je ne rêvais pas,
j’avais dormi comme toi,
comme si la décision était le nouveau regard
jumeau de celui de la veille, disant le
même émerveillement et le même sourire,
l’assurance donc que le feu ne serait pas cendre,
et que la tranquillité pouvait commencer,
mais dans ta ville il me fallait te quitter,
il me fallait seulement supputer ce qui en moi
allait porter ta trace, ta cicatrice,
il me fallait seulement jouir de la certitude
de t’avoir rencontrée et ne mesurer en rien
aucune attente. Je ne savais pas de science ni
de parole que ce matin était le vrai chemin,
je pouvais tout croire mais la sagesse intérieure
ne me faisait rien espérer. Je balançais
dans les aubes de ta ville, dans les mouvements
vifs du soleil aux bâtiments immenses de temps sans nuits
la précision de l’instant qui m’était donné,
l’instant où j’apprenais que je t’aimais,
l’instant si fort
que tu me donnais encore la grâce
de ne pas me demander si toi aussi…
et tes réponses auraient la tendresse
avant même les questions,
et à ton tour et depuis
tu as fui les lieux et les jours,
les prétextes et les avances,
le calendrier trouble des retrouvailles
avec d’autres
que tu m’avais dits en préambule de notre
histoire,
à peine pouvais-je le considérer,
puisque tout commençait de ce qui me semblait impérieux
depuis les répliques de l’orage,
car ce soir public en bleu et lointaine
tu avais franchi les commensaux et les froideurs
pour examiner les phrases et ne pas repousser
les chaises écartées, ma main à ton épaule, comme le signe que prochainement tu voudrais bien.

Tu m’as parlé d’unité, mais pas de ceux qui
te la donnent,
tu m’as parlé de vie et de bonheur mais pas au présent,
je t’ai vue rire à un autre qui te téléphonait
mais n’était plus rien pour toi,
je t’ai vue penchée sur moi qui t’embrassais les genoux
prendre à deux mains mon visage et ma prière
et murmurer qu’ils seraient inutiles.

Par la ville que nous partageons sans jamais nous croiser,
il me vient souvent d’aller à tes fenêtres et
de compter les lumières et les étages et les pas
que tu fais de ton lit à la salle d’eau pour fermer
les persiennes et faire dans la chambre que je connus
l’épaisseur du soir à goûter,
et dans la ville qui est tienne, dans l’immeuble où
tu es, il n’y aura plus pour ma ressource que l’anxiété
de n’être ni vu ni nterrogé ni aimé de toi surgie
si j’y pose, en fente de porte et en timidité définitive,
la supplique de nous tous,
les simples mots de l’appel.

                                                                                           Brasilia, janvier 1985

lundi 28 juillet 2014

poèmes au Brésil - 13 -




Ce soir, glisser dans un sourire


Ah ! ce soir glisser dans un sourire
que tu sois vieille ou jeune,
je veux dire vieille de huit jours déjà d’amour,
ou jeune de nos dix ans de saveur,
glisser ensemble dans l’étui de notre science,
dans la coulée de nos connaissances et de nos consentements,
glisser dans un sourire comme on se laisse aller dans
les courants à préférer la noyade, le tournis, le
vertige,


ah ! l’immédiateté du sommeil pour te revoir
rêve précis de mon enfance qui dort sous ce toit d’homme,
corps et ventre et seins et mains et cheveux de femme,
sans description, sans presque d’odeur,
sans forme véritable que le murmure de l’océan
quand il arrange sa vague jusqu’à prendre la couleur
de cette grève qu’on nomme là-bas la plage
et ici l’immensité unie
quand les amants ainsi redevenus
s’entreregardent sans ouvrir les yeux ni la lampe
et que les mains errent et effleurent,
que les reliefs sont des passages,
que les paroles sont des retours
et que le souffle de la nuit ne vient pas du dehors
mais du sommeil qui se prépare et borde encore
le rêve que nous souhaitions et qui fut
par ce sourire de toi dont à présent
je fais mémoire, puis provision, enfin écho.

Ah ! ce soir, penser c’est forcer ta présence.

dimanche 27 juillet 2014

vies d'autres

poèmes au Brésil - 12 -



Vierge de moi


Je t’ai connue vierge de moi,
je t’ai connue d’intuition, de sûre tombée
la fois prochaine que tu reviendrais,
que le palier s’ouvrirait à ton nom,
que mes bras te prendraient sur le seuil,
et que tu fondrais comme la nature le veut.

Je t’ai connue je crois bien vierge de moi,
déjà philosophe quand je me dépitais de
ne pouvoir une seconde fois tout de suite
te saisir. Il y eut les places d’Athènes,
celles qui ressemblent à Paris, et celles
uniques d’où l’on voit la mer, le Pirée et l’
Acropole comme un bateau pointant vers le large
qui est Salamine, je t’ai connue toujours m’
interrogeant, me mandant, me ressuscitant.

J’ai connu ta langue qui chante et qui épèle,
qui m’expliquait ton pays, j’ai connu ta langue
qui léchait le commun de nous deux, qui s’affairait
et souriait toute seule de ce que je ne pouvais
pas voir.
Tu rêvais de me faire parler, de me faire
crier, je rêvais de grands temps avec toi. Tu
m’exorcisais de tes prédictions quand  je serai
dans l’autre continent. Tu téléphonais, tu
vivais et tu dormais de l’autre côté de l’Acropole
comme un bateau, retenue à une ancre invisible,
tu avais ton petit garçon à la main le soir des
adieux, il portait un béret immense, il était en
bleu et la nuit qui venait, la dernière d’Athènes
l’an passé avait la même couleur profonde des
manteaux d’hiver. Tu ne bondirais plus qu’à mes
lettres, tu te convaincrais que j’étais parti de cœur
bien plus que de distance, tu me raconterais les
bancs du énième procès de ta vie finie avec K.,
et l’attente dans les salles où autrefois comme à
notre presque premier anniversaire –
maintenant – en triste et
automatique écho de toi, de ton désespoir profond dont
je t’avais un temps tirée,
tu rencontres l’amant et la future sueur des mots et
de l’amour quand les ports sont noires ?
du souvenir refusé.

Je t’ai connue encore vierge de moi,
le bonheur me disais-tu
c’était moi en m’enfonçant en toi,
je te connaissais vierge au cou de faon,
vierge au front bombé, bouclé d’adolescent
boudeur et ambigu,
je t’ai connue dans le défi et dans la joie,
le défi que tu ne me disais pas et qui
jouait notre fils suivant mon regard et
la nuit peut-être que tu passerais à mon lit,
la joie clandestine de l’île familiale
et le corps olivâtre de la pénombre
qui avait tourné le plus intimes de ses courbes
et de ses invites sombres vers le regard
que tu sollicitais tandis qu’à genoux, loin de
mon visage mais bouche à mon désir,
tu commentais pas à pas, lèvre à lèvre,
le sacrement que nous fabriquions dans l’instant,
c’étaient les siestes adultères,
les minutes de complicité,
le berceau d’un amour que nous cachions à tout le onde
pour mieux nous le dire.

Je te sais encore vierge de moi,
têtue, livide, pudique, simple et désespérée
quand tu n’as ni trente ans
ni trente mémoires,
quand l’enfant à la main qui n’est pas le mien
tu vas par la ville jusqu’à nos lieux
jusqu’à ce que tu me récitais des nuits d’hiver
et des soirs d’été
et les premières aubes où tu vins,
insecte rouge que grandissait la motocyclette
à travers les sentiers et la poussière
que j’imaginais du matin de la Pnyx à l’Agora,
de Monastiraki à Sografou,
je t’ouvrais nu et tu t’ouvrais nue,
et dans les draps de mon sommeil nous pleurions parfois
du parfait accord qui ne s’éprouve qu’à deux.


Je te sais loin à ces heures où tu dois feindre
le sommeil, le travail, parce que c’est la nuit et l’emploi,
tu vis automatiquement et ta vie est d’apparence
de ton existence. Tu n’écris plus pour moi,
peut-être pour un autre,
tu es redevenue vierge de moi
puisque tu m’attends d’une autre façon qui
n’est pas forcément un autre que moi.









samedi 26 juillet 2014

poèmes au Brésil - 11 -




Paraphrase de l’unité



Comme ceux qui, dans la danse adolescente,
s’émeuvent et sont heureux par la seule pensée
qu’ils ont chacun le regard au loin par l’épaule
de l’autre, du bonheur, tendres par la seule
sensation de la tendresse, silencieux par la
seule rumeur d’une musique liquéfiant les gestes
et les voix dans un même scintillement qui s’arrête
trop tôt,
ainsi le fantasme féminin des deux sexes en elle,
jouant entre eux à travers d’elle qui les y a
introduits de sa main des fesses à son ventre,
ou cet autre de contempler l’amant qu’elle a
trouver  la grimace de la joie dans l’étreinte
d’une autre qu’elle lui apporte ou lui permet,
ainsi les courses miennes et de bien de mes frères
de confidence vers des facilités et des surprises
organisées par un hasard docile et des acceptations
vite évidentes,


l’homme et la femme liés seulement par leurs
mains quand ils ont quitté le paradis maternel
ou divin, ont chacun à leur façon ou suivant leur
nature, leur vocabulaire, le dessin imprimé
en leur tête – d’histoire ou d’imagination,
d’en haut ou de leur âme - ,
toutes les images des miroirs multiples et
réfléchissants,
Que ni homme ni femme ne croit l’autre
volage ou uni,
ils ont leur ressemblance dans la liberté qu’ils
nomment tentation, dans la proposition qu’ils
éludent plus facilement s’ils sont femme,
moins aisément s’ils sont homme, et encore
les vocabulaires et les natures ne sont pas ceux
du corps, mais d’une identité autre.

Pourtant ce qui passe dans les airs ainsi
est l’envers de la lumière,
car si cet homme et cette femme  ne se savent
tels, homme et femme , que leurs mains jointes
pour la marche au vif soleil et la montée
aux nuits fraternelles,
c’est bien qu’en eux ils portent – vraie croix  –
la difficulté mais l’inexpiable nostalgie
de l’unité dont ils sont pour chacun le moyen
cardinal.
Au-dedans des mille et mille tabernacles
n’attend et ne resplendira qu’un seul sacrement.

Ils passent les instants et les regards et la
dispersion qu’ils font, ils passent les autres
qui se ressemblent,  nous ressemblent,
elle passe même la curiosité du dévoilement :
l’unité achevée et voulue bribe à bribe n’avait
à craindre que le souvenir des autres unités
qui ne furent plus.




vies d'autres




Samedi 26 Juillet 2014

A la poste de mon village. Une fillette, deux ans maximum, la clé de contact qui a sa pointe, de la voiture de sa mère. Celle-ci certainement un bau corps mais sans ostentation, pureté de la naissance des aisselles et de celle des seins, robe sans manche et échancrée, sa fille, Louise, les mêmes yeux clairs. J’ai dit : il faudrait maintenant un garçon. J’avais fait rentrer la clé de contact, dit que des leçons d conduite sont possibles dès que les pieds peuvent toucher les pédales. Elle était à l’aise. Elle sort, entre une autre jeune mère, exactement de son âge, habillée autrement, couleurs vives, façon sacs ou robes Cellio ? assez géométriques, et elle a un garçon, mais moins beau, tâches ou boutons ou peau abîmée au front. – Toujours à la poste, droite, jeune, bien moins que la trentaine, la robe sans ajustement tombant juste pour habiller, bleu pas foncé, lunettes aux branches assorties à la couleur de cheveux d’un joli brun, pas sombre, pas mordoré, uni, sans reflet. Toute la beauté est un coiffure apparemment négligée mais combinant une semi-chigon au haut de l’occiput, en train de se défaire, une reprise un peu plus bas, et une jolie mèche ornant la nuque qui est blanche, droite et jolie. J’ai félicité et décrit ce que je voyais. Cela a plu.

Caisse de l’une de mes grandes surfaces habituelles. L’hôtesse – là depuis Mai – en transition, mais étudie le chinois à l’université de Rennes, et devant avoir un autre diplôme, en fait un de cinéma. Elle me dit que le chinois est plus facile que le japonais : j’aurai cru l contraire. Elle a un visage tellement banal qu’il faut remarquer qu’elle n’a aucune ride, aucun trait d’expression, le regard est faïence, tranquille, elle est heureuse de mes félicitations.

vendredi 25 juillet 2014

poèmes au Brésil - 10 -




Hymne à l’épousée


Aux heures des moines, à celle encore de
la lune qui va des eaux aux montagnes,
quand d’autres courent des chambres et des
balcons par les couleurs de la prière déjà
jusqu’à une commune église,
je vais – moi –
des souvenirs qui ne furent pas toi aux
mille images qui précédèrent ma décision
et déjà étaient notre amour,
je vais – moi – du lit où tu n’es pas encore
au futur antérieur que tu habiteras,
aux espaces que tu combleras, à la silhouette
tienne – nôtre par mon désir – que tu as
introduite dans ma vie, à la porte que tu
refermeras du petit matin, à l’hymne que
tu placeras en mes lèvres,
je vais – moi –
te portant en mon rêve, en mon attente,
en ma décision de t’épouser comme l’enfant
ou le moine courant dans la nuit pour n’arriver
pas en retard à l’office toujours singulier
qui commence aux bougies, qui commence dans
le silence et le murmure, qui s’élèvera seulement
vers l’aurore en la certitude chantée et claire
que demain a commencé.

Toute prière a le grain des journées et des nuits
qui l’ont préparée, qui ont fait pousser dans le
cœur de l’enfant chrétien le geste et l’envie
de hausser la tête et l’esprit, de danser vers
des cieux qui ne sont plus imaginaires
depuis que l’incarnation ou la foi les ont ouverts.
La caresse a la même ferveur, elle se rassemble
des mêmes goûts, de la même sensation pointant
dans l’âme de l’amant la rosée qui aux lèvres
humecte déjà le désir, le don, l’élan des bras
vers l’épousée, celle tout à l’heure qui du seuil des
portes au dehors au seuil  à l’étage sera à bout
de corps, blanche et sommeilleuse, nue pas encore,
portée de marche en marche dans la procession de
toutes  qui la précédèrent et marquèrent sa future
ressemblance.

Il est en est qui partent, d’autres qui restent
l’anticiper, l’avoir vu avant est ma tristesse.
Immense le cortège des instants qui ont précédé
si jumeaux dans mon souvenir mais que le présent
doit couper s’il est magique.
Car elles furent nombre ces odeurs de l’attente,
ces anticipations du répons quand tour à tour
les saisons de mon enfance m’apportaient des
grands parcs d’automne aux fourrés de l’autre
printemps le sourire blond de tel fleuve du nord,
le front de moire des montagnes à notre est,
et qu’avec elle ou elle ou elle encore je
marchais dans ma ville, je marchais dans l’avenir
ne sachant déjà ni compter ni continuer et parfois
voilà des lambeaux de moi s’effilochaient à des
vents que désormais je serais seul à entendre.
J’ai su plus tard l’épaisseur et la densité
des sentiments de tes sœurs quand elles aiment
et passent au cou de l’homme – celui de leur
première fois ou celui de leur nouvelle et décisive
consolation
-         des bras nus et que dans le sourire qu’elles
allument parce qu’ elles ont déjà consenti et que
l’apparence en commence et que glisse la chemise
et la rivière du lit qui se fait à couler
blanc dans la nuit, qu’ils sont parfois hauts
ces lits des premiers instants où les corps
doivent s’épeler pour être sûrs de ne pas se
tromper de chemin ni de science.
J’ai appris de telles choses, qui amenaient
des plages et des oiseaux, des volets d’aube,
des mers du nord quand la promenade et le sable
impriment bien autrement le souvenir de l’amour,
que la vie se raconte et que l’histoire de l’une
devient la mienne et que je n’ai cette nouvelle
fois qu’à raconter les anciennes.
Tout n’eût été que rien si la durée n’avait
roulé son granite à la plage qui était toujours
vierge.
                     Elles se croient semblables
les images quand elles figurent
le corps inversé de l’extase,
l’interrogation éternelle à
                      l’amant une fois donnés tous
les fruits et la salle rallumée
et la dubitation initiée
car le rire et le sourire et
nos joies
n’ont que l’habit des premières
fois. Vient très vite la vie

J’ai repoussé les réponses croyant de ce pied
ajouter beaucoup aux instants, beaucoup du futur.
Je croyais aux arrangements et aux combinaisons
de la fée, du soleil, de l’oubli, à quelque
maladie changeant les visages s’il le faudrait
et je courais dans les champs et parmi mille fleurs.
J’ai accumulé des vies que je n’achevais pas
et j’ai dit des paroles que je ne tenais que
dans un rêve que d’autres auraient combiné,
vécu pour moi. J’ai superposé et cumulé toutes
les espérances, toutes les routes, croisé
tous les chemins, noué toutes les herbes qui
donnent au soleil passant le signe des
accueils. Je n’étais pas multiple, la couche
était la même et es pleurs au ventre ouvert
étaient de semblable eau de la reconnaissance.
Pourtant, parfois, venait une qui était seule,
parce qu’elle avait autrement commencé, elle
n’exigeait que moi, tolérait d’abord tous les
alentours pourvu qu’à cet instant de l’étreinte
qui était le propos du discours, son anthologie
nous ne fûmes qu’un.
Elle prophétisait un mariage et son départ,
S’épouvantait du désert entraperçu,
brûlant et rêche, consacré involontaire,
rien que de l’envisager comme le bout de
ma route.
Elle m’en faisait oublier – de toi seule qui
devenait l’autre vie, l’arc dressé en face
de toute alternative – celles qui avaient
l’âge de ma vie et de mes premiers sentiments,
des habitudes prises de la tendresse et de
ce que tous appellent l’amour. J’ai retrouvé
alors l’autre état, celui de l’homme qui craint
l’amant, qui rejette la part de lui-même trop
pesante pour une âme qui n’aurait pas encore
choisi son corps. J’ai connu cet état où les
couleurs et la beauté perdent leur puissance,
où le village si beau d’hier dans ses hauteurs
et ses falaises quand les autres rentrent
des filets et des poissons et que l’on attend
de là-bas et de là-haut.
Chaque pays a sa pêche, ses lumières du crépuscule
qui passent au cap et surgissent dans la nuit
maintenant pour rappeler la ligne de l’horizon
qu’on ne verra plus que demain.
Du continent à l’autre, de peuple en peuple,
Je vivais la même histoire en des mots différents
et dans cette île quatre fois identique
où j’avais rêvé d’aurores de chair sur le marbre
laissé par des siècles après une dernière découpe,
je me trouvais à de aurores que j’attendais
au seuil de chambre où l’on dormait et où je
ne rejoindrai celle qui aimait mon étreinte et
la galopade adolescente, qu’au matin pour lui
dire des aveux durs. Je saurais les effacer
comme je savais, je croyais savoir annuler des
vies ainsi qu’on frotte au tableau une image et en
dessiner une autre. Le sable se creusait
bien après d’un corps que l’obscurité et l’heure
du bateau avaient liquéfié, on tombait après le
soleil, les mains accrochées à la hâte d’une
jouissance qui ne manquerait plus jamais.
Elle avait le front bombé, enfantin, têtu,
décisif et proposa le mariage autrement.

La décision est la fin enfin de la tentation,
mais il n’est d’offrande et de séduction que
l’autre possible, et la vie différente qui à
ce chemin-ci commencerait si je le prends
est le gouffre de la volonté qui se choisirait
une âme autre.
J’ai frôlé ces précipices toute l’existence
qui m’est faite et longerai encore de tels
abysses, je le sais.
Le mariage est à côté un feu,
où s’engloutissent et se fondent les images
et les vérités, où devrait prendre sens et forme
la consécration aisée de chaque jour
quand l’habit a revêtu son épée. De cela, je me
munissais en songe quand revenu à la solitude
après les départs des pleurs ou de l’exigence,
je méditais ce qui m’était dit ou ce que j’
avais vu.
Faut-il ne pas trop voir, ne pas sentir du tout
pour ne pas aimer, ne pas prendre le risque d’autres ?
Le métal ne m’enserra qu’avec le temps
et je crus un jour
que la course s’arrêterait, car chacune
me voyait nu et d’un regard semblable.
J’étais – elles le savaient – inerte et
le plaisir même finirait ; la cathédrale qui s’écroulait
bruissait de toutes les  vies, de tous les chants
et aucun, aucune ne pouvait s’appliquer à l’
espace du ciel qui attend son vitrail.

L’instant du haut à la mer, de la dernière
respiration en ce monde à la première
sur l’autre terre, le brouillard qui d’un
coup de rideau révèle la montagne ou la plaine,
la jeune fille brune qui se donne quand on
avait déjà accepté de repartir avant minuit
et renoué la montre au poignet,
l’imprévu de la caresse une ultime fois tentée
et celle-là acceptée,
ne se connaissent jamais, ne se donnent jamais en tableau.
On est passé d’un état à un autre, et ce doivent
être cela ces épisodes hors de notre mémoire,
la naissance et la mort qu’il faut bien.
Ainsi de ce seuil aux portes du dehors à
ces marches que je monte, toi en mes bras étendus
jusqu’à l’autre  entrée entre vers les obscurités
de l’éternité initiée en miséricorde,
je ne pourrai jamais dire comment je l’ai franchi :
il fut cent fois appréhension, cent fois neige au soleil
avant que ma main à son bois, au heurtoir de tous les temps
ne se pose frémissante comme l’adolescent
qui va découvrir le mystère.

Devant les porches, l’aube largement venue mais
pas encore la précision des ombres et des attaques
que multiplie le grand jour à chacune des heures,
j’ai récité les  images de la vie future
comme si elles étaient celles d’un passé enfin unique.
Et ce n’était pas d’un corps, fut-il de science
certaine le plus beau, le plus doux, le plus enveloppant
de tous, ce n’était pas d’un regard en lac sous ce ciel
que je trouvais à m’envoûter,
pas même de cette silhouette toujours au seuil
de paysages où je promène en courant ma chaîne
d’arpenteur.
Je voyais de pavé en pavé, de statues de roi ou de saint
en bribes de l’avenir et des communions finales
où nous ne serons plus que peuple et grâce,
se développer et surgir, calmes comme de nuits légendaires,
les heures et les siècles du bonheur à luire.

Dans l’attente de celle qui contemple,
il y a le reflet de celui qui choisit.
Certains en leur enfance à peine finissante
tombent d’un coup sur le premier sourire
et s’en vont avec, immédiatement et sans soupir
vers un passé qu’ils n’auront jamais eu 
jusqu’à l’autre côté de la haie vite atteinte
et l’histoire ne dit plus rien, comme si elle
ne les avait pas même entendus dans leur premier
cri et leur seconde joie.
Elle ne revient à son récit qu’en cas du malheur
qui a souvent le front gris du départ, du moins
l’imagine-t-on car du vrai moment qui sera le dernier,
On a souvent la grâce de ne le pas connaître encore
tel, quand on le vit assuré qu’il est bien dans la
chaîne des retours.

Dans l’attente de l’épousée tout à l’heure
il y avait ce regard qui fouille les instants
et les manœuvres de l’hésitation.
C’est le secret féminin de ne jamais avouer
les brises de la timidité d’une âme qui ne se
résoud que par espérance, pas par certitude.
La femme sait parler parce qu’elle ne compte que
sur elle-même. L’homme cherchait en ses poches,
sur le comptoir, à toutes les tables les raisons
de comparer son avoir avec tous les autres possibles.
Il allait et venait du seuil presque à sortir de
la salle aux portes où l’attendait, se déplaçant
chaque fois sur sa ligne, la femme qui de toutes
façons serait sienne car il faut à l’homme ici-bas
un temps fou, du temps et de la foie pour
reconnaître ce pour quoi et ce pour qui il est fait.
Il le sait pourtant si bien – de naissance – qu’il
refuse ou dédaigne tout ce qui ne serait ni elle
ni çà.
Mais dans l’étreinte entreprise, et dont d’un sursaut
elle se dégage pour le considérer,
et gravement voir pour eux deux que  ce –
à présent –
qu’ils célèbrent, aurait pu ne jamais être,
la femme seule sait la virginité d’âme
qu’elle a dû si longtemps enchanter
pour exorciser en cet homme précis
qui va vers elle et qu’elle roulera en son ventre,
toutes les autres et tous les alentours et rivages
ayant jusqu’à cet instant
retenu de l’époux
la naissance.