Soleil jumeau de mes ombres
Quatre heures quarante
cinq du matin.
Cela ne m’arrive jamais
ou presque,
ce réveil dans la nuit à
ne plus pouvoir se rendormir.
Sécheresse et chaleur,
les mains rêches,
les verres d’eau qui ne
remplissent et ne comblent rien.
La rumeur de toute la
nuit s’est tue :
pas très loin, ce qui
d’autres nuits
semblait le passage d’un
train le long de haies
ou de poteaux à grande
vitesse,
et qui cette nuit étalait
comme un chant choral,
des rythmes qui
revenaient, et revenaient,
ressassaient que je ne
saurais définir
maintenant qu’ils ne sont
plus.
L’autre fois, c’était un
permanent retour
à marquer le rythme de
mes pieds nus au fond du lit :
j’avais alors la fièvre
et cela seul m’animait.
Cette nuit
qui est encore noire,
je tourne et retourne
une chair à la peau
lisse, fesses ouvertes,
à plat ventre dans mon
désert, mon corps,
signe de mon âme.
A travers des nuages qui
sont clairs sur ciel noir,
passent des étoiles
brillantes
que je ne connais pas,
des arrangements inconnus
qui ressemblent peut-être
à l’hémisphère
figuré sur le drapeau
brésilien,
les constellations de
Magellan,
les constellations qu’on
ne voit que depuis cinq siècle
et moi, depuis un mois.
Pourtant hier soir,
sortant du dîner
où je fis la charité de
ma compagnie
et le gaspillage de ma
solitude,
les trois rois d’Orion,
les pectacle familier des
quatre heures du matin
entre l’Hymète et ma
cuisine –
là-bas dans la patrie de
mes bonheurs
et de mes œuvres et
pensées passées –
se voyaient
miraculeusement.
Ma grand’mère me fit
parfois des confidences,
celles de souffrir
l’absence, le long veuvage,
et des nuits qui se
trouent soudain du réveil
et plus rien ne reprend
de l’oubli qu’on aime.
Après les rêves du début
de semaine si doux
et habités par les
silhouettes de l’amour,
plus rien ne me visite,
plus d’espérance ni de
signes.
L’immédiat exaucement du
désir,
pas même ou
davantage : du souhait,
une silhouette nue et
blanche qui passerait
dans le jartdin aux
lisières de la lumière et des ombres,
vive et presque
transparente, marquant la disponibilité
de la vie et la fin de
l’absurde désert.
Car ce ne m’est jamais
arrivé depuis quinze ans :
me voici seul et sans
l’âme jumelle,
sans l’esquisse du désir,
sans tout ce qui va avec
en murmures, en tendresse,
en gestes qu’on ne peut
inventer seul,
en présence qui est
caresse, qui est main,
qui est souvenir ici.
Nul cri en moi,
nulle possibilité
d’expression, nulle tension possibles
une volonté et la
persévérance d’une sorte d’épargne,
d’une sorte de
concentration, d’économie et de polarisation
des énergies. Oui,
et toujours l’arrivée sur
cette plage de ma vie future,
mais la vraie : la
maison, la femme, les chiens, les enfants,
la régularité des amours,
des gestes, de l’œuvre,
le foyer à deux par une
immense tolérance,
par la pluie quotidienne
dela grâce
qui renouvellerait la
patience et le désir,
les couleurs seules
loisibles de la vie.
Un métier qui se fondrait
dans le travail littéraire
et de réflexion
historique ou philosophique,
un métier de parole et
d’écriture,
ces bois modernes du
sculpteur sans grandes mains.
Des repas qui seraient
des lits, un lit qui serait une table,
un accueil qui ne serait
que choix ou envoi de la providence,
des amitiés qui ne
seraient que communion,
des partages même d’amour
physique qui ne tenteraient rien,
qui ne casseraient rien
du principal,
et le principal serait un
art à découvrir, à garder,
vivre dans tes yeux,
vivre de la paix de ton
âme,
d’un certain contentement
que nous aurions obtenu
l’un par l’autre. Je
crois encore
à quarante et un ans bien
écoulés au paradis sur cette terre,
je crois à la passion qui
dure,
mais je sais mes
négligences et les fautes
et avec quelle
inattention, j’ai laissé ma vie couler
hors de son relief, de
son lit, et des vrais creux
qui gardent en coupe le
bonheur.
Je crois au monastère
personnel,
au poids senti des jours
parce qu’ils sont moisson.
Je crois à la méditation
qui ferait avancer tout le navire,
qui plongerait en plein
jour jusqu’aux étoiles,
qui ferait frémir quelque
chose dans le cœur de l’autre
si l’on parvient à
s’exprimer.
Je sais que l’on peur
dialoguer en marchant
d’un certain pas
semblable,
je sais que l’amitié a
ses ondes qui peuvent enrichir l’amour,
je sais que le monde a
tant de choses faites par les hommes
ou données par les
siècles de la nature et de Dieu
qu’on peut le parcourir
et le regarder sans jamais l’
épuiser. Alors cette
matinée qui commence
est asburde si elle n’a
l’instant de saisir mon âme,
d’en faire dansant le
tour, d’explorer le tout de moi
et ainsi empaqueté et
lové,
de me saisir et deme
lancer sur cette voie que j’aime,
que je décris à longueur
de souhaits et d’existence.
Je ne ressemble pas aux
sceptiques, et pourtant je vis
comme eux.
Parcimonieusement, me refusant à moi-même,
c’est-à-dire à la prière
et à l’attente de qui m’aime.
Je cherche ce matin le
secret du départ,
le secret de ce mouvement
intime qui change tout
parce que soudain détaché
d’entraves qu’on croyait
irréfragables, on
découvre combien proche et aisé
était le seuil, combien
latéral, immédiat
était ce que l’on cherchait.
Je crois au couple bien
que je m’y sois encore peu consacré
en je ne sais quelle
tentation de fuite ou d’autre quête.
Mais de ces tentatives
j’ai su cent fois leur vanité.
Et je me sais revenir au
bon endroit là
où naguère j’avais à tort
bifurqué.
Le jour singulièrement
m’ôte le souvenir,
m’ôte le fantasme et
presque l’espérance,
ne me laisse rideaux
ouverts
sur l’avenir qui
ressemble à hier,
que la nostlagie. On dort
mieux en plein jour,
et c’est dans la pénombre
qu’on arrange
que l’amour est le mieux
fait.
La nuit est pour l’éveil
solitaire,
à laisser dormir l’autre
aimée,
respirer la main au sein
ou au sexe légèrement.
Le jour veut ses
réparations, ses compensations
et ses outils lourds et
contre la pesée du soleil
qui monte à nos fronts,
qui promet des heures abruptes
et les déceptions de
l’inachevable ou de l’inatteignable,
qu’a-t-on ? que
l’attente du soir,
de la levée des étoiles
et du frémissement des rêves
qui peut-être annonceront
enfin l’aube et le jour différents.
Par ce que j’y ai pris des
habitudes, que j’y place
Mon écritoire et
l’épèlement des souvenirs et des souhaits,
qui ressusciteraient la
vie parallèle à mener
au lieu de celle-ci
machinale et absurde,
involontaire.
Je veux garder pourtant
ces heures
car elle ne reviendront
jamais,
ces sensations et ces
dialogues,
cette sorte de portage en
moi des femmes aimées et absentes,
puisque je vis
sinautrement que je ne le veux,
et autrement que je ne
suis en réalité,
contraint à des habits de
deuil et de grisaille,
à m’affubler d’un fardeau
sans contrepartie :
quel déguisement, quel
voile, quel masque.
Comment des nuits et des
jours
où sous la main, sous les
yeux,
j’avais le bonheur,
n’ai-je marché avec lui
qui est féminin ?
Comment ai-je pu des
nuits et des lits
vivre à côté du bonheur
au féminin
sans tendre la main et
rouler le pain frais
de la communion
amoureuse ?
Comment ai-je pu avoir
les envies de l’infifférence
et du silence,
et marcher les mains dans
les poches
et le visage nulle part
alors qu’à mes côtés le
soleil jumeau de mes ombres
voulait tout éclairer,
et guettait l’explication
et l’aveu ?
Comment ai-je pu jouer
les morts et les encombrés
quand un jour cela ne
serait plus à moi,
que tout serait loin,
impossible
et que je serai seul dans
le tombeau refermé ?
Comment ai-je pu à Naxos
et à Thassos,
comment ai-je pu dans les
siestes
où la sueur coule en
rivière
entre les corps qui se
marient
et fait à leurs hanches
et aux poitrines
l’habit comun de la
soudure et de l’effort
et de la chute
bienheureuse à pleurer
quand va venir – certainement
– le plaisir enfin,
et les mots de la suite
que je ne sais pas avoir ?
Comment ai-je pu ne pas
traduire ni chanter toute l’émotion
de rencontrer une fois
encore l’univers
parce que nous nous
sommes étreints ?
Comment ai-je pu ?
et comment puis-je ?
Car elle ne passe ni ne
vient cette silhouette
qui te ressemble,
nudité fine de ma mémoire
et de mon habitude d’amour,
canon de mes esthétiques
et jeu de toutes mes
cartes.
Je fais cette nuit
crépiter la machine de ma compensation.
J’ai lu, main et livre
brandis au-dessus du lit
qui ne m’apaise pas un
livre que j’aime
et qui a un itinéraire
semblable à celui
dont mon âme veut que je
lui parle.
D’autres nuits furent
semblables dans le lointain.
Celle où je me levai,
dans les nuages et une
sorte d’orage,
de bord finissant d’un
monde qui ressemble au nôtre
mais bien plus tard vers
cette mort de l’univers
qui doit ressembler à sa
naissance,
ces temps de lumière
vague qui sont ceux de la nuit
quand vrament nul astre
ne pointe quoi que ce soit
et que le jour qui
viendra sait seulement rouler
des ciels sans teinte,
qu’une luminescence.
C’était à Haliki.
Il devait y avoir des
bruits que je n’entends pas ici.
J’étais nu sur un vague
balcon, je savais le paysage :
le plus beau et important
que j’ai jamais vu.
Ce n’était pas l’amour
qui serait nu sur le marbre,
qui jouerait dans les
eaux vertes des Grecs et des Romains
entre des traces
rectilignes de blocs millénaires
et enlevés pour des
tables et des statues,
c’était un amour muet que
je ferai peut-être pleurer
le lendemain tant
j’étaiss sec de caresses et d’envie.
Un amour qui dormait
seule dans un lit jumeau du mien
et dont je n’avais pas
ces jours-là le goût ni le fantasme.
Bien plus avant dans ma
vie
j’ai eu ces réveils où
l’on raconte ce qui serait impossible
à dire ou à vivre le jour
plein venuy,
des songes sur la mort,
des refrains de l’amour
qu’on n’a pas,
du corps qu’on n’a plus,
on alors des
métaphysiques de vin ou de drogue,
des éclaircies de la
conscience,
on perçoit son propre
équilibre et ce qui le conditionne :
ces souhaits si précis
vers lesquels on marche toute une vie
et dont on croit encore
la réalisation possible,
peut-être jusqu’au lit de
notre mort.
Des envies de mort – oui
– à ces instants-là
car on n’en voit guère la
différence avec la vie,
ou plutôt la vie si vide,
si différente
de ce pour quoi l’on est
fait,
on ne la ressent plus que
comme un linceul,
que comme un empêchement.
Je me levais de moi-même
alors
et faute de rêves dont le
délice est qu’on ne les choisit
et que pourtant certains
– ceux qu’on aime tant,
comme s’ils étaient de
vraies promesses –
coincident si bien à tout
ce que nous sommes en puissance,
en réalité.
Faute d’eux, j’écrivais
d’autres songes, le passage
dans ces lieux mystérieux
de nous-mêmes
qu’on appelle par
commodité la tête, le cœur, la conscience,
l’imagination, qu’en
savons-nous ?
puisque nous ne savons
pas même nous localiser,
dire, nous dire où nous
sommes ?
Nous vivons sans
définition,
si machinalement que nous
ne nous apercevons de rien.
Il faut le manque de la mort,
de l’absence, de la
disparition des autres
pour savoir qui nous
sommes
et pour quoi nous sommes
faits.
Nous sommes faits pour ce
jour singulier de l’amour,
pour les gestes de
l’union, pour les points d’or
à nos yeux quand nous
devenons compris
et comprenons, quand nous
versons à deux
en l’unité indicible
celle qui nous dépasse,
nous enveloppe, nous donne raison,
nous donne puissance,
sève, plaisir et certitude.
J’ai – adolescent – connu
ces départs
dans la nuit quand tout
est rosée,
quand tout craque et que
les reliefs sont des sons.
J’ai connu ces levers du
soleil dans les montagnes,
et voici que derrière des
arbres
qui découpent presque
soudainement leur silhouette
d’autres planètes d’un
autre continent,
le jour d’ici va
commencer qui est déjà passé
d’un vague violet à un
gris qui sera dur.
Les coqs avaient relayé
la rumeur
et les musiques des
hommes.
Même eux maintenant se
taisent,
la chatte mouillée
d’herbe et de ses chasses
de la nuit est venue se
frotter à mes jambes.
J’ai l’ardent souvenir du
lit creux
où nous fîmes nos
premières amours dans l’appartement
de tes parents hors de
France.
Le lit était creux comme
un hamac, défoncé,
nous le sortions de
dessous un autre,
la chambre était immense,
en désordre
qui te seravit aussi
d’atelier,
la fenêtre donnait sur un
jardin,
une église d’un autre
évangile.
Nous étions
infatigabales, sans effort, sans question,
le désir revenait comme
un refrain,
comme une expression des
nuits, des après-midis, des faims
que nous avions l’un de
l’autre.
Je venais de te
découvrir, je savais maintenant,
alors, calmer le hoquet
de ton plaisir,
de ta précipitation à
tout exprimer, à tout pleurer,
nos faisions
connaissance, c’était un printemps singulier
que nous poursuivions en
chaque saison.
Me souvenais-je alors des
automnes aux forêts bruxelloises,
Des avenues pavées qui
vont vers Waterloo ?
Savais-je que je verrai
cette nuit d’ici et de maintenant
sans toi, sans dire
encore de notre réunion la date,
de notre mariage
aussi ?
Ce furent là-bas les
premières photographies de toi nue,
en noir et blanc, contre
des rideaux d’années trente
ainsi que les parents de
cette génération en ont orné
toutes leurs maisons, tu
avais le port de la fiancée
qui ira à l’autel et tu
étais pourtant nue,
mais nue comme une
statue, sans mouvement,
sans sourire, exposée.
Avons-nous fait l’amour après
ou avant ces
photographies ? Avais-tu les cuisses
encore graesses de notre
désir commun ?
J’ai connu avant toi ces
retours au tout petit matin
de fiançailles qui
n’aboutirent pas
et peut-être constituèrent
la première maille
de cette chaîne qui
m’entoure encore.
C’étaient les gestes de
la clandestinité,
la virginité qui lambeau
par lambeau cédait dans la peur
d’être surpris, si l’on
était venu.
J’entrais dans la nuit et
une chambre retirée,
elle m’accueillait en
rose, je n’ai plus souvenir
que de l’extraordinaire
harmonie des teintes du mur,
de la lampe, des draps,
et de la masse de ses cuisses :
tout était orange, tout
était satin, elle n’osait accepter
des caresses et des
prosternations qui,
dans notre ignorance
encore, pouvaient paraître impudiques.
Je vais plus loin encore
dans mon enfance et entre alors
dans ces plages de
certitude où je n’attendais que la suite,
que le développement des
années, certain d’inventer
le meilleur monde et que
celui-ci m’était promis.
J’avais les chagrins et
les envies qui ne sont
presque que littéraires,
de l’amour aperçu
et dont je ne savais pas
même que d’ordinaire
et en fin de compte on le
consomme.
J’étais chaste de cette
intense envie
de tout avoir et de tout
être,
qui se passe de toute
expression concrète,
je croyais à la
coincidence obligée de mes souhaits
et de la réalité, et je
ne comprenais que peu à peu
– trouvant cependant des explications à
cette rupture
du monde et de la logique
que je lui avais crue –
que peut-être tout ne me
surviendrait pas.
Les nuages et les cieux
ont déjà leur place de lumière
et du jour. Quand ainsi
je m’éveille, quand je m’arrête ainsi
je crois à quelque
événement que je dois intérieurement saluer,
à quelque mort pour
lequel il me faut prier,
à quelque avertissement
qui m’est donné
et que je devrais savoir
déchiffrer,
quelque signe que là-bas
très ailleurs une chose
qui concerne directement
et concrètement mon bonheur
et celui – tout joint au
mien – de qui j’aime,
vient de se mettre en
mouvement et aura plus tard,
je ne sais quand mais
certainement,
les grandes ondes pour
venir jusquà moi
et enfin m’emporter là où
je dois être,
où j’attends d’être.
J’ai ainsi rêvé la mort
de mon père
et l’ai peut-être vécue
avec lui : ce passage
si difficile et tourmenté
en douanes
d’un magnifique Rembrandt
représentant un Christ en croix,
et qu’on ne parvenait pas
à faire passer de l’autre côté.
Tableau d’ailleurs que je
n’ai jamais vu,
je ne sais s’il existe,
mais quel choc si un jour
je devais le voir :
sans doute serait-ce l’avertissement
fraternel que mon tour
est venu.
Ce jour qui commence et
qui a maintenant découpé finement,
exactement tous les
arbres, pourquoi le vivè-je ici
et pas dans d’autres
champs et lieux, d’une beauté indicible ?
Même sur ce continent,
dans ce pays, quelque campement,
quelque rivière qui
ferait un miroir encore jaune,
des bruits et des
ferveurs ?
Nous sommes plus enfermé
que le chien à sa niche,
que l’enfant nourrisson
dans son parc !
Avec quel sérieux, nous
accomplissons ces fonctions
de la société ! Les
hommes sont ainsi de plus en plus organisés
pour s’occuper
collectivement et se perdre individuellement
le plus loin possible de
la quête et de la réflexion
essentielles : le
bonheur.
Le jour me parvient avec
un brio insoutenable,
inutile.
Je me crève de sensations
et de tristesse,
j’analyse à m’en enivrer
ma solitude de sens et de dialogues,
comme d’autres nageraient
ou galoperaient.
Je n’ai barre sur rien
dans ma vie
si je ne la change pas du
tout au tout,
si je ne m’évade pas, si
je ne romps pas tout.
Je ne crois plus à la
modification,
ou à cette inclination
qui ne serait qu’intérieure,
le bonheur en heures
supplémentaires
tandis que l’énergie et
les heures vives seraient
en représentation et en
semblance.
Voici un an à peu près
que j’ai commencé
de marcher sur cette crête
de l’abandon
d’une première moitié de
ma vie.
Je ne veux pas que la
suite lui ressemble
Car l’attente ne produit
rien,
pas même une oeuvre et
elle a effacé
le sourire de qui m’aime
et qui s’est pendue à mon attente,
à m’attendre et en a
oublié le beau visage
qu’elle avait cru – à nos
débuts – être le mien.
L’hymne de la confiance
et de la révélation,
celui de l’aveu, celui de
cet accouchement
que sait seule pratiquer
une femme aimante, amante,
les mains se joignent
dans un restaurant,
sur une table quelconque
et l’on peut tout dire,
et l’on est accueilli.
Il y a ces lassitudes
rêvées quand on peut pleurer
sur ses lâchetés et sur
ses trahisons
et être écouté et
suscité.
L’amour a rassasié un
temps les corps qui sont allongés
et abandonnés, et la main
dans la main, la respiration
et les ventres
abandonnés,
on dit les choses les
plus simples
et l’on découvre la vraie
compagnie de condition :
comme le vocabulaire est
alors commun dans ces instants
qui sont des après-midi,
des après-repas
et des avant-gaîtés et
fou-rires.
Il n’est plus beau jeu
que celui de notre imagination
nous regardant, nous
préparant à jouer nus
le retour aux enfances,
aux courses symboliques
de la grande plage, des
écumes et des laisses de mer,
des espaces franchis par
le rire et soi donné.
La consécration. Il n’est
plus beau geste.
Et la demeure de l’âme
s’appelle fidélité,
d’un bord à l’autre de la
planète d’apparence,
la fidélité nous rend
habité, chaque heure diffère
puisque l’autre à coup
sûr existe et qui seul voit
notre visage dans son or.
Je n’ai pas choisi,
je ne me suis pas
consacré,
je tâtonne seulement au
seuil de la fidélité.
Jusqu’à ce que je
franchisse cette porte de la décision,
je ne serai qu’un pauvre
homme sans âge
qui, la nuit, n’a rien venant courir à sa main et à son
désir,
qu’un pauvre homme qui ne
prie plus car on ne prie qu’ensemble.
J’ai libéré la chienen
pointer qui vit less trois quarts
du temps dans une niche
grillagée, le jour est complet,
l’herbe s’enfonce d’humidité
et de disponibilité
sous mes pas, il y a déjà
les bruits des hommes,
les voitures, ma machine.
Les oiseaux viennent
aussi.
J’ai somme toute trois
fantasmes d’ordre, de durée souhaitée,
d’importance bien
différents.
Oui, la silhouette
précise dans l’ombre,
la nudité de la femme que
je désire
et qui fuirait pour me
faire sentir
sa présence et le prix de
l’union tout à l’heure.
Tableau surréaliste d’une
obscurité qui n’aurait
que cette blancheur-là,
obscurité d’un jardin, d’un monde,
d’un air libre avec des
senteurs et des épaisseurs de nuit
et la silhouette de mon
désir féminin, au féminin
donnerait à tout la
perspective et la transparence.
Il y a aussi plus vécu,
je veux dire : plus possible à vivre,
Comme un regret si je ne
l’avais pas vécu, d’amours faciles
et nombreuses mais qui ne
seraient que
peintures en album
feuilletées, une sorte de jeu ou de rondes
qui ne durerait que
quelques semaines de la vie
pour enterrer celle-ci en
ce qu’elle avait de factice :
c’est le rêve aolescent
de beaucoup de garçons
apparemment hommes, les
rencontres d’aisance et de rires
à quoi de vraies et
denses femmes sont peu prêtes
car on veut alors
l’impossible : la vérité et la beauté
d’un don pour une partie
sans lendemain et pourtant
sans souffrance. Ne
songeons donc plus guère à ce fantasme-là,
il est irréalité et en
somme que veut-on que nous ne pourrions
vivre dans la vérité de
mon souhait troisième,
le plus solide mais qui
requiert un vrai soin, un choix,
je crois ce hardin et
cette ville au loin sur ses collines
où elle a déjà commencé
de rouiller, miens et familiers.
Quelle erreur ! Je
suis loin de tout, de toutes, de toi,
de la vie que je veux
mener, je suis attaché à ce qui m’oblige
et le fait vieillir. Je
ne sais pas encore accomplir
ce que je pressens et je laisserai
encore la lumière
de ce jour m’user sans
que j’ai tendu les lèvres
à ton sourire et à ta
voix me murmurant de venir.
Je rentre à un second
sommeil,
j’en espère la
préparation du travail que je me suis promis
de faire, le travail des
ciseaux sur ma vie,
le travail d’une œuvre
qui fit al vie de l’été dernier,
le travail d’une
nostalgie que j’attellerai à mes élans
pour en faire une beauté
qui ne sera qu’à nous
car je sais bien – et
nous en sommes depuis longtemps
d’accord – que notre
bonheur st dans cette répartition
des tâches
et dans cette union de
temps en temps
qui fait courir l’un à
l’autre l’enfant et sa mère
de leur jeu et de leur
couture ou de leur ouvrage
s’appelant l’un l’autre,
qui fait courir l’un à l’autre
les amants quand ils ont
su ménager entre eux
l’espace de la journée
qu’on remplit chacun
d’un travail, d’une
patience et qu’on rompt soudain
par le désir si simple
d’une tendresse, en nous venue
et qu’on porte en
procession à la nuque de l’autre,
inclinée, dégagée, racine
des cheveux, pâleur
de ce qui de nous restera
toujours l’enfance
et le sourire du visage
qui apparaît, se tourne vers nous.
Je hais le soleil qui me
répète aujourd’hui
que rien ne sera de ces
gestes
qui gonflent mes doigts
sans objet.
La sueur du jour
commencé, inutile.
La sainteté c’est le
sentiment de l’urgence, de l’immédiateté :
le départ aussitôt et
sans retard.
Ah ! quelle intime
lourdeur de savoir et de ne pas vivre.
Quelle certitude pourtant
que les années récentes
m’ont donnée :
que la vie s’écrit et se
prend
à la seconde personne du
singulier.
Pour toi – pluriel ou
singulier dont je sais
et caresse le visage, les
fronts et les profils
quand tu te retournes
sous mon effleurement –
la vie, si elle est en
Europe, maintenant a des heures
d’avance sur la
mienne : tu m’as toujours appelé.
Six heures trente cinq du
matin.
Brasilia, 2
Février 1985
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