Vierge de moi
Je t’ai
connue vierge de moi,
je t’ai
connue d’intuition, de sûre tombée
la fois
prochaine que tu reviendrais,
que le
palier s’ouvrirait à ton nom,
que mes
bras te prendraient sur le seuil,
et que tu
fondrais comme la nature le veut.
Je t’ai
connue je crois bien vierge de moi,
déjà
philosophe quand je me dépitais de
ne pouvoir
une seconde fois tout de suite
te saisir.
Il y eut les places d’Athènes,
celles qui
ressemblent à Paris, et celles
uniques
d’où l’on voit la mer, le Pirée et l’
Acropole
comme un bateau pointant vers le large
qui est
Salamine, je t’ai connue toujours m’
interrogeant,
me mandant, me ressuscitant.
J’ai connu
ta langue qui chante et qui épèle,
qui
m’expliquait ton pays, j’ai connu ta langue
qui léchait
le commun de nous deux, qui s’affairait
et souriait
toute seule de ce que je ne pouvais
pas voir.
Tu rêvais de me faire parler, de me faire
Tu rêvais de me faire parler, de me faire
crier, je
rêvais de grands temps avec toi. Tu
m’exorcisais
de tes prédictions quand je serai
dans
l’autre continent. Tu téléphonais, tu
vivais et
tu dormais de l’autre côté de l’Acropole
comme un
bateau, retenue à une ancre invisible,
tu avais
ton petit garçon à la main le soir des
adieux, il
portait un béret immense, il était en
bleu et la
nuit qui venait, la dernière d’Athènes
l’an passé
avait la même couleur profonde des
manteaux
d’hiver. Tu ne bondirais plus qu’à mes
lettres, tu
te convaincrais que j’étais parti de cœur
bien plus
que de distance, tu me raconterais les
bancs du énième
procès de ta vie finie avec K.,
et
l’attente dans les salles où autrefois comme à
notre
presque premier anniversaire –
maintenant
– en triste et
automatique
écho de toi, de ton désespoir profond dont
je t’avais
un temps tirée,
tu
rencontres l’amant et la future sueur des mots et
de l’amour
quand les ports sont noires ?
du souvenir
refusé.
Je t’ai
connue encore vierge de moi,
le bonheur
me disais-tu
c’était moi
en m’enfonçant en toi,
je te
connaissais vierge au cou de faon,
vierge au
front bombé, bouclé d’adolescent
boudeur et
ambigu,
je t’ai
connue dans le défi et dans la joie,
le défi que
tu ne me disais pas et qui
jouait
notre fils suivant mon regard et
la nuit
peut-être que tu passerais à mon lit,
la joie
clandestine de l’île familiale
et le corps
olivâtre de la pénombre
qui avait
tourné le plus intimes de ses courbes
et de ses
invites sombres vers le regard
que tu
sollicitais tandis qu’à genoux, loin de
mon visage
mais bouche à mon désir,
tu
commentais pas à pas, lèvre à lèvre,
le
sacrement que nous fabriquions dans l’instant,
c’étaient
les siestes adultères,
les minutes
de complicité,
le berceau
d’un amour que nous cachions à tout le onde
pour mieux
nous le dire.
Je te sais
encore vierge de moi,
têtue,
livide, pudique, simple et désespérée
quand tu
n’as ni trente ans
ni trente
mémoires,
quand
l’enfant à la main qui n’est pas le mien
tu vas par
la ville jusqu’à nos lieux
jusqu’à ce
que tu me récitais des nuits d’hiver
et des
soirs d’été
et les
premières aubes où tu vins,
insecte
rouge que grandissait la motocyclette
à travers
les sentiers et la poussière
que
j’imaginais du matin de la Pnyx à l’Agora,
de
Monastiraki à Sografou,
je
t’ouvrais nu et tu t’ouvrais nue,
et dans les
draps de mon sommeil nous pleurions parfois
du parfait
accord qui ne s’éprouve qu’à deux.
Je te sais
loin à ces heures où tu dois feindre
le sommeil,
le travail, parce que c’est la nuit et l’emploi,
tu vis
automatiquement et ta vie est d’apparence
de ton
existence. Tu n’écris plus pour moi,
peut-être
pour un autre,
tu es
redevenue vierge de moi
puisque tu
m’attends d’une autre façon qui
n’est pas
forcément un autre que moi.
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