La ville que nous partageons
Dans ta ville d’aubes au
soleil rapide,
par les pelouses et les
avenues du matin
qui a rompu les
présences, fermé les portes
entrouvertes la veille,
laissé le lit
à ton seul corps qui
pelotonné et mat
ne s’étire plus que pour
soi,
dans ta ville étrangère
où je ne sais
aucun des lieux où
s’asseoir et penser encore
à toi,
j’ai dû fuir dès le
lendemain,
comme convenu, sans la
goutte du sourire,
sans la lumière de ta
bouche,
sans la certitude de ton
front,
avec à la pensée la seule
répétition
que nous étions unis, et
que nous ne le serions
plus dès maintenant.
Le petit matin d’un même
mercredi était coupant
comme l’heure qui
décidait mon lever, les vêtements
réunis en apparence de
mon corps,
l’hésitation que j’eus,
songeant à toi te
rendormant et le retour
à ton lit que tu m’avais
ouvert,
le retour à un baiser que
tu pris, visage soulevé,
et à ton corps sans un
mot,
sans un avertissement qui
s’ouvrit
comme jamais plus dans
mon souvenir.
Il y avait eu les épis
d’or de tes cuisses,
au dernier moment quand
il ne faut plus que
répondre à la précision
de cette joie savante
que nous avions alors à
cet instant et
cet aveu que tu fis, je
ne sais quand, quand
en toi et immobile, tous
deux formant l’étoile
primordiale à la plage du
lit qui semblait
immense puisque nous le
prenions de la tête aux pieds
et que faisait ton visage
aux yeux clos et au front
de noire lumière, un
soleil consentant et sombre
qui irradiait dans toute
l’heure nocturne
une densité de bonheur et
de certitude
de notre accord que je
n’avais plus su
depuis bien loin :
c’était la prévision réalsiée,
mais serait-ce la
prophétie ?
La nuit avait été sans
que j’en compte les minutes,
sans que je retourne de
la main la preuve par ton corps
et le mien que je ne
rêvais pas,
j’avais dormi comme toi,
comme si la décision
était le nouveau regard
jumeau de celui de la
veille, disant le
même émerveillement et le
même sourire,
l’assurance donc que le
feu ne serait pas cendre,
et que la tranquillité
pouvait commencer,
mais dans ta ville il me
fallait te quitter,
il me fallait seulement
supputer ce qui en moi
allait porter ta trace,
ta cicatrice,
il me fallait seulement
jouir de la certitude
de t’avoir rencontrée et
ne mesurer en rien
aucune attente. Je ne
savais pas de science ni
de parole que ce matin
était le vrai chemin,
je pouvais tout croire
mais la sagesse intérieure
ne me faisait rien
espérer. Je balançais
dans les aubes de ta
ville, dans les mouvements
vifs du soleil aux
bâtiments immenses de temps sans nuits
la précision de l’instant
qui m’était donné,
l’instant où j’apprenais
que je t’aimais,
l’instant si fort
que tu me donnais encore
la grâce
de ne pas me demander si
toi aussi…
et tes réponses auraient
la tendresse
avant même les questions,
et à ton tour et depuis
tu as fui les lieux et
les jours,
les prétextes et les
avances,
le calendrier trouble des
retrouvailles
avec d’autres
que tu m’avais dits en
préambule de notre
histoire,
à peine pouvais-je le
considérer,
puisque tout commençait
de ce qui me semblait impérieux
depuis les répliques de
l’orage,
car ce soir public en
bleu et lointaine
tu avais franchi les
commensaux et les froideurs
pour examiner les phrases
et ne pas repousser
les chaises écartées, ma
main à ton épaule, comme le signe que prochainement tu voudrais bien.
Tu m’as parlé d’unité,
mais pas de ceux qui
te la donnent,
tu m’as parlé de vie et
de bonheur mais pas au présent,
je t’ai vue rire à un
autre qui te téléphonait
mais n’était plus rien
pour toi,
je t’ai vue penchée sur
moi qui t’embrassais les genoux
prendre à deux mains mon
visage et ma prière
et murmurer qu’ils
seraient inutiles.
Par la ville que nous
partageons sans jamais nous croiser,
il me vient souvent
d’aller à tes fenêtres et
de compter les lumières
et les étages et les pas
que tu fais de ton lit à la
salle d’eau pour fermer
les persiennes et faire
dans la chambre que je connus
l’épaisseur du soir à
goûter,
et dans la ville qui est
tienne, dans l’immeuble où
tu es, il n’y aura plus
pour ma ressource que l’anxiété
de n’être ni vu ni
nterrogé ni aimé de toi surgie
si j’y pose, en fente de
porte et en timidité définitive,
la supplique de nous
tous,
les simples mots de
l’appel.
Brasilia,
janvier 1985
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