mardi 29 juillet 2014

poèmes au Brésil - 14 -




La ville que nous partageons


Dans ta ville d’aubes au soleil rapide,
par les pelouses et les avenues du matin
qui a rompu les présences, fermé les portes
entrouvertes la veille, laissé le lit
à ton seul corps qui pelotonné et mat
ne s’étire plus que pour soi,
dans ta ville étrangère où je ne sais
aucun des lieux où s’asseoir et penser encore
à toi,
j’ai dû fuir dès le lendemain,
comme convenu, sans la goutte du sourire,
sans la lumière de ta bouche,
sans la certitude de ton front,
avec à la pensée la seule répétition
que nous étions unis, et que nous ne le serions
plus dès maintenant.

Le petit matin d’un même mercredi était coupant
comme l’heure qui décidait mon lever, les vêtements
réunis en apparence de mon corps,
l’hésitation que j’eus,
songeant à toi te rendormant et le retour
à ton lit que tu m’avais ouvert,
le retour à un baiser que tu pris, visage soulevé,
et à ton corps sans un mot,
sans un avertissement qui s’ouvrit
comme jamais plus dans mon souvenir.

Il y avait eu les épis d’or de tes cuisses,
au dernier moment quand il ne faut plus que
répondre à la précision de cette joie savante
que nous avions alors à cet instant et
cet aveu que tu fis, je ne sais quand,  quand
en toi et immobile, tous deux formant l’étoile
primordiale à la plage du lit qui semblait
immense puisque nous le prenions de la tête aux pieds
et que faisait ton visage aux yeux clos et au front
de noire lumière, un soleil consentant et sombre
qui irradiait dans toute l’heure nocturne
une densité de bonheur et de certitude
de notre accord que je n’avais plus su
depuis bien loin : c’était la prévision réalsiée,
mais serait-ce la prophétie ?

La nuit avait été sans que j’en compte les minutes,
sans que je retourne de la main la preuve par ton corps
et le mien que je ne rêvais pas,
j’avais dormi comme toi,
comme si la décision était le nouveau regard
jumeau de celui de la veille, disant le
même émerveillement et le même sourire,
l’assurance donc que le feu ne serait pas cendre,
et que la tranquillité pouvait commencer,
mais dans ta ville il me fallait te quitter,
il me fallait seulement supputer ce qui en moi
allait porter ta trace, ta cicatrice,
il me fallait seulement jouir de la certitude
de t’avoir rencontrée et ne mesurer en rien
aucune attente. Je ne savais pas de science ni
de parole que ce matin était le vrai chemin,
je pouvais tout croire mais la sagesse intérieure
ne me faisait rien espérer. Je balançais
dans les aubes de ta ville, dans les mouvements
vifs du soleil aux bâtiments immenses de temps sans nuits
la précision de l’instant qui m’était donné,
l’instant où j’apprenais que je t’aimais,
l’instant si fort
que tu me donnais encore la grâce
de ne pas me demander si toi aussi…
et tes réponses auraient la tendresse
avant même les questions,
et à ton tour et depuis
tu as fui les lieux et les jours,
les prétextes et les avances,
le calendrier trouble des retrouvailles
avec d’autres
que tu m’avais dits en préambule de notre
histoire,
à peine pouvais-je le considérer,
puisque tout commençait de ce qui me semblait impérieux
depuis les répliques de l’orage,
car ce soir public en bleu et lointaine
tu avais franchi les commensaux et les froideurs
pour examiner les phrases et ne pas repousser
les chaises écartées, ma main à ton épaule, comme le signe que prochainement tu voudrais bien.

Tu m’as parlé d’unité, mais pas de ceux qui
te la donnent,
tu m’as parlé de vie et de bonheur mais pas au présent,
je t’ai vue rire à un autre qui te téléphonait
mais n’était plus rien pour toi,
je t’ai vue penchée sur moi qui t’embrassais les genoux
prendre à deux mains mon visage et ma prière
et murmurer qu’ils seraient inutiles.

Par la ville que nous partageons sans jamais nous croiser,
il me vient souvent d’aller à tes fenêtres et
de compter les lumières et les étages et les pas
que tu fais de ton lit à la salle d’eau pour fermer
les persiennes et faire dans la chambre que je connus
l’épaisseur du soir à goûter,
et dans la ville qui est tienne, dans l’immeuble où
tu es, il n’y aura plus pour ma ressource que l’anxiété
de n’être ni vu ni nterrogé ni aimé de toi surgie
si j’y pose, en fente de porte et en timidité définitive,
la supplique de nous tous,
les simples mots de l’appel.

                                                                                           Brasilia, janvier 1985

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