Cancer de la prostate + mardi 24 octobre 2000 .
ablation au Val de Grâce
Pas de souvenir, une actualité
progressivement plus forte. Sexe et identité, sexe et conscience de soi, sexe
et relation, sexe et amour, sexe et espérance, sexe et mémoire.
Je ne savais pas le « lien »
entre érection-éjaculation d’une part et cette glande, la prostate, d’autre
part. Je devinais que sans prostate, l’ensemble devenait, deviendrait autre.
Cela ne me concerna inopinément qu’en Avril 2000 – vaguement – en Juin 2000,
très précisément. Le fantasme et la poésie : la giclée du sperme au rythme
de l’orgasme, dont je n’ai d’ailleurs découvert qu’il y a peu l’écho ou
l’origine en spasme anal autant chez la femme que chez l’homme.
J’écris paisiblement, treize ans après,
ce qui suit, sans bien savoir où cela me mènera mais que je veux comme une
reconnaissance de dette à trois personnes qui m’ont gardé en vie par une
semblable vigilance et sans doute par une capacité d’affection et même d’amour
à mon endroit. Capacité apparemment toute professionnelle du Professeur
Houlgatte, agrégé du Val-de-Grâce. Capacité du même ordre initialement du
Professeur Daly, agrégé du Val-de-Grâce, qui commença de me suivre en Avril
1993 pour une cure d’éventration comme chef du service de médecine interne,
puis comme commandant de l’école d’application des services de santé des
armées, relation de plus de vingt ans maintenant, marquée par l’amitié :
si je produis un jour la biographie de Couve de Murville, en projet et en plan
dans mon esprit depuis quinze ans, ce sera grâce à son désespoir que je me sois
jamais mis à ce travail. Capacité d’amour enfin d’une femme souffrante, trahie
qui m’a choisie envers et contre tout et m’épousa en connaissance de cause à
tous les points de vue. Au premier, à sa dextérité soutenue dans mon cas
particulier par la Providence, je dois d’avoir gardé érection et sensation…
chef d’œuvre de précision chirurgicale, rare à ce que j’entends dire, ma
préoccupation que ce praticien me disait rare chez ses patients :
préoccupation qui me fit tout supputer quand il fallait choisir la radio ou le
bistouri. Au second, évidemment, l’alerte alors que le PSA montait mais était
encore aux alentours de 7, certains ne sont opérés qu’avec un taux déjà de 50
ou 60, et aussi, sinon surtout, l’observation que je pouvais faire un dépôt de
semence et préserver mes chances de paternité : paraoxalement, je n’ai pas
aussitôt décidé de « mettre en enfant en route » alors que j’avais
quelques mois encore pour ce faire par « les voies naturelles et que ce
soit donc « l’enfant du plaisir ». Nous y avons gagné que ce soit
celui de la décision, du mariage et de la Providence, tout ensemble dans
l’éprouvette de la belle technique bio-médicale. A la troisième, à ma chère
femme, je dois autant la patience d’amour et de sexe pourque nous ayons pu
bénéficier pleinement de la prouesse du bistouri et tout reprendre du désir qui
s’exauce par notre ensemble – après seulement trois mois ou moins (à vérifier
dans mon journal « intime »).
Jeudi
24 Octobre 2013
Que reste-t-il de cette séquence –
l’examen, le diagnostic, la pratique chirurgicale ? D’abord la vie. Eradiquer ou
pas et donc prendre le risque de mort à date indéterminée, peut-être lointaine
quand j’étais à l’été de 2000 et à pas soixante ans, ou risquer l’impuissance
sexuelle, mutilation psychologique de portée véritabale tandis que l’ablation
d’une glande ? Ce qui me fit décider l’éradication a été le tableau précis
que me donna mon cher Jean-Pierre Daly : l’épave que je deviendrai par chimiothérapie
de dernière chance quand les métastases sonneront le tocsin, la voix et
l’aspect de corps et de visage qui changent. Ensuite, la fécondité… depuis ma
« première fois » jusqu’à ce matin-là d’Octobre 2000, que de
fécondations in vivo étaient possibles que j’ai évitées, que j’ai refusées, que
je n’ai pas voulus en perpétrant même la plus horrible contraception qu’est
l’avortement, faute de notre maturité à tous deux, Gh. et moi, faute surtout de
moi qui l’aimait assurément, ne l’ai toujours pas oubliée – splendeur mémorisée
en photos. noir et blanc de notre couple nu dans les semaines de cet été de
1976 où cela se joua… torrents de semence perdus, éparpillés comme Onan, qui –
lui – pratiquait seul, alors que mes joies furent toujours partagées et provoquées
par la joie-même du désir ensemble… c’est la perspective de l’ablation qui me
donna (enfin) le désir de l’enfant… et comme celle qui m’aimait et restaura en
moi ce que la médecine à elle seule ne peut produire… était restée à me
souhaiter à ses côtés et en sa vie, que nous eûmes à combattre ensemble
professionnellement, tout fut naturel sauf le mode de fécondation. La séquence
cancéreuse a été la plus féconde, donc, de ma vie. Bien plus d’âme, de volonté,
de projet que de sexe. Celui-ci devenu langage et baiser.
Communion aussi avec tous ceux à qui
« cela » arrive. Soit la mégarde ou une certaine forfanterie faisant
que l’homme mûrissant ne consulte pas, et l’on a les faire-part de « mort
d’une longue maladie » vers les soixante-soixant-dix ans. Soit
l’éradication pratiquée à temps mais les séquelles : l’incontinence
urinaire installée, l’impuissance irrémédiable. Pire que les calvaires,
l’accoutumance à la
diminution. Est-ce un changement de statut pour le partenaire
diminué dans ses rôles, orgueils et fonctions en couple ? un changement
dans le regard porté sur soi ? je ne sais pas. Je compatis sans savoir. Et
il y a « le pendant » du cancer de la prostate, celui, ceux de la
moitié féminine : cancer du sein, pas « pris » à temps, l’aînée
de mes belles-sœurs, le long veuvage de mon cher frère et la privation et de la
présence et de l’étreinte, sa pudeur est telle qu’il ne me l’a laissée
ressentir que fugitivement mais ce fut poignant… cancer des organes… mutilation
subie, visible surtout, alors que la prostate…Ces cancers ne sont pas tant
horribles parce qu’ils peuvent être mortels, ils le sont – pour la femme –
parce qu’ils l’atteignent dans sa relation au corps et à al chair, dont l’homme
n’a pas idée, faute d’expérience.
Une leçon qui est double. L’atteinte de
notre vie par la maladie n’est pas la même que par la vieillesse. Le
rapport à soi est différent, la victoire de la médecine et de la chirurgie
restent possibles, malade, cancéreux, je peux me remettre en confiance à un
tiers. L’accompagnement amoureux et conjugal est tout autant nécessaire –
ablation du sein, capacité sexuelle maintenue ou pas, perte du symbole bien
plus qu’une sensation ou l’outil de la fécondation qu’est l’éjaculation – pour
soutenir le regard sur soi et maintenir la silhouette humaine qui avance,
continue, repart après avoir reçu le coup. La vieillesse est un débat avec soi,
il dépend de nous, de nos structures psychologiques, d’en faire une étape
consciente d’entrée en éternité après les années de distraction et de trop immédiates
jouissances et ambitions. Le cancer s’oublie ou nous tue. La vieillesse nous
éprouve. Il y a treize ans, j’ai gagné treize ans et sans doute plus, je
n’entre en diminution que ces mois-ci. Sensiblement.
L’autre leçon est la force de l’inattendu
et aussi celle de la société humaine quand nous en recevons tout
l’accompagnement. J’ai été intensément accompagné et aimé pendant ces cinq mois
d’une bataille dont je n’ai certainement pas su les aléas ni les enjeux. Je
pensais à la suite, médecin, chirurgien, femme de ma vie eux … étaient au
présent.
Je n’ai dit ce moment qu’à la célébration
en fratrie de notre mariage – tardif pour ma femme, en tant que femme, et pour
moi plus encore mais tellement conclusif – auquel notre fille, pas encore
identifiée comme telle, a participé. Elle est le fruit de la chirurgie puisque
sans celle-ci je serais mort ou je n’aurais jamais pris conscience que la vie
st d’abord fécondité. Elle est le fruit de la médecine, de ses techniques de
fécondation et de son expérience de la féminité et de la maternité. Elle
est le fruit d’une femme qui ne se « voyait » ni épouse ni mère.
Vendredredi
25 Octobre 2013
Bertrand Fessard de Foucault
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire