jeudi 24 octobre 2013

ablation de la prostate - mémoire de treize ans



Cancer de la prostate + mardi 24 octobre 2000 . ablation au Val de Grâce



Pas de souvenir, une actualité progressivement plus forte. Sexe et identité, sexe et conscience de soi, sexe et relation, sexe et amour, sexe et espérance, sexe et mémoire.

Je ne savais pas le « lien » entre érection-éjaculation d’une part et cette glande, la prostate, d’autre part. Je devinais que sans prostate, l’ensemble devenait, deviendrait autre. Cela ne me concerna inopinément qu’en Avril 2000 – vaguement – en Juin 2000, très précisément. Le fantasme et la poésie : la giclée du sperme au rythme de l’orgasme, dont je n’ai d’ailleurs découvert qu’il y a peu l’écho ou l’origine en spasme anal autant chez la femme que chez l’homme.

J’écris paisiblement, treize ans après, ce qui suit, sans bien savoir où cela me mènera mais que je veux comme une reconnaissance de dette à trois personnes qui m’ont gardé en vie par une semblable vigilance et sans doute par une capacité d’affection et même d’amour à mon endroit. Capacité apparemment toute professionnelle du Professeur Houlgatte, agrégé du Val-de-Grâce. Capacité du même ordre initialement du Professeur Daly, agrégé du Val-de-Grâce, qui commença de me suivre en Avril 1993 pour une cure d’éventration comme chef du service de médecine interne, puis comme commandant de l’école d’application des services de santé des armées, relation de plus de vingt ans maintenant, marquée par l’amitié : si je produis un jour la biographie de Couve de Murville, en projet et en plan dans mon esprit depuis quinze ans, ce sera grâce à son désespoir que je me sois jamais mis à ce travail. Capacité d’amour enfin d’une femme souffrante, trahie qui m’a choisie envers et contre tout et m’épousa en connaissance de cause à tous les points de vue. Au premier, à sa dextérité soutenue dans mon cas particulier par la Providence, je dois d’avoir gardé érection et sensation… chef d’œuvre de précision chirurgicale, rare à ce que j’entends dire, ma préoccupation que ce praticien me disait rare chez ses patients : préoccupation qui me fit tout supputer quand il fallait choisir la radio ou le bistouri. Au second, évidemment, l’alerte alors que le PSA montait mais était encore aux alentours de 7, certains ne sont opérés qu’avec un taux déjà de 50 ou 60, et aussi, sinon surtout, l’observation que je pouvais faire un dépôt de semence et préserver mes chances de paternité : paraoxalement, je n’ai pas aussitôt décidé de « mettre en enfant en route » alors que j’avais quelques mois encore pour ce faire par « les voies naturelles et que ce soit donc « l’enfant du plaisir ». Nous y avons gagné que ce soit celui de la décision, du mariage et de la Providence, tout ensemble dans l’éprouvette de la belle technique bio-médicale. A la troisième, à ma chère femme, je dois autant la patience d’amour et de sexe pourque nous ayons pu bénéficier pleinement de la prouesse du bistouri et tout reprendre du désir qui s’exauce par notre ensemble – après seulement trois mois ou moins (à vérifier dans mon journal « intime »).                    

Jeudi 24 Octobre 2013

Que reste-t-il de cette séquence – l’examen, le diagnostic, la pratique chirurgicale ? D’abord la vie. Eradiquer ou pas et donc prendre le risque de mort à date indéterminée, peut-être lointaine quand j’étais à l’été de 2000 et à pas soixante ans, ou risquer l’impuissance sexuelle, mutilation psychologique de portée véritabale tandis que l’ablation d’une glande ? Ce qui me fit décider l’éradication a été le tableau précis que me donna mon cher Jean-Pierre Daly : l’épave que je deviendrai par chimiothérapie de dernière chance quand les métastases sonneront le tocsin, la voix et l’aspect de corps et de visage qui changent. Ensuite, la fécondité… depuis ma « première fois » jusqu’à ce matin-là d’Octobre 2000, que de fécondations in vivo étaient possibles que j’ai évitées, que j’ai refusées, que je n’ai pas voulus en perpétrant même la plus horrible contraception qu’est l’avortement, faute de notre maturité à tous deux, Gh. et moi, faute surtout de moi qui l’aimait assurément, ne l’ai toujours pas oubliée – splendeur mémorisée en photos. noir et blanc de notre couple nu dans les semaines de cet été de 1976 où cela se joua… torrents de semence perdus, éparpillés comme Onan, qui – lui – pratiquait seul, alors que mes joies furent toujours partagées et provoquées par la joie-même du désir ensemble… c’est la perspective de l’ablation qui me donna (enfin) le désir de l’enfant… et comme celle qui m’aimait et restaura en moi ce que la médecine à elle seule ne peut produire… était restée à me souhaiter à ses côtés et en sa vie, que nous eûmes à combattre ensemble professionnellement, tout fut naturel sauf le mode de fécondation. La séquence cancéreuse a été la plus féconde, donc, de ma vie. Bien plus d’âme, de volonté, de projet que de sexe. Celui-ci devenu langage et baiser.

Communion aussi avec tous ceux à qui « cela » arrive. Soit la mégarde ou une certaine forfanterie faisant que l’homme mûrissant ne consulte pas, et l’on a les faire-part de « mort d’une longue maladie » vers les soixante-soixant-dix ans. Soit l’éradication pratiquée à temps mais les séquelles : l’incontinence urinaire installée, l’impuissance irrémédiable. Pire que les calvaires, l’accoutumance à la diminution. Est-ce un changement de statut pour le partenaire diminué dans ses rôles, orgueils et fonctions en couple ? un changement dans le regard porté sur soi ? je ne sais pas. Je compatis sans savoir. Et il y a « le pendant » du cancer de la prostate, celui, ceux de la moitié féminine : cancer du sein, pas « pris » à temps, l’aînée de mes belles-sœurs, le long veuvage de mon cher frère et la privation et de la présence et de l’étreinte, sa pudeur est telle qu’il ne me l’a laissée ressentir que fugitivement mais ce fut poignant… cancer des organes… mutilation subie, visible surtout, alors que la prostate…Ces cancers ne sont pas tant horribles parce qu’ils peuvent être mortels, ils le sont – pour la femme – parce qu’ils l’atteignent dans sa relation au corps et à al chair, dont l’homme n’a pas idée, faute d’expérience.

Une leçon qui est double. L’atteinte de notre vie par la maladie n’est pas la même que par la vieillesse. Le rapport à soi est différent, la victoire de la médecine et de la chirurgie restent possibles, malade, cancéreux, je peux me remettre en confiance à un tiers. L’accompagnement amoureux et conjugal est tout autant nécessaire – ablation du sein, capacité sexuelle maintenue ou pas, perte du symbole bien plus qu’une sensation ou l’outil de la fécondation qu’est l’éjaculation – pour soutenir le regard sur soi et maintenir la silhouette humaine qui avance, continue, repart après avoir reçu le coup. La vieillesse est un débat avec soi, il dépend de nous, de nos structures psychologiques, d’en faire une étape consciente d’entrée en éternité après les années de distraction et de trop immédiates jouissances et ambitions. Le cancer s’oublie ou nous tue. La vieillesse nous éprouve. Il y a treize ans, j’ai gagné treize ans et sans doute plus, je n’entre en diminution que ces mois-ci. Sensiblement.

L’autre leçon est la force de l’inattendu et aussi celle de la société humaine quand nous en recevons tout l’accompagnement. J’ai été intensément accompagné et aimé pendant ces cinq mois d’une bataille dont je n’ai certainement pas su les aléas ni les enjeux. Je pensais à la suite, médecin, chirurgien, femme de ma vie eux … étaient au présent.

Je n’ai dit ce moment qu’à la célébration en fratrie de notre mariage – tardif pour ma femme, en tant que femme, et pour moi plus encore mais tellement conclusif – auquel notre fille, pas encore identifiée comme telle, a participé. Elle est le fruit de la chirurgie puisque sans celle-ci je serais mort ou je n’aurais jamais pris conscience que la vie st d’abord fécondité. Elle est le fruit de la médecine, de ses techniques de fécondation et de son expérience de la féminité et de la maternité. Elle est le fruit d’une femme qui ne se « voyait » ni épouse ni mère.

Vendredredi 25 Octobre 2013

Bertrand Fessard de Foucault

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