UN
OU PLUSIEURS
CONTES EROTIQUES
POUR
HELENE
Elle se retourna, le ventre sur le drap, le dos à l’air,
les fesses au repos, indolente. Elle avait compris que l’amant, son amant,
l’homme aux cheveux gris et aux yeux bruns, appréciait qu’elle ne se releva pas
aussitôt loes choses faites, faites un moment, accomplies un autre, manquées un
troisième. Il l’avait initiée, du moins le lui donnait-elle à croire, sans
qu’elle mente même à elle-même, qu’est-ce qu’une initiation, un
commencement ? Elle avait beaucoup, en ce sens-là, attendu. Attendu ?
C’est elle qui, une nuit, une nuit qui devait être la dernière avant longtemps,
avait pris les devants, c’est-à-dire contemplé un instant ce sommeil masculin,
ces lourdeurs qui pesaient dans un lit d’hôtel, une chambre trop petite, et
sans fenêtre à ouvrir pour le dehors, et puis elle avait lentement, prenant
garde de l’éveiller, avec douceur et amusement, comme si elle jouait une
comédie, pour qui ? pour lui, qui à son réveil ? … ou pour elle, ou
pour quelqu’invisible spectateur, ses amis, ses amies de là-bas ? ses
parents, témoins qu’elle avait physiquement changé plus encore depuis qu’elle
s’était censément fiancée, mais elle était seule à savoir qu’ils ne
« faisaient » pas l’amour, elle avait réfléchi à tout ce contexte
comme si ce devait être un ultime vêtement, une sorte de jeunesse d’un passé
qui allait finir, et puis d’une main elle avait animé doucement, avec une
science qu’elle se savait d’instinct, le sexe qui avait cessé de gésir, endormi
autant que le visage, que tout le corps, et de l’autre, elle s’était ouverte
elle-même, s’était apprêtée, puis lentement elle avait escaladé d’un genou,
d’une jambe toute la chair allongée et sommeilleuse, et enfin, tranquillement,
elle s’était enfoncée en elle cette partie de lui. Il ne se souvint pas comment
elle l’avait éveillé, et plus tard, dès le lendemain, il ne saurait plus s’il
avait ouvert les yeux, regardé tandis qu’en grande savante du plaisir, de leur
plaisir, de tous les commencements, elle était assise sur son ventre à lui, sur
son propre sexe englouti par elle. Pris, enlacé.
Elle s’était retournée, elle le dévisagea, elle voulait
bien rester au lit, lui complaire mais qu’il l’occupât ! (de grâce). Ils venaient de refaire la cérémonie de
presque tous les jours, elle n’avait envie de rien, mais pas non plus de
demeurer allongée contre lui, au lit, à attendre, à compter, à rêver ce qu’elle
n’aurait su dire. Elle regarda pour lui sourire et voir s’il accepterait son
sourire. C’était une époque où lui plaire, lui importait encore : à
elle.
Il bailla, du moins il en fit mine, la bouche ouverte, mais
les yeux fermés étaient d’un homme, non d’une femme recevant un sexe plein. Si
tu as encore quelques minutes à m’accorder, dit-il avec cérémonie, et en lui
passant la main aux deux creux des reins – elle n’aimait pas qu’il mit les
doigts ailleurs, et il le regrettait… Oui… elle était distraite, mais par rien,
sans doute était-elle dans cette disposition où l’on pense qu’on serait mieux
ailleurs, mais cette once d’énergie qui fait se mouvoir, se relever, elle ne
l’avait pas, elle demeurait là et répondit distraitement. Elle aussi bailla. Il
commença alors : tu te souviens des contes des mille-et-une nuits ?
Les as-tu lus ? cette femme, placée dans le lit du Sultan, et qui est
exécutée, étranglée, décapitée, empalée, le conteur de ne le dit pas, sinon que
c’est le rite, les concubines, les épouses, peu importent grades et qualités,
se succèdent. Chaque nuit, une nouvelle, mais elles sont toutes les mêmes, et
c’est d’ailleurs tout le piment de cette présentation du même menu jusqu’à
l’infini, jusqu’à ce que les jours du Sultan se soient écoulés, ce que le
conteur ne dit pas non plus. Bref, il s’ennuie et n’est pas séduit. Or, il fut
une fois, où la courtisane, qui comme des milliers (ou des centaines, soyons
réalistes, le Sultan devait aller à la guerre ou parfois prendre un garçon ou
encore oublier de donner la clé à l’introducteur de la nouvelle condamnée)
allait donc mourir après une nuit où il n’est pas certain qu’elle aurait connu
la volupté ou pénétré le mystère de cet homme, ne pouvant jouir et désirer que
selon une mise à mort certaine et qu’à deux ils imaginaient en s’étreignant, se
tregardant, se perdant l’un par l’autre, mais uniquement pour le plaisir, car la
mort n’était que pour la maîtresse – probablement fécondée. Jeu royal pour
n’avoir pas de descendance, origine toute humaine de la contraception ?
Or, il fut une fois, où les choses vite commises, la concubine de cette nuit-là
reprit la parole une fois les soupirs de rigueur poussés, comptés et mimés.
Elle raconta une histoire et se garda de l’achever, elle eut droit à une
seconde nuit, elle avait passionné. Tu connais la suite, mille et une nuits
outu la deviens : on a trois ans ensemble… ils ont…
Voilà commence l’histoire, c’est toi peut-être. Il fait
nuit, est-ce une forêt comme dans les opéras, il y aurait un décor de pénombre
et de forêt ? est-ce vraiment une forêt ? y entend-on des bruits, des
souffles, est-ce une vraie nuit, ou seulement une obscurité ? y a-t-il des
respoirations ? Oui, elle est nue, je ne saurais te dire, à l’instant,
pourquoi. Elle est nue, debout dans cette nuit et dans cette forêt, et voici
que sont à ses côtés, sans transition avec l’instant où elle était nue, seulement
nue dans la nuit, la peau si claire qu’il en rauonnait une sorte de lumière
très douce, très faible, mais insistante. On la distinguait pâle de peau,
détachée de la nuit qui l’entourait. Etait-elle sortie de chez elle ?
d’une chambre d’enfant, la sienne, de celle d’un mari, d’un amant ?
Attendait-elle quelqu’un ? A ses côtés, soudain, donc, deux hommes, deux
êtres, l’un tout le corps peint en noir, sauf le sexe, qui est peint en blanc,
et il a le visage couvert d’un masque blanc aussi. Un masque pour qu’on épie
ses yeux, qu’on devine s’il regarde et ce qu’il regarde, mais qu’on ne sache
pas voir vraiment ses yeux. C’est un homme, plutôt bien fait de corps, qui est
nu mais peint en noir et blanc. Et un second, lui aussi peint de la même façon
mais en couleurs contraires :un masque noir, un sexe noir, le sexe noir,
et tout le corps, les épaules, les pieds, la raie des fesses, le dos musclé en
blanc. C’est un blanc artificiel, très blanc, alors qu’elle, sa peau, est d’un
blanc d’ivoire, qui a sa propre luminescence. Eux, il faut qu’une certaine
lumière vienne pour qu’on les distingue, l’un noir, l’autre blanc. Les deux
sexes ne sont pas au repos, ils sont tendus, pas du tout arrangés de main
humaine, excités.C’est le fait d’un désir sauvage, un désir de nuit, un désir d’approche,
un désir de sentir qu’il y a un corps, une proie, une docilité immense, une
défense intense, un jeu inou^¨i à mener et qui s’est préparé pour eux ? où
sont-ils le produit de son imagination, elle, la fée de son propre
écartèlement, de son discours de caresses et d’inventions toutes de saveurs et
parfois d’une certaine cruauté. Elle n’aime pas la cruauté, elle n’aime pas
avoir mal, mais la situation scabreuse, qu’elle provoque, l’attrait qu’elle
exerce pour se refuser, pour narguer, pour avoir éveillé puis laisser retomber,
ellesait la créer, l’appeler.
Les deux nus l’encadrent, debout, à peine plus hauts
qu’elle, elle est très grande, très formée, les seins puissants qui avancent,
lourds et droits. La nuit continue, le silence peut faire croire à un décor tel
qu’on oublierait les dizaines, les milliers de spectateurs, presqu’à portée de
geste, qui ne respirent plus et regardent, et elle le sait. Eux, sont-ils
aveugles ? Avec une symétrie de chorégraphie, ils se sont approchés
d’elle, ils pourraient de leurs mains nouées lui offrir une chaise vivante,
l’emmener fesses et jambes ouvertes vers le fond de la scène.Ce n’est pas ce
qu’ils font. Ils lui prennent chacun une oreille et appellent ses mains à leur
sexe respectif, et ainsi liés, lentement, ils s’ébranlent, elle tenue plus
intimement que par des cheveux tirés et noués, et eux, le sexe pressé par ses
doigts, ses ongles se rejoignant si fort qu’ils en saigneraient. Ainsi
vont-ils… Elle bailla, l’histoire ne commençait que vraiment peu. - Alors ?
Je ne sais pourquoi, j’imaginais que tu m’avais quittée,
que tu étais loin, et soudain m’apparaissaient ces deux hommes, une tenue de
Carnaval, vraiment, et ils te prenaient… - M’amenaient-ils à toi ? – Je ne
le savais pas ni n’en décidais, je regardais, peut-être étais-je toi ? ou
l’un d’eux ? ou les deux en même temps, moi dédoublé en toi, toi et moi
formant un trio ?
Ce n’est que la nuit, mais ils sont tous trois si étranges,
si nus parce que c’est la nuit et que ce sont des couleurs de nuit, pour des corps
de nuit, c’est-à-dire des corps qui songent, qui attendent et ne sont plus
maîtres d’eux ? Qui est maître de notre corps ? Quand… - Alors ?
Il goûta puis redouta son impatience. Il la savait capable
de passer d’un enjôlement félin à une colère subite, glaciale, surtout quand
elle avait ses sous-vêtements noirs. On devinait déjà une veine ici ou là qui
rendrait, par contraste, sa peau encore plus lisse, marmoréenne, blanche en
profondeur, autonome, indépendante, invulnérable, sauf le battement d’une veine,
d’une autre. Elle lui avait, en une phrase à peine, au troisième jour de leur
revoir, expliqué avec sécheresse que ses manières, à lui, de l’entreprendre, de
la caresser, de la palper et retourner avant de la pénétrer, la faisaient
tellement languir qu’une fois son sexe en elle, elle n’avait plus envie du
tout. Et sans doute même bien avant que son sexe se fut enfoncé. Il admit,
parce qu’il admettait tout d’elle, et fut surpris : à peine lui
disait-elle où qu’ils fussent, qu’elle avait envie de lui, d’eux rivés l’un à
l’autre, et qu’il avait eu – chance ou Providence – la présence physiologique
souhaitée, qu’il pouvait pénétrer en elle comme si elle-même n’était qu’un
sexe, qu’une bouche, qu’un océan en permanence à appeler et auquel on arrivait
par la plus mignonne et échancrée des criques. A peine au seuil, on était en
plein.
*
* *
Le trio étrange s’éloigna, pâle et vaguement visible entre
les arbres sur fond de nuits.Ils avancèrent un temps qu’elle ne sut pas
mesurer, les sexes dans ses mains fondaient puis se reprenaient, elle sentait
les hommes parfois haleter, elle supposait qu’ils eussent voulu qu’elle pressa
autrement, qu’elle fit venir à la hampe de chair, puis à la racine dans les
poils du pubis qu’ils avaient abondants et rèches des doigts plus doux, plus
enveloppants, qui formeraient anneau et tireraient d’eux le lait en quelques
gouttes ou en un jet soudain, mais elle marchait tranquillement entre eux,
sensible à la piqure que chacun lui faisait en continuant de lui pincer une oreille.
Elle songea qu’elle jouirait de les voir s’accroupir l’un et l’autre à ses
pieds, puis tendre à elle chacun sa paire de fesses ouverte, le sexe encore dur
de n’avoir ni joui ni débandé pendant leur voyage, et elle aurait enfoncé en
chaque fente, jusqu’au trou, jusqu’à l’intime, le doigt le plus long de chaque
main, en même temps, leur faisant peut-être alors déglutir tout leur sperme
sans qu’elle les eut davantage touchés au sexe. Elle les aurait maintenus ainsi
côte à côte, à ses pieds nus, eux nus, et joué d’un orteil à leur bas-ventre, à
la raie terminant la colonne vertébrale, puis elle aurait conclu brusquement en
les enculant avec ce qu’elle eût trouvé par terre, une branche, une pierre un
peu longue, pas trop épaisse, branche rugueuse qui rape et écorche, pierre
froide qui s’insinue et occupe, elle aurait contemplé les objets ainsi plantés
et que le tressaillement des deux hommes à l’intromission aurait fait quelque
temps frémir. C’aurait été deux pantins, dans la nuit, respirant fort, l’un
plus visible et précis que l’autre, celui peint en blanc, elle n’aurait pas
pensé qu’ils aient alors une âme, des envies, une douleur, ni même un sexe de
garçon fait pour le puits chaud et alléchant d’une fille, d’une femme. Elle les
eût fait se remettre debout, et ils auraient eu devant elle à se débarrasser de
ce qui les pénétrait par derrière et de leur envie de jouir par devant, en
frères jumeaux, en réplique que donne un miroir, ils se seraient masturbés et à
hauteur de ses cuisses, elle aurait senti la chaleur des gouttes épaisses sur
sa peau. Elle se serait détournée, aurait disparu, maîtresse de ses ravisseurs
en s'étant dit que ce n’était donc que cela, un rêve bizarre en noir et blanc.
Mais leur marche continue, le sol, à son étonnement, est
doux à la plante des pieds, des odeurs se développent et s’éveillent, les
entourent et s’enroulent spécialement autour d’elle, tandis qu’ils vont ainsi
sans regard ni voix ; c’est la nuit, mais il y a quelqu’artifice à
rencontrer autant de parfums, d’odeurs de terre, d’herbes, de feuillages
mouillés ou secs d’un moment à l’autre sans que rien ne se fasse entendre, ni
branche qui se brise à leur pas, ni quelque animal fuyant leur arrivée. Une
sorte de nage de conserve, pour une trinité étrange.
Elle songea qu’elle jouirait… non, elle ne jouirait pas,
elle regarderait froidement, sans détacher les yeux de ce qu’elle aurait choisi
de regarder, décidant du paysage, des mouvements, de l’inanimé et de la chair
humaine ; elle imagine et se donne des images pour tromper l’ennui, elle
est sèche et indifférente, elle s’imagine : elle-même dédoublée, tandis
qu’elle sent qu’au contraire ses compagnons ne sont qu’artificiellement
indifférents, ce sont eux qui l’ont choisie, pourquoi ? Leur intérêt est
visible, quoique leurs gestes, leur maintien soient automatiques. Mais
justement ! Sa curiosité n’est pas érotique, elle n’est plus une fille,
elle sait… quoi ? mais pourquoi l’ont-ils choisie, remarquée et emmenée
ainsi dans un autre âge, dans une nuit différente des nuits de son époque, de
celles qui suivent, suivaient d’ordinaire ses journées, des journées qui
n’étaient à elle que par convention, la grammaire donne des possessifs, mais
journée et nuit sont à qui ? Il lui semble que cette nuit lui appartient,
c’est nouveau, elle rêve. Ils ne parlent pas, elle n’apprécie guère qu’on la
force à parler par de l’intérêt qu’elle croit feint, ou par trop de questions,
elle est banale, se veut banale mais la nuit et cette course lente ne le sont
pas. La nudité n’y fait que peu, il y a autre chose, qu’elle sent proche de
s’éclaircir en elle. Elle perçoit soudainement, et s’en étonne, elle n’a pas
froid, alors qu’ils sont nus, que la nuit est avancée, la forêt plutôt humide.
Ni chaud, la marche les entretient dans une chaleur autonome, qui leur serait
donnée en sus du silence qu’ils observent et qui leur plaît. C’est leur point
commun, ils marchent, ils marchent en silence, et n’hésitent pas. Les bras, les
siens, les leurs, tombent, il fait tout à coup très doux, celui qui est peint
de noir souffle sur un doigt approché de ses lèvres, se taire, continuer, ils
ne sont plus libres, aussi se sont-ils détachés les uns des autres. Elle les
observe, ils ont ralenti tous trois, occupés à faire que les mains lâchent leur
prise, des mains engourdies. Le sang leur bat comme s’ils avaient couru ou
comme s’ils étaient déjà à s’étreindre, mais entend-on taper son cœur quand on
est deux ? et ils sont trois, elle ne sait s’ils sont vraiment complices,
ses deux ravisseurs. Prédateurs, compagnons, protecteurs, elle est désorientée
et se détache de ces questions, quelle importance. Ces heures ou ces minutes ne
changent rien à sa façon d’être toujours intérieure à elle-même, guère
vulnérable. Elle marche entre eux deux, quelle différence avec dormir seule ou
au côté d’un homme, prétendûment son mari ? Elle prononce le mot d’une
façon bizarre, comme s’il n’existait pas dans sa langue. Avoir d’être possédée,
avoir un mari ? avoir du droit sur quelqu’un ? ou bien s’être fermée
à tout autre ? ou à un autre ?
créé le
mardi 7 mars 2000 – imprimé le lundi 3 avril 2000 – relu le jeudi 16 Août 2007
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