lundi 28 octobre 2013

l'espérant - lettre méditation




















                                                                                              L  '  A M O U R




                                                                                              E S T   




                                                                                              U N       




                                                                                              R E T O U R


















Mon épouse infidèle,
je vais la séduire,
je vais l'entrainer jusqu'au désert
et je lui parlerai coeur à coeur.
Et là, je lui rendrai ses vignobles,
et je ferai de la Vallée-du-Malheur la porte de l'espérance.
Là, elle me répondra comme au temps de sa jeunesse,
au jour où elle est sortie d'Egypte.
Tu m'appelleras, Mon époux, et non plus, Mon maître.
Tu seras ma fiancée, et ce sera pour toujours.
Tu seras ma fiancée,
et je t'apporterai la justice et le droit, l'amour et la tendresse,
tu seras ma fiancée, et je t'apporterai la fidélité,
et tu connaîtras le Seigneur.

Osée, II.16-22








Parole du Bien-Aimé : " Que mon nom soit gravé dans ton coeur, qu'il soit marqué sur ton bras. " Car l'amour est fort comme la mort, la passion est implacable comme l'abîme. Ses flammes sont des flammes brûlantes, c'est un feu divin ! Les torrents ne peuvent éteindre l'amour, les fleuves ne l'emporteront pas. Si quelqu'un offrait toutes les richesses de sa maison pour acheter l'amour, tout ce qu'il obtiendrait, c'est un profond mépris.

                                                                                              Cantique des Cantiques, VIII 6-7




























                                               T'attendant, t'espérant, je n'ai que deux certitudes : je t'aime et je ne te connais pas.

Hier : un mois que tu es parvenue à me dire nettement, au téléphone, m'y ayant appelé après plusieurs jours ou semaines de ce silence auquel je m'étais habitué, parvenue à me dire que ta détermination est négative. Depuis des mois, je t'écrivais et quand nous étions ensemble au téléphone, te disais mon besoin de ta détermination, ferme, assurée. L'expression de ta liberté. Ta présence dans ma vie était telle, que ton absence du moment, tes silences, parfois tes rebuffades ne me chagrinaient pas. Ce qui comptait c'était que tu parviennes au terme de ce parcours dont nous n'avions rien prévu en nous séparant une quatrième fois en Septembre dernier. Un parcours que je vivais sans en rien savoir, sans rien connaître de ton existence là où tu es, avec qui tu vis, mais que je croyais celui d'une réflexion - un peu hibernante, lente et sans question, ni anxiété. Je pensais que dans cette sorte de jachère, tu trouverais tranquille et posé au centre de toi-même une certitude qui ne t'avait jamais quittée depuis notre rencontre. La certitude de notre avenir, de notre vie ensemble étaient telles que tout ce que tu ne me donnais pas, tout ce que tu me refusais m'était négligeable, tu serais autre, tu serais mon épouse, tu étais mon épouse, et notre union te découvrirait, te ferait être à l'exacte coincidence de mes désirs, de mes souhaits ; d'ailleurs, ceux-ci seraient à la mesure des tiens, de ce que tu éprouverais, de ce que tu me demanderais, de ce que nous vivrions ensemble. Tout me semblait, de ta part, une pédagogie, si inconsciente qu'elle soit peut-être, qui m'était nécessaire. Tu m'avais décentré, c'est de toi que j'attendais tout et pas seulement ni vraiment le bonheur selon des idées ou des fantasmes bien limités. Tu signifiais la vie, la réalité, tu mes les apportais et par conséquent l'essentiel était notre avenir. L'avenir dont je ne doutais pas. C'était plus fort, plus net, plus réel que l'amour, que des sentiments ou des projets. C'était le mouvement le plus concret, le plus intime. Nos attentes, car je te supposais toi aussi en attente, mais d'une autre manière, étaient une préparation. Ton attitude avait valeur éducative, m'apprenait à t'attendre, à respecter tes réflexes, ton rythme. J'appréciais que tu me convies ainsi à un oubli de mes impulsions, de mes engouements et mendicités habituels. Tu étais parfaite parce que tu étais le critère de la réalité, parce que tu étais déjà ma femme, que je jugeais l'existence, mes propres sentiments par rapport à toi, à ta présence dans ma vie. Parfois, je m'interrogeais : les apparences de plus en plus fortes de ta sécheresse, de ton propre égoisme, le peu de sensibilité que tu manifestais pour la mienne, le mode très convenu de tes voeux et autres salutations au Nouvel An ou à mon anniversaire me peinaient dans l'instant que je les constatais. Bien sûr, ta voix enchanteresse, tes impatiences qui me donnaient une forte sensation de ta présence, de ta respiration non loin, me calmaient, m'apaisaient. Tes attentions, quand tu en avais, me surprenaient, me retournaient, me ramenaient à des épisodes dont je n'ai pas souvenir mais dont le lit a demeuré. Je te retrouvais, tu me retrouvais également, je le sentais alors, ta propre surprise que tu puisses te confier à moi, que j'accepte ainsi de t'entendre me signfiier ton doute sur l'avenir de notre relation, ton inappétence, ton envie que tu n'avais plus de nos retrouvailles. C'était toi de semaines en semaines. Il avait été convenu, je pourrai en retrouver la date, peu importe, convenu que désormais ce serait à toi de m'appeler, que je dérangeais les tiens en tentant ma chance à ton retour d'Université ou d'Institut tard le soir, souvent après 23 heures. Je te plaignais pour de tels horaires. Tu m'assurais n'être pas entamée par cette austérité, cette monotonie de vie mais tu ne répondais pas à mes questions sur l'emploi de ton temps, sur tes distractions ; tu avouais parfois du ski, ce qui m'avait étonnée car tu n'en étais pas friande à Almaty, je devais donc t'imaginer sur des plans neigeux, les bouleaux ou les sapins aux bords de la Baltique puisque je ne connais de Saint-Petersbourg que quelques cartes postales collectionnées à la hâte un après-midi du dimanche de Juillet 1992 où je fus en transit vers le Kazakhstant, allant d'inconnu en inconnu sans aucun pressentiment ni de ma chute de carrière ni de notre rencontre. Ville magnifique, vaste, somptueuse mais qui m'avait paru déserte. Tu habites loin du centre, tu me dis avoir quelques deux heures de transport aller et autant de retour avec de l'autobus et du métro, la nuit tombant vite l'automne dernier et ton père t'attendant à l'arrêt d'autobus. Tu me parlas de billard, une académie ? de piscine, de massages, tu ne disais rien des amitiés, des groupes, des autres étudiants ou étudiantes, sinon que notre amour, notre relation, les questions ainsi vivantes en toi, te séparaient des filles de ton âge s'adonnant à des amourettes et te paraissant bien peu mûres. Tu en semblais fière, comme d'une réelle avance dans l'existence, et comme tu avais vêcu de même à Almaty, assez isolée et voulant le demeurer, j'en acceptais l'augure, ainsi les semaines et les mois devaient passer qui ne nous éloignaient pas fondamentalement l'un de l'autre. J'avais assez vite compris, quant à moi, que cette séparation n'était pas bonne, que tu te réhabituais à une existence qui n'était pas la nôtre, je ne sentais pas que tu entrais dans une autre existence, celle de ton âge, sans doute, mais voyais fermement qu'à ne pas partager cette période-ci de la mienne, nous manquions chacun quelque chose, moi de m'appuyer sur toi, de partager avec toi, et avec toi seule, mes attentes et mes espérances d'un rétablissement professionnel, et toi peut-être d'éprouver mieux la réalité amoureuse, la réalité conjugale. Je sentais que nous devions nous réunir et vivre la difficulté du moment qui serait peut-être la difficulté matérielle de toute notre vie. Tu me posas périodiquement la question, tu venais aux nouvelles : où en étais-je de ces espérances ? Je n'avais pas de réponse ni d'échéance, sinon cette intuition dont tu ne te satisfaisais pas, car tu es pratique pour deux tandis que je ne le suis guère : que ta présence, que ton amour, que ta certitude changeraient le cours des astres et m'apporteraient quelque chose, même au plus concret du plan professionnel et donc financier. A présent, je sais que si nous ne nous étions pas séparés, j'aurais été forcément plus pugnace, imaginatif, constant dans une recherche de situation, même et surtout d'attente ; nous aurions ensemble grapillé billet par billet pour augmenter l'avoir quotidien. Ces deux ans, où nous avons sursis à notre mariage, à notre établissement, je conjecturais toujours que nous gâcherions beaucoup en commençant dans la gêne et si médiocrement. Je te voulais - en situation de reine - comme tu y étais déjà dans mon esprit, dans cette sorte de fierté que j'avais de toi, et qui me faisait apprécier des traits de caractère que des tiers relevaient comme autant de marques d'un certain dédain, d'un certain mépris pour le tout venant. J'y voyais une royauté native et je voulais que nos débuts soient dans un écrin. Au printemps de 1995, il était légitime que tu terminasses ta scolarité à Almaty et que nous attendions l'été et le probable retournement de tendance que présageait la succession présidentielle ici, quelle qu'elle fut. Puisque mon emploi, ma carrière sont à la discrétion du Président de la République. L'été de 1995 fut un rattrapage, tu me revins décidée à rompre mais dans l'esprit quand même que peut-être je te réinspirerai quelque certitude. Etaient-ce tes 17 ans qui m'avaient poussé à toi ? Je t'avais vue sur scène, ce théatre amateur de ton école, nullement comme une adolescente : tu paraissais dans un rôle assez autoritaire et où tu disposais du sort des autres protagonistes, avoir la maturité et les alternances de pudeur et d'aveu d'une femme de quarante ans. Je ne vis la quasi-enfance de ton visage que dans les coulisses, tes cheveux libérés, tes dents de lait... Je te reconquis contre mon espérance ce premier été et tu me laissas dans la perplexité, la dernière nuit tu avais voulu que nous fissions l'amour. Don dont tu voulais me marquer ? curiosité que tu avais, qui avait gonflé en toi. Les choses se jouèrent dans un demi-sommeil, j'achetai le drap comme une relique, il y avait ton sang, mais tu avais tenu ton rôle, tu t'étais servie et installée toi-même avec un tel naturel que je me demandai souvent si ce n'était pas déjà quelque habitude. On ne demande pas à la jeune fille qui sera votre épouse si elle était vierge avant cette mi-nuit là. Tu me dis en conserver le souvenir d'une grande douceur, tu m'as toujours trouvé très doux, à ce propos, dans ces moments. Tu n'avais pas voulu revenir pour Noël, je ne me sentais plus prêt à te recevoir dès Avril, au printemps de 1996. Nous étions désaccordés, tu étais pressante parfois, je ne m'inquiétais que de moi, mon impasse professionnelle était tout, je fus déçu dans les premières heures de ton retour l'été de 1996 et ce mouvement - à le considérer aujourd'hui - a peut-être été notre vérité, si nous ne nous réunissons pas d'ici la fin de celui-ci : 1997 déjà et tu vas vers tes 21 ans. Tu me déçus, il y avait quelque chose d'impudique qui me choqua et me laissa d'ailleurs sans désir à notre premier moment le soir de notre étape à Argentière. Tes mains m'avaient déplu, que je voyais posées sur le plat-bord de la voiture. Tu arrivais pourtant décidée à notre mariage ; d'emblée, tu abordas le sujet, nous n'avions pas encore atteint le périphérique depuis l'aéroport Charles-de-Gaulle. Pas de fête, pas de cérémonie religieuse, ne pas nous handicaper de notre dèche : nous marier pour nous. J'acquiesçais, je tenais à toi, je tiens à toi plusq u'à toutes formes. C'est dire si tu m'as changé, si tu me possèdes. L'essentiel c'est toi, et toi c'est notre amour, et notre amour, c'est l'alacrité de l'existence, l'appétit et le goût et la raison de vivre. Nous avons pourtant encore sursis. Tu ne le souhaitais pas, je t'en convainquis, tu t'ennuierais et t'userais de ma propre attente, de ma détresse souvent et Reniac où nous serions astreints à demeurer la plupart du temps, faute de moyens, tu n'en apprécies le séjour que s'il est bref. Tu ne t'es pas encore approprié ces lieux et ce que nous pouvons en faie, en imaginer... avec de l'argent. J'étais l'automne dernier à bout de forces, comme toi-même l'avais été l'été précédent quand tu m'étais revenue si dubitative, amoureuse d'un Volodia que tu avais courtisé à tes très vertes années, qui t'avait dédaignée mais pour qui soudain parce que l'Ambassadeur de France au Kazakhstan, votre pays natif à tous deux : Russes de souche, voulait t'épouser, peut-être aurait-il dit, consentait à t'épouser. Tour à tour fatigués, désespérant de notre force et de notre endurance, nous remettions à la suite nos débuts. Tu me quittas ainsi, et dans les huit jours me proposa de revenir. Je le refusais, tu insistas si peu que tu fis passer ta suggestion pour une plaisanterie. Je ne me croyais pas capable d'abandonner des sûretés qui - tant que je suis dans la débine - me paraissaient indispensables à ma survie, et je ne te croyais pas capable de me les donner par susbtitut. C'était grave, nous n'en avions pas conscience. Le présent, qui m'était si contraire et que je t'avais d'ailleurs exposé comme tel, je le faisais passer à la trappe tant j'étais sûr de l'avenir, donc de toi. tu étais devenue d'ailleurs ma seule certitude, un vrai soleil, le soleil, puisque les mois passant, les années à présent, je n'avais plus la moindre espérance de mon rétablissement professionnel : le vide. Tu devenais un élément magique, très abstrait, et pourtant continûment existant, un élément, le seul élément bénéfique de ma vie. Notre dialogue devint ainsi ma supplication que tu te détermines à revenir à tous risques, et que te donnant ainsi amoureusement et avec un optimisme surnaturel, tu apporterais à mon jeu, à notre jeu, la carte que nous ne savions nommer mais qui allait changer tout. Je compris dès avant Noël que ces dialogues te rétractaient, que tu n'avais plus plaisir à l'accueillir au bout du fil. Un mois passa même, tu ne répondais plus, tu n'appelais pas, tu raccrochais même quand j'appelais. Un miracle se produisit, tu me pris au téléphone, tu pus me dire tous tes sentiments, aucun ne m'était favorable, ne nous était favorable si cette première personne du pluriel devient autonome quand deux êtres ont formé ensemble un projet commun et que celui-ci leur échappe, les précède, les attire et les réunit de nouveau quand ils seraient en manque de ressources et d'attraction réciproque. Mais ce qui compta, pour toi comme pour moi, je crois, c'était que nous nous parlions de nouveau, tu articulais des mots, des phrases, tu te disais, t'exprimais. Nous n'avions jamais pris en compte ce risque en nous séparant. J'étais certain de ton indépendance de caractère, de ta maturité - étonnante pour ton âge, mais qui était pour moi une donnée de fait, absolue - et je me voyais, dans ma panade professionnelle et dans mon besoin pratique et affectif d'un accompagnement sur place faute que tu sois là, et faute que je t'ai cru capable de le fournir, alors que je voulais n'être qu'apporteur et non demandeur, au moins pour nos commencements, oui, je ne voyais d'élément faible dans notre couple, que moi... Tu étais ma partenaire, ma femme, mon épouse et je croyais que par téléphone, par lettres, nous avancerions, nous gagnerions cette dernière année sans encombre, que le temps travaillerait pour nous puisqu'il nous conduirait à l'été, cet été, et à mon rétablissement. Quand nous sommes ensemble, tes mutismes sont toujours rattrapés par mon ingéniosité, par la grâce que je crois originelle dans notre couple, et qui m'est donnée : te remettre en selle d'amour, en croupe d'amour, en confiance que tu es comprise, aimée, respectée et que tes silences si tu y tiens, je peux attendre que tu les rompes un jour, plus tard, certain que je suis de ton amour et de ta décision de fond, ta décision fondatrice, ta décision originelle. Mais tu n'écris pas, ou si peu, et notre convention posée que je ne t'appellerai plus, que tu m'appellerais à tes propres heures et suivant ton humeur, ton goût de m'entendre et de me parler, tu m'appelas certes, mais de moins en moins souvent. Nous nous manquions, j'ai ta voix sur mon répondeur, elle était enjouée, proche, joyeuse, proche à me faire des reproches, à me fixer une daye ou une heure, proche comme chaque jour et avec aisance, on rejoint quelqu'un de très habituel. Je t'entendis ainsi, c'était notre quatrième printemps. L'été allait arriver et ce fut la surprise des éphémérides politiques, ici, qui ont changé il y a un mois à peine la géographie où se dessine ma carrière. J'ai regretté que tu ne m'appelles pas, alors. Mon répondeur enregistrant chaque appel, je constatais que tu ne t'inquiétais apparemment pas de moi, et moi, pour toi, ce doit être nous. Je sais que toute forme impérative t'est insupportable, que tu la juges de surcroît irréaliste. Mais enfin, le retour de la gauche au pouvoir, envisageable, possible, souhaitable, puis survenu, mes espérances de rétablissement se restaurent et il y a de bonnes chances que se remplisse le préalable qu'à notre mariage et à notre union, nous avons mis - avec sagesse croyions-nous chaque fin d'été quand nous nous sommes séparés, bien imprudemment dois-je peut-être maintenant reconnaître... Que tu ne m'appelas me peina, autant que tes voeux de Nouvel An ou d'anniversaire que tu proférais en termes banaux et civils de santé et de succès, mais nullement de nos retrouvailles et de consommation de notre amour. C'est ainsi que tu as coupé court à mes regrets, il y a un mois, hier : non, tu n'avais plus envie de m'avoir, non tu ne te marierais pas avec moi. Et ce fut ainsi. Je compris, c'était le mardi soir - juste JOSPIN composait son Gouvernement et je supputais qui me serait avantageux aux Affaires Etrangères ou qui compliquerait mes manoeuvres pour rentrer en grâce, surtout que j'ai à vaincre une bonne part de l'establishment. Je compris pourquoi - inconsciemment - j'avais préféré tous ces mois ton silence, me permettant de garder et caresser encore toutes mes espérances, ma joie, la joie dont le futur demeurait gros, ton silence plutôt que ton refus. Tant que ne venait pas ton refus, tout nous restait ouvert, j'attendais, et j'étais sûr que l'attente se dénouerait en ma faveur, en notre faveur. Tu sais que notre rencontre a été pour moi une révolution, puisque tu as produit en moi une unification, une assurance, une détermination qu'aucune femme ne m'avait donné d'éprouver pour elle, depuis quelques trente ans. J'y vis un complet surnaturel, je te reçus comme un don de Dieu et te contemplant ainsi, je n'ai pu imaginer depuis que tu ne fus pas pour moi. Ce qui me conférait une totale responsabilité. Responsabilité de ne pas déflorer l'existence ou l'amour, de te protéger de la laideur du monde, et d'abord de la mienne, de t'envelopper d'une prévenance et d'un respect de tous les instants et à tous les points de vue. En échange, si je puis dire, je recevais de toi la promesse du bonheur, de l'accomplissement ; toutes difficultés pratiques, toute aspérité dans notre relation ou dans ta personnalité était un signe d'avoir à accepter, à m'adapter pour mon plus grand bien. Ainsi, de ces mois difficiles d'attente et de vent contraire, je portais une responsabilité parce que - ne te gardant pas auprès de moi, l'été dernier - je n'avais pas fait assez confiance en toi et en la Providence qui nous mariait souverainement et par présentation, et tu n'en portais aucune, même en te montrant si dubitative et en recul : épreuve salutaire, pas davantage. Etait-ce réaliste ? C'était nous en moi. Qu'étais-je en toi ? Je ne m'en inquiétais pas, que tu ne susses plus me le dire, que j'ai si peu souvenir que tu me l'aies dit, mais les mots pauvres et banaux de ton âge et d'une langue que tu possèdes mais qui n'est pas tienne, parce que tu les disais, m'étaient et me sont aussitôt précieux. tu m'apprenais cependant la relavivité de ta détermination ; je n'en souffrais pas, c'était ta manière et la Providence, elle, ne changeait pas ses plans. Te laisser libre, en souplesse, c'était - dans la médiocrité de toute cette année d'un nouveau sursis à rien commencer - ma manière d'être heureux, provisoirement : te donner cette liberté, cette souplesse, sentir que cela te faisait plaisir, t'entendre parfois conclure nos conversations téléphoniques par l'affirmation - jolie - que, oui, tu venais d'avoir beaucoup de plaisir à parler avec moi, cela me suffisait. Tu m'as fait une grâce, il y a un mois, ton appel du mardi soir a été aussitôt suivi de ce que je n'ai pu recevoir que d'une certaine manière : manière de démentir, quoiqu'assez paradoxalement, ce que tu venais de me dire, ce dont tu venais de me faire part.

                                  Demain, un mois que m'appelant - ce fut jeudi midi - pour me signifier de ne plus déranger tes parents, car je venais de tenter de te ravoir au téléphone... après ta signification si roide de l'avant-veille, tu en vins à me dire, ce n'était pas un aveu, c'était un déversement manifestement destiné à me faire lâcher prise, à obtenir mon désistement, ta libération, mais de quoi ? et pour quoi ? tu en vins donc à me dire que tu t'étais barrée de chez tes parents (vocabulaire afranchi qui n'est pas le tien), ce dont je pouvais me douter. Explication du fait répété que t'appelant, je ne t'obtenais presque jamais : à quelque heure que ce soit, très tardive ou encore matinale, quoique je sache que tu n'aimes pas m'avoir au téléphone à ton propre réveil - tu l'avais tardif nos premiers mois de ton installation à Saint-Petersbourg, n'ayant de cours que l'après-midi et le soir. Donc, tu découches, mais comme tu m'as fait la grâce paradoxale de ne rien me dire de tes fréquentations, de ne me décrire en rien quelques rues, bâtiments, lieux que ce soit et où tu vis, je ne peux non plus rien visualiser, imaginer de ta vie parallèle, ni un visage ou un corps d'amant, sinon banal, ni tes bonheurs, tes joies, tes habitudes. C'est un véritable conte, et à la limite si tu en es heureuse, pourquoi pas, surtout si cela te fait revbenir à moi, à la fin de ta récréation. Tes dénégations répétées que je n'avais pas à être putativement jaloux, qu'il n'y avait aucun homme ou garçon en vue, ton affirmation en revanche que tout cela n'importait en rien, et que le trajet de ton âme, de ton coeur en étaient indépendants m'avaient ancré dans l'idée, que je ne croyais pas naîvre, que tu vivais en totale hibernation sensuelle, et élucidais à ta façon ce que tu voulais de toi-même et de la vie. C'était cependant une nouvelle, tu en ajoutas une presqu'aussitôt dans le mouvement de notre conversation qui te rendait loquace. Tout simplement, tu t'es mariée et me revenir cet été, l'accepterais-je si c'est avec ton mari. Ce fut fou à entendre. Tu fus incapable de me dire la date de l'événement, bien sûr pas d'enfant en route, ce n'est pas l'important, le bonheur oui, une vague reconnaissance que tu n'avais pas eu encore le temps ni l'occasion de jamais exprimer pour ce que je... A revenir sur le portrait de l'impétrant et quelques précisions concernant ton mariage, je sentis l'artifice, cela avait dû se faire en Février, quelqu'un de deux ans de pus que toi, quelle profession ? ingénieur et déjà gratifié d'un emploi. Je ne te demandais pas le prénom, tu eus peut-être hésité. Je ne te croyais pas... je ne te crois toujours pas.

                                  La rupture entre nous, tu ne pourrais l'accomplir qu'en me disant la vérité entière de ton itinéraire, le détail de ce que tu ressentis en me rencontrant, en me choisissant car tu m'as choisi, toi, bien avant que tu ne me retienne et que j'acquiesce. Me dire la vérité de ce qu'il s'est passé en toi jusqu'à la constatation - banale par tous les temps humains, mais inexplicable, totalement à faux dans le paysage où tout était providentiel et qui était le nôtre, en tout cas le mien - la constatation de ton désamour. Car tes dires de ce jeudi-là étaient contradictoires... Tu affirmais ta capacité de fidélité, ta maîtrise de toi-même, que si nous étions demeurés ensemble l'été dernier, nous le serions encore à présent et même partis pour le demeurer jusqu'à la mort. Simplement, tu étais passée, tu serais passée d'une réalité à une autre. Ta nature ainsi, ton éducation si différente de la mienne, athée, matéraliste, totalitaire, produit intégral d'un régime dont tu n'as vêcu enfant que l'extrême fin, le délitement. Oui, une nature et une éducation nous privant de beaucoup de repères et de réflexes communs sauf à puiser dans le tréfonds d'amour et d'âme qui est commun à toute l'espèce. Tréfonds que je crois inépuisable et propre à toute fondation, et à supporter toute construction. Comment avec tes forces, avec ce rappel d'aptitude à la fidélité, avec l'assurance à plusieurs reprises cette année comme l'autre année, que tu m'avais assurément aimé quand tu disais m'aimer, comment imaginer que tu sois passée si vite d'un projet, d'un homme à un autre ? Je n'ai pas encore reconsttiué la chronologie de tes silences et de tes moments où nous conversions encore avec joie, liberté et confiance, mais je ne vois pas comment a pu s'y trouver l'interstice par lequel se serait insinué ton mariage avec un autre. T'entendant, je retenais la confirmation que tu ne ressentais plus aucun sentiment amoureux pour moi, que tu n'étais nullement à boucler tes bagages pour revenir cet été vers moi et qu'enfin tu ne souhaitais manifestement pas mes rappels téléphoniques, d'ailleurs t'appeler sans jamais t'obtenir et pour cause puisque je ne téléphones pas au "bon" endroit était inutile, je le savais depuis des semaines.

                                  Tu ne m'as pas plongé dans le désarroi. La peine, le mal, tu me les avais inoculés à petites doses, dès avant l'été de 1995 quand je te sentais devenir lointaine ; cela avait redoublé tout cet hiver, je trainais de plus en plus lentement le fardeau d'avoir à vivre machinalement sans ciel... sans toi. Je te découvrais cette année, mais sans m'en inquiéter, comme d'un état passager, celui d'une adolescence revenue à la charge, je te découvrais inerte, paresseuse, sans rythme, alternativement plongée dans des études ou des moments te satisfaisant pleinement, ou au contraire attristée par la météo. ou quelque très menu événement. Oui, inerte et vulnérable. Je croyais que tu hibernais, rien de négatif, et puis c'était toit. Ce que tu m'as dit, il y a un mois, si tu en étais restée à m'annoncer ton désamour, n'aurait pas constitué ton antiportrait. En revanche, ton mariage te ressemble si peu : à la sauvette, une décision de vie - banale et médiocre, au regard de ce que, même pauvre à perpétuité, notre union pouvait, très objectivement d'apporter d'extraordinaire. Une vie de défi, pas seulement une vie d'amour, une vie d'inconnu et d'imprévisible, et tu aurais choisi une vie si balisée, si localisée, si peu dépaysante, et tu l'aurais fait si jeune, si précipitamment ? Cela ne colle pas, que tu aies voulu prendre du recul, t'amuser, rencontrer d'autres hommes ou n'en rencontrer point, de la bagatelle pour toi ou du silence entre nous, je pouvais le comprendre, je le comprends, même si c'est accepter notre séparation et que j'ai pris pour des miracles et des prévenances, ce qui n'aura été qu'un amour de plus dans ma vie, un amour raté, comme tous les précédents, soit ! Mais que je me sois trompé sur ta qualité d'âme, non ! un piédestal sur lequel je t'aurai hissée, pour mevaloriser moi-même de toute la beauté et du romanesque de ma conquête et de notre projet ? Peut-être... mais que tu aies été si légère en amour, si instable, si prenable aisément par un quelconque autre ? que tu m'aies menti par omission, que tu aies engagé une vie parallèle tout en m'assurant que ta réflexion ne portait que sur nous, et que d'ailleurs cette réflexion était réelle, que tu la menais... ? que tu aies pu choisir quelqu'un sans en être habitée, car tombée amouresue, et d'une façon telle que toute notre aventure s'en soit trouvée périmée, rapetissée à l'infini par comparaison de la nouveauté, de la découverte etc... je l'aurais senti, tu n'aurais pu me le cacher, au ton de voix, pas seulement ce jeudi-là où tu me disais - soi-disant... - tout, mais bien auparavant. tu n'aurais pas ainsi reculé de jour en jour, de semaine en semaine, si tu avais été si heureuse, enfin heureuse ? C'est donc que tu respectais tout de même cette force de sentiments en moi, que tu respectais ma ferveur et mon assurance. Tu en avais peur et ne savais comment les contourner, les prendre à revers, les annéantir, t'en débarrasser. J'ai donc très vite cru à un mensonge tactique, énorme et improvisé de ta part.

                                  Cela n'arrange évidemment rien, car je continue d'être seul à conjecturer sans le moindre élément sur lequel m'appuyer, sinon que nous sommes de nouveau en silence depuis un mois, que tu gardes de nouveau le silence. J'ai peine à imaginer que mon visage, ma voix, le souvenir de nos projets et certains de nos moments t'aient quitté à jamais l'esprit, qu'il n'y ait pas de fréquents, de quotidiens recours... Seuls faits, tu gardes le silence et depuis des mois, tu ne m'as plus dit ou manifesté le moindre sentiment amoureux. Soit ! Mon assurance est à peine entamée, c'est-à-dire mon amour. J'imagine si peu ta vie, que ton retour périmera les entr'actes. Je respecterai ce que tu as vêcu, d'autant qu'il sera mien puisque ce sera le chemin par lequel tu seras revenue, finalement venue. Je persiste à croire que tu es capable, entrée en toi-même, de discerner que tu n'as pas cessé de m'aimer et que m'aimer est préférable, nous aimer est préférable, aimer notre union est pour toi, préférable. J'ai cessé de souffrir, ton silence, ton manque d'égards m'ont fait souffrir, tu étais vivante, tu étais proche. C'est actuellement fini. Quand je t'évoque, autrement que dans un présent que je ne sais pas mais dont j'espère qu'il te rapproche de moi, ou dans un futur où je continue de te oir, de te regarder, de te désirer, de nous projeter, royaux, heureux et accomplis, quand je cherche à me souvenir de toi - n'ayant pas encore composé nos albums de photographie, ni revu, sauf un court passage, un moment où nous allions faire la "sieste" à Vitoria, l'été dernier - je ne trouve aucun geste, aucun sourire de ta tendresse, aucun de ces mouvements où l'on accourt, sourdant de joie amoureuse. Des images de dénégation, de solitude, parfois d'impatience furieuse et dépitée, j'en ai beaucoup de toi, c'est étrange, mais cela ne m'induit nullement en découragement de nous, c'étaient des débuts, ce sont des débuts. Car vois-tu de toi je n'ai pas de rechange.

                                  Tes aveux qui sonnent si faux ne me détachent pas de toi, car ils ne sont pas véridiques. ou alors tu deiendrais si banale, si médiocre que jamais tu n'aurais existé, tu ne serais entrée dans ma vie. Or, tu y es entrée et ta présence persiste, ni toi, ni moi n'y pouvons rien. Je le conbstate tout simpeme,nt. POur ne pas te harceler, j'ai donc décidé de m'entenir à cette ultime enveloppe qui a été postée il y amaintenant quinz jours,nbers toi et que tu as en main maintenant, c'est spur. Compte ànrebours ? C'est spur ausi. Tu le sais, autant que si je ne e l'avais pas maqtéu et écrit. Je t'ai assuré de ma compténsnion, de mon amour, de mon surcroît d'amour et en toute logique, bien pratqiue et bien réaliste, je sais que ce sonty tes vacances universitaires qui te donenront le loisir de venir, nous donnent aussi la limite raisonnable passée laquelle tu ne reviendras pmus. Encore deux mois... Je ne te dis pas que j'espère ni que j'attends. C'est beaucoup plus simple, ton refus, tu l'as proféré, c'est un fait, je l'ai entendu, je l'admets, je ne le refuse pas mais il m'est étranger, il est étranger à mon amour pour toi, il est étranger à notre amour, à ce qui fu conçu et n'a pas encore éclos. Toute réponse autre que ton retour d'amour n'en est pas une, n'en sera pas une. Je suis parti dans l'étrange entreprise de t'écrire périosuqueent avec le bonheur d'être d'esprit tout à toi, tout concentré vers toi, sur nus, et d'ékucider, d'aprofondir avec toi, oui, cette étrangeté que je taime oarce que tu maimes, que je t'aierais plus si tune m'amais plus, que je ne chercherais d'amoiur et de femme que ce qui serait toi et notre amour, que tu m'esinifimément cheère, que tes défaust mutliples et toutes tes impuissabces eou distractiuons à m'aimer et à me dire ton amour, à m'entorer sont cmme s'ils n'étaient pas, pare que tu comptes seule, parce que j'attends de toi tout l'amour dont tu es capable, et que cet amour n'a de sens, de valeur, de vertu denehcnatement et de réchauffement, de susctement et de résurrection pour moi que venant de toi. Je serai sans doute amené à te dire que rien 'na jusqu'à pérsent été complet, oarfaite, vraiment attatrauent, ni objectvement à suprpasser ce que j'ai pu vivre ou recevoir ailleurs et d'autres que toi ou ce que je continue de recevoiur encoire maintenant, lais que cette imoercection relative n'a aucune importance, parce qu'il n'y a que de toi que je veille recevoir, et que ce que je ne reçois pas de toi, je ne l'attends que plus, e que ce je reçoi d'auyre m'attache plus à toi et à mon attente de toi. J'en perçois tout le poids, tout  pri, et oourtant c'est nul parce que cela ne vient pas de toi. Je serad onc amener à découvrir avec toi que ce qui importe suelement c'est notre amour, tout entier encore à bâtir, à construie, à consommer, à nous laidser aller, faire et cérer en lui, et que tout ce qui n'est oas cet amour, n'est rien. Rien ton silence, ta trahison et rien ce que je reois en survie et pour t'attendre sans être moirt ni debenu fou avant tn retour. Cette réalité de mon espéance me dépasse. Comme tu m'as, selon toute apparence, et selon toute logique de cette apparence, déjà quitté, cette persistance de mon amour et dema foi ne te pèseront ni ne te gêneront. T'écrifant, je ne sauais m'adresser à une jeune post-adolescente russe, émigrée du Kaakshtan à SaintPetsrebourg, ayant séduit l'Ambassadeur de France das son paus de aissance et ayant oublié son initiateur, si'ol en fput un, quand du temps oassa et qu'elle rencontra quelque'un de sn âge et de somilieu, de sa langue ; pas davantage, je ne saurais m'adresser à une jeune femme qui se serait aperçue des vices natifs et nouveaux d'un projet d'union qui lui avait d'aord souri : considérable différence d'âge et ilpuniosité du prétendant. Cette jeune fille, cette jeune femme ne m'intéressent pas, ne m'auraient jamais intéressé. Je suis à écrire à ma femme ; je continue de la porter en moi ; je comprends que le temps ait eu raison de beaucoup en elle, autant que l'adevresité me fit douter de poi et d'elle, de nos forces pour vivre ensemle et surmonter ces ciconstances si défavirables, j'en comprends les écarts, comme j'aurai à loui exposer aussi comment j'ai vêcu, séparé d'elle, en profitant des tendresses, de la sollicitude et des faetbiés d'une autre, comment pourtant je n'ai gardé faim que d'elle. Oui, c'st à,toi que je vais, t'espérant et t'attendant t'écrire ainsi : passion amoureuse, réalisme et grandeur de ce que tu as cstalléisé en mpoi et dont tout m'avait dit que tu le voulais, très profondément, et dont rien ne m'a encore dit que c'avait été une illusuon et qu'à présent cette illusion devait se dissiper. Si c'en est une, elle ne se dissipe toujors pas. Je continue de la vivre et de 'apercevoir comme la seule portion de la réalité qu me mette en appétit et m'introduise à tout le reste.

Au bois de Boulogne, le lac de la Cascade, vendredi après-midi 4 Juillet 1997


                                  Je ne m'attache pas à une illusion ou à un projet. Là-dessus, je me suis en conscience interrogé. Ne t'aimè-je point, ne t'ai-je pas aimée qu'en fonction d'un projet, donc d'une projection de moi-même, spirale du narcissisme dans laquelle tu aurais peu à faire, et même rien, d'où la logique de ton départ. Je ne t'aurais pas écoûtée, ni respectée, surtout dans ta banalité, dans ce que tu voulais me faire sentir et dire de ta banalité. Non que tu aies jamais insinué que j'étais trop... relativement à toi, qui n'eusses pas été assez... Non, tu as conscience de toi-même, de ta valeur, de ta personnalité, tu tiens surtout trop à ta liberté, à cette page blanche qu'est ta vie, et capable assurément de te donner, tu ne voulais pas et tu ne veux pas que quiconque disposes et préjuges de toi, sans toi. Tu me l'as dit, répété et surtout à propos des petites choses, puisque pour l'essentiel rien n'était à discuter puisque tout d'un seul coup avait été acquis. Du moins l'avais-je cru, et ai-je continué de le croire, aussi bien quand tu m'avouas être revenu en arrière, il y a deux étés ou quand tu me fais part de l'impossible, ce sera il y a un mois demain. Non, je ne suis pas fidèle ou attaché à une illusion, quelque personnage qui ne serait pas et ne sera jamais toi, ou à un projet, si beau soit-il, précisément trop beau. Non, je te suis attaché, tout silplement. Les projets sont apparemment f... d'autant que je ne les vois avec aucune autre. Tu m'apparus si soudaine, si différente même de ce que j'avais pu naguère souhaiter et que, ne 'layant jamais vu survenir, j'avais même oublié, si jamais je me l'étais formulé. Tu étais si différente, non seulement des autres femmes, mais aussi de ce que raisonnablement, c'est-à-dire selon mes raisons, c'est-à-dire encore selon mes fantasmes, et l'on ne peut vivre sans ses fantasmes ni les assouvir ou garder l'espérace qu'ils soient assouvis ou aient correspondu à quelque chose d'une réalité qui finalement se dévoilera, se donnera à nous... Si différente, tu l'es demeurée jusqu'à tes manières d'essayer de t'en tirer, de me fuir, de nous fuir, de te taire et te terrer, de te manifester. Esprit de masochisme et de contradiction que de t'aimer ainsi, si peu gratifiante ? Je ne le crois pas non plus. Je te suis attaché, voilà tout. Ta différence est-elle de m'avoir inspiré un amour tout différent de ceux que j'avais vêcu auparavant ? En partie oui ! mais cela ne dissout pas le mystère, d'autant qu'à vue humaine ce qui caractérisait notre amour, l'amour que j'ai conçu pour toi dès que tu m'as avoué le tien, que tu m'as surtout fait prendre conscience que déjà, avant de nous l'être dit, nous nous aimions, en a pris un sacré coup. Je n'avais jamais conclu mes amours dans le passé. Ils s'imposaient à moi, faute de mieux, pour tromper l'attente, par habitude et confort, d'autant plus nécessaires et prisés que j'attendais, et ce devait bien être toi que j'attendais, ou quelqu'un qui y ressemblât fort. L'amour conclusif, l'amour conjugal, l'amour souhaitant le mariage, y conduisant, et que je n'avais plus jamais ressenti depuis de premières fiançailles ratées. Tu m'avais rendu l'amour, tu m'avais donné davantage, l'envie et la réalisation dans le même mouvement. En cela, tu fus révolutionnaire, différente, totalement différente, unique, et je te l'ai dit, répété dans mon émerveillement. Or, cela persiste et je n'y peux rien. Je te connais moins que jamais puisqu'il y a désormais cette énorme contradiction entre ce que je croyais de toi - et pas seulement de l'amour dont je croyais que tu l'éprouvais pour moi - mais de toi, personnellement, et ce que je dois bien constater, ton désamour. J'admets même que tu m'as très franchement par tes silences mais aussi dans nos conversations, quoique celles-ci fussent devenues rares, mais sans doute voulais-tu éviter de trop m'en dire à la fois, oui, tu m'as franchement fait participer à ta détumescence sentimentale. Tu continues de t'imposer à moi, alors que tu ne le veux plus du tout.

                                  Je ne sais pas davantage ce que tu vis, ni ce qu'est cette liaison, peut-être même ce mariage que tu as commencés ces mois-ci. T'étonnerais-je en te disant que cette expérience que tu n'avais pas vraiment, je suppose, avant notre rencontre, devrait te faire mieux me comprendre. Tu deviens capable de discerner, par expérience ce qu'autrui suscite en toi, de différent, d'absolu, ou de très moindre et comparable. J'ai assez vêcu pour savoir que tu entrais - incomparablement - dans ma vie, souverainement. Ce que tu vis, si tu le vis... je n'ai aucun moyen de le savoir, ni de le connaître que par toi, et si je viens à le connaître, ce sera - par construction - du passé, puisque tu ne pourras m'en parler, nous ne pourrons en parler que revenus dans les bras l'un de l'autre, ce que tu vis, je le considère comme antérieur à notre amour, même si la chronologie le place ces mois-ci et selon toute apparence en péremption de os projets et de notre entente. Mais tu ne l'avais pas vêcu et si tu me reviens, après tant de dénégations, ce sera un tel décapage des commencements et des immaturités, peut-être de certaines de mes naïvetés et de ton côté de beaucoup de tes inconsciences et inconséquences, que vraiment notre amour est encore à débuter. C'est d'ailleurs à faire et vivre tous les matins. Tu n'appréciais pas que je te dise que ta liberté demeurerait entière tout au long de notre vie conjugale, que celle-ci tu pourrais la rompre quand tu le voudrais, tu y voyais quelque duplicité de ma part : on ne se marie pour "se" divorcer (je te signale que le français ne met le pronon réfléchi que pour le mariage, le divorce, c'est : sans. La grammaire a parfois des illuminations qui nous font voir), c'eût été pourtant un divorce te libérant, tandis que moi je demeurerai à jamais comblé, satisfait que tu m'aies épousé, et donné ce qui va avec : des enfants. Mais le désir d'enfants n'est que la conséquence de mon amour pour toi et de mon désir de toi. Ils sont tels que ton aventure actuel, oserai-je même dire, ton mariage s'il a eu lieu comme tu le prétends, je les accepte, je te prends avec, pourvu que tu te donnes, te redonnes à moi, te rendes en fait, cette fois en maturité, connaissance de toi-même et de la cause. Moi, tu me connais. Si tu as conscience de notre différence d'âge, de culture, de génération, de civilisation et que tu as tout autant la certitude que je t'aime et que tu m'habites et m'habiteras quoiqu'il arrive, où que tu chutes, alors tu me connais pour tout ce qui te concerne. Le reste est à toi, plus pondéreux, moins signifiant, apte à se modifier, à beaucoup s'éteindre selon ce qu'il te plaira. Je t'ai cru raisonnable, lucide, propice au bien commun, nullement capricieuse, franche et avouée, totale quoiqu'après que tu aies réfléchi, et en ton for intérieur, tout arpenté. Ce n'est pas " passer sur tout " que de t'écrire ainsi, que de penser à toi ainsi. C'est demeurer là où nous nous sommes rencontrés et nous retrouverons, si ce doit être notre vie : ta détermination, celle dont j'ai attendu l'aveu ces neuf mois... fait, a fait et fera le compte de tout. Ensemble et unis, nous gérerons le reste, nos passés respectifs, nos imprudences, sans regrets et sans complaisance, nous préférant absolument.
                                  Je ne te cache pas que t'écrivant tout à l'heure et maintenant, il y a forcément les ailes du doute qui m'effleurent. Et, effectivement, elle était mariée, oublieuse, légère mais conséquente, besoin de quitter sa famille, une sécurité minimale, une présence de sexe masculin ; oui si c'était cela, d'autant qu'elle me le dit ; sans doute, cela ne lui ressemble en rien ni les motifs ni cette précipitation, mais pourquoi pas ? Bien plus fort, ce qui n'est pas un doute, mais une observation, une mémoire de toi : ta répugnance à une intimité totale, une intimité d'esprit, d'aveu spontané et permanent de ce qui jaillit ou fuit en nous, très probablement ton refus de toutes ces pétitions et de ces mots-même d'absolu. Tu dis et tu répètes ne pas croire à un avenir sur lequel on n'a pas prise, ne pas t'appesantir à un passé, surtout s'il fut beau, parce qu'on ne peut y revenir. Tu t'expliques pas à pas ou tu me laisses t'expliquer à toi-même, te deviner en ce sens que tu peines à t'élucider toi-même, que tu revendiques ta liberté et ton secret non pour des évasions, des aventures ou des mensonges célestes et abyssaux, ce serait de même, mais parce que tu n'es pas encore totaement constituée. Que tu aies craint que je t'handicape, que notre amour t'handicape dans cette construction, cette identification de toi-même, je l'ai tellement accepté sans que tu le formules et me le dises complètement, que cela a certainement fondé la tranquillité d'esorit, la bonne conscience avec laquelle j'ai préféré que nous ayons plusieurs sursis à notre mariage, que tu y arrives ayant vraiment tout pesé, tout senti, que soit parfait ton accord avec toi-même. A te l'écrire ainsi, je ne pense pas que c'était assurance ou certitude excessives, confiance un peu téméraire en ta stabilité sentimentale, à ton âge et en ton peu d'expérience ; je savais que nous courrions un risque, que je le courais, mais je savais surtout qu'il était mieux de le courir avant d'être allé plus loin, plus avant, plus profond, je me fiais à ta liberté parce que je croyais que tu t'étais donnée à moi, à notre projet d'union, et que cela c'était plus fort que tout, plus fort que toi, que moi, que l'avenir-même et - évidemment - que les circonstances du moment.

                                  Si tu ajoutes ce que tu as d'ailleurs mis toi-même, que je n'ai aucun moyen ni aucune prise sur toi, pour te faire revenir par mes propres forces ou arguments, que tu n'écris pas, que tu ne téléphones pas, que tu ne communiques pas, que je ne sais rien de ta vie actuelle, et que - par ailleurs - toute mon expérience antérieure est qu'en amour on ne fait jamais revenir une femme qui n'aime plus, tu verras donc que je suis impuissant, désarmé. Je suppose d'ailleurs que tu le sais, et que cela te restera indifférent : que cela soudain t'importe, serait avoir fait le premier pas au rebours de tous ceux que tu commis ces temps-ci, immenses. Je ne le conjecture pas. Une telle impuissance détache des instants, résout même l'attente : ne rien pouvoir est une grande chance. Il n'y a que d'espérer qu'on ne puisse se passer. A la fois rempli d'espérance, sans rechange d'espérance ni de toi, et incapable de peser sur la suite. Je ne puis donc qu'attendre, que t'espérer. Et je sais que tes vacances universitaires closes, soit au début de Septembre, s'il est avéré que tu ne m'es pas revenue, c'est bien que tu ne reviendras pas. Je n'y aurai rien pu. Ta seule cruauté, mais c'eût été si vertigineusement inconsistant, est d'avoir insinué que restée près de moi, décidée à moi comme tu l'étais l'été dernier, tu me serais demeurée à jamais. Je ne crois pas à une fidélité qui ne serait que capacité de fidélité d'affectation indifférente, susceptible de s'appliquer là parce que l'application ici en était circonstanciellement retardée. L'avenir tirera le rideau.


Rue du Faubourg-Saint-Martin à Paris, l'après-midi du même jour


                                  Ayant dû quitter ces pages, cette évocation si prenante de toi, je suis aussitôt entré en martyre, tellement ton absence m'a été plus sensible. Pour ma survie, mon équilibre intime, fais-je bien de t'écrire ainsi ? Je crois que non. Je veux cependant, quoiqu'il arrive, c'est-à-dire que tu reviennes ou pas, avoir continué, pendant tout le délai que je nous ai donné pour ton retour, avoir continué de te parler, de m'exposer une dernière fois. Ton retour sera le signe de ta détermination et ce que nous aurons vêcu séparés l'un de l'autre ne sera plus rétrospectivement que le chemin d'une maturité, que ni toi ni moi, n'avions l'an dernier quand nous nous sommes séparés. Tu reviendras autre et t'accueillant je serai autre. Nous saurons désormais que nous ne pouvons plus nous aimer seulement par implicite ou en attente que se réalisent X paramètres. Nous aurons à commencer complètement, à mettre les bouchées doubles, décuples. Si tu reviens, tu y seras certainement décidée. Ces pages te diront probablement ce que je t'ai souvent écrit, souvent dit, parlant beaucoup, écrivant plus encore et n'étant pas jusqu'à présent parvenu à ce que tu t'exprimes et t'ouvres autant. Je suis bien conscient de cette méconnaissance, de cette ignorance mutuelle dans lesquelles nous sommes l'un de l'autre. Tu as dû, quelques semaines seulement après que nous nous soyons embrassés en Septembre dernier, à l'aéroport, que tu montas dans la transparence de ce tapis roulant sous tube, me résumer à ma carte d'identité, mon âge, pour toi ma vieillesse, ma pauvreté et mon échec professionnels, mon insistance au téléphone et dans chacune de mes lettres si répétitives. De fait, je n'ai pu te convaincre de moi, je n'ai rien plu entretenir ni retenir de ce qui avait été ta conviction et ta détermination amoureuses. C'est la raison principale pour laquelle j'ai fait voeu, à la suite de tes annonces du mois dernier, de cesser de t'écrire jusqu'au dénouement. Mes lettres n'ont pas de pouvoir en elles-mêmes, et tu as, en toi, tous les ingrédients et tous les éléments pour retrouver et refaire, en propre, le chemin d'amour. Si ce chemin, ces aléas, ces attentes, cette souffrance - qui fut aussi la tienne, différente de la mienne, mais certaine - aboutissent à nos retrouvailles, heureux chemin, c'aura été le nôtre. Beau en définitive.
                                  En creux, par manque, je vis d'heure en heure, d'instant en instant, ce que peut-être tu vis en ces mêmes moments avec un autre, et ce sont ces moments qui me manquent, qui nous font défaut, que tu vis et donnes à un tiers, et qui vous soudent tous deux, m'éloignant d'autant. Oui, toute cette force, toute cette énergie, toute cette recharge en attraction mutuelle, que constituent les gestes les plus banaux, du seul fait qu'on les vit ensemble, qu'on les partage. Les spectacles, les pensées, ce que l'on voit ensemble et du même regard. Tout ce que j'ai fait depuis que j'ai arrêté d'écrire me semble une somme sans cesse renouvelée des propositions de la vie et de la Providence : vivre ces propositions ensemble, c'est nous donner une nature commune, c'est vibrer et respirer comme des siamois. Cette force, cette énergie peut-être t'en emplis-tu avec un autre et cela donne à cet autre exatctement toutes les forces et énergies dont notre amour est sevré et empêché. C'est horrible à vivre et à considérer, à chaque geste, à chaque regard, en prenant les nouvelles à la radio, en regardant un film, en entrant dans une librairie tout aussi bien qu'en conjecturant les voies et moyens de mon rétablissement professionnel, je sens ce que nous manquons. Pour moi, c'est indifférent. Tu es tellement en moi, mais ces forces et ces chances, combien notre amour, mourant, asséché de ton absence, de tes refus, de ton oubli de ce que nous avons vêcu, de la mutilation, de la déformation que tu as dû, à ton propre insu, faire de moi et de notre amour, oui, combien nous aurions besoin de ces forces : cela suppose que tu sois là, à mes côtés, même à l'essai, par simple foi, aveugle, s'il le faut, que tu ne faisais pas erreur en te déterminant pour notre vie ensemble. Car je demeure convaincu de ton sérieux, et de ta maturité, de ta libre disposition de toi-même quand tu vins à moi.
                                  Ce que je vis, même objectivement beau et intéressant, est muet en moi, parce que je ne le vis pas avec toi, parce que cela ne m'est pas donné, procuré par toi. J'ai la sensation d'un gaspillage permanent ; les heures et les années, les forces et les découvertes que tu fais ailleurs et autrement, avec un autre, au profit d'un autre amour, d'un autre projet (si c'est un projet et non un moment) me paraissent jetées en l'air, perdues, inutiles, alors que vêcues ensemble elles nous renforceraient et nous uniraient. Je sais et vis, heure par heure, depuis que nous avons échangé nos aveux, que rien ne pèse qui ne vient de toi.
                                  Pourquoi ? Cela n'a rien d'objectif et c'est même délirant puisque tu te refuses, puisque tu t'es éloignée, puisque la probabilité est actuellement que tu ne me reviennes as, que tu m'aies dit, téléphoné ton dernier mot, à ta manière, mais ton dernier mot. Pour moi, le dernier ne peut être que ton retour, et ce retour reste plausible pendant quelque temps encore. Nous y sommes, le temps de mon espérance, et pour toi, le temps... le temps de quoi... Je ne t'ai jamais interrogée sur ton amour tant il allait de soi. Pour toi, comme pour moi. Cela paraissait aussi sacrilège de te faire expliciter tes sentiments, voire même l'historique en toi de ce qui t'amena vers moi, que de t'amener à des situations ou à des moments qui auraient pu froisser, abîmer, ternir, induire en tentation de laideur, toi, ma future femme, toi ma déjà femme. Réserver nos étreintes jusqu'à notre mariage ne me pesait pas dans le principe, puisque tout était certain, acquis. Notre séparation fut du même ordre, axiomatique. Me suis-je trompé ? je ne le sais toujours pas. Tant que je n'aurais pas la certitude que tu ne reviendras pas, je croirais encore. A quoi donc je crois ? Tout simplement à notre rencontre et à ton exceptionnalité, toujours pas entamées, tant que j'espère, et je me suis - en t'écrivant une ultime fois comme je t'ai écrit - donné les moyens de cette espérance. Du temps et la supposition de ta méditation.
                                  Oui, tu es exceptionnelle parce que mon désir, mon attente ne varient pas, et qu'autrui ne m'atteint pas. Avant notre rencontre, des années, des décennies, j'ai vu, convoité, croisé, désiré, obtenu des intimités et des échanges. Des relations d'amour, de passion parfois, des acceptations d'une compagnie, d'un partage de temps, de lit, de voyage, de confidences, de préoccupations. Toujours du moment, jamais d'avenir. J'en vis encore. Quotidiennement, S.. Par la répétition de nos échanges au téléphone et par télécopie, quand je suis à Reniac, par les attentions, l'étreinte sexuelle, la communion mentale que nous nous donnons mutuellement, elle me fait voir et sentir ce que serait une vie amoureuse tendue, partagée, vibrante d'une intuition permanente de l'autre. Je l'ai rencontrée un an avant toi, moins même, puisqu'elle avait piqué ma curiosité dès que nous fûmes présentés l'un à l'autre, à la banque où étaient tenues mes comptes. Curiosité et sympathie que j'éprouvais pour elle et qui confirmaient qu'une amitié forte, déjà existante, avec une de mes collbaoratrice à Vienne : Beatrix, ne me comblait pas, quelque prix que fussent ses sentiments, sa prédilection pour moi et qui me touchaient. D'une rencontre à l'autre, du désir d'une nouvelle rencontre tandis que je vivais une relation, une liaison de chair et de coeur, de camaraderie, de consommation des années et du pays, des circonstances dans lesquelles je vivais - et d'une certaine manière, me trouver pour quelques mois ou années en France, est presque du même ordre que chacun de mes séjours à l'étranger, je ne suis encore établi nulle part, pas encore de durée, pas encore le voeu de stabilité géographique - je voyais donc que je n'étais arrivé nulle part. Je n'attendais plus à la façon de mes trente ans ou de mes vingt ans ; c'était plus désespéré et plus profond, plus calme et plus assuré, ce que je vivais, ce que je vis ne me remplit pas. Je le vis, faute de mieux, par nécessité de cette biologie humaine qui n'est pas que physiologique. S. m'entoure de son inquiétude, de son anxiété, de sa constation, souvent réaffirmée, à chacun de mes rechutes dans la mélancolie - au sens médical du terme et dont les stigmates, les symptomes sont évidents sur un visage, dans une démarche, à une silhouette, qu'elle marque : constatation que je suis ailleurs et que je souffre. Pour moins souffrir, l'automaisme est d'être ailleurs, ailleurs qu'auprès d'elle, ailleurs que dans ces jours et ces mois figés depuis que tu n'es plus là, depuis que tu t'es retirée, depuis que me sont ôtées nos perspectives, depuis que je ne peux plus t'imaginer, de retour dans mes bras et noytre vie commençant. Elle le sait et le sent. Nous sommes en télépathie quasi-permanente, nous appelant au téléphone, nous laissant des messages sur nos télécopieurs respectifs à l'instant même où l'autre va y procéder ou songeait à le faire. Sans commune mesure avec les inquiétudes et dubitations où m'ont plongé et m'enfoncent périodiquement mais chaque fois plus profondément mes revers professionnels, tournés à l'exclusion, au dédain, à mon inexistence proférée par un système impossible à contester et qu'on peut croire le tout de la réalité... ma détresse est devenue ma vraie nature, quand tu m'as quitté. Et tu as commencé de me quitter dès l'automne dernier, cela se criait de toutes les manières que tu ne m'aimais plus, que tu ne m'accompagnais plus. Pour ne pas perdre le contact, j'essayais de taire, d'assourdir, d'atténuer ma pétition d'amour, d'accentuer l'ouverture, toute l'ouverture dont je suis humainement capable, mais je savais d'autant mieux que je ne pouvais plus compter sur toi, qu'S., à profusion, quoique désespérant d'être aimée de moi, m'administrait la démonstration de ce qu'est l'attention, la sollicitude amoureuses. Tenir un petit journal de tes sentiments, de tes élans vers moi, de ce que tu vis à Saint-Petersbourg, de tes études et cotoiements, raconter tes rêves et tes souhaits, tes doutes, me dire tes sourires et ton attente, que c'était facile si tu en avais précisément eu le sentiment en toi-même. M'écrire quelques lignes accompagnant ces feuillets, une fois par semaine, ou tous les quinze jours, tu me rendais invincible, et beau, attirant et attrayant pour toi, tu me rendais gagnant jusques dans les atermoiements et les recherches que sans toi, absorbé déjà par ton désamour et tous les signes que tu m'en donnais, je ne menais pas assez assidûment. Le téléphone t'était facile, il était à ma charge et un mot sur mon répondeur - j'ai gardé tous ceux que tu m'as donnés cette année, douze pas un de plus, et ils se concentrèrent dans l'épisode de ma pris de relation avec Mme D. ; je conjecturais de pouvoir t'envoyer périodiquement et à plus bref délai d'acheminement des revues ou des objets peu pondéreux. Je ne sais toujours pas, ce que dans l'affaire, tu as redouté. Quelque clé de la vie que tu menais, que tu avais déjà commencé de mener, trainait-elle là ? Ta peur, encore, ce mardi soir où hésitant à proférer ton non que tant de tes lacunes avaient pourtant rendu évident : ce que j'attendais, ce que j'attends n'est pas ton refus, la confirmation de ton refus tel que tes silences et ton manque d'attentions depuis dix mois l'ont clamé, ce que j'attendais et attends, c'est que tu reviennes de ton refus. Oui, ta peur : quelles seraient les conséquences, quelles conséquences tirerai-je, allais-je tirer de ce que tu étais sur le point de me dire ? Je sais cela et l'ai déjà vêcu avec S., avec Beatrix, dont l'amitié et le soutien me sont précieux, même si nous faisions notre vie, toi et moi, ensemble. J'ai vêcu trop retiré de ma génération et de la société d'amis ou d'anciennes camaraderies de rencontre ou d'école pour ne pas manquer aujourd'hui de cet environnement, chaleureux, léger, de quoui on ne peut tout attendre, mais qui distrait de soi, et qui nourrirait aussi notre couple, selon les affinités que tu en aurais, ou le crible qu'ensemble nous en ferions, devenant ce que nous deviendrions par déteinte l'un sur l'autre. J'ai attendu d'S. et de Beatrix le respect de mon choix, le consentement à mon choix. Le consentement impossible car ce fut leur signifier, à l'une et à l'autre, en peu de jours, non seulement qu'elles me perdaient, que s'évanouissaient, sans pourtant que nous en eussions jamais échangé l'augure et l'engagement, des perspectives de vie, et d'une certaine possession du seul fait que je ne me donnais totalement à personne, que je n'étais pas possédé en propre par une autre femme qu'elles chacune, mais surtout que je ne les avaient pas choisies pour ce qui me tenait tellement à coeur, et qu'elles avaient fini, faute que je le réalise jamais ni que je leur en parle, par croire que ce m'était définitivement absolument étranger. Or, dans mon silence volubile, dans ces ententes amoureuses, car j'ai partagé émotions, découvertes avec Beatrix et avec S. - et je ne parle maintenant que de relations vivantes, en cours, tu sais que j'ai été beaucoup, souvent, successivement aimé : chance ou malchance, distraction permanente ? n'en décidons pas, ce fut ! - j'attendais secrètement, souverainement. C'est bien pourquoi je ne consacrai rien ni personne, je ne choisissais pas.

                                  Tu es exceptionnelle parce que je t'ai choisie.

                                  Depuis ma sortie d'adolescence, si tant est qu'on en sorte jamais (je crois d'ailleurs que m'abandonnant et/ou te donnant à quelqu'un d'autre, forcément de manière révocable puisque tu es si jeune et que tu as pu passer si vite d'une conviction à une autre, oui je crois que tu es revenue à une adolescence, c'est-à-dire à une totale indétermination, dont tu t'étais dispensée, dont tout - notre rencontre - t'avait dispensée, je crois sincèrement, en faisant abstraction de moi, de mon chagrin et de mon manque de toi, qu'en ce moment, tu vis au rebours de toi, en une sorte de régression car ce que tu avais projeté, décidé, vu, vêcu par avance était valable et fondé, et ce que tu vis présentement n'est pas un choix mais un laisser-aller), j'ai vêcu ce laisser-aller, ce pacte auquel on consent parce qu'il n'engage à rien qu'à l'instant, supporté ou joui, parce qu'il n'engage à rien, n'empêche donc rien de ce qui le suivra ou pourrait le suivre, le périmer, d'autant qu'il ne coûte rien que de s'y abandonner... Et je ne t'eusse jamais choisie, malgré le souhait qui était soudain monté en moi que ma vie soit enfin décidée, mariage ou voltige, si tu ne m'avais choisi - toi, la première. J'en eusse été incapable car toute ma vie avant toi avait été d'hésitation et de non-contentement de ce que je vivais, et avais, en possession du moment, possession de ma profession, possession d'un amour, d'une maîtresse, d'une équipière, d'une compagne ; le plus souvent, c'était une femme, en soi imparfaite pas seulement parce qu'elle ne possédait ni n'offrait pas tout, mais parce qu'elle était en plusieurs personnes ; je vivais des vies et des amours parallèles, le pétillement, l'intelligence de l'une, la stabilité de l'autre, la passion et la quête, le pathétique d'une troisième tout en assouvissant des curiosités ou des défis de quelques heures ou de quelques semaines. Je n'en étais pas mécontent, jusqu'à ce point de ma vie, où tu devais apparaître, peut-être même étais-tu apparue, mais je ne ne te voyais pas encore. Tu n'as pas su, pu ou voulu me dire ce chemin vers moi, comment tu t'aperçus de moi, comment tu me vis de loin, comment tu découvris de très près que j'étais entré en toi, et que tu me voulais désormais, que tu allais m'avoir, que ce serait bon, bénéfique, possible, comment tu ne doutas pas que j'y acquiescerai. En d'autres temps, c'est-à-dire avec d'autres femmes, mais qui - précisément - ne m'eussent pas inspiré le choix, je me serai régalé de ce conte dont j'eusse été le héros. Cela ne m'eût pas déterminé. L'amour ne provoque pas l'amour, sauf celui de Dieu inspirant notre foi en Lui. Protester de mon amour pour toi ne me rendra pas ton amour. Tu n'y peux rien, je n'y peux rien. Pas plus que je ne puis rendre à S. l'amour et la passion qu'elle éprouve pour moi, désespérée, morbide, lucide, mais elle m'aimait avant de savoir que je ne l'aimerai pas, que je ne l'aimais pas de la manière dont elle le souhaite et l'attend, l'aimer d'amour. Là est le mystère. Tu m'apprends peut-être, je ne sais ce que je ferai de cette science et si elle ne me tuera pas à bref intervalle après l'avoir acquise de force... que ce mystère n'est pas intangible, qu'il y a des retours, des retraits, des annulations d'amour. Je ne le sais pas encore, dans quelques semaines, dans quelques mois, je le saurai. Je crois bien que notre relation étant née et s'étant développée comme elle le fit, je saurai avec autant de certitude quand notre amour sera mort, que je le sus quand il exista, triomphal et évident. Certitude qui ne coincide pas avec cet instant de vie ou de fin, non ! certitude qui est plutôt une constatation. J'ai besoin d'amour, comme tout être humain, comme toi - j'étais, je demeure à portée instantanée de téléphone et à trois heures d'avion, si le manque d'amour t'avait étreint au point où tu me quittas pour un autre, ou bien fis-tu les choses dans l'ordre, constatas-tu que tu ne m'aimais plus, ce qui ne se démontre ni ne se raisonne, apparemment, mais ces disparitions donnent encore plus le vertige que les apparitions, car celles-ci on croit les mériter tandis que celles-là comment admettre qu'on commît telle faute, telle erreur de jugement sur l'aimée ou sur la nature d'une jeune file ou sur les circonstances qui seraient trop fortes, pour ainsi les mériter, en être responsables ? A mesure que tu pénétras en moi, mais ce fut presque d'un coup et de ton entier, je t'aimais totalement, au sens de n'avoir besoin que de toi, et pas du tout, plus du tout des artefacts que j'attendais, que j'avais d'autres femmes, parce que celles-ci ne m'importaient pas en tant que tels. Les gestes, leurs gestes me dédommageaient de mon impuissance à les aimer, de mon incapacité à les choisir. Incapacité que les miens, que moi-même crurent structurelle, jusqu'à ce que tu surviennes. Alors le récit que tu ne me fais pas et jusqu'à ces dernières semaines les attentions que tu n'avais pas, me furent indifférents, du moment que tu m'inspirais, que tu m'inspirerais la certitude de ton amour. De ton choix. Tu le sens bien, nous sommes là au seuil du mystère que tu ne chasseras pas de ton coeur ni de ton expérience, même et surtout en m'expulsant de ton existence et de tes projets quand tu commenceras, recommenceras d'en faire... Ce mystère, c'est cet inné de l'amour, pourquoi toi, pourquoi moi ? pourquoi plus moi ? Je disparais de toi, de tes élans, de ton envie, de ta dilection, par ma faute, par notre mutuelle absence à laquelle j'ai consenti, que j'ai cru devoir nous faiure consentir parce que je n'avais pas les moyens - matériels, et même quelques semaines certainement, pas les moyens psychiques - de notre couple, de notre union ? Je ne sais, je ne décide pas encore. Le mystère, c'est à la fois la persistance et la fragilité, le voeu, la liberté. Je crois que tu avais fait voeu de nous, même si notre vocabulaire n'est pas identique. J'ai d'ailleurs aussitôt apprécié que nous soyons si différents à tous point de vue de ce qui décrit une personne, fait une personnalité. Oui, notre consentement fut mutuel, il provoqua notre rencontre, la précéda. Nous sommes, nous fûmes dès nos origines, nos origines de vie en pensée l'un de l'autre, tout à fait différents mais notre mouvement fut analogue et se correspondit parfaitement, tranquillement.

                                  Tu vins donc à moi, alors que ne te distinguant pas encore de toutes celles qui t'avaient précédé, ou pouvaient te succéder, que je les aperçusse là où nou vivions, ou qu'elles fussent encore dans le champ illimité des possibilités de rencontres à venir, je pensais plutôt te séduire, t'aggriper, faire de toi une énième maîtresse dont peut-être la réalité, la différence - ton âge, à l'époque, y était pour fort peu... - me questionneraient. Rien ne se laissa alors prévoir. Tu n'attaches pas à ce moment une grande importance, quoiqu'à satiété je t'ai dit que je faisais tout partir de lui.     


Au bois de Boulogne, le lac de la Cascade, lundi milieu de journée 7 Juillet 1997

                                  Je viens à t'écrire, comme à un rendez-vous d'amour. Ce ne me semble toujours pas déraisonnable que de ne pas prendre ton deuil, que de ne pas accepter les apparences comme ton dernier mot, comme l'état de vie définitif auquel ton refus me renverra. Une existence où le bonheur ne sera plus à attendre, mais aura été manqué. Manqué par inadvertance, par naïveté, par manque de savoir-faire de ma part. Je ne me guérirais pas de toi en te minimisant, en te salissant, en te banalisant ou en mettant sur le compte de l'erreur et de l'illusion ce que je pris pour ta proposition. Je ne viendrais à ne plus t'attendre qu'en acceptant, tout simplement, le mystère de ton retrait aussi grand que le mystère de ton choix, sans doute le même mystère. Pour l'heure, je ne vis pas du tout cela, pas du tout un tel calme désolé, solitaire, attentif aux pulsations d'une vie qui n'aura plus visage ni ressort humain, une vie dépouillée de tout, m'ayant dépouillé de tout mais m'enseignant encore : quoi, je ne le sais pas avant d'y être entré, une période grise, translucide, vague, que je ne peux prévoir, que je ne souhaite pas. L'amour, c'est la réalité, tu me donnais la réalité en m'apparaissant, en rendant possible, souhaitable, savoureux mon atterrissage dans la réalité et le présent. Tu me la donnes encore, ce que je vois, les instants de découverte d'une ambiance, d'un endroit, d'un arrangement des heures et des lieux, je t'y place aussitôt, des choses et des vibrations que tu eusses aimées, appréciées, que tu apprécierais, sans fixation sur moi, sans contrainte l'un par l'autre, mais j'ai aimé d'avance cette promenade dans l'univers et ta main à la mienne, à découvrir et regarder ensemble, la respiration de toutes nos facultés esthétiques et émotives. Si tu reviens, je sais que je t'accueillerai bouleversé, avec une gravité nouvelle. Tu m'as fait découvrir, éprouver, savoir que j'avais, que j'ai une volonté. Nous nous séparons, nous perdons confiance l'un dans l'autre, quand s'éloigne de moi cette conscience que tu m'avais donnée, et que tu fus absolument seule à me faire reconnaître en moi : la volonté. Dieu sait si mon éduvcation fut - de principe - volitive et pourtant toute mon existence jusqu'à toi fut aboulique. La peur, la peur sans aucun doute d'une sorte de solitude, d'aventure dès lors qu'on veut, et qu'hors des précédents, loin des balises, on avance volontairement, souverainement. Il y faut plus qu'une poussée intérieure, il y faut une valeur éclatante dressant soudain toute l'échelle dont elle est le sommet, et alors on monte. Ton retour sera cela. Ton absence prive de tout objet, de tout but, de toute expérience du réel, du concret ma volonté ; je n'ai plus de point d'application et la raison n'en donne jamais. Il est aussi raisonnable de ne plus penser à toi, par hygiène personnel, par dignité aussi, par logique, que de m'accrocher à toi. Ta proposition, ta venue dans ma vie, il y a trente et quelques mois, ton retour cet été, sont une invitation immédiate : oui, non. T'accepter, commencer. Je le ferai dès ton atterrissage, je me battrai, je te reconquerrai, je te séduirai à nouveau et pour toujours, attentif. Nullement pour t'emprisonner ou te garder, mais pour inventer, donner du rythme, nous enlever l'un par l'autre, aller vite, courir. Je ne sais de quelles données je disposerai à la fin de cet été, si tu n'es pas revenue, si tu ne t'es pas manifestée ; irai-je, surtout si j'ai le brevet en poche d'une nouvelle Ambassade, irai-je jusqu'à toi, invoquer le miracle. Ce serait ma dernière ressource : le choc d'un silence prolongé provoquant, puis-je le supposer, en toi une certaine interrogation sur la révocabilité de mon amour, sur son exceptionnalité - pour toi aussi - dans ta vie, et donc une certaine prise de conscience, une réémergence. Tu considèrerais, tu considèreras en termes d'alternative ce que tu vis, en ce moment, et que je ne puis toujours imaginer, tes cheveux blonds sur un oreiller et un profil d'homme, comment est-il, mélangeant son haleine et ses cheveux, ses mouvements avec les tiens, cette nuit et la nuit d'avant ? C'est tellement abstrait. La médication intime par mon silence : seulement trois semaines, et si ce sont les dates d'arrivée entre tes mains de mes papiers, peut-être pas encore quinze jours, mais je pense que tu as su me lire et que tu as compris mon objurgation ; je ne crois pas que tu m'aies à la légère ; je garde aussi cette conviction que tu as réfléchi cet hiver, mais trop seule et en miroirs déformants, trop pratiquement surtout. Regardés pratiquement, notre existence et notre univers, dans leurs paramètres humains induiraient plutôt la désespérance. Tu as donc réfléchi, tu réfléchis donc, tu ne fus spontanée qu'une seule fois, quand tu voulus revenir, rebrousser chemin, très vite après notre séparation de l'automne dernier, de la fin - très peu conclusive - de l'été dernier. Que ferai-je à la fin de cet été-ci. Mon voyage à Saint-Petersbourg serait de peu d'espérance, il y aurait ta surprise, et probablement ta colère, une audience ou deux, financièrement coûteuse, restaurants, location de voiture dans un pays qui ne s'est pas organisé pour cela. Tes nuits, tes journées seraient prises, ton débit et ta parole agacés. Il est probable que je ne le ferai pas. Ma dernière carte - humaine - sera l'annonce de mon rétablissement, la réactualisation de ma demande que tu m'épouses et me rejoignes. Cette annonce, il est probable que je ne serai pas, avant des mois encore, en situation de la faire. Donc mon message sera de nouvelle attente, d'assurance que je t'attends. Ce ne sera pas pitoyable, mais il est dommage que nous ayons manqué quelque chose quelque part et que nous ne puissions continuer ce qui avait été commencé, si prometteur, si équitable, si beau et si raisonnable foncièrement à bien le considérer. Ce que nous fîmes, ce que je fis, comme on chante le cantique de la reconnaissance et de la louange. En fait, assurément, si tu reviens, tu en auras été fortement inspirée et hors de tes schèmes habituels. De nouveau, le présent t'aura paru à portée, sans que tu t'en étonnes, et sans que tu t'étonnes de toi-même ; tu es ainsi. Il y a pour l'heure autant de chances que se produise en toi ce déclic, ou qu'il ne se produise pas. Croire que tout ce que tu bâtis en dehors de moi n'a pas de poids, ne te correspond que très superficiellement, est-ce de l'aveuglement, de l'entêtement, du narcissisme ?

                                  Tu m'as éveillé. Les mots si simples qui te firent éluder mon étreinte, nous relevèrent et nous quittâmes alors cet appartement que je te faisais visiter, n'étaient pas des mots d'amour. Tu te voyais dans cet appartement, tu te voyais dans ma vie, tu entrais chez toi, tu le disais, tu ne posais aucune question, tu ne doutais de rien, tu avais avancé tranquillement sans que rien ne te parût nouveau, tu parlais de constatation et d'évidence. Je fus plus surpris qu'ému, plus frappé de ta tranquillité que d'une détermination ou d'un aveu passionnés. Ton calme fut aussitôt le mien, tu fus contagieuse dès que tu parlas. Si c'était pour toi évident, aisé, pourquoi ne le serait-ce pas pour moi. Je ne t'avais pas élue, je ne t'avais remarqué qu'au temps où tu avais été sur scène, et tout de suite nous avions marché ensemble, sans que cela changea rien à mes habitudes, à mes regards sur d'autres femmes, à ma liaison avec Vera, à mes envies d'une de tes compagnes sur les planches et à l'Université. tout continuait jusqu'à ce que tu me parlas, que tu annonças ces évidences. Tes trois phrases me sont restées gravées dans l'esprit, elles ont déterminé mon coeur, elles m'ont fait m'ouvrir à toi, t'accepter et presqu'aussitôt - oui ! - te glorifier. Quel chef d'oeuvre, tu fis soudain de moi ! Tes aveux et annonces du mois dernier ont la même force d'évidence, ont été préparés par une dérive de tant de semaines, dits par avance par tellement de silences et par le vide que font les mots d'amour quand ils manquent à une phrase, à une conversation... mais ils ont été dits, tu me les a dits avec tant de crainte et d'hésitation pour les premiers et tant de vulgarité et de précipitation pour les seconds, qu'ils sont inertes, extérieurs à tout, ils me sont tombés dessus, ainsi qu'à l'improviste tu t'es résolue à articuler les premiers et tu as imaginé, inventé les seconds. Ils n'ont pas été à la hauteur de ce que tu m'avais confié et qui fut notre origine. Je ne te le reproche pas, et je serai bien bête d'affirmer qu'on ne peut détruire que d'un commun accord, qu'il faut à une séparation, comme en droit positif, le parallélisme des formes. On se taille moins bellement qu'on n'arrive, qu'on se donne. C'est ton droit de me quitter, de m'avoir quitté et tu peux même - en sus - me reprocher de n'avoir pas rendu tes aveux faciles, de n'avoir pas su comprendre à mi-mots le sens, l'évidence de ton silence, de ton éloignement.

                                  Non, ne faisons rien avant l'annonce publique de mes fiançailles. Tu le dis doucement dans l'appartement qui était nu, je ne l'aménageais pas encore, nous avions passé de pièce en pièce, elles étaient peu nombreuses, nous essayions le lit, j'étais respectueux de tes aises, de ton confort mental, moral, mais mes projets étaient de résoudre notre relation et que tu deviennes ma maîtresse. Je sentais ton émotivité sensuelle, une vulnbérabilité te donnant les larmes aux yeux, un trop-plein de sensations ou d'évocations, qui te cabrent, t'isolent, te recroquevillent sur ce que tu sembles ne pouvoir identifier, tu te laisses partir comme droguée dans une sensation, une émotion, aucun geste, rien d'une étreinte ou d'un toucher, mais tu es bouleversée et tu n'as pas même l'esprit ou la capacité de chercher des prises ou d'appeler. Un des premiers soirs de nos retrouvailles en France, au printemps de 1995, tu fus ainsi transportée en solitude, en une souffrance muette, sans qualification au sortir d'un film. Tu étais bouleversée, tu étais prise littéralement. Une intense proximité avec ce qui te touche. Comportement et réaction qui font ton imprévisibilité et t'approcher, t'entourer est alors aussi dangereux, douloureux pour toi qui le manifestes brutalement, que d'éveiller un somnambule à la crête de son toit. Tu te dégages par la fuite, le mutisme, une colère blanche, superbe, méchante. Nos premières approches sensuelles - auxquelles tu me conviais pour soudain y couper court, cinglant - provoquaient de semblables défiances, une défense désespérée et hurlée, vis-à-vis de quoi ? de qui ? un hémiplégique, un drogué, un alcoolique ont probablement de ces têtes-à-queue, de ces ruptures qu'on peut aussi recevoir, prendre pour des révélations. Toi, c'était la manifestation d'une sensibilité à vif, mais repliée sur toi-lmême. tu n'as jamais eu de ces spontanéités qui en auraient été la confirmation. Ce cri de joie, de bonheur, d'identification de ta joie et de ton bonheur qui te ferait courir en action de grâces et attribuer à l'amour, à ma présence, à mon succès dans ta vie, ce que tu ressentirais si violemment, si indiciblement. Oui, l'indicible te révèle pétrie de sensations, débordée et creusée de sensations, et impuissante à te les exprimer et à les exprimer. C'est sans doute là toute la longueur du chemin qu'avec ou sans moi, il te faudra, dans cette existence de jeune fille, de jeune femme, dans cette vie humaine de ton âme, accomplir. Ton jardin secret farouchement gardée alors que tu n'avoues aucun contenu particulier, aucune révérence primordiale pour la liberté, pour la volonté en elles-mêmes, que tu te connais assez pour savoir que tu peux disposer de toi à vie, je crois qu'il tient et qu'il se situe à bien moins de profondeur que tu ne crois, qu'il est même à ta surface. Tu n'es pas familière de toi-même : pudeur, défiance. ne rien se dire à soi-même, c'est ne courir aucun risque de se trahir. Oui, ta page est blanche et sans récit personnel. Ta beauté n'a aucun précédent et n'est d'aucun type. Tu es simplement vivante, et pourtant tu es retenue, réfléchie. Tu respectes la vie, tu me respectes. Ta curiosité de la vie est celle de ton âge, je ne crois pas qu'elle te conduise à t'abaisser, à t'avilir. Il me semble que ce que je t'écris là, a été, dès nos débuts, la matière de nos échanges parce que ta personnalité a là son terreau. Tu as su, toi aussi, me voir. Il me semble que tu sais encore me voir.

Parc André Citroën à Bercy, fin de matinée du mardi 8 Juillet 1997


                                  Quels changements dans la vie d'Hélène ? La phrase, l'interrogation m'ont surpris, dépaysé. J'ai été heureux qu'un tout autre point de vue me soit suggéré ainsi. Oui, pour toi, qu'a été notre rencontre ? que signifie ton éloignement ? et qu'as-tu vêcu cette année pour que tu te sois éloignée de moi et de ce qui était notre projet initial et ferme ? Question que je te posais souvent ces derniers mois, que je t'ai toujours posée. A Almaty, tu protestais que ta vie n'avait aucun intérêt, objectivement, ne valait aucune investigation, aucun commentaire, qu'il valait mieux que nous parlions de nous, que nous vivions, et nous projetions, nous vivions. La vie de l'Ambassade, nos commentaires d'actualité, l'évolution des choses au Kazakhstan, mais plus encore les menues découvertes que nous faisions l'un de l'autre, le plaisir d'être ensemble ne se décrit pas ; c'est un fait vêcu, nous le vivions. Je pouvais d'ailleurs presque tout connaître de ta vie, sans que tu la récites ; je connaissais ton Université, j'y venais moi-même souvent y discourir, y applaudir, y être applaudi. Tu ne t'y montrais guère en ma présence, ou tu t'y dissimulais, c'était un certain jeu entre nous, et probablement pour toi un jeu avec tes compagnons de scolarité. Je venais te chercher ou je revenais te déposer sur le palier, sur le seuil de tes parents. Je connaissais ceux-ci, j'y avais pris quelques repas, ils étaient venus dans l'appaartement où s'était joué, dit, fait le dialogue qui a pour moi constitué notre rencontre et ma détermination. Je savais donc ta chambre, celle que tu partageais : lits en quinconce avec ta soeur. Marine, fine, prude, timide, regardant et nous regardant, que nous emmenâmes à la messe de minuit, le soir de Noël et pour le réveillon chez ls Franciscains, la neige épaisse, ces baraques de bois qui sont tout l'entourement d'Almaty et de la plupart des villes de l'ex-Union soviétique, le petit oratoire, la salle-à-manger, le sacrilège qui me déplût des jus de fruits et des vins, des fromages et de la soupe, accumulés par une présentation ensemble ou au choix. Marine était avec nous aussi pour le premier déjeuner du Nouvel An, nous regardâmes My fair lady en video, et nous eûmes tous trois la séparation précipitée car Vera, en larmes et soupçonnant à juste titre qu'autre chose avait commencé, intervint, et que je dus vous quitter pour aller la calmer. Marine me sembla dès que je la vis, très paradoxalement, davantage que toi dans ma mouvance, je ne saurais encore te dire pourquoi : disons, qu'elle me sembla plus appropriée à un amour intérieur et sublime, à une fidélité de cierge, de consomption. Mais il ne s'agissait, il ne s'est plus agi que de toi, toi ma souveraine, mon impérieuse dont chaque jour me montrait un caractère entier, susceptible, bien moins calme et au bord des larmes que ta cadette. Toi seule cependant est mon intérêt. Marine a joué son rôle jusqu'à présent : tandis que tu reviens à Volodia entre printemps et été de 1995, car, valorisée à ses yeux par nos projets, il te cherche, t'accepte alors que tu l'avais vainement sollicité les années précédentes. Marine t'en approuve et t'objecte mon âge, l'éloignement de la famille, je ne lui en veux pas. Mais voici qu'elle a changé. Elle aussi, elle surtout est amoureuse ; elle te regardait aimer, elle t'avait vu m'aimer, elle t'avait vu revenir à Volodia, puis le quitter, cette fois définitivement et tous comptes faits, à ton initiative, ce qui est bien, conclusif et apaisant : tu m'en racontas l'essentiel l'été dernier, et ce pourrait être de nouveau le schéma si, atterrissant dans quelques jours ou semaines, contre toute probabilité actuellement, contre tous tes projets et mandemants de ces derniers mois, tu renvoyais au néant celui avec qui tu préends que tu vis en ce moment. Marine l'a vu, l'a su, vous partagez toujours une chambre, ce n'est plus la même ville, elle t'a vu chaque fois revenir de France, les cadeaux, les bijoux, les anecdotes et les récits, elle est tombée l'année dernière, elle aussi amoureuse, elle sait maintenant et d'expérience te juge. Elle devine que j'ai attendu tes lettres, elle voit arriver celles-ci encore maintenant tandis que tu es ailleurs, que tu prétends l'être ou que réellement tu l'es. Parfois, je suis tombé sur elle, nous parlons, son anglais est encore plus médocre que le mien, elle sait et comprend pourtant que je t'aime, mais elle te voit, elle voit le vis-à-vis que j'espère mais ne puis plus regarder, et elle sait, elle sait ton désamour, elle regarde ton visage en Janvier ou en Avril quand tu raccroches le téléphone à mon appel, elle sait peut-être l'amant, le mari - si tu as dit vrai - et celui-ci reçu chez vous, chez tes parents, et à qui elle a dû sourire... Je ne crois pas qu'elle ait souri. Quand j'ai rappelé, cet autre jeudi, déjà tombé dans l'irréalité d'un passé impossible, c'est encore elle qui a décroché ; j'avais la certitude que tu avais un autre téléphone que celui de la famille, et qu'au moins à certaines heures tu ne vis plus chez les tiens, avec les tiens, qu'elle me procure ton téléphone nouveau, elle ne l'avait pas par coeur, est-ce elle qui à mon appel quelques minutes auparavant te l'avait signalé pour que coléreusement tu me rappelles aux seules fins d'abord de me prier de ne plus importuner tes parents, pour la bonne raison que tu ne vivrais plus chez eux. Elle demanda ton numéro, je le lui demandais, j'entendis la discussion non loin ; le peu de photos que tu as pu me montrer l'été dernier évoque un appartement guère plus spacieux que celui que nous habitiez à Almaty... la pièce à vivre y est unique, le téléphone s'y trouve. Ton numéro personnel - si l'on peut dire ainsi... -, tes parents, ta mère refusèrent qu'il me soit donné. Marine, ta soeur, ta cadette que tu chéris m'a alors donné le dernier témoignage d'amour - maintenant indirect - que j'ai reçu de toi : elle pleurait et suppliait, elle savait, vivait mon attente, mon amour de toi, et elle te connaît à présent. Je suppose qu'elle t'a conseillé de t'ouvrir à moi, bien plus tôt, je suppose que tu as souvent délibéré avec elle ton amour puis ton désamour, puis d'autres rencontres. Je crois qu'elle a protesté, qu'elle t'a dit crûment que tu étais déloyale, que tu trahissais beaucoup plus qu'une rencontre, qu'un copain, qu'une virtualité, qu'un fragment de ton passé, si tant est que ce fragment ait vraiment fait partie de toi, que tu te trahissais toi-même et que tu partais, que tu allais partir dans la vie, du mauvais pied. Je crois bien qu'elle te l'a dit, et qu'elle te l'a dit, elle en larmes, et toi froide et déjà déterminée. Une autre détermination, une détermination de plus... c'est-à-dire de moins, car ta crédibilité a baissé, beaucoup baissé - nullement dans mon coeur, et mon esprit puisque je t'aime - mais à tes propres yeux, puisque tu vis ta successivité et ton instabilité. Le paradoxe serait que tu récupères ta propre estime en te cramponnant au choix et à la bifurcation qui te l'avaient fait perdre, que tu te prouves et que tu me prouves ta capacité à être fidèle et à tenir parole, en demeurant avec celui que...

                                  Je t'écris au bord du lac du bois de Vincennes, non loin du château que nous vîmes, en quittant Paris pour Vézelay, l'autre été. Des roses en buissons, sont là entre l'eau et moi, le banc et mes genoux où j'ai posé le petit ordinateur que tu connais. Ces roses sont moches, et par cela, elles m'attendrissent. Comme une jeune fille qui serait laide, comme un enfant qui aurait visage de vieux, à rebours de l'emploi, voilà des roses, en formation bruissonnante, la poussière les étreint, qu'elles n'arrivent pas à secouer, j'ai pitié d'elles, elles me suggèrent qu'elles ont fait, qu'elles font de leur mieux pour être belles, mais elles n'y arrivent pas, ce n'est pas leur faute, c'est l'espèce, c'est de naissance, c'est triste, j'ai pitié.

                                  Un trait m'avait étonné à Almaty parce qu'il se retrouvait chez tous mes collaborateurs, hommes ou femmes, garçons ou filles, et chez toi aussi, pardonnes l'assimilation toute provisoire et pratique, pour te dire, comme je le puis, quelque chose. T'écrivant, il me revient un de tes mots - j'en ai peu en mémoire et tout le stock de celle-ci, quand bien même les réminiscences tout entier l'amènerait au jour, il n'est pas énorme, tu parles peu, en tout cas tu m'as peu parlé, mais tu étais là, tes cuisses d'or et douce, ton sourire, ton visage, parfois ta main à ma jambe dans la voiture, la rareté de tes gestes et de tes mots leur a donné un prix sur le moment indicible, si émouvant que j'en étais toujours intérieurement tremblant de larmes et d'expression d'amour contenues : ta réponse, ton aveu, notre réciprocité, notre accord, nous... - un de tes mots, au téléphone, cette année, que me lisant, tu m'entends. Puisses-tu m'entendre te murmurer ainsi mon amour, et mon espérance d'aujourd'hui et de demain ; tout vaudra encore  si ces pages viennent sous tes yeux. Elles n'y viendront d'ailleurs que dans deux hypothèses très différentes ; dans l'une, tu serais déjà revenue, nous serions en chemin du mariage, peut-être du premier enfant, l'été, cet été, l'automne, cet automne s'achèveraient sans doute, mais nous serions unis, cette foi vraiment unis, peut-être à faire nos préparatifs de départ ensemble pour l'étranger, ma nouvelle Ambassade, ou bien serions-nous - tout aussi heureux, peut-être encore mieux et plus solidement unis - à peaufiner nos plans professionnels respectifs puisque je n'aurais finalement rien obtenu, qu'il faudra vivre, que nous choisirons la suite de tes études et un emploi pour toi, et des additions de prestations pour moi. Première hypothèse, je te donnerai ces pages à parcourir, comme un témoignage que tu laisseras un peu de côté avec un grand sourire, ton grand sourire, puisque je suis là... diras-tu, et tu ne t'y plongeras qu'à ton heure, dans un train, m'attendant ou revenant d'un cours à l'autre botu de la France ou de la Bretagne. L'autre hypothèse est que je t'aurais perdue, je débattrais sans doute - avec difficulté - de t'envoyer ou pas ces pages car il y a et il y aura dedans beaucoup d'aveux qui peuvent rétrospectivement t'enfoncer plus encore - s'il était besoin ! - dans la confirmation que nous n'étions pas faits l'un pour l'autre et que tu as eu raison de tirer, la première, l'échelle... je te les enverrai pensant que cela ne peut faire de mal, je te les enverrai à tout hasard mais sans plus aucun espoir. On be vit pas impunément, quotidiennement avec quelqu'un sans que l'habitude noue les corps et les esprits, fasse difficile et pénible le sursaut de l'arrachement, la paresse et l'inertie plus, bien plus que le sentiment amoureux t'auront attachée à qui tu vis, plus qu'avec qui tu vis. Cete même force qui t'empêchera, qui t'empêche déjà de me revenir - si tu ne reviens pas - eût été à notre service, à notre disposition, employée à faire, moudre, construire, célébrer, signifier, solidifier notre amour, si tu étais restée à la, fin de l'été dernier. Nous en être privés, en toute imprudence, une imprudence que nous ne soupçonnions, tu ne me donnais pas le mpoindre soupçon, pas la moindre intuition que tu puisses me désaimer par distance, par attente, par inespérance excessive, par distraction... paierais-je - seul - cette impridence, seul, puisque toi au contraire, cela t'a permis de me quitter, cela t'a fournir de me quitter. Etrange liberté que celle de me quitter, que celle d'effacer l'Hélène qui me rencontra, se donne et se promit à moi... Apparement, oui, c'est cela et ces pages, tu n'en liras pas dix lignes, au milieu de leur liasse ou en leur début. Les lisant, elles te seront incompréhensibles : l'amour n'est pas un pays, c'est l'autre, que nous aimons, qui est un pays, et ne m'aimant plus je ne suis pas un pays qui t'attire. D'ailleurs, tu n'y reviens pas. Je suis depuis une petite semaine à Paris, mes rendez-vous de réinsertion, mes certificats médiaux à actualiser... tous les matins tôt, le répondeur de Reniac. Ta voix toujours un peu pressée, empresée, parce que tu ne m'obtiens pas, tu dis mon prénom, ta voix m'enchante, tu dis ta déception de n'entendre que la bande annonce, tu n'es pas là, me dis-tu. Et puis, c'est la phrase magique : j'étais folle, j'arrive tel jour, je t'aime, est-ce que tu m'aimes ? j'attends ton rappel avec impatience. C'était une fin d'après-midi, au début de l'été de 1995, ton retour était incertain, tu ne me disais pas pourquoi, mais il était incertain, ton premier désamour, tu m'appelas, tu arrivais quand même, dehors, soudain comme je ressortais, l'arc-en-ciel, complet au-dessus de toutes les maisons, de toutes nos maisons. Marie-Dominique, sa fille étaient là. Je n'ai pu me retenir : tu arrivais, j'ai dit que tu arrivais, rien que d'y penser et à te l'écrire, à présent, les larmes me viennent, tu arrivais. Ce message, chaque jour, mon répondeur peut le recevoir. Je serai dimanche de nouveau à Reniac, pour sans doute ne plus bouger jusqu'à la mi-Août, chaque jour, chaque heure, ton message... ton silence ! Le temps, l'habitude, le corps, l'inertie, la paresse t'acquièrent ; la mèche de notre amour, une lampe dans un coin, ta mémoire parfois, de plus en plus rare, la mèche est éteinte, froide déjà. Tu peux être très froide. J'en étais fière, je vivais ta froideur comme une splendide réserve pour moi seul. A petrsonne que moi, qu'à notre avenir, qu'à notre amour tu ne te donnes, te donnais, te donnerais. Avec les tiers, en public, ta froideur, ou bien ta volubilité te faisant presque, quelques instants, m'oublier, ce qui m'agaçait parfois, à nos tout débuts... Oui, ce trait d'éducation, de civilisation, la sensibilité à l'opinion des autres et sans discriminer ceux-ci. Que pense-t-on de moi, suis-je généralement aimée, aimée affectivement d'inconnus ou de personnes de peu d'importance pour notre relation, à nous. Quel effet fais-je donc ? Civilisation où l'excès de métallisme, de matérialisme appelle des affections courantes, ou un naturel dont nous ne nous soucions guère de le recevoir ou d'en témoigner, en Occident ? Je le notais chez tous ceux que je cotoyais, une sensibilité au jugement d'autrui, à l'impression produite sur autrui... doute de soi ? goût de plaire ou instinct de s'entourer de sympathies parce qu'on ne pourrait vivre sur soi-même ? ce qui serait l'étrange envers de comportements généralement prudents, réservés, peu spontanés d'aveux, d'expression, des phrases dites avec soin et qu'on a longuement fabriquées, prévues et essayées en son for intérieur. Oui, comme d'autres, tu es sensible à ce qu'on dit de toi. Je t'ai connue, aimée, rencontrée, tu m'as retenu sans que je cherche autour de toi qui tu es ou qui tu serais, cela m'était et me reste égal, tellement égal que tu ce que tu vis, actuellement, contre moi et contre mon amour, ne pèsera en rien quand tu réaccepteras mes bras, mon sourire et en toi ma présence. Ce qu'on dit de toi, on me l'a dit, qui ne me l'a dit ! et toujours je répondais et réponds encore. Ce que je sais et ce que je devine de toi, car je t'aime, et que ce fut d'un coup que je t'ai aimée. 


Orée du bois de Vincennes, fin de matinée du mercredi 9 juillet 1997



                                  Je suis tombé amoureux de toi, en amour de toi parce que tu me l'as permis, proposé, parce que tu y as consenti, tu m'as pris souverainement, naturellement la main et l'as portée à ton coeur, à ton sein, à ton ventre, à ton épaule, à ton front. Tu m'as dit : tu veux de moi, je le sais... et j'ai découvert que tu voyais juste et vrai. Ce n'était ni à délibérer de ma part ni à consentir de la tienne ; il n'y eut pas entre nous d'échange des consentements. Ce fut... et tu me disais que cela avait déjà commencé. Nous ne nous posions pas la question des origines, et tu n'as jamais voulu ni pu me dire comment ou quand tu avais réalisé que tu m'aimais, que tu aimerais que je t'aime, que tu aimais mes attentions et toutes les apparences que j'avais, mais ne ne savais pas, dont je ne prenais pas conscience, dont je n'avais pas pris conscience, les apparences d'être amoureux de toi. Tu t'étais montrée déjà rude. Un jeu auquel tu n'avais mis fin qu'à regret, et qui pouvait être cruel, ce soir où tu t'amusas à dégringoler, chaque fois plus loin de moi, qui te rejoignais d'un méandre à l'autre de la levée de route descendant du barrae au-dessus de Medeo. Tu dévalais, tu riais, silhouette blonde, assise, échevelée, débout, en ligne droite, et en pleine pente ; c'était le plein été, venais-tu au haut de l'ouvrage, de me raconter ton premier séjour en France, le festival d'Avignon, les cours et les spectacles, le cantonnement trop éloigné, les escapades d'Irène, tes rencontres, un Américain surtout, que tu désespéras le printemps suivant, notre premier printemps de joindre au téléphone puis de revoir quand nous longêames, aller et retour, Aix-en-Provence. Dans la voiture, tu fus chagrinée, mais tu sus me l'avouer, nous le partagions, il t'écrivit, je t'ai fait suivre la lettre, c'était l'été dernier. Habileté ou bien... tu ne lui as pas téléphoné de Saint-Pétersbourg : la carte te permettant de m'appeler à discrétion et à mes frais donne lieu à un relevé de tes communications. Nul arrangement que j'ai voulu, là. Tu n'es donc qu'à Saint-Petersbourg. Ce soir-là, je ne parvenais pas à te rejoindre, je te manquais le plus souvent d'une étape, ou bien tu te dégageais, ta jeunesse était éclatante, tu sus cependant t'arrêter, pour un long temps les photos que je pris de toi, retour à la respiration, au sourire, à une certaine gravité de ton visage, dans la voiture, le soleil se couchait de plus en plus envahissant par ses lueurs de regret et de magnificence. Tu n'étais pas superbe, tu étais là, tu n'étais pas belle, tu étais unique, présente, réelle, immatériellement parfaite. Parfaite telle que j'aurais pu en rêver, que j'en avais rêvé, mais je ne rêvais plus, je vivais et je ne me rendais pas compte de ce changement - insigne. Oui, joueuse, mutine, et toujours le jeu de l'échappée, de l'insaisissable auquel tu mets fin, non pas juste avant, mais juste après que la souffrance commence, ait commencé... Maintenant ? si tu joues, as joué ?

                                  C'était une bourse, dans la séquence logique de ton interprêtation des Parents terribles, parties à trois filles de ton Université, mais faisant la paire avec Irène seulement. tu me racontas les calanques, les autocars, les passages à Paris et l'hébergement par Marie-Françoise par cousine, qui vous trouva... pas froid aux yeux, décidées. De fait. Nos adieux avaient été acides. Nous avions cherché un restaurant nouveau, italien et coûteux, où nous revînmes l'automne, tu voulais à tout prix une glace un soir. En ce début d'été, nous nous disputâmes, je n'avais rien de particulier à dire, et toi tu te taisais, tu n'alimentais rien, et nous ne savions d'ailleurs quoi alimenter. Il y eût des photos de toi, de moi, nous échangions ce qui allait devenir du passé, tu reviendrais de France, nous ne nous sommes rien dits. Tu vins travailler, passer des matins à l'Ambassade à ton retour, en short, adorable de beauté et d'enfance, tu me l'avais demandé, accéder à la bibliothèque librement, te sortir de chez toi, te préparer à l'année suivante. Je te voyais, tu jouais sérieusement le rôle d'une stagiaire, c'était mnotone, je me suis trompé sur ton prénom, Martine, ai-je fait un jour, aucune Martine dans ma pensée ni mon passé, tu en fus ulcérée, détalas, t'enfuis dans la double allée très verte, opulente qui de Fourmanova au Dostyk - mon hôtel de vingt-quatre mois sur les vingt-huit où je fus là - va jusqu'à l'Académie des Sciences, puis chez toi, un premier étage avenue Lénine, presqu'en face de l'autre grand hôtel, verbeux, anonyme, sans espaces intérieurs, mécanique : une gare. Susceptible à crier, mais tu as dû pleurer. Tu raccrochas la première, et peu après, probablement dans la journée. Nos rites étaient doux. Tu venais dîner, on buvait du champagne, j'ai adoré ts lèvres suçant le champagne, tes dents souriantes, éclatantes de ce plaisir, de cette dégustation du champagne, le cristal des deux coupes, dans un petit sac à dos noir, je descendais - clandestin de plus en plus mal toléré - la bouteille du dîner. Menu répétitif, mais nos conversations ne l'étaient pas, quelle aisance entre nous, étais-je fier et consciente de la splendeur de notre couple, de sa visibilité, l'adolescente pure et éteincelante, entrait et cherchait une table au bras de l'Ambassadeur de France, doyen du Corps diplomatique au Kazakhstan. L'association me paraissait si naturelle que je ne l'étiquetais pas, ne la commentais pas. S. te vit, nous vit ainsi en photographie et ne commenta pas, elle ne t'aperçut dans ma vie, déjà royalement arrivée qu'à des lapsus répétés ; je ne pouvais plus prendre le téléphone en Novembre ou Décembre 1994 sans que ton prénom soit à ma bouche, je m'inventais une cousine et mentais. Vera te vit, et d'abord à la fête natinale allemande, où je parus, où tu fus esseulée, mais dont je te raccompagnais jusques chez toi. Vera y était aussi. Tu sus mentir, ne rien manifester devant elle ; une crise, au téléphone, fut même magistralement résolue par toi, tu sus l'assurer qu'il n'y avait rien entre nous. On était déjà en Janvier 1995, j'allais partir, nous étions l'un vis-à-vis de l'autre désormais unis, l'appartement nous accueillait, il y avait le rite du déjeuner le dimanche, après la messe, tu faisais la cuisine, tu t'attardais jusqu'au milieu de l'après-midi. En semaine, je dînais chez Vera et revenais à mon appartement dormir avec celle-ci, ou je l'allais chercher tard pour seulement la nuit. Toi et moi, parfois dans l'obscurité de l'hiver qui était venu, nous étions immobiles : tnsion de mon désir, je crois que te serrer dans mes bras, ou t'embrasser agenouillé entre tes jambes, ton visage penché et dilaté vers le mien me procurait déjà un orgasme, je te dévisageais sur le palier avant qu'on rallumât la lumière, tu étais autre, éperdue, manifestement éperdue d'une communion qui ne se dissipait pas. Nous étions chastes.

                                                  Pour S., ce fut son discours, son diagnostic, son objurgation de tout l'été dernier, et également l'entrée en matière de l'Abbé PIERRE - les quelques heures où ils nous avaient vu ensemble à Rome, ce samedi 20 Juillet 1996 : tu étais une p... notoirement comme tant de jeunes filles russes, et j'avais coupé dans le compliment et la disponibilité de ta virginité. Tu m'avais eu, possédé, trompé dès notre rencontre, mis le grappin sur le parti du lieu et du moment. Cela se voyait sur ta physionomie et c'était confirmé par ton assurance, par le dédain que tu semblais afficher au long de cette journée romaine et dont l'Abbé PIERRE semblait avoir délibéré avec S. qui ne te connaît que de photos, et surtout de photos nue, découverte par hasard dans un tiroir où elle cherchait du papier à écrire. Laide, le nez pointu, le front plat, le sexe épilé, tu étais pour ma compagne une femme faite, sans âge et qui m'avait ensorcelé, abusé. Elle tient le bon bout, elle te mène, et d'ailleurs point besoin de chercher les raisons de ta disgrâce et de ton éviction de la carrière diplomatique : tu t'es fait piéger comme tant d'autres et après tant d'autres. On t'a fait le coup de la virginité : on t'a eu, tu es mené. Cela se savait, cela se répète. Vera, dès qu'elle comprit, que tu étais dans ma vie, avait hurlé de même, que toute la colonie française t'était passé sur le corps, oui que tu étais une p..., que ton corps était impudent et insolent, tes seins en avant dont tu jouais jusqu'à frôler et exciter toutes les poitrines masculines.


Bois de Boulogne, lac de la Cascade, fin de matinée du jeudi 10 Juillet 1997



                                  Ce que tu vis en ce moment, et que je ne sais pas, que je ne vois pas, que je ne puis imaginer, mais dont tu as eu l'idée de m'en donner l'assurance, sans doute pour que je n'insiste plus... ne modifierait en rien les réponses que je faisais brièvement à ce genre de ton portrait. T'ayant présentée aux miens comme ma femme, et tu sais que je n'avais plus jamais fait de telles présentations depuis quelques vingt-cinq ans, autant dire depuis toujours et de mémoire familiale... je ne dis rien de l'évolution de notre relation. Il est assez naturel que nos sursis successifs à nous marier, l'aient compliquée. Je suis donc dispensé d'en dire davantage, les circonstances ou ma délicatesse, ton jeune âge et une légitime imapatience, peut-on vraisemblablement conjecturer ont raison d'un projet auquel on n'a cru autour de moi que peu de temps. Dire à mes frères et soeurs que tu viens de me prétendre, par téléphone, autant dire par raccroc, que tu t'es mariée, depuis belle lurette et sur place en consommation des produits du crû, te diminuerait tellement que je ne le dis ni ne le dirai. Un projet se sera perdu dans les sables de la vie ; saura-t-on le prix que j'y attachais, combien j'y ai identifié la suite de mon existence ? La prédiction générale a vite été que tu me rendrais malheureux, que ce mariage était déraisonnable à son origine. Evidemment, la différence d'âge frappant de péremption d'ici peu de temps toutes tes résolutions du moment. Mais ton caractère au peu d'usage que les miens en firent. Ta mauvaise humeur, ton absence d'égards et de marques de tendresse pour ton futur mari étaient éclatantes les deux jours que nous passâmes à Beg-Meil à faire du voilier avec Vincent et les siens, de Concarneau aux Glénans. Cet été-là, nous allions de trois jours en trois jours du report de ton départ à ta confirmation que tu ne m'aimais plus. Tu étais enjouée quelque temps oiur la montre, je te faisais rire, tu étais honorée, rencontrée, tu étais belle. A Noirmoutier, je fis la sieste, tu parlais avec mon frère aîné, vous plaisantiez sur mes défauts les plus évidents, ils sont nombreux. Auprès de Vincent, copinant avec Laetitia et Cyril, pas très loin de ton âge, tu ne donnais pas vraiment le change : nous n'étions pas assortis, j'étais malheureux, mon frère en faisait trop, je m'ouvris de mon débat intérieur, sans dire que c'était le nôtre. Saurais-tu m'environner de tendresse, de gentillesse, m'épouserais-tu, pas tant pour l'état-civil mais pour la cause d'un homme amoureux et vulnérable, qui vieillirait, qui subissait des revers professionnels. Etais-tu une valeur ajoutée dans ma vie, un accomplissement, ou un danger, un empêchement. Marie-Dominique trancha, surtout ce dernier été, où tu vins coucher chez elle, un soir, jugeant le lendemain innommable l'état des lieux et prétentieux, enflé le père de sa fille. Tu ne voulais plus y revenir, d'ailleurs il ne serait plus sain que nous nous séparions désormais. Mais le récit que me fit ma soeur ne concordait en rien avec le tien. Tu avais manifesté une curiosité surprenante pour l'expérience dont pouvait faire état son compagnon, tu avais même sollicité son adresse ou son téléphone personnel, des effluves de ces légendes et racontars qu'on colporte sur les performances ou les secrets sexuels d'autres races en étaient-elles la raison. Je me fis honte à mener cette enquête. Oui, ces jours-là, les premiers suivant ton re-départ en Septembre dernier, j'hésitais : qui étais-tu ? et j'avais douté que tu sois capable d'être aussi la femme des temps difficiles, quoiqu'assuré que tu serais - magnifiquement, naturellement, impéralement - celle des temps glorieux. D'un été à l'autre, j'étais passé de la conviction, heureuse et apaisante, d'un total compagnonnage entre nous, à l'intuition qu'il y aurait des conditions à remplir - impérativement - de ma part pour que nous commencions bien, que nous fondions solidement et que je te retienne ensuite. A terme, à termes discontinus. Pour Marie-Dominique donc, tu apparaissais dure et peu attachée ; ta détermination à m'épouser ne faisait cependant pas question pour elle qui faisait la comparaison avec l'été précédent, celui de tes délibérations, de tes aveux d'aimer Volodia et de détester mon âge, notre contraste physique sur les plages de vacances. Ce premier été, je voyais les hommes, les isolés, à La Baule, à Port-Navalo te regardant, me regardant, et dans leur regard, dans l'évidence de leur désir, je ne voyais qu'un mépris qui s'adressait, péremptoire et féroce vers la jeune fille se prostituant avec un vieux, et par conséquent bonne à tous. Puisqu'elle le fait avec lui, elle le ferait, elle le fera, elle l'a fait avec d'autre. Je ne te fis pas part de cette sensation pas belle, dégradante. Elle s'effaçait en effet à te regarder longer l'eau, pensive, un peu penchée, ou revenir à moi ; je te filmais, je t'ai beaucoup photographiée, ta mine boudeuse, ta délibération était visible, tu la menais seule. Nous eûmes ainsi trois chocs. Le premier, à la plage du Petit Mousse, dès le dimanche suivant ton arrivée. Manifestement, tu ne m'étais pas proche, ton renfrognement était éloquent, une perspective de mariage, un retour vers l'homme pour lequel on s'est décidé, tu n'en avais absolument pas le comportement. Je te questionnais, l'illogisme de ton attitude, ma sensibilité, tu répondis aussitôt, j'étais au mieux ton oncle, avec lequel on a honte de s'afficher. Cela commençait bien, tu vivais, et tu sus très bien me le dire, exactement ce que je vis avec d'autres femmes depuis notre propre rencontre : le désir d'un autre, d'une autre, qu'exaspère jusqu'à nos larmes, et au boulversement intérieur, la caresse, la présence de celui, de celle qu'on doit sur le moment supporter, avec lequel, avec laquelle on vit sans l'avoir choisi, sans le vouloir. Tout est insupportable, rien ne vaut. C'est le mystère, à égalité d'égards à totale analogie de gestes, de paroles, de ton, de beauté du paysage ambiant, on demeure au désert ou l'on chante et s'ensoleille. Tu n'étais pas avec celui dont le retour d'amour t'enchanta entre un mois d'Avril avec moi, le premier, et un nouveau séjour que tu nous avais consenti pour un adieu convenable. Je te laissai aussitôt le choix de repartir ou de couler quelques jours de vacances ; la persévérance organisée de notre voeu de rester chastes jusqu'au mariage, tombait bien et ta chambre, quoiqu'en dessous de la mienne et où je t'entendais t'éveiller et aller à la salle-de-bains, te donnait intimité et refuge. Nos scènes étaient brèves, tu étais constamment tendue, le regard enregistré par les photos de cette époque est souvent méchant, ton regard. Une plage à gros graviers gris, un soir, peu après, te fit réitérer, mon respect, mon silence, mon attente n'avaient pas raison de ta nostalgie d'un autre et surtout de ton refus d'aller plus avant avec moi. Je tins bon, il y eût encore sur les grands boulevards, une scène du même genre, je gagnais jour après jour un début d'accoutumance, le début de ta réaccoutmance. Ton caractère, emporté, infernal d'imprévisibilité par de soudains tête-à-queue te faisant donner des baisers, des caresses puis des giffles d'une d'une seconde à l'autre, les tyeux furieux et rouges, me pesait moins que ce que je sentais de ta propre souffrance. Je parvins à te convaincre de ma compassion et de mon utilité. Nous allions, ensemble, résoudre et éradiquer ce qui te lacérait. Nous voyageâmes, improvisant. De nouveau Annecy, puis le tour du lac de Genève, tu apprécias, il y avait nos baisers, des siestes après nos baisers, des enchantements ensemble, la cathédrale saint-Maurice à Lausanne, les toits au-dessus de Genève, des promenades plus longues dont nous revînmes un soir fort tard, tu parlas intarrissablement, tu me laissas comprendre ton peu d'habitude à entrer en toi-même et à te dire, tu constatas, puis répèta avec tendresse que tu n'avais jamais pu parler ainsi qu'avec moi, et que tu en sentais le prix exceptionnel. Quand nous allâmes à Noirmoutier, au début de ce cycle difficile, où je me sentis investi de toutes les patiences, où je ne tenais que par la prière, que par la confusion complète du dessein de Dieu qui t'avait amenée à moi, avec ce brusque retour de flamme, avec cette épreuve, la voiture tournait comme la route sinuant à travers le marais Poitevin, et d'autres salants. Tu parlais de te fixer en France, indépendamment de nos projets initiaux et d'y entreprendre des études de ton choix ; je te promis, sans hésitation, toute mon aide, financière et morale, et mon entier respect des rencontres que tu vivrais dans des circonstances qui n'étaient évidemment pas celles que j'avais escomptées. Je sentais à proportion que je me vainquais, que j'abandonnais de bonne foi toute ma foi, que je me consacrais donc à ton point de vue et à tes projets, que tu revenais à une émerveiléle confiance, que tu reprenais ma main et ton sourire, qu'un début d'offrande se faisait, se refaisait, se confirmait. Puis au retour, fatiguée, après de beaux moments au coucher du soleil que Claude nous montra, tu éckatas, tu étais à bout de force, tu en avais assez, assez de cette vie, de cette promiscuité, de moi. Nous partîmes ainsi pour la Suisse où j'avais quelque chose à arranger. La route longue, avec des pancartes qui raappelaient nos étapes du printemps tout récent, puis - après quelques jours, où nous avions fait pot commun avec Marie-Thérèse, ostensiblement séparés de chambre et de lit - nous nous enfonçâmes dans le Massif Central. Je voulais te montrer de vieux lieux famille en Périgord et aussi des endroits qui sont plus miens que si j'y possédais une habitation. Conques te conquit, je fus Conques, et tu fus Conques. Nous dormions ensemble, la splendeur nous revenait, notre couple autant que le tympan fameux. Quand la route s'acheva entre Niort et nos environs de Vannes, tu avais longuement aimé ma main à ton sexe et le mien dans la tienne, tandis que nous roulions que c'était la nuit, et qu'un jour tout autre se relevait sur notre amour. Sans que rien le présageât, mais n'était-ce pas très logique ? à la suite des premières photos de nus que tu me permis de prendre de toi, dans ce petit hôtel de la rue Saint-Sulpice, avant que nous allions dîner au Procop, tu me fis te pénétrer, me rappelant et me suscitant du demi-sommeil où j'étais déjà tombé. Nous réitérâmes le lendemain matin, quelques heures ensuite c'était l'aéroport, j'achetai le drap que tu avais ensanglanté, nettement quoique sans abondance. Confirmer que je pouvais te considérer comme ma femme ? ta virginité, un goût de l'amour, que voulais-tu me montrer, me donner ce milieu, cette fin de nuit-là ? Tu partis comme il avait été convenu, et tu me laiassas éberlué. Tu m'aimais donc... et nous avions désormais un secret, une connivence. Nous l'avions "fait".


Bois de Boulogne, lac de la Cascade, fin de matinée du vendredi 11 Juillet 1997


                                  Je ne m'interrogeais pas sur la courbe de cet été. Jusqu'aux dernières heures avant cette nuit-là, tu avais été à l'habitude parfois distante, parfois communicative. Je m'étais fait à toi. Comprends que depuis l'automne précédent, tu étais la donnée de toute ma vie. Je n'avais pas à détailler les traits de ton caractère, à supputer si tu me satisferais sur tel point ou me décevrais sur un autre. tu étais ma femme, celle que j'avais attendue, que je n'avais plus osé attendre, que je n'aurais jamais su décrire à l'avance, tu t'étais présentée, avancée, je t'avais reconnue. La seule question, très vivante, quotidienne, qui demeurait posée était ma propre capacité à te rendre heureuse, à te faire éclore, je te savais en puissance de tout, en puissance de toi-même et je voulais que ton épanouissement ne soit en rien entravé par notre rencontre, qu'un mariage précoce ne t'empêche en rien de vivre ton adolescnce, tes découvertes de la vie. Je pensais te faire aller à l'essentiel, te donner une vision plus vaste de ce qu'à ton âge on vit plus à tâtons, par essai et erreur. Ton assurance me convainquait de notre complémentarité. j'étais aimanté, habité, construit, enfin construit par un projet, et ce projet je tele devais, je n'aurais su ni le diserner, ni le voir à ma portée, ni le mener à bien sans toi. D'ailleurs, il est en plan et je n'en vois pas le substitut car il tient tout entier à toi. Mais tu n'es pas un projet, ni mon projet. C'est précisément ta liberté, ton évolution, ton incarnation, ton mouvement dans la vie qui me passionne. Que tu me laisses faire et vivre autour de toi me parut le premier enchantement. C'est ainsi que je te regardais, que je te vis apparaître pour la première fois en maillot de bain à ton premier séjour. Une talassothérapie, non loin de chez nous ; des demi-journées dans une ambiance monastique, avec peignoirs à capuche, transatslantiques de repos, salles de silence. Je te vis dans le décor artificiel d'autres curistes, d'une piscine d'exercices. Tu étais aussi impavide, aussi lisse, aussi sculpturale et majestueuse qu'habiillée à la scène quand je t'avais contemplée pour la première fois, juste un an auparavant. Une chair longue et blanche, un cou délié, détendu mais solide ; ton dos était d'une seule descente, tes fesses sans le pli horizontal ou le rebond de la plupart des Européennes, un derrière brésilien sans couture ni arrachement. J'exultais intérieurement, tu étais ma promise, je t'eusse aimée moins belle, or tu étais belle. Je n'avais pas connu ton corps à Almaty, que tes réactions à mes caresses qui d'abord t'effrayèrent, non en tant que telles mais par l'intensité de ce qu'elles provoquaient, faisaient naître en toi, puis que tu sollicitas, me demandant alors et avec une curiosité à laquelle je ne m'attendais pas, une sorte de compte-rendu de ce que tu m'étais parue, et de ce que j'avais moi-même ressenti. C'avait été un mercredi soir, au pied du même lit dont tu t'étais redressée pour me signifier l'acquis de nos fiançailles et ta préférence pour en reporter la célébration plus intime. J'étais debout derrière toi, et tu avais aimé, puis souhaité mes mains à tes seins et jusqu'à ton ventre, ma tête à la tête, mon menton à ton épaule, mes bras plongeant en avant de toi. La puissance de tes seins, sans vrais soutiens, m'avaient ébahi, une telle projection, une telle douceur de texture, une telle forme, et plus bas la même douceur et la venue à mes doigts d'une pilosité féminine, d'une pilosité de femme. Je te promis d'écrire ce que je découvrais, ressentais et reconnaissais que tu sentais; je ne le fis pas, nous passions d'un soir à l'autre à autre chose, sans histoire ni rythme, déjà en état. Ton visage, ton attention dans l'attente du baiser et de notre premier toucher demeurent l'image la plus vive - et que je n'ai pas photographiée, serait-elle d'ailleurs enregistrable, il y faudrait plutôt la restitution, l'interprêtation par la peinture. Ton attention intense et calme, grave et pourtant non triste, tes lèvres gonflées, le souffle distinct, visuellement, de ton attente, d'une retenue qui n'est ni la ferveur ni l'anxiété, mais l'attente, simplement. Le consentement est donné, tu sais vers quoi nous allons vers quoi tu vas, tu es donnée, calme, pure, vraie, accomplie. Ton corps à la piscine du Crouesty comme ensuite à marcher le long du filet ourlé des vaguelettes à la laisse de mer, le contre-jour : ta silhouette parfaite, antique, sans âge, nette, précise, la fantaisie fantasmique de tes cheveux, le front et le regard parfois boudeur, une autre qualité d'attention, ta solitude. Prélude aux photographies de ton corps à l'hôtel de l'Odéon, celles de tes seins projetés, montrés dans l'encadrement de notre fenêtre ouverte sur la façade en fuite, présente, grise et lourde de l'abbatiale de Conques, ton profil, tes cheveux épais, longs, puissants comme ta poitrine, tenus au-dessus de ta nuque, l'épointement de tes bras à leur coude, la courbe de tes aisselles, la ligne du ventre, celle de tes seins, autonomes, superbes, horizontaux. Couchée plus tard, l'été suivant, l'été dernier, à attendre, à guetter la seconde qui va venir, celle de mes lèvres aux tiennes, et mon sexe à l'huis, puis notre plongée, ton accueil de notre union, tes seins ont alors une vaste rondeur, reposée, ils apaisent et accompagnent, me rassurent. Nos premières étreintes avaient eu le vague de ces songes au cours desquels, au début de la Genèse, Dieu parle à l'homme et promet son alliance, la fécondité, un accomagnement à vie et pour l'éternité. Il me sembla que tu m'avais aimé ainsi, me prenant, jouissant de moi et de nous, comme en cachette, comme à la dérobée, et c'était une perfection que je n'eusse pas inventée, car tu nous faisais plonger avec une précision, une adéquation qui a longtemps continué de caractériser ton comportement d'amour vis-à-vis de moi, que j'ai toujours vêcu comme le signe si j'en ai besoin, de ne m'être pas trompé en t'entendant me proposer notre mariage. Tu ne me faisais rien découvrir, tu ne découvrais rien - ce qui ne leva en moi aucune interrogation, quant à ton expérience antérieure dans cette matière qui est intime, mais où l'instinct peut tant suppléer à une expérience qui ne vaut, en fait, qu'en fonction d'un partenaire et non d'un autre ou de tout autre. Tu arrivais chez toi, tu y déposais davantage de bagages, tu étais chez toi, tu le signifiais, et tu choisissais bien ton moment, celui où nous allions nous séparer, mais sans la moindre appréhension pour l'avenir. Tu ne me laissais pas un viatique, un souvenir, quelque preuve de ton amour, de ta virginité, quelque assurance de l'unicité et de la complétude de notre histoire encore si récente ; tu étais là, tu affirmais ta présence, une totale présence, une présence d'épouse ; ton naturel nous bénissait. J'étais comblé parce que tu surpassais mes attentes ou mes prévisions, d'une certaine manière tu les empêchais toutes car tu étais, et tu t'es toujours - encore maintenant : paradoxale continuité ! - conduite tout autrement que ce que je pouvais conjecturer de toi-même ou de mon expérience des femmes et de l'amour. C'est ainsi que - devant ce petit lac, familier de ma solitude, à t'écrire et t'appeler en moi, près de moi - je m'attends autant à ton retour qu'à la confirmation par ton silence que tu ne me reviendras jamais. 

                                  Le discours des autres sur toi est donc tout hors du réel. On me parle de toi, non comme d'une autre, mais en totale illusion d'optique. Certes, à ton retour l'an dernier, quand nous ouvrîmes la chambre et le lit devant le Mont-Blanc et la diagonale déjà sombre des pentes de sapins qui, à Argentière, font un premier plan doux et net, donnant de vraies proportions au chef d'oeuvre qu'est ce paysage, tu me choquas. Vite nue, pâle, blafarde, tu ne m'embrassais pas, tu fus à genoux sur les draps, la couverture, de dos, les mains à plat, m'invitant à une pénétration immédiate, le sexe apparent, vulgaire, sombre. ce n'était ni toi ni l'érotisme, ce n'était aucun chant qu'une proximité de satisfaction et d'hygiène. Mes caresses, apprêts, tâtons et approximations t'agaçaient, te démobilisaient, te refroidissaient, tu étais repartie quand j'arrivais, nous ne nous correspondrions pas ainsi. Ta prestesse dans notre nuit à l'Hotel de l'Odéon, ta posture à nos retrouvailles - si elles avaient eu des témoins - eussent corroboré les diagnostics et jugements scandaleux de tes détracteurs riant de ma naïveté. Dauber ton corps, une lourdeur, une pâleur de mauvais aloi et des réserves qui n'auraient été que pour la montre et me fixer à toi... La pétition est facile, mais je ne crois que toi. Le récit de tes amours, toujours décalés et décevants, avec Volodia a été le seul que tu m'aies fait d'une vie amoureuse périmée par notre rencontre et ta reprise. Ni avant moi ni entretemps quand vous vous étiez remis à vous voir et que tu pensas, une première fois, me quitter, vous n'aviez été au-delà des baisers. Manifestement, chacune de tes sensations est première, nous les vivons ensemble sans explosion que très intime et que tu ne me dis pas. Ton silence ne me pèse pas, tu es ma femme, tu es ainsi, la vie nous la faisons, notre exploration est tranquille et intemporelle, si naturelle. Cela me parut si évident, si vite et répétitivement corroboré par la justesse de chacune de tes paroles, de tes initiatives et de tes réactions jusqu'à ces derniers temps - et même ceux-ci se révlèeront providentiellement adéquats et maïeutiques, si tu me reviens - que je nous jugeais exactement au même point de la vie et de notre existence, quand nous nous rencontrâmes et depuis que nous avons marché, vêcu ensemble... oui, une combinaison d'une stupéfiante justesse nous trouvant aptes, sans préalables, ni prolégomènes, à nous épouser, à commencer aussitôt, à avoir atteint l'âge adulte de nos sentiments, de notre amour. Le socle me parût aussitôt magnifique et dispos, et le couvert mis dans son entier et dans ses détails. Nous n'avions qu'à nous mettre à table, au lit, tout fonctionnait, allait de toute éternité, sans forfanterie ni extase ni soleil. Bien mieux et bien plus : ensemble. Moi si compliqué, si inquiet, si maladroit, je n'avais à m'en prendre qu'à toi pour retrouver, trouver le ton juste. tes impatiences étaient bienvenues, et me redressaient, me rapprenaient la délicatesse ou la bienséance. Tout venait à point, tout viendrait à point. Toi sur un piédestal ? et moi - " vieux beau " - tout éperdu qu'une donzelle me consente ? Légende et facilité du même ordre que le charme noir serait à la couleur, l'odeur de canelle et à une certaine conformation du membre ? Ton âge, ta beauté n'y font rien. Il ne s'agit que de toi. Alors, le discours sur ta notoire légèreté et dispersion de vie dans la communauté des étrangers échangistes ou esseulés à Almaty, avant notre rencontre... sur une jeunesse feinte et trompeuse qui ne serait ni celle de ton âme ni la fraicheur de ton ventre... sur une ambition précise et à court terme qu'aurait libérée ton accrochage inespéré du meilleur parti possible pour une étudiante en langue et civilisation française, et ainsi le départ, le larguage d'un pays et d'une existence sans avenir, l'échappée providentielle de la famille, de la médiocrité et de la monotonie sociales... sur l'évidence que ta fidélité ne résisterait pas, d'ici très peu d'années, à la différence d'âge mais surtout à des opportunités que précisément la suite de ma carrière feraient défiler à ta portée, devant toi, collaborateurs d'Ambassade, collègues, homologues, gens d'affaires, une fois le pied à l'étrier et acquises les différentes allures dans un monde où je t'aurais fait entrer, où je t'aurais mis en valeur par mon adoration et ma complaisance... Un portrait cohérent du naïf et du généreux, du tendre et du vulnérable, passant sur tout, ne voyant rien, se contenant des fânes d'un ancien conte de fées tandis qu'une beauté slave, disponible et à la mode aurait grugé ses illusions et ses biens, ruiné sa carrière, disloqué ses certitudes et ses assurances, se refusant, le quittant, cultivant le chantage aux enfants et au départ. L'enfer voulu et programé pour n'avoir pas été de bon sens... et toi, ton talent pour m'y pousser, m'y enfermer...

                                  Je réponds et je vis qu'on n'a d'enfer que celui où soi-même, en toute liberté, en totale lucidité, on s'est mis et enchaîné. Ton absence, si elle se confirme, m'y pousserait, encore que j'ai une confiance, allant - maheureusement - au-delà de notre amour, de notre rencontre. Ceux-ci ne peuvent être ma perte, et je ne me suis pas abusé en t'écoûtant, je t'ai reçue sacramentellement, aussi humainement, aussi densément, aussi totalement qu'il est possible à une histoire d'en accueillir une autre et de découvrir en elle que celle-ci en était, de tous temps et à toute ligne, le joyau et le ressort. Nous ne nous sommes pas trompés en nous confiant - non pas l'un à l'autre - mais à la vie, que nous décidions de continuer, de vivre, de célébrer ensemble parce que l'un de l'autre nous étions, soudaine et puissante indication du destin, le meilleur compagnon possible, le compagnon réellement proposé, vraiment adéquat. tu ne gagneras pas à n'être pas avec moi, mais je gagnerai à t'aimer, te suivre et te compendre assez pour accepter que tu aies failli, que tu t'égares jusqu'à me quitter et m'oublier. Orgueil ? ou murmure que tu es encore capable d'entendre, de très loin, de si loin que tu sois à présent ! 


Bois de Boulogne, lac de la Cascade, fin de matinée du samedi 12 Juillet 1997



                                  Retour ici... Quoique n'y étant nulle part chez moi, et depuis des années, toujours l'hôte de l'un ou de l'autre, naguère de ma mère, j'appréhendais de quitter Paris, les rues, les visages de la familiarité pour une maison où personne ne m'attend. Aurai-je aussi ce moment quotidien ? pour lequel je prends la voiture, le périphérique et je viens, avec ma petite machine, au lac de la Grande Cascade, t'écrire, t'évoquer, te parler. Grande douceur et sur le moment, ce n'est nullement un monologue ou une illusion : nous sommes ensemble. Les lieux, le temps, tout nous est propice ou plus rien ne compte. Je suis dans notre passé, dans ce qui nous a été commun, dans ce que je suppute de tes pensées, de ton mouvement intérieur et n'excluant rien de l'avenir, et notamment pas ton retour, ainsi je suis heureux et quitte mon banc, les canards et l'été vert sombre à regret. Ici, ce pouvait être toi au répondeur, ta voix pressée et claire : Ah, Bertrand ! et puis la suite. Si tu me téléphones, ce ne peut qu'être pour m'annoncer ton retour, ce qui ne nécessitera aucun commentaire sur le moment, ni ensuite, ton retour sera éloquaent par lui-même. Je sais que je l'accueillerai d'un coup, ce fait gigantesque et miraculeux de ton retour, bien plus inexplicable que ton éloignement et que ton silence, que ton départ mental affectif de ces mois-ci, puisque ce sera un retour. C'est ce fait du retour, qui est en soi une naissance, une extraordinaire détermination, sans pari, en toute connaissance de cause, qui m'a donné le titre générique de cette lettre que j'ai plaisir à continuer, sans que j'en sache aucun des termes : te l'adresser, mais quand ? te la donner, mais alors... Te la faire découvrir bien plus tard ? je ne sais, elle m'aide pour le moment de plusieurs manières. Elle est notre lieu commun, un lieu dans la journée, un site où me recueillir, t'inviter, t'instruire de moi-même, de ce que j'ai compris de notre rencontre, de ce que je suppose de toi, de ce que j'avoue de mes propres limites, incertitudes et faiblesses. Je vois que ce lieu est indépendant des lieux, l'envie me vient d'y venir, je médite ce que je voudrais te dire et bien souvent autre chose me vient. C'est une sorte de livre qui nous est commun que je suis en train d'écrire, avec toi, il change assez peu de mes lettres - ces lettres qui ne t'ont ni atteinte ni vraiment caressée et nourrie, puisque tu t'es éloignée de moi. paradoxalement, c'est à mon silence que je confie tout ce que je veux encore te dire, te répéter, mon attente d'amour et de désir. Puisse ce silence avoir l'éloquence que mes épîtres n'eurent pas... et peut-être, à présent, t'écrivant si peu précautionneusement mais de grande affilée, puis-je être davantage complet, au risque même - si tu venais à lire ces pages, toute résolution confirmée, celle de m'avoir quitté - que tu y trouves confirmation que nous n'étions pas " faits l'un pour l'autre ". Cette expression, je ne sais si vous l'avez dans ta langue, mais elle est assez naturelle dans la psychologie humaine, psychologie de l'immaturité... cette expression, combien et longtemps j'y ai cru. On serait ainsi dispensé de tout effort, de toute adaptation et de toute écoûte. Il n'y aurait de hasard que de se manquer... et la quête d'amour serait de constituer l'androgyne, de suivre à la trace l'éternité jusqu'à ce qu'elle ouvre, en forme d'un sourire, d'un visager, à la façon des bras pour l'étreinte, une sorte de porte sur la vie. Tu n'es pas du tout faite pour moi, et moi pour toi. La preuve, j'aimerai tes soins, tes égards, tes appels, tes lettres quand nous ne sommes pas ensemble ; j'ai grand besoin de tendresse, je suis très vulnérable, et de mon côté, manifestement, je ne sais pas m'y prendre. Je n'ai pas parié, deviné que tu serais de taille dès l'été dernier, et dans la ligne de ton retour, de tes premiers à nos retrouvailles d'aéroport et qui furent pour notre mariage que tu voulais au plus simple et au plus vite, résolu et sans trop se soucier ni des tiers, ni de la fête, ni même de "programmer" des enfants. L'union, simplement. Et je n'y ai pas cru, je ne t'ai pas regardée, je ne t'ai pas vraiment parlé du dilemme, ni exposé ce que par délicatesse, scrupule ou bien vain souci de paraître toujours fort et dispensateur de tout, je voulais t'éviter : mes désespérances, l'attente, la probable pauvreté, la pénurie. J'ai cru, en cela, que tu n'étais pas faite pour moi, puisque tu n'étais pas apte à de tels commencements. Tous deux, nous nous sommes mutuellement trompés sur cette complémentarité, sur cet entrainement mutuel, sur cette pédagogie amoureuse que nous nous donnons l'un à l'autre avec aisance, naturel et plaisir quand nous sommes ensemble : sans dissertation ni organisation, sans méthode. Peut-être, sommes-nous faits l'un pour l'autre, nous faisant du bien, nous faisant grandir et nous parfaire l'un par l'autre, l'un pour l'autre. C'est en tout cas ce que j'ai fortement ressenti dès nos premiers pas, dès que j'eusse considéré qu'il était - à bien y regarder - tout à fait raisonnable et judicieux que tu sois ma femme... Tu m'avais éveillé, rappelé à la vie, ce soir ancien maintenant, où tu me signalas, comme un oubli que j'étais en train de commettre en t'induisant à devenir ma maîtresse sur un lit et dans une chambre que tu venais juste de reconnaître comme tout à fait adéquat pour ta propre vie, ton propre séjour... c'était extraordinaire, je t'écoutais, et tu me signalas donc ce qui allait de soi, nous étions déjà fiancés, tu te donnerais selon le rite du corps humain, quand ce serait officiel. Officialité dont aussitôt la chambre et ce premier moment quittés, tu me commentas ta conception, toute personnelle, aussi simple - en fait - que celle de notre mariage, en tant que célébration pour l'état-civil. Ce serait une simple parole publique, et tu serais à moi. A ta proposition en forme de constatation intime, je répondrai nettement et clairement, et tout serait dit. Ce qui fut, à un mois de là, pour tes parents. J'appréhendais que tu me contraignisses à des choses, à sauter des obstacles que dans le passé j'avais toujours répugné à envisager, que j'avais refusé, plus encore que la femme qui me demandait de les franchir... Je regimbais, l'idée était-elle de toi, n'y avait-il pas quelque intrusion de tes parents dans notre vie, dans mon mouvement ; tu en convenais mais moi, ce soir-là où vinrent dans mon appartement dit de fonctions tes parents et ta soeur, occasion que je redoutais, cérémonie qui m'embarrassait, je pris un réel bonheur, un bonheur grandissant et qui m'étonnais à mesure qu'il me venait, m'envahissait, me soulevais, à dire à tes parents, par le truchement de tes traductions à mesure, que je t'aimais, que j'étais sérieux, déterminé, que cela se ferait et vite. J'eus le même bonheur, la même assurance intime, totale, paisible, si nouvelle dans mon existence, à faire le tour de France et à te présenter à chacun, chacune de mes frères et soeurs. Oui, tu me paraissais tellement adéquate, tellement adaptée non pas à mes défaits mais à faire surgir une tranquillité, un comportement d'homme libre, parce qu'heureux. Nous avons trébuché, par ma faute, je le vois bien à présent, quand je n'ai pas cru à ta capacité de m'accompagner dans la difficulté, dans la pauvreté, dans le débat-même où me plongèrent et me maintinrent tout l'été dernier S., sa détresse et surtout l'expression désespérée, horrible à entendre et à vivre par procuration téléphonique, qu'elle me criait de cette détresse. Malédiction qui rongeait nos bonheurs, accentuait, grossissait, suscitait des craintes dont tu m'avais guéri par dispense miraculeuse, dès ton approche. T'aimer, avoir foi en toi, c'est donc reconnaître que tu es faite pour moi. Je m'y conforme même dans ton attitude présente, quel qu'en soit le sens : tu me formes, au-delà et malgré - peut-être ? - ton propre vouloir. Ta présence dans ma vie aimante ma prière, me fait voir mes inachèvements jusques dans le désir que j'éprouve, seconde et minute après seconde et minute, de ton retour, de l'expression de ton amour. Ta sévérité de visage, ta sobriété de caresse donnent une puissance à tes mots, tes gestes sans mesure commune avec une profusion monodique ou obsessive. Reste que j'ai vêcu notre rencontre comme un don du ciel, et non comme un emboîtage de deux parties sculptées l'une en considération de l'autre.

                                  Et puis, hier après-midi, en roulant, une route rapide et facile, sans grand monde, ni trop de soleil quoique j'ai pu garder ma fenêtre ouverte et le bras à l'air jusqu'à Vannes... je sentais que cette maison au contraire est - par elle-même - un gage d'attente, de vie. Je te chantais intérieurement mon amour n'ayant quelque crainte que dans ces derniers mètres, quelque message de toi ou d'un tiers mettant fin à toute espérance. Y ajouterai-je foi, trouverai-je comme depuis un grand mois, cinq semaines maintenant, un nouvel échappatoire pour ne pas croire à la littéralité de ce que tu me dirais, me ferais savoir, une lettre nette et limpide avec ces formules surannées de l'éducation soviétique, salutations à Pierre, Paul, Jacques ou Jean de ta part, reconnaissance pour les bons moments, les glaces, le cinéma, peut-être Avignon ou le chandail rose de laine si douce que tu as apprécié, qu'il était donc naturel que tu emmènes en Septembre dernier et puis un baiser rapide, camarade, et ce serait fini. Tant de mois pour me faire comprendre que tu est passée à autre chose, en fait à un autre homme, mais étais-je à toi ? me rétorquerais-tu ? C'était parfait, en un sens, mais je m'y serais ennuyée, et cela ne pouvait durer, la preuve, tu ne pouvais me garder. Tu serais ainsi fondée à à tout brouiller et barbouiller de ces temps qui n'étaient pour moi que commencement, dont toute la sauver étaient qu'ils fussent un commencer. Tu m'émerveillais parce que tu me faisais commencer, que tu étais mon commencement. Je ne sais si tu seras ma fin, je veux dire : mon extinction, au cas de ton absence, à cause de ton absence, par suite de cet effacement auquel tu auras tranquillement procédé, sûre que l'on se remet, que l'on oublie, que je me remettrais, que j'oublierais, que je t'oublierais - sûre ! à ton âge et dans ta confusion de toutes les notions et énergies d'amour, dans le gaspillage et la paresse d'amour. Sûre et sans reproche. Sans reproche, oui, tu peux l'être. Sûre, c'est que tu n'as pas su distinguer l'amour de l'amour, l'amour des amours, l'amour d'être ensemble, de s'assouvir par des trics, des machins, du temps, des voyages et de l'habitude, ce qui est donné à presque tout le monde, et ne signifie pas grand chose. Et l'amour qui subjugue, qui dure, qui transforme, qui oriente, qui fait contagion dans tout l'être, l'amour qui habite, qui nidifie. L'amour qui rend l'essentiel si proche, si saisissable et pourtant qui reste mystérieux, qui n'est ni mon attrait pour toi, ni mon goût pour toi, ni mon fantsame de ton corps, de ton plaisir, de ma puissance, de notre fécondité, de jeux d'enfants et de sagesse d'extrême existence. L'amour qui a pour secret son indissolubilité, qui autorise toute espérance, toute attente au défi de tout, au mépris de tou. L'amour qui n'est totalitaire que pour celui qui l'éprouve, en son dedans, et qui libère et fait courir à perte d'haleine et d'horizon, et tout reconnaître, tout connaître en vérité et beauté. Une sorte d'enfance qui ne sera jamais retirée à celui, celle qui la reçoit d'un autre. Dépendance miraculeuse qui n'astreint qu'à la reconnaissance et à l'émerveillement. Tu comprends bien... ou tu passes complètement à côté de la vie, ce dont parfois les circonstances se chargent, mais qu'il vaut mieux que nous nous infligions pas à nous-mêmes... tu comprends que cet amour-là, il est unique, qu'à côté, avant ou après, il peut y avoir des rencontres, des amitiés, des consolations, j'allais écrire des compilations, et le mot est juste : de la copie, de la compensation, mais ce n'est plus, ce n'est pas cet amour-là parce que cet amour-là, c'est la vie. Voici qu'en m'apparaissant, tu me le donnas, tu me le promis, et qu'aux premiers pas, aux premiers temps de notre expérience l'un de l'autre - et en moi, de cet amour totalement inattendu et sans aucun précédent - tout me confirma que tu avais le talent de l'entretenir, de le développer et que je saurai te le rendre, nous le faire partager. Pour moi, notre amour est donc sans retour. Après lui, il n'y a rien. Tu sais, je te l'ai dit souvent et je crois que tu me connais en ce sens : même aux périodes les plus occupées ou gratifiantes de ma carrière professionnelle, celle-ci me tenait bien moins que mon espérance d'amour et mon souci de vie spirituelle. Aujourd'hui, où je n'ai plus de carrière et où une éventuelle reprise de celle-ci ne sera que machinale, avertie de sa précarité et de sa vanité, tu vois bien que je ne puis être habité que de Dieu et de toi. Tout n'est qu'écrin, chaque jour est un approfondissement, une mobilisation intime, le moment de me donner davantage, de m'ouvrir à la réalité de l'existence humaine, et c'est toi qui - absente ou présente, source d'interrogation, d'anxiété, assoiffement ou joie de te contempler, de te découvrir - me convie sans trêve à cet accomplissement.

                                  Il me semble - vertu rétrospective que même partie tu conserves en ma vie, dont l'expérience que j'en fais est peut-être le signe d'une forme résiduelle et authentique de ta présence - il me semble que ces propos ne te heurtent, ne te paraissent pas abstraits ou prêchés, et que tu me suis. J'ai peut-être comme à nos commencements le grand heur de t'apprendre quelque chose, sans la moindre supériorité, que la permission que tu m'en donnes, que l'attention que tu me prêtes. C'est beau, et j'ai la sensation que ce n'est pas une illusion.

                                  Le rite depuis que j'ai cette maison, et j'en ai d'abord eu le cimetière, de passer devant la tombe de ma mère. A chaque moment de notre vie, de la vie de notre couple, il me semble que ma mère a un "mot" : celui-ci me vient quand je m'immobilise, parfois à la clarté de la lune, parfois au très fort de la journée, parfois dans le vent ou du vrai froid; C'est généralement un verbe, un verbe d'action. Ma mère était du genre indomptable, elle n'était complexe que par conflit natif entre une éducation la faisant se défier d'elle-même et une nature généreuse, imaginative qu'elle réprima donc. Etonamment libre de réaction si le moment d'une spontanéité et d'une expressivitée qui l'ont caractérisée, parfois desservie, la surprenait sans référence. Elle avait alors une vue très originale, inattendue des choes et des situations. Prudente, timorée parfois, elle était dans les grands événements ou dans l'imprévu d'une audace coupant court à bien des idées reçues et aux comportements que celles-ci induisent. Elle nous manque. Elle te manque. Ses encouragements ne sont pas ceux que je lui aurais demandé, ils sont chaque fois, pour moi, dans le murmure d'être devant une tombe, où a été déposé son corps et où devrait, en principe, être aussi le mien. Le tien ? près du coprps de ton mari, bien plus tard, dans des circonstances dont j'aimerai qu'elles soient demeurées très longtemps ton bonheur, le bonheur doux d'avoir été passionnément aimée et épousée aux premiers émois de ta vie, et ensuite des circonstances autres mais où le pélerinage à ma mémoire et l'éducation de nos enfants prolongeraient le battement ensemble de nos coeurs, la douceur d'avoir naguère échangé des caresses sur la peau douce d'une nudité dont le mélange n'était pas laid. C'est ce mélange qu'aurait aussitôt appréciée Maman, mais que - intuition ? - n'a pas souhaité la tienne. La nature, sa loi, son enthousiasme, son irrépressibilité comprises différemment. Pour beaucoup, notre différence d'âge serait notre dissolution certaine et à bref terme. Scandale que ta beauté, ton éclat soient à ma disposition ; certitude que je ne puisse te capter, te paraître agréable à voir et à accueillir de chair ; conjecture savante, laide et assurée que je ne serai pas longtemps de taille, que l'envie immanquablement te viendra et que de la comparaison naîtront aussitôt le désamour, au mieux ta compassion, au pis ta passion, compassion pour le vieillard dont on ne veut plus dans son lit de très jeune femme, passion pour quelque corps jeune que ce soit, et il en passera à ta portée : c'est statistique, mon déclin, ton dégoût, les occasions... Conseil des autres, ne pas choisir ce qui ne peut durer et ce qui, pour eux, n'est pas de nature. Peut-être ta mère a-t-elle eu cette vue ? Je ne sais rien de la relation intime de tes parents, et me parlant si peu de toi-même, de ta propre enfance, tu ne m'en diras ce que tu en as su et vu qu'après des années de notre vie conjugale te donnant une autre confiance, une autre expression. Je pensai assez vite en effet que tu aurais, tout de même, cela à acquérir. Par une transplantation dans une civilisation affective, mais en vraie réciprocité car de ton côté, tu m'appris que toute spontanéité n'est pas attention à autrui, ni générorité de propos. Ce que l'on peut penser ou dire de toi est aussi désobligeant pour ta capacité, ta maîtrise de toi-même, tes facultés d'amour et de discernement que pour moi, d'avance laissé pour compte. Trait commun, mais explicable entre les gens d'Eglise quand ils sont assez enkystés dans une hiérarchie pour ne savoir que la vraie prudence, celle du surnaturel, et ma mère, les mères de fils. La Bible résonne d'un hymne, qui la parcourt tout entière ; faute d'être dieu, l'homme est fécond, naissance et mort sont son rytjhme, mais sa durée c'est sa postérité, ce sont les générations qu'il engendre. Bénie soit l'épouse parce qu'elle n'est pas stérile, béni soit l'époux parce que son grand âge sera entouré de jeunes guerriers, d'une foule de collaborateurs. La gloire et la bénédiction se disent ainsi, l'alliance se scelle par la promesse qu'elle signifie et réalise contre toutes les attentes biologiques, les mariages sont toujours faits par présentationn divine, dans des conditions où l'on pérégrine beaucoup et où l'amour se consomme aussitôt, car il signifie connaître, se connaître. Une femme conçoit, un homme connaît et tout le mystère est là. Je n'eusses jamais considéré une rencontre amoureuse ainsi, si tu ne m'étais apparu aussi gratuitement, pile à l'heure de mon souhait de finir la vie dont je ne sortais pas et de commencer l'existence où j'existerai. Vraiment ! L'alliance de la jeunesse et de la maturité déjà là, comment n'y pas voir le soin mutuel, le tâton et la résolution, l'assurance de chacun d'avoir à faire et vivre aussitôt. En ce sens, les conseils posthumes de ma mère furent ceux du Nonce à Almaty quand, dans une trattoria, derrière l'avenue de la Consolation ou de la Conciliation, au sortir du Vatican, je lui rendis compte de l'audience pontificale... De ton âge, le Saint-Père s'était émue, car les françaises ont réputation volage et d'une indépendance native. Dès qu'il sût que tu étais née communiste, il changea complètement et nous bénit, tu serais sérieuse, vraie, tu savais discerner. Marian OLES opina, sans détour, que je n'avais plus à réfléchir ni attendre, tout de suite t'épouser et l'on n'épouse qu'en procréant. Ma mère jeta l'anathème et celui-ci produisit ce qu'elle en attendait, quand elle comprit qu'une femme qui m'aimait et que j'aimais, c'était il y a quelques vingt ans maintenant, avait avorté. Au-dessus de la vie, par-delà la vie : la vie. Elle avait jugé qu'on n'avorte pas d'un éventuel MOZART ce qui me flattait, car - tu le sais - je n'ai aucun don musical. Plus avant dans son existence, elle conseillait, mais je n'étais pas en compte, ne me décidant pour personne, n'étant plus requis par personne, elle conseillait qu'on essayât et vérifiât la fécondité de ce qui était projeté. Un vieil ami, mort quand je partis au Kazakhstan, opinait de même, qui n'eût pas d'enfant, il le regrettait amèrement quoique sa femme qui en avait eu d'un lit précédent, ait été pour lui une véritable fête rien qu'à la regarder jouir de l'existence, il opinait donc qu'on épouse une femme parce qu'elle est enceinte. Non, du tout, parce qu'on y est moralement obligé ou conduit, mais bien plus bellement, parce que l'heure et le signal sont ainsi donnés. J'ai encore beaucoup à apprendre... le destin nous donnera-t-il sa rémission ? viendras-tu lente et joyeuse me dire ce qu'il se passe et que nous allons attendre ? Je revivais, par bribes et à tort, mais j'étais si heureux que je ne fis pas attention à ces réminiscences qui n'étaient pas de bons présages, je revivais la première année de nos convictions amoureuses, puis de notre approche sensuelle, les dogmes et impérities de mon adolescence. Notre exemplarité devait être de ne pas " le faire " avant notre mariage en sacrement. Fou, que je fus. Le mariage c'était, non l'église, mais ton ventre et l'enfant, nos sexes s'aimant, se goûtant et le fruit se faisant de leur baiser. Mûr et pendant. Il aurait quelques dix-huit mois, j'avais voulu Gildas et Sophie, j'achetai les bols bretons à leurs prénoms, tu critiquas à juste titre mon imprudence et me fis voir que d'ici là, les images auraient changé, la Sagesse et le patron saint de ces villages en Morbihan. Rien n'est né. L'Abbé de Kergonan, je ne le rencontrai qu'en Décembre 1994, j'avais perdu mon emploi, j'allais perdre ma gloire, mais je venais de te recevoir. Quelques mois auparavant, venu au monastère, c'était la Solennité de la Pentecôte, et mon amie autrichienne, Beatrix, m'accompagnait, j'avais été frappé par la manière dont l'Abbé bénissait ses moines avant qu'on aille se coucher : c'est l'office de Complies auquel depuis nous avons assisté tous deux. je lui écrivais d'Almaty de me désigner un de ses religieux pour qu'à l'occasion j'ai quelqu'un à fréquenter quand je repasserai en France. Mon orientation de vie ne se faisait toujours, je ne m'en inquiétais plus, tant cette Ambassade au Kazakhstan me requérait à plein temps. Ce plein temps a fait place à un autre, incomparablement plus absorbant : toi. Je le lui dis, il te vit à Pâques de l'année suivante. Autour du feu qu'on dit de la Résurrection, un des seuls rites pour lesquels le catholicisme a plus de puissance évocatrice que l'orthodoxie, je rencontrais un de mes condisciplines, de l'Ecole Nationale d'Administration, une maison à Quiberon, la retraite se préparant et déjà grand-père. Les présentations s'échangèrent, je compris le fantastique don qui m'était octroyé, sans aucun mérite de ma part. A cinquante ans passé, commencer sa vie, commencer la vie. Toi, à mes côtés. Toi m'aimant à tes côtés. Je n'ai point changé de regard sur cette différence d'âge. Sans celle-ci, aurais-je tant de soin et de respect pour ce que tu auras à voir, comprendre, apprendre de la vie ? Que rien de laid ne vienne de moi, par moi... Egoisme aussi, mais bien compris, car cette beauté, ta pureté, ta fraicheur ne sont-elles pas celles de ma femme et n'est-ce pas à ta splendeur que je veille et concours ? J'ai pensé, et n'ai point changé de regard, que le partage est équitable, tu es très jeune, mais d'un corps, d'une psychologie forts et puissants qui ne datent rien. Tu as et auras l'âge que tu veux, que nous voulons et que nous voudrons, et j'aurai jeunesse et capacité, fantaisie et alacrité tant que tu les souhaitant de moi, tu les susciteras. Tu sus, sexuellement, intimement, réussir aussitôt en cela. Nulle timidité, mais de la précision et du bonheur quand tu as envie de mon étreinte et que ton sourire, ta complice invite ne m'ont pas encore tout révélé. J'ajoutai et te le dis, c'était notre premier retour vers l'aéroport et une séparation qui, du printemps à l'été de 1995, devait être courte, dans notre prévision, mais qui faillit - déjà - nous disjoindre : que je pourrais comprendre, que je comprenais d'avance le poids, un jour, de cette différence d'âge si je ne pouvais plus ni te suivre ni te satisfaire, au sens que les primaires ou la nature, attachent à ce mot, mais je ne connais ni ceux-ci ni celle-là dans la situation que j'évoquais, puisque je n'en ai encore ni l'âge ni les symptômes. Tu pleuras, je ne croyais donc pas à tes sentiments, à leur force, à notre amour pour conjecturer ton envie de me quitter à cause de cela... Je suis revenu à l'hypothèse de ton départ anticipé, par lassitude de mon âge qui aurait beaucoup avancé, sans que toi-même tu n'aies d'inquiétude que d'être encore assez juste pour changer de vie, ou trouver ce que tu n'aurais pas vêcu avec moi, et dont tu subodorerais le manque et putativement le taraudement si tu n'avais pas connaissance à temps. Peut-être même te l'ai-je encore redit au téléphone, il n'y aurait pas excessivement longtemps et je parle alors pour t'assurer de ta liberté, à quelque moment que ce soit et quoi qu'il arrive. Ce n'est pas habile ni convenable de ma part, je le sentis chaque fois, et je le sais maintenant. Tu ne viens pas à moi, tu ne reviendras pas à moi, pour une fondation provisoire, tu n'as pas la moindre arrière-pensée et si ta manière de préjuger de la vie est plus pessimiste que la mienne, tant le présent a raison de tout selon toi, ton comportement et tes supputations sont optimistes. Je serai de taille et d'avantage pour toi. Nous séchâmes tes larmes, nous roulâmes jusqu'au milieu de la nuit, c'était fatiguant, lassant mais l'avion était à heure fixée. Nous nous arrêtâmes pour que je dorme quelque heure, dans un Formule 1, j'étais épuisé, faillis te blesser au crâne en fermant sans soin le coffre de la voiture, nous fûmes nus dans un décor lugubre et crû, nos nudités l'étaient, c'est un de nos mauvais, de nos laids souvenirs, mais comme il est commun, nous en fîmes la comparaison avec des beautés qui nous accueillirent à tes retours : le décor est nécessaire, je saurais, presque toujours, tomber juste, mais si c'est parfois modeste. 

                                  Hier soir au cimetière, c'est d'espérer et d'être fort, que j'eus la recommandation... L'honnêteté m'est également donnée de reconnaître que ton retour, s'il était à cet instant, me trouverait, maintenant comme l'été dernier, attaché à souffrir d'S.. Bataille à livrer à laquelle je suis résolu mais pas prêt. Je ne désire pas encore cette femme : ma femme, que tu es pourtant jusqu'à l'ivresse, jusqu'à souhaiter la mort si je te manque. J'avance pourtant : que si ce n'est pas elle, si ce n'est pas toi, ce ne sont pas non plus les enfants qui me pousseraient à me marier ; ce qui m'attire, c'est le défi, c'est l'inconnu du mariage, et pour cela, il me faut la page blanche, la fascination de la jeunesse, d'une certaine virginité d'âme et de biographie. J'en reviens à ma mystérieuse conquête d'il y a trois ans... Toi, toujours toi, je ne puis te quitter que pour toi, je ne puis imaginer celle qui te remplacerait qu'ayant exactement tes traits, ton comportement et peut-être, même, actuellement, ta façon d'être partie, et de m'habiter. Et revenant ici, cette sensation étonnante - tout à fait inattendue, que je ne peux me donner, s'il était possible : tu es là, ta présence ici te précède déjà. Retour à la superstition : je ne voudrais plus même jeter une pièce en l'air, pour du sort déduire ton retour. C'est que je ne cherche pas l'avenir, ou à connaître l'avenir, je l'ai voulu. Que c'est étonnant. J'ai longtemps tiré les cartes, naguère, mon avenir, les amours, l'argent. Ce n'est pas preuve d'attente, je le vois bien à présent, mais d'indécision. Te voulant, je ne consulte aucun astre, je te veux. Pas d'avis à solliciter.
  
                                  Mon auscultation quotidienne : toi, ton chemin intérieur, ta présence en moi. Depuis ce que tu m'as téléphoné, je suis passé en plusieurs endroits, celui où l'on est mûtilé, celui d'où l'on part aussitôt jusqu'à rencontrer la belle, toi, chez toi, ou si tu es ailleurs, ailleurs, irruption de l'amoureux et du malheureux dans ton train-train quotidien, ta fureur, mon échec, notre humiliation, mieux vaut continuer, mieux vaut attendre, mieux vaut me fier. Alors, c'est l'endroit du désir, du manque, du pleur, de la supplication. T'écrire, te téléphoner, rien n'a donné, inutile, contre-performant, inopérant, deux certitudes celle de t'aimer, de te désirer et celle de ne rien pouvoir. Un autre endroit, l'espérance, l'attente, la logique que tu me reviennes, des arguments, des avantages singuliers, mais je ne sais rien de toi, j'ai si peu de données sur ta personnalité, ton caractère, je me suis dispensé de toute enquête préalable, tu es venue, tu t'es installée, tu étais chez toi, tu es ma femme, n'est-ce pas te connaître et s'ul y fait davantage, ne me l'apprendrais-tu pas toi-même ? Justement, tu ne m'apprends rien que des faits qui me reviennent ; je ne trouve rien dans ce que nous avons vêcu de jours et de nuits qui atteste ton amour, ta préférence, ton goût. Dans ce passé où je fouillerai, rien ne viendra au jour qui soit sourire, caresse, manifestattion d'amour, banale si ce n'était toi, magnifique, solaire, chaleureuse au possisble, comblante jusqu'au plus intime parce que c'est toi... tu ne m'as rien donné, jusqu'à présent, que toi... Pas la peine de chercher, qu'attendre : toi.

                                  L'endroit d'aujourd'hui est celui de ta liberté. Je suis sans doute depuis des mois à supputer une vie de jeune fille, devenant rapidement femme (et femme banale), et depuis des semaines à conjecturer une réflexion attentive et peut-être douloureuse, à croire toujours probable son arrivée, son retour et même notre mariage ! ainsi, survivè-je sans rechange mais sans désespérance, alors que la réalité est probablement conforme aux apparences qui me sont données : le silence signifie tout bonnement que je ne suis plus en quoi que ce soit à l'ordre du jour, et de mon côté je fabule pour conserver quelque équilibrer au jour le jour et ne pas dévaluer ce que j'ai vêcu, cru vivre (et qui d'ailleurs fut quantitativement et qualitativement fort peu, au moins pour ce qui venait d'elle et pour le temps réellement partagé).      Souvenir de ton visage, de ta voix d'Hélène. Très probablement tes derniers jours d'examen ou de contrôle, s'ils ne sont déjà révolus. Soupçon parfois que tu veuilles montrer la France à ton compagnon, un hasard nous ferait nous rencontrer ? Ce serait Avignon ? comme je t'y cherchai il y a deux ans. Tu devais y venir, m'en avais averti, mais ne voulais plus me voir, moi. Ce serait tout gâcher disais-tu promptement. Avec un autre, voilà ce que tu voulais. Avignon sans moi, et la plage ensuite où tu refusais que je descendisse à l'eau d'une manière qui nous afficherait ensemble. Ce n'était pas un endroit que cet été-là, c'était une épreuve, tu ne m'étais pas infidèle, tu n'étais pas oublieuse, tu avais renoué avec quelque chose, un sentiment antérieurs à nos projets, tu en pris le goût âpre d'un désir que tu avais eu, qui s'appelait Volodia et Volodia faisait attention à toi, l'inaccessible Volodia quelques mois, quelque semaines avant notre rencontre, Volodia ton partenaire dans cette pièce, jouée amateur, où je te vis, Volodia dans le rôle de l'inconsistant, du jeune que chacun roule dans la farine de ses indécisions et de ses peurs, à commencer par toi, la tante subtile, perspicace et si forte dans le texte de COCTEAU ; les parents terribles, c'est toi possédant tous les sexes, et tous les âges. Faire l'enfant n'est pas toi, sauf ces quelques rares fois, celles de ta détresse ; tu craques, tu as dix-huit ans, pas plus, tes responsabilités de m'interprêter, ce sont mes adieux - pas brillants, ni opportuns, à Karaganda, tout se fait en catimini, qui avait été publié et crié à l'origine. Tu pleures, nous devons faire chambre à part, il nous faut tenir des rôles, tu pleures, je te prends aux épaules, je t'entoure, je t'aime, nous gagnerons, tu es forte, saches-le. Et tu le redeviens, tu es ma femme, nous n'avons que l'âge et le savoir de notre amour, il est réciproque, il a ses acidités, ses contrevenues, il ne ploie pas. Et l'été de Volodia, tu décides, tu couches avec un homme, celui que tu épouses, que tu vas épouser. Revenue à Almaty, tu trouves l'autre nul qui t'agace et qui n'a pas plus la consistance de tenter de te reprendre qu'il n'avait eu, quand tu l'attendais et te mourais de pré-adolescence et de mots gentils, celle de t'exaucer. A cet endroit maintenant où ta liberté est notre avenir, je me tiens, ne sachant si tu y es ou y viendras, si j'y arrive et attends en temps, si tu y as déjà contourné ce centre qui questionne : quelle idée te fais-tu de toi-même ? qu'attends-tu de la vie ? Mes projets sont nés de cette maison où je t'écris et que tu connais, je ne crois pas que tu l'aimes déjà, et tu ne te l'es que peu appropriée. Tu ne m'aurais pas quitté, si tu l'aimes ; ce n'est pas du tout poser que tu serais intéressée, matériellement, pécuniairement, elle a de la valeur, elle me coûte beaucoup, elle serait payée dans l'instant de ma mort, tu hériteras de moi. C'est poser que ce que je vis est une des tensions et des attaches les plus fortes de la constitution humaine, la terre, le lieu, les murs, nous ne les choisissons pas, nous sommes choisis, retenus, constitués, reconstitués par eux. Cette maison est pour l'heure périlleuse, mes engagements pour la rebâtir font mon malaise et tout vient d'lle : les dépendances comme les subterfuges pour faire casquer d'autres à ma place, le risque considérable que j'ai pris d'un financement par arrêt-maladie, risque de réputation, de notoriété, de capacité objective, selon le dossier que je falsifie, à reprendre, à recevoir de nouveau des responsabilités, risque d'auto-évaluation de moi-même puisque les médecins et experts consentent si uniment à ce subterfuge que peut-être je suis réellement éligible à ces diagnostics me sauvant financièrement. A l'une de tes arrivées, la dernière, l'autre été, tu poussas un si fort soupir, le rez-de-chaussée te sembla un bri-à-brac sans intimité, sans qu'on puisse jamais y mettre quelque ordre et du repos dans la tête et dans les yeux, je le sais, je l'ai senti. C'est bien pourquoi la sensation de ta présence, d'une sorte de précession de ton retour, m'a hier si surpris. Cette maison se conduit donc d'elle-même. je l'achetai parce que je lui demandais des racines et de l'espace, racines de vie et espace d'avenir, de projets à former. Elle alla plus vite que moi, et d'Almaty, je la voyais composer mon rêve, une femme nue, de dos, les cheveux aux reins, allait d'elle à la mer, à la rivière qui au fond du paysage mène vers la droite et le couchant, jusqu'à la mer, une baie à huiîtres, des barques, beaucoup de plat et la mer peu après, la mer totale, l'océan qui t'a fait vibrer dans un soir presque gris quand nous y vînmes, à Carnac, à ton premier séjour. Toi, sur un sable rugueux, à gros grains, une plage peu large, déserte, qui est celle des enfants et des enfances aux jours de chaleur et d'entre les années scolaires, tu prenais l'océan de toute ta poitrine, de toute ton imagination, de tout ton esprit, tu m'as remercié de te donner l'océan ! Cette maison, ce chemin breton que je n'ai pas encore défriché, débroussaillé, tu l'empruntes dans cette pénombre qui avertit que l'avenir se rapproche et vient, tu marches de dos, tu ne t'éloignes pas ni de moi, ni du moment où je te rêve, sans savoir encore que je te pressens, et il y a deux enfants, très jeunes, des enfants blonds et nus, de dos eux aussi, prennent-ils ta main, tous deux, leur donnes-tu la main, ils sont nés, tu es née et dans la pénombre de ce qui va être et n'est pas encore tout à fait, vous allez, vousfaites davantage partie de la vie, du rêve que moi, qui n'en sais rien, qui ne sais pas que c'est pour moi, cette trinité. Ta trinité. Tu ne prends la place de personne, tu ne viens combler aucun creux, tu n'as aucune fonction, tu n'es rapetissée par aucune correspondance à laquelle tu aurais été assignée. Souverainement, sans consultation, le soir où tu nous constata fianés, tu conclus avec encore plus de naturel, j'ouvrais la portière de la voiture, tu étais au point d'y entrer, j'allais te raccompagner chez tes parents, un peu plus tôt qu'à l'habitude, mais une sorte de fatigue, de lassitude très sensible mais très heureuse, venait de nous tomber dessus, nous avions conscience d'avoir soudain beaucoup vêcu en ces quelques minutes, tu as alors dit : je suis sûre que je serai très heureuse avec vous. Tu as fait lever cinquante ans de moisson et toute l'éternité dont un homme est capable, quand tu as dit cela, cela semblait presque pour toi-même que tu le disais. Que t'ai-je répondu ? Qu'à présent, je t'attends. D'une manière qui est belle, la France, mon pays, ma langue sont mes plus forts alliés dans cette reprise d'attirance que tu peux avoir pour moi et pour le couple que nous voulûmes.
                                  A toute heure - à l'endroit où je suis, de mon point de vue donc - tu es susceptible de m'appeler et ce sera cardinal. Depuis des mois, tu m'as quitté, aussi réellement et entièrement que tu fus - quelque temps et en des lieux précis - avec moi. Seule inconnue, combien de temps vivrai-je encore cette alternative, soit que tu la dissipes avec le naturel qui t'a toujours caractérisée, soit que je m'en dégage et que soudain la conscience me vienne que je m'en suis dégagé... T'aimer au point de ne rien espérer ni attendre, t'aimer au point d'aimer tout de toi, y compris ton départ, t'aimer au point de ne nier rien du passé, de ta sincérité, de ce que tu fus et de ce que tu crus me donner, et ne pas me servir pour te désaimer de tout ce qui pourrait t'amoindrir, tes choix actuels, tes absences naguère, ne rien changer de l'image et des perfections que tu me donnas de toi, ne pas chercher dans mes propres erreurs ou naïvetés les causes et ambiances qui te permirent ou te suggérèrent de t'éloigner de moi, ne voir que le point précis de ta liberté, t'accepter. Malgré mon envie de toi, malgré mon regret de ne t'avoir pas mieux enserrée ni vraiment séduite, malgré ces cent moments de la journée où je voudrais t'offrir ce que je vois et comprends, ce que je fais, enfantillages de tout rapporter à toi et à l'intérêt que tu y prendrais. Par amour de toi et non du tout pour soulager ma souffrance de toi, n'être plus sûr que de ton refus, marque et expression de ta liberté, de ton existence, refus montrant que je n'ai pas rêvé, puisqu'en atteste le trou, le vide de ce qui en moi, en ma vie, en mes projets fut la place où tu avais pris plaisir à t'asseoir et me rejoindre. Me convaincre que tu existes, que j'avais raison de t'aimer, que tu vaux mon amour, ne m'en pas diminuer pour autant, rester droit et comme tu m'as, toi autant, aimé, et répéter que tu vis et souris avec un autre, que tu m'oublies, car toi tu ne sais pas aimer au présent sans cesser d'aimer même au passé. Puisque précisément, tu as choisi d'en aimer un autre. Tu me donnes maintenant d'être seul avec ce qu'il me reste de toi : t'aimer encore, sans que - vitesse acquise - j'ai à l'entretenir, ni à le vouloir. Joyeusement, je constate matin après matin, comme on visite un prisonnier ou qu'on va au coffre regarder ses plus belles pierres, je constate que je t'aime, et que je n'y peux rien.

                                  La profusion des plantes dites folles est à mon retour ici, extraordinaire, il n'y en a pas qui ne soit belle, en son genre, qui ait une réelle présence, un agrément. Selon quoi décide-t-on d'en cultiver et d'en sélectionner certaines, le critère de beauté est ici insignifiant, inopérant. C'est nous qui dans nos propres oeuvres, dans l'enlaidissement social de nos corps et de nos âmes, avons besoin de faire jaillir quelques gemmes, et inventons la beauté. Invention du désespoir comme si la beauté était une rarissime exception et la non-beauté, et que la laideur, la médiocrité, la banalité soient de règle. Cette invention en vocabulaire, en concept, puis notre positionnement, nos hantises, fantasmes et craintes face à ce que de nous-mêmes, ou le plus souvent par convention, nous considérons, étiquetons : la beauté, sont proprement une infirmité et un aveu, l'aveu des ravages que notre espèce commet en chacun de ses individus et dans tout le champ naturel... Ta beauté m'est naturelle. Superbe ta tête haute, superbes tes seins droits comme deux bras tendus à mon approche. Ces émotions de me souvenir de toi, je ne puis les partager qu'avec toi, alors je t'écris et me tais. T'évoquer, je ne le puis qu'avec toi. Bien sûr, au cas de notre avenir, qu'il n'y ait eu que ton absence et pas vraiment une histoire, sinon celle de ton retour. Que serait ce vis-à-vis, dont j'ai tant besoin s'il n'est toi ? Ce qui ne peut ni ne doit être partagé, avoué, éventé, je ne veux le déposer à la connaissance de personne, pas plus que toi, tu ne voulais partager ce que tu jugeais nous être extérieur ou sans rapport avec les sentiments amoureux dont je tentais si souvent - au téléphone - que tu les ré-exprime. Même et surtout au passé, tu restes ma femme et ce que nous sommes - ou fûmes, sinon ce ne sera pas davantage - est notre secret. Ton départ, peut-être ta trahison, sans doute mon incapacité, seront notre aventure, notre gloire à publier et à danser sur la grand-place de notre mariage, si à le célébrer nous sommes finalement parvenus, revenus. De cri que de triomphe. Nos silences ne nous sont pas communs : le mien recueille ton reste de vie au creuset que je soigne de mon espérance ; le tien m'offre de n'avoir aucun recours. Singularité de cette intimité qui - tant que j'y suis plongé - me paraît demeurer très plausible, et - paradoxalement - indépendante de ton retour ou d'un retrait déjà consommé. Quoique chaque jour en consolide l'augure et que sans doute, tu en sois justifiée par la pratique-même, sans anxiété ni remords, que tu dois en avoir, puisque tu ne me réponds pas. Ton intimité, si présente et dont je ne sais rien.

                         Reniac, devant le paysage du Penerf, milieu de journée du lundi 14 Juillet 1997



Aucun commentaire: